Un Homme d’Affaires

Chapitre 4

 

Il était entré dans la loge duconservateur, le cœur battant, la pourpre aux joues, la voixétranglée, comme au moment de commettre une mauvaise action. Ilavait demandé où était cette tombe, à  la seule idée delaquelle il s’était enfui du cimetière tout à l’heure. Ilsuivait l’allée centrale, maintenant, ayant à la main le papieradministratif que l’employé lui avait remis, et qu’il lisait d’unœil machinal, étreint, même dans son trouble, par la tragiqueimpersonnalité de ce document qui faisait tenir toute une destinéehumaine entre les quelques formules imprimées: « Leconservateur soussigné certifie que le corps de M. Bérion, Jules, aété inhumé le 8 décembre 189., et placé en concession perpétuelle,15e division, ligne sud, numéro 18 par l’est…»Michel répétait en cherchant les poteaux indicateurs : Quinzièmedivision, quatrième ligne; » il comptait les monuments… Tout d’uncoup il s’arrêta, si bouleversé de ce qu’il voyait qu’il duts’appuyer contre un arbre pour ne pas défaillir. Il lisait bien lenom de Jules Bérion sur une pierre très simple, qu’une croixdécorait seule, et la date; mais, au milieu des autres tombestoutes fleuries de gerbes fraîches, cette pierre apparaissait nue,déjà abandonnée. Elle n’avait d’autre parure que les couronnesartificielles posées là l’autre année, lors de l’enterrement, quicommençaient de s’en aller en lambeaux… Devant 1’évidence quepersonne n’était venu ni la veille ni l’avant-veille, ni de toutel’année sans doute, visiter cette tombe, une inexprimable pitiéenvahit l’ami outragé, le mari trahi. Toutes les questionsauxquelles il venait de se meurtrir le cœur eurent en un instantpour lui une claire réponse. Il comprit ce qu’avait dû être pour lemort la femme qui n’avait pas même trouvé en elle de quoi venirfleurir cette tombe dans ce premier anniversaire. Pour la premièrefois depuis ces huit années, l’âcreté de sa douleur se fondit.Quelque chose d’infiniment tendre palpita en lui, une charité pourcelui qui, après lui avoir fait tant de mal, avait autant souffertque lui, et par le même être. C’était pour cela, pour que Micheléprouvât cette pitié, pour qu’il lui pardonnât peut-être, que sonancien ami avait voulu reposer là, dans un endroit où il savait quel’autre ne pourrait pas ne pas venir…

 

Quelques instants plus tard, le pèreBonnet, qui continuait sa ronde de surveillance par ce bleuâtreaprès-midi d’automne sur le point de s’assombrir, put voir avecstupeur le même promeneur dont la fuite brusque, à la seule mentionde la tombe Bérion, l’avait tant décontenancé, en train de pleurer,en déposant sur cette tombe des brassées de douces, d’odorantes, defraîches roses…

 

 

 

 

 

Novembre 1899.

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