Divers contes

Les onze mille vierges

Après le dôme de la cathédrale, les deuxéglises les plus visitées par les étrangers sont celles deSaint-Pierre et de Sainte-Ursule.

Saint-Pierre vu, nous nous rendîmes aussitôt àla ci-devant abbaye des Dames de Sainte-Ursule. Sans aucun doutenos lecteurs ont entendu parler des onze mille martyres anglaises,mais peut-être ne connaissent-ils pas leur histoire dans tous sesprincipaux détails. Les voici ; car il est impossible de nepas conter quelque chronique bien étrange quand on parle del’Allemagne.

C’était vers l’an 220 de Jésus-Christ :Dionest et Daria régnaient dans la Grande-Bretagne, et n’avaientpoint d’héritiers ; aussi priaient-ils ardemment le ciel deleur en envoyer un. Le ciel, l’on ne sait pourquoi, ne fit leschoses qu’à moitié ; il leur envoya une fille : il estvrai que cette fille devait être une sainte.

L’enfant si longtemps et si ardemment attenduereçut le nom d’Ursule. Dès sa jeunesse, trompant l’espérance de sesparents, qui, à défaut d’un fils, comptaient au moins sur unpetit-fils, Ursule promit au Seigneur de se vouer à son serviceexclusif. Cette promesse imprudente fit grand peine à Dionest et àDaria, mais ils étaient trop religieux tous deux pour forcer lasainte inclination de leur fille ; si bien que des députésétant venus de la part d’Agrippinus, prince germain, afin dedemander Ursule en mariage pour son fils, le prince Coman, Dionestrefusa d’abord cette union. Mais un ange descendit la nuit suivanteau chevet d’Ursule, la releva de son serment de la part de Dieu, etlui ordonna d’épouser le prince Coman.

Dionest et Daria n’étaient point gens àlaisser partir leur fille sans lui donner une suite digne d’elle.Ils choisirent parmi les meilleures familles de la Grande-Bretagneonze mille vierges, pour servir de cortège à Ursule, etl’accompagner d’abord à Rome, où, selon le désir de son père, ellesdevaient être baptisées une seconde fois et revenir avec elle dansle pays des Germains. Ursule partit avec ses onze mille demoisellesd’honneur, et, en arrivant sur le port, elle trouva le plus grandvaisseau du roi son père qui l’attendait avec ses matelots et soncapitaine. Elle renvoya tout l’équipage, s’assit au gouvernail,ordonna la manœuvre, et le vaisseau obéissant, s’éloigna de laterre, emportant vers les côtes bataves sa blanche volée decolombes.

Les ambassadeurs venaient derrière sur unautre bâtiment, et comme ils suivaient le sillage du premier, ilsétaient fort récréés par les cantiques que chantaient toutes lesbelles jeunes filles qui les précédaient.

À cette époque, le Rhin ne se perdait pointdans le sable ; il se jetait tout bonnement dans la mer, ainsique doit le faire tout fleuve qui a la conscience de la mission, desorte que les onze mille vierges, toujours guidées par Ursule,s’engagèrent dans le fleuve et le remontèrent jusqu’à Cologne.Aquilinus, préfet romain qui gouvernait alors la ville pour SeptimeSévère, empereur régnant, les reçut avec de grands honneurs ;mais comme l’intention d’Ursule était de pousser jusqu’à Rome poury recevoir un second baptême, elle ne fit que toucher terre àCologne et se rembarqua aussitôt avec toute sa suite pour Bâle. Là,elle quitta son vaisseau qui, si bien manœuvré qu’il fût, aurait eupeine à remonter la chute du Rhin, et accompagnée de Pantulus,autre préfet romain, qu’une si bonne société tentait, elle traversala Suisse et les Alpes à pied. Pantulus, qui était parti seulementpour faire quelques lieues avec elle, l’accompagna jusqu’àRome : ce fut une heureuse idée, qui lui valut plus tard leshonneurs de la canonisation.

Arrivées à Rome, les onze mille vierges firentleurs dévotions, furent baptisées par le pape Cyriaque, qui, touchéde la foi qu’il trouvait dans toutes ces saintes filles, résolut defaire ce qu’avait fait Pantulus ; en conséquence, il donna sadémission de pape, et quand elles quittèrent Rome, il lesaccompagna à son tour avec une grande partie de son clergé.

De retour à Bâle, les onze mille viergess’embarquèrent de nouveau sur le Rhin et descendirent jusqu’àMayence ; Ursule y trouva Coman, son fiancé. C’était un princepaïen, jusque-là même fort attaché à sa fausse religion ; maislorsqu’il vit sa belle fiancée, lorsqu’il entendit sa douce voix,il pensa que le Dieu qu’adorait un pareil ange devait être le vraiDieu, et il se convertit à la foi catholique. Le pape Cyriaque nelaissa pas refroidir son zèle, et le baptisa à l’instant même. Lesdeux fiancés descendirent ensuite vers Cologne, où devait secélébrer le mariage.

Mais à peine étaient-ils arrivés qu’uneinvasion de Goths fondit sur la ville. Les portes furent fermées,et les habitants, encouragés par Coman, firent la plus belledéfense. Pendant ce temps, les onze mille vierges étaient enprières ; mais, malgré les prières d’Ursule et le courage deComan, le ciel avait décidé que les Goths seraient vainqueurs.Donc, la ville fut prise et les onze mille vierges placées dansl’alternative d’épouser onze mille Goths ou d’être onze millemartyres. Leur choix ne fut pas douteux, elles choisirent lemartyre, et le supplice commença.

Toutes furent massacrées en un jour, avec desraffinements de cruauté dont les Goths étaient seulscapables ; une seule, nommée Cordula, parvint d’abord à sesauver, en se glissant dans un bateau et en restant cachée sous unbanc ; mais la nuit venue, ayant vu le ciel s’ouvrir etrecevoir ses dix mille neuf cent quatre-vingt-dix-neuf compagnes,elle eut une si grande honte de sa faiblesse qu’à l’instant mêmeelle alla se livrer aux bourreaux, et ayant été immédiatement miseà mort, arriva encore assez à temps pour entrer avec les autresavant que la porte des cieux se fût refermée.

Les os des saintes filles furent recueillisavec soin et portés dans une église. Les plus précieux manquaient,car quelques recherches qu’on eût faites on n’avait pu retrouver lecorps de sainte Ursule. Mais un jour que saint Cumbert disait lamesse, une colombe vint voler autour de sa tête ; or, le saintpensa bien que la messagère du Seigneur ne venait point ainsi à luisans une mission particulière ; il la suivit dans la campagne.Arrivée au pied d’un peuplier, la colombe se mit à gratter la terreavec ses petites pattes roses. On creusa en cet endroit et on ytrouva le corps de sainte Ursule.

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