Divers contes

La fée des eaux

Vers les trois heures, nous nous remîmes enroute et descendîmes d’Eberstein par Stauffenberg ; là étaitaussi autrefois un magnifique château dont on voit encore quelquesrestes. Mais après la mort du dernier comte, personne n’osant plusl’habiter, parce qu’il était hanté, disait-on, par des fantômes, lechâteau tomba en ruines. Voici l’aventure qui donna lieu à cettecroyance, encore si vivante aujourd’hui, qu’après une certaineheure les habitants de la vallée de la Murg[31]aiment mieux faire un détour d’une demi-lieue que de passer près deses ruines.

Pierre de Stauffenberg était le dernier descomtes de ce nom, mais quoique le dernier, la race ne promettaitpas de s’éteindre en lui, car c’était un beau jeune homme, plein dejeunesse et de force, et l’un des plus braves chevaliers de tout leRhingaw.

Mais comme pour le moment tout étaittranquille dans les terres de l’empire, Pierre avait déposé lecasque et la cuirasse, et ne pouvant faire la guerre aux hommes illa faisait aux sangliers et aux daims de la vallée de la Murg,lorsqu’un soir, après une chasse longue et fatigante, accablé dechaleur et de soif, il se souvint d’une charmante fontaine àlaquelle plusieurs fois il s’était désaltéré ; la fontaine nedevant pas être éloignée de l’endroit où il se trouvait, il mit soncheval au galop, et bientôt entendant le murmure de l’eau, il sautaà bas de son cheval, et l’attachant à un arbre de la route il entraà pied dans la forêt.

À peine eut-il fait quelques pas qu’il aperçutla fontaine qu’il cherchait, plus fraîche et plus délicieuse encorequ’il ne l’avait jamais vue, car c’était à cette heure charmante dusoir où la rosée tombe sur la terre, et où la vapeur monte auciel.

Mais cette fois, la fontaine n’était passolitaire comme d’habitude : une charmante jeune fille, quiparaissait avoir quinze ou seize ans au plus, était couchée sur sarive, le bout de ses petits pieds pendant dans la source, soutenantavec sa main sa tête couronnée de nymphéas, et regardantmélancoliquement couler l’eau. Au premier coup d’œil, Pierre deStauffenberg s’arrêta, croyant que c’était une vision qu’il avaitdevant les yeux, car il n’avait jamais rien rencontré de pareil surla terre.

Mais au bruit qu’il fit, la jeune fille levales yeux, et prenant près d’elle un coquillage qui semblait pétrid’argent et d’azur, elle le remplit d’eau et le présenta auchevalier, qui, en la regardant, avait tout oublié, chaleur,fatigue et soif. Le chevalier en buvant leva la tête, maislorsqu’il baissa les yeux et les reporta vers l’endroit où était lajeune fille, il ne vit plus rien. À la place même où elle était,l’herbe ne paraissait pas foulée, et les fleurs les plus frêlesétaient debout sur leurs tiges pleines de fraîcheur et tout humidesde rosée ; il lui sembla seulement voir l’eau agitée se calmerpeu à peu, comme si la belle inconnue s’était laissée glisser dansla fontaine ; mais lorsque l’eau fut calmée, il ne resta plusaucune trace de sa présence, et n’était le beau coquillage d’azuret d’argent qu’il tenait à la main, le chevalier aurait cru qu’ilavait fait un songe.

Peut-être serait-il resté là toute la nuit,espérant qu’elle reviendrait, s’il n’eût entendu le cor de sespiqueurs, et si son cheval en hennissant ne les eût guidés versl’endroit où il était ; mais craignant qu’une si grande suiten’effrayât la jeune fille et ne l’empêchât de revenir, nonseulement ce soir-là, mais les autres jours, il sortit vivement dela forêt, ordonna que personne n’allât boire à la fontaine, etreprit avec toute sa suite le chemin de son château.

Le lendemain, le comte ne voulut boire quedans sa belle coupe de nacre ; mais quoique son vin fût desmeilleurs crus du Rhin et de la Moselle, il était loin de luiparaître aussi bon que cette eau pure de la source que lui avaitprésentée la belle inconnue.

Aussi le soir, à la même heure, Pierre deStauffenberg sortit seul de son château et s’achemina vers lafontaine : à la même place il vit la jeune fille couchée, qui,en l’apercevant, le salua d’un doux sourire. Sa joie fut grande,car la veille elle était disparue sans lui donner aucune espérancede retour. L’inconnue lui fit signe de s’asseoir près d’elle, commesi elle l’eût attendu ; alors le comte lui demanda quel étaitson nom et sa demeure.

– Je m’appelle Ondine, répondit la jeunefille, et je demeure près d’ici ; souvent je vous ai vu venirvous désaltérer à cette fontaine, et voilà comment je vousconnais.

Ils causaient ainsi depuis une demi-heure,lorsqu’un chevreuil, qui sans doute venait pour se désaltérer à sasource favorite, fit quelque bruit ; le chevalier, craignantque ce ne fût quelque indiscret, se tourna du côté où était venu lebruit ; mais lorsque rassuré sur sa cause il voulut reprendresa conversation avec Ondine, Ondine avait disparu, et comme laveille l’eau bouillonnante lui indiqua que c’était de ce côtéqu’elle avait fui.

Comme la veille, le chevalier resta encorelongtemps à attendre, mais rien ne reparut, et, comme la veille, aubout d’un certain temps, il fut forcé de s’en aller ;cependant il ne voulut pas quitter la fontaine sans boire uneseconde fois de cette eau qui lui avait paru si savoureuse lapremière, et comme il n’avait point là sa belle coupe, il se couchasur la rive et approcha sa tête de la surface de l’eau ; maisau lieu de voir son portrait répété dans le miroir de la fontaine,il lui sembla que c’était l’image d’Ondine qui venait au-devant delui, et lorsque sa bouche toucha à l’eau, au lieu du contact humidequ’il attendait, il sentit l’impression frémissante de deuxlèvres ; Pierre de Stauffenberg poussa un soupird’amour ; un soupir d’amour qui semblait sortir du fond de lasource répondit au sien ; les amants avaient échangé leurpremier baiser.

Pierre de Stauffenberg revint au châteaupresque fou de bonheur. De toute la nuit il ne put dormir ; ilavait sans cesse sur les lèvres l’impression de cet ardent baiser,et il se reprochait de n’avoir pas poursuivi Ondine jusqu’au fondde sa retraite ; puis pour le soir il faisait mille projetsplus insensés les uns que les autres : à chaque instant ilregardait le soleil, car le soir n’arrivait pas.

Le soir vint enfin. Mais bien avant l’heure oùil avait l’habitude de rencontrer Ondine, Pierre de Stauffenbergétait auprès de la fontaine ; mais la fontaine étaitsolitaire, et le pauvre chevalier se désespérait, lorsque tout àcoup il crut entendre un doux chant qui sortait du fond de l’eau,et parmi les nymphéas qui couvraient le cours du ruisseau, il vitapparaître la blonde tête d’Ondine ; il fit un mouvement pourse précipiter vers elle, mais la jeune fille l’arrêta d’un signe,et marchant sur les larges feuilles des plantes aquatiques que lepoids de son corps ne faisait pas fléchir, elle arriva au bord,chose étrange, sans que l’eau, qui roulait sur elle en grossesgouttes pareilles à des perles, parût mouiller ni ses cheveux nises vêtements. Arrivée près du chevalier, elle s’assit comme elleavait fait la veille ; Pierre se mit à genoux devant elle, luiprit les mains, et la regarda si tendrement qu’il n’y avait point àse tromper aux sentiments qu’elle lui inspirait. Ondine sourit,puis après un moment de silence pendant lequel elle le regarda avecla même tendresse :

– Oui, vous m’aimez, lui dit-elle, carquoique vous gardiez le silence, je lis dans votre cœur : etmoi aussi je vous aime ; une fille des hommes vous eût faitattendre cet aveu, et peut-être eussé-je bien fait d’agir comme unefille des hommes, mais, vous l’avez vu, je suis d’une autre natureque la vôtre, et, transparente comme le palais de cristal quej’habite, je ne sais rien cacher.

– Oh ! que je suis heureux, s’écriale chevalier, car moi je vous aime plus que je ne puis dire, etcela depuis le premier jour que je vous ai vue, et cela pourtoujours.

– Pour toujours ? murmura Ondine,faites attention à ce que vous dites, car nous autres fées deseaux, nous n’accordons notre amour qu’avec notre main, et notremain qu’avec notre amour ; et comme nous sommes immortelles,le serment que nous faisons nous lie pour l’éternité ; ensera-t-il de même de vous ?

– Je ne puis m’engager que pour ma vie,répondit le chevalier ; mais tant que durera ma vie, je vousaimerai.

– Êtes-vous sûr de ce que vousdites ? demanda Ondine ; ne faites point d’imprudentespromesses, ou n’engagez pas votre foi, ou que votre foi soit purecomme le cristal de cette eau, ferme comme l’acier de votreépée ; songez que la peine que vous me feriez ne serait pointune peine momentanée comme les peines de la terre, mais une douleuréternelle comme les douleurs de l’enfer.

Alors le chevalier étendit la main sur lacroix de son épée.

– Aussi vrai, lui dit-il, qu’il m’estimpossible de vivre sans vous ; aussi vrai il m’est impossiblede vous être infidèle. Je puis mourir, mais cesser de vous aimer,jamais !

– Alors, je suis à vous, réponditOndine ; fixez vous-même le jour de nos noces, et demain voustrouverez en vous réveillant la dot de votre fiancée.

– Oh ! demain, demain, s’écria lechevalier, pourquoi retarder d’un jour le jour où nous seronsheureux ?

– Demain, dit Ondine, car j’ai autant dedésir d’être à vous que vous d’être à moi. Songez seulement cettenuit à l’engagement que vous avez pris, demain matin il sera tempsencore de dégager votre parole ; demain soir nous serons unispour toujours.

– Oh ! que ne suis-je déjà à demainsoir ! s’écria le chevalier en serrant Ondine sur sapoitrine ; mais elle, se dégageant de ses bras, se releva toutdebout, puis, s’inclinant comme une fleur que le vent courbe, elledéposa sur les lèvres du chevalier un baiser mille fois plus douxque celui de la veille ; et, marchant de nouveau sur leslarges feuilles des nymphéas, jusqu’à ce qu’elle fût arrivée àl’endroit où la source était la plus profonde, elle s’enfonçalentement, en saluant le chevalier du sourire et de la main, etdisparut sous les eaux.

Le lendemain, en s’éveillant, le chevaliertrouva sur la table qui était au milieu de la chambre à couchertrois corbeilles : l’une pleine d’ambre, l’autre pleine decorail, la troisième pleine de perles : Ondine avait accomplisa promesse ; c’était la dot de l’épouse. Mais nul ne put direqui les avait apportées là.

Le chevalier sauta en bas de son lit ets’habilla à la hâte. À peine avait-il achevé sa toilette qu’on luiannonça qu’un cortège de jeunes filles s’avançait vers le château.Il courut à sa fenêtre, et reconnut Ondine qui s’approchait avecune suite de reines. C’étaient les nymphes des eaux qui lui étaientsoumises depuis le Necker jusqu’au Kensig ; elles étaienttoutes vêtues comme elle, couronnées des mêmes fleursqu’elle ; et cependant au premier coup d’œil on reconnaissaitla reine des esclaves. Pierre de Stauffenberg courut au-devantd’elle ; et comme la veille au soir il avait prévenu lechapelain, il voulait la conduire droit à l’église, mais Ondinedemanda à lui parler une dernière fois encore auparavant, et lechevalier la conduisit dans un cabinet ; là, se voyant seul àseul avec lui, Ondine le regarda fixement, et lisant dans ses yeuxles mêmes promesses d’amour :

– Avez-vous bien réfléchi ? luidit-elle.

– Je ne sais si j’ai réfléchi, réponditle chevalier, je sais que je n’ai pensé qu’à vous, que je n’aimeque vous, que je n’aimerai que vous.

– Songez encore une fois à ce que vousvenez de promettre et à ce que vous allez faire ; car sijamais votre cœur se refroidit pour moi, ou s’échauffe pour uneautre, si d’une façon ou d’autre enfin vous deveniez infidèle, siloin que vous seriez du lieu où je serais, vous seriez perdu, etvous auriez un signe de votre mort prochaine. Ce signe seraitl’apparition de ce pied que voilà ; c’est la seule et dernièrepartie que vous verriez de celle à qui vous avez promis de l’aimertoujours.

Le chevalier tomba à genoux, et baisant cepied, si joli qu’il était impossible de croire qu’il devînt jamaisun signe sinistre, il renouvela le serment d’aimer Ondine jusqu’àla mort. Ondine ne demandait pas mieux que de croire ; ellefut donc facilement persuadée, et le même jour l’aumônier duchâteau unit les deux amants.

Leur bonheur fut grand, et pendant un an cebonheur, au lieu de diminuer, ne fit que s’accroître, car au boutde neuf mois Ondine accoucha d’un fils beau comme sa mère ;mais cette année écoulée, Louis de Bavière, qui, à la sollicitationd’Édouard III d’Angleterre, avait déclaré la guerre à Philippede Valois, fit un appel à tous les chevaliers qui relevaient delui, et comme Pierre de Stauffenberg était un des plus puissants,et surtout un des plus braves, on devine qu’il fut compris dans cetappel.

Ondine vit venir le moment d’une séparationavec terreur, et cependant elle était trop jalouse de la gloire deson mari pour le retenir auprès d’elle ; aussi fut-elle lapremière à lui inspirer le courage qui lui manquait. Seulement, enson nom et au nom de son fils, elle lui rappela son serment et lesrisques qu’il y avait pour lui à y manquer. Tout ce que le cœurpeut inventer de tendres promesses, Pierre de Stauffenberg lesfit : si bien qu’Ondine le vit partir, sinon consolée, dumoins confiante.

Une seconde année s’écoula pendant laquellePierre de Stauffenberg fit force beaux faits d’armes, et pendantlaquelle le duc de Brabant donna de magnifiques fêtes à toute lacour d’Angleterre qui était venue à Bruxelles. Le duc de Brabantn’avait point de fils, mais seulement une fille, de sorte que, pourassurer son duché dans sa famille, il lui fallait un gendrevaillant de cœur et fort d’esprit. À son courage, il avaitdistingué Pierre de Stauffenberg, de sorte qu’un jour ayant faitvenir le jeune chevalier, il s’ouvrit franchement à lui, et luioffrit la main de sa fille et la survivance de son duché. Pierre leremercia du grand honneur qu’il voulait bien lui faire, mais ilavoua qu’il était marié, et lui raconta à qui et comment. Le vieuxduc alors secoua la tête, non pas qu’il doutât de la chose, ilsavait qu’un homme comme Pierre était incapable de mentir, maisparce que la chose lui paraissait tant soit peu diabolique ;puis, après un instant de silence pendant lequel cette croyance nefit que s’affermir dans son esprit :

– Croyez-moi, mon jeune ami, lui dit-il,vous n’êtes point tenu par une pareille promesse, et il y a quelquemagie là-dessous.

Deux ans auparavant, Pierre de Stauffenbergeût répondu que la seule magie qui existât était l’amour ;mais deux ans s’étaient écoulés depuis son mariage, un an depossession, un an d’absence : il lui sembla que le vieux ducpourrait bien avoir raison. Cependant il répondit au duc de Brabantqu’au fond du cœur il partageait ses doutes, mais qu’il ne s’encroyait pas moins engagé par le serment qu’il avait fait. Alors leduc lui proposa de recourir aux lumières de monseigneurl’archevêque de Cologne, Walrame de Juliers, qui était un grandclerc en matière pareille, et Pierre de Stauffenberg, chez lequelsa nouvelle ambition grandissait d’heure en heure aux dépens de sonancien amour, consentit à accepter son arbitrage, et promit de s’enrapporter à lui.

Comme on le pense bien, monseigneur Walrame deJuliers fut de l’avis du duc de Brabant, et il ajouta même que depareilles alliances étaient réprouvées par l’Église, et que c’étaitfaire une œuvre méritoire que de la rompre. En face de pareillesautorités, Pierre de Stauffenberg, déjà poussé par son secretdésir, ne trouva plus d’objections à faire : les fiançaillesfurent célébrées, et le mariage fixé à huitaine.

La veille du jour où le mariage devait avoirlieu, un des vassaux de Pierre de Stauffenberg demanda à parler àson maître. Il venait lui annoncer que sept jours auparavant safemme avait disparu emportant son enfant. Le chevalier calcula lesdates ; le moment de la disparition d’Ondine correspondait,minute par minute, à l’heure des fiançailles de Pierre. Pierre n’endemeura que plus convaincu que son premier mariage n’était qu’uneœuvre magique, et qu’il avait été le jouet de quelque démon quiavait pris la ressemblance d’une femme pour le faire tomber dans lepiège. Le peu de remords qu’il ressentait au fond du cœur s’eneffaça, et il se prépara joyeusement à la cérémonie dulendemain.

Le grand jour arriva enfin : labénédiction nuptiale fut donnée aux nouveaux époux par monseigneurWalrame, puis l’on revint à une campagne voisine, où le dîner étaitpréparé. Après le dîner, les nouveaux époux devaient se rendre à unmagnifique château, situé entre Louvain et Malines, et qui était undon que le duc de Brabant faisait aux nouveaux époux.

On était au dessert, les meilleurs vins duRhin circulaient dans les plus grandes coupes qu’on eût pu trouver.Tout le monde était joyeux et content : Pierre de Stauffenbergsemblait partager la gaieté générale, lorsque tout à coup ses yeuxse fixèrent sur la portion de la muraille qui était en face delui : un pied, si joli et si mignon que ce ne pouvait êtrequ’un pied de femme, sortait de la paroi, sans qu’on pût voiraucune autre partie du corps de celle à qui il appartenait. Pierrese rappela la prédiction d’Ondine et la menace qui s’yrattachait : si brave qu’il fût, ses cheveux se dressèrent sursa tête, et une sueur froide lui tomba du front, car le danger dontil était menacé était un danger inconnu et invisible, un dangerauquel il ne pouvait faire face, et par conséquent qui devaitl’intimider, si brave qu’il fût.

La vision dura quelques minutes, pendantlesquelles les yeux de Stauffenberg demeurèrent constamment fixéssur la muraille, puis elle disparut.

Mais quelle que fût l’impression moraleproduite sur le chevalier, il avait assez de puissance sur lui-mêmepour la dérober à tous les yeux ; personne ne s’aperçut doncdu souci où son esprit était tombé. On plaisanta seulement sur cequ’il cessait de manger et de boire, mais il répondit avec tant d’àpropos et de gaieté que personne n’y fit plus attention.

L’heure de quitter la table arriva. Le châteauoù devaient se rendre les nouveaux époux était situé à deux lieuesà peu près de la maison de campagne où avait eu lieu le dîner. Versles onze heures, chacun se leva de table, et les convives, montantà cheval, résolurent de conduire les deux jeunes gens jusqu’à leurdemeure.

Le cortège se mit en route : la nuitétait sombre, et à peine y voyait-on assez clair pour suivre lechemin mal tracé qui conduisait au château, lorsqu’en passant prèsd’une ruine quelque chose comme une ombre se dressa devant lecheval de Pierre de Stauffenberg, qui, effrayé de cette apparition,fit un écart et s’emporta. Mais comme on savait le jeune comteexcellent cavalier, chacun ne fit que rire du caprice de samonture, et on continua d’avancer, certain qu’il ne tarderait pas àrejoindre le cortège après avoir mis son cheval à la raison.

Mais il n’en fut pas ainsi, il semblait que lecheval du comte avait un démon dans le corps ; aussi ne fut-cequ’après une demi-heure qu’il s’arrêta. Le chevalier alors essayade s’orienter, ce n’était pas chose facile, car, ainsi que nousl’avons dit, il faisait nuit obscure ; mais au bout d’uninstant, il vit tout à coup à l’horizon s’illuminer les fenêtresd’un château, et il ne douta point que ce ne fût celui où il devaitse rendre, et où, sans doute, s’était rendu avant lui le reste dela noce. Il prit aussitôt son chemin à travers terres, et à mesurequ’il approcha, il reconnut qu’il avait deviné juste ; il n’enétait plus qu’à quelques centaines de pas lorsqu’il se trouva surles bords d’une petite rivière.

Le chevalier tourna les yeux de tous côtéspour chercher un pont ; il remonta et descendit même la rivependant l’espace d’un quart de lieue à peu près, mais voyant qu’ilne trouvait point ce qu’il cherchait, il en augura que la rivièreétait guéable, et y poussa son cheval.

Mais à peine Pierre de Stauffenberg fut-il aumilieu du courant que la même ombre qui avait déjà effrayé soncheval sortit de l’eau, et se dressa de nouveau devant lui. À cettevue, le cheval se cabra, renversa son maître dans la rivière, gagnale rivage, et s’élança vers le château en hennissant defrayeur.

Et ce qui arriva du chevalier, nul n’en sutrien ; car, quoique le lendemain la trace des pieds du chevalconduisît directement à l’endroit où il était tombé, et que cetendroit eût été connu jusqu’alors pour n’avoir que deux ou troispieds de profondeur, il s’y était tout à coup creusé un gouffre,dont encore aujourd’hui il est impossible de trouver le fond.

Quant au château de Stauffenberg, comme il neput jamais être prouvé que le comte était mort, puisqu’on n’avaitpoint retrouvé son cadavre, l’empereur ne jugea pas qu’il pût endisposer, si bien qu’à partir de ce moment le château tomba enruines.

Ce sont ces ruines qui, aux dires des paysans,sont hantées par Ondine et par son fils.

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