Divers contes

La Tarasque

Le vieux château qui domine Beaucaire, et quia fait grand bruit au XIIe siècle avec ses machines deguerre et au XVIe avec ses canons, est bâtisur des substructions romaines ; ses différents ouvrages deguerre sont du XIe, du XIIIe etdu XIVe siècle. Du haut de ses remparts on aperçoit unmagnifique paysage, dont le premier plan est Tarascon et Beaucaire,séparés par le Rhône et liés par un pont, et le dernier Arles, laville romaine, Arles, l’Herculanum de la France, engloutie etrecouverte par la lave de la barbarie.

Nous descendîmes de notre vieux château, danslequel il ne reste de complet qu’une charmante cheminée du temps deLouis XIII ; nous traversâmes le pont suspendu, qui estlong de cinq cent cinquante pas, c’est-à-dire d’environ quinzecents pieds ; nous passâmes au pied de la forteresse, bâtiepar le roi René, et nous entrâmes dans l’église, édifiée auXIIe siècle, restaurée auXIVe.

Cette église est sous l’invocation de sainteMarthe, l’hôtesse du Christ. Toute une pieuse et sainte histoire serattache à son érection : la science la nie, mais la foi laconsacre, et dans cette lutte de l’âme qui croit et de l’esprit quidoute, c’est la science qui a été vaincue.

Marthe naquit à Jérusalem. Son père Syrus etsa mère Eucharie étaient de sang royal. Elle avait un frère aînéqui s’appelait Lazare ; elle avait une sœur cadette quis’appelait Madeleine.

Lazare était un beau cavalier, moitiéasiatique, moitié romain, qui, ne pouvant employer son temps à laguerre, puisque Octave avait fait la paix au monde, le passait enchasse et en plaisirs. Il avait de jeunes esclaves achetés enGrèce ; il avait de beaux chevaux amenés d’Arabie ; etplus d’une fois, dans un char à quatre roues orné d’ivoire etd’airain, précédé par un coureur à robe retroussée, il avait croiséle fils de Dieu marchant pieds nus au milieu de son cortège depauvres.

Madeleine était une belle courtisane, à lamanière de Julie, la fille de l’empereur ; elle avait de longscheveux blonds, qu’une esclave de Lesbos assemblait tous les matinssur sa tête en les nouant avec une chaîne de perles ; elleportait le manteau ouvert par-devant, qui laissait voir une gorgemerveilleuse, soutenue par un réseau d’or, et que les Latinsappelaient cæsicium, à cause des blessures qu’il faisaitau cœur des hommes. Elle avait des tuniques parsemées de grandesfleurs d’or et de pourpre, qu’on nommait à Rome patagiata,du nom d’une maladie nommée patagus, qui laissait destaches sur tout le corps ; et comme ses pieds délicats etparfumés, tout couverts de bagues et de pierreries, n’étaient pointfaits pour marcher, on lui amenait des litières avec des rideauxd’étoffes asiatiques, où elle se faisait porter comme une matroneromaine par des esclaves vêtus de panulæ, tandis qu’unesuivante, l’accompagnant à pied, étendait entre elle et le soleilun grand éventail recouvert de plumes de paon ; et lescoureurs africains, qui marchaient devant elle pour ouvrir lechemin, firent plus d’une fois ranger devant l’équipage de la richecourtisane cette pauvre Marie qui était la mère du Sauveur.

Marthe voyait toutes ces choses avec peine, etsouvent elle tenta de réformer l’existence dissipée de son frère etla vie dissolue de sa sœur ; car des premières elle avaitécouté et recueilli la parole du Christ ; mais toujours tousdeux avaient ri à ses discours. Enfin, elle leur proposa de venirrecueillir la manne sainte que le Sauveur laissait tomber de seslèvres. Madeleine et Lazare y consentirent ; ils y allèrentjoyeux, railleurs et incrédules ; ils écoutèrent la paraboledu trésor, de la perle et du filet ; ils entendirent laprédiction du dernier jugement ; ils virent Jésus marcher surles eaux, et ils revinrent pensifs[2].

Et le soir même, Lazare dit à Marthe : Masœur, vendez mes biens et distribuez-les aux pauvres.

Et le lendemain, tandis que le fils de Dieudînait chez Simon le pharisien, Madeleine entra, portant un vased’albâtre plein d’huile de parfum.

Et se tenant derrière le Sauveur, elles’agenouilla à ses pieds, et commença à les arroser de ses larmes,et elle les essuyait avec ses cheveux, les baisait et y répandaitce parfum.

Ce que voyant le pharisien qui l’avait invité,il dit en lui-même : Si cet homme était prophète, il sauraitqui est celle qui le touche, et que c’est une femme de mauvaisevie.

Alors Jésus, prenant la parole, lui dit :Simon, j’ai quelque chose à vous dire. – Il répondit : Maître,dites.

Un créancier avait deux débiteurs : l’unlui devait cinq cents deniers, et l’autre cinquante.

Mais comme ils n’avaient pas de quoi les luirendre, il leur remit à tous deux leur dette. Lequel des deuxl’aimera donc davantage ?

Simon répondit : Je crois que ce seracelui auquel il a le plus remis. – Jésus lui dit : Vous avezfort bien jugé.

Et se retournant vers la femme, il dit àSimon : Je suis entré dans votre maison, vous ne m’avez pointdonné d’eau pour me laver les pieds ; et elle, au contraire, aarrosé mes pieds de ses larmes et les a essuyés avec sescheveux.

Vous me m’avez point donné de baiser ;mais elle, au contraire, depuis qu’elle est entrée, n’a cessé debaiser mes genoux.

Vous n’avez point répandu d’huile sur matête ; et elle a répandu ses parfums sur mes pieds.

C’est pourquoi je vous déclare que beaucoup depéchés lui seront remis, parce qu’elle a beaucoup aimé. Mais celuià qui on remet moins aime moins.

Alors il dit à cette femme : Vos péchésvous sont remis.

Et ceux qui étaient à table avec luicommencèrent à dire : Qui est celui qui remet même lespéchés ?

Et Jésus dit encore à cette femme : Votrefoi vous a sauvée ; allez en paix[3].

Et quelque temps après, Jésus, étant en cheminavec ses disciples, entra dans un bourg, et une femme nommée Marthele reçut dans sa maison.

Elle avait une sœur nommée Marie-Madeleine,qui, se tenant assise aux pieds du Seigneur, écoutait saparole.

Mais Marthe était fort occupée à préparer toutce qu’il fallait ; et s’arrêtant devant Jésus, elle luidit : Seigneur, ne considérez-vous point que ma sœur me laisseservir toute seule ? Dites-lui donc qu’elle m’aide.

Mais le Seigneur lui dit : Marthe,Marthe, vous vous empressez et vous vous troublez dans le soin debeaucoup de choses.

Cependant une seule est nécessaire ;Marie a choisi la meilleure part, qui ne lui sera pointôtée[4].

Or, vers le temps où Jésus, déclarant qu’ilétait la porte du bercail et le bon pasteur, prouvait sa mission etsa divinité par ses œuvres, un homme tomba malade, nommé Lazare,qui était du bourg de Béthanie[5], oùdemeuraient Marie et Marthe sa sœur.

Cette Marie était celle qui répandit sur leSeigneur une huile de parfums, et qui lui essuya les pieds avec sescheveux, et Lazare, qui était alors malade, était son frère.

Ses sœurs envoyèrent donc dire à Jésus :Seigneur, celui que vous aimez est malade.

Ce que Jésus ayant entendu, il dit :Cette maladie ne va point à la mort, mais elle n’est que pour lagloire de Dieu et afin que le fils de Dieu en soit glorifié.

Or, Jésus aimait Marthe, et Marie sa sœur, etLazare.

Ayant donc entendu qu’il était malade, ildemeura encore deux jours au lieu où il était.

Et il dit ensuite à ses disciples :Retournez en Judée ; notre ami Lazare dort, et je m’en vais leréveiller.

Ses disciples lui répondirent : Seigneur,s’il dort il sera guéri.

Jésus leur dit alors clairement : Lazareest mort.

Jésus étant arrivé trouva qu’il y avait déjàquatre jours que Lazare était dans le tombeau.

Et comme Béthanie n’était éloignée deJérusalem que d’environ quinze stades[6], il y avaitquantité de Juifs qui étaient venus voir Marthe et Marie pour lesconsoler de la mort de leur frère.

Marthe ayant donc appris que Jésus venait allaau-devant de lui, et Marie demeura dans la maison.

Alors Marthe dit à Jésus : Seigneur, sivous eussiez été ici, mon frère ne serait pas mort.

Mais je sais que présentement même Dieu vousaccordera tout ce que vous lui demanderez.

Jésus lui répondit : Votre frèreressuscitera.

Marthe lui répondit : Je sais qu’ilressuscitera en la résurrection qui se fera au dernier jour.

Jésus lui répondit : Je suis larésurrection et la vie ; celui qui croit en moi, quand ilserait mort, vivra.

Et quiconque vit et croit en moi ne mourrapoint à jamais, croyez-vous cela ?

Elle lui répondit : Oui, Seigneur, jecrois que vous êtes le Christ, le fils du Dieu vivant, qui êtesvenu dans ce monde.

Lorsqu’elle eut parlé ainsi, elle s’en alla etappela secrètement Marie, sa sœur, en lui disant : Le maîtreest venu, et il vous demande.

Ce qu’elle n’eut pas plus tôt entendu qu’ellese leva et vint le trouver.

Car Jésus n’était pas encore entré dans lebourg, mais il était au même lieu où Marthe l’avait rencontré.

Cependant les Juifs qui étaient avec Mariedans la maison et qui la consolaient, ayant vu qu’elle s’étaitlevée si promptement et qu’elle était sortie, la suivirent endisant : Elle s’en va au sépulcre pour y pleurer.

Lorsque Marie fut venue au lieu où étaitJésus, l’ayant vu, elle se jeta à ses pieds et lui dit :Seigneur, si vous eussiez été ici, mon frère ne serait pointmort.

Jésus, voyant qu’elle pleurait et que lesJuifs qui étaient venus avec elle pleuraient aussi, frémit en sonesprit et se troubla lui-même.

Et il leur dit : Où l’avez-vousmis ? – Ils lui répondirent : Seigneur, venez etvoyez.

Alors Jésus pleura.

Et les Juifs dirent entre eux : Voyezcomme il l’aimait.

Mais il y en eut aussi quelques-uns quidirent : Ne pouvait-il pas empêcher qu’il ne mourût, lui qui aouvert les yeux à un aveugle-né ?

Jésus, frémissant donc de nouveau en lui-même,vint au sépulcre : c’était une grotte, et on avait mis unepierre par-dessus.

Jésus dit : Ôtez la pierre. – Marthe, quiétait la sœur du mort, lui dit : Seigneur, il sent déjàmauvais ; car il y a quatre jours qu’il est là.

Jésus lui répondit : Ne vous ai-je pasdit que si vous croyez, vous verrez la gloire de Dieu ?

Ils ôtèrent donc la pierre, et Jésus, levantles yeux en haut, dit ces paroles : Mon père, je vous rendsgrâce de ce que vous m’avez exaucé.

Pour moi, je savais que vous m’exauceztoujours ; mais je dis ceci pour ce peuple qui m’environne,afin qu’il croie enfin que c’est vous qui m’avez envoyé.

Ayant dit ces mots, il cria d’une voixforte : Lazare, sortez dehors.

Et à l’heure même le mort sortit, ayant lespieds et les mains liés de bandes et le visage enveloppé d’unlinge. Alors Jésus leur dit : Déliez-le et le laissezaller.

Plusieurs donc d’entre les Juifs qui étaientvenus voir Marthe et Marie, et qui avaient vu ce que Jésus avaitfait, crurent en lui[7].

Or, la même année, six jours avant la Pâque,Jésus vint à Béthanie, où était mort Lazare, qu’il avaitressuscité.

On lui apprêta là à souper ; Martheservait, et Lazare était de ceux qui étaient à table avec lui.

Mais Marie ayant pris une livre d’huile deparfum de vrai nard, qui était de grand prix, elle le répandit surles pieds de Jésus, et, comme la première fois, elle les essuyaavec ses cheveux, et toute la maison fut remplie de l’odeur de ceparfum.

Alors un de ses disciples, à savoir JudasIscariote, qui devait le trahir, dit : Pourquoi n’a-t-on pasvendu ce parfum trois cents deniers, qu’on aurait donnés auxpauvres ?

Mais Jésus lui dit : Laissez-la faire,parce qu’elle a gardé ce parfum pour le jour de ma sépulture.

Car vous aurez toujours des pauvres parmivous, et moi vous ne m’aurez pas toujours.

Quelque temps après, accomplissant saprophétie, Jésus mourait, léguant sa mère à saint Jean, et le mondeà saint Pierre.

Le premier jour de la semaine, Marie-Madeleinevint dès le matin au sépulcre, lorsqu’il faisait encore obscur, etelle vit que la pierre avait été ôtée du sépulcre.

Et comme elle pleurait, s’étant baissée pourregarder dans le sépulcre, elle vit deux anges vêtus de blanc assisau lieu où avait été le corps de Jésus, l’un à la tête et l’autreaux pieds.

Ils lui dirent : Femme, pourquoipleurez-vous ? – Elle leur répondit : C’est qu’ils ontenlevé mon Seigneur, et je ne sais où ils l’ont mis.

Ayant dit cela, elle se retourna, et vit Jésusdebout, sans savoir néanmoins que ce fût Jésus.

Alors Jésus lui dit : Femme, pourquoipleurez-vous ? qui cherchez-vous ? – Elle, pensant quec’était le jardinier, lui dit : Seigneur si c’est vous quil’avez enlevé, dites-moi où vous l’avez mis, et jel’emporterai.

Jésus lui dit : Marie ! –Aussitôt elle se retourna et lui dit : Rabboni –c’est-à-dire : Mon maître.

Jésus lui répondit : Ne me touchez point,car je ne suis pas encore monté vers mon père ; mais alleztrouver mes frères, et dites-leur de ma part : « Je montevers mon père et votre père, vers mon Dieu et votre Dieu[8]. »

Ici s’arrête l’histoire écrite par les saintsapôtres eux-mêmes, et commence la tradition.

Les Juifs, pour punir Marthe, Madeleine,Lazare, Maximin et Marcelle, d’être restés fidèles au Christau-delà du tombeau, les forcèrent d’entrer dans une barque, et, unjour d’orage, lancèrent la barque à la mer. La barque était sansvoile, sans gouvernail et sans aviron ; mais elle avait la foipour pilote : aussi à peine les condamnés eurent-ils commencéde chanter les hymnes de grâce au Sauveur, que le vent s’abaissa,que les flots se calmèrent, que le ciel devint pur, et qu’un rayonde soleil vint entourer la barque d’une auréole de flamme. Tandisqu’une partie de ceux qui voyaient ce miracle blasphémait le Dieuqui l’avait fait, l’autre tombait à genoux pour l’adorer ; etcependant la barque, glissant comme poussée par une main divine,aborda aux côtes de Marseille, et les ouvriers de Dieu, les envoyésde sa parole, les apôtres de sa religion, se dispersèrent dans laprovince pour distribuer à ceux qui avaient faim la saintenourriture qu’ils apportaient de la Judée.

Tandis que Marthe était à Aix avec Madeleineet Maximin, qui fut le premier évêque de cette ville, les députésd’une ville voisine, attirés par le bruit de ses miracles,accoururent à elle : ils venaient la supplier de les délivrerd’un monstre qui ravageait leur pays. Marthe prit congé deMadeleine et de Maximin, et suivit ces hommes.

En arrivant aux portes de la ville, elle ytrouva tout le peuple qui était venu au-devant d’elle. À sonapproche il s’agenouilla, lui disant qu’il n’avait d’espoir qu’enelle, et elle répondit en demandant où était le monstre. Alors onlui montra un bois près de la ville, et elle s’achemina aussitôtseule et sans défense vers ce bois.

À peine y était-elle entrée qu’on entendit delongs rugissements, et chacun trembla, car tous pensèrent que c’enétait fait de la pauvre femme, qui avait entrepris une chose quenul n’osait entreprendre, et qui était allée sans armes où aucunhomme armé n’osait aller : mais bientôt les rugissementscessèrent, et Marthe reparut, tenant une petite croix de bois d’unemain, et de l’autre le monstre, attaché au bout d’un ruban quinouait la taille de sa robe.

Elle s’avança ainsi au milieu de la ville,glorifiant le nom du Sauveur, et amenant au peuple, pour lui servirde jouet, le dragon, encore tout sanglant de la dernière proiequ’il avait dévorée.

Voilà sur quelle légende repose la vénérationqu’ont vouée à sainte Marthe les habitants de Tarascon. Une fêteannuelle perpétue le souvenir de la victoire de la sainte sur laTarasque, car le monstre a pris le nom de la cité qu’il désolait.La veille de ce jour solennel le maire de la ville fait publier àson de trompe que, s’il arrive quelque accident le lendemain,personne n’en sera responsable ; qu’il prévient les blessésqu’ils n’auront aucun droit de se plaindre, et que qui aura lemal le gardera. Grâce à ce formidable avis qui devraitcloîtrer chacun chez soi, dès le point du jour toute la ville estdans la rue ; quant à la Tarasque, elle attend sous sonhangar.

C’est un animal d’un aspect tout à faitrébarbatif, et dont l’intention visible est de rappeler l’antiquedragon qu’il représente. Il peut avoir vingt pieds de long, unegrosse tête ronde, une gueule immense, qui s’ouvre et se ferme àvolonté ; des yeux remplis de poudre apprêtée enartifice ; un cou qui rentre et s’allonge ; un corpsgigantesque, destiné à renfermer les personnes qui le fontmouvoir ; enfin, une queue longue et raide comme une solive,vissée à l’échine d’une manière assez triomphante pour casser braset jambes à ceux qu’elle atteint.

Le second jour de la fête de la Pentecôte, àsix heures du matin, trente chevaliers de la Tarasque, vêtus detuniques et de manteaux, et institués par le roi René, viennentchercher l’animal sous son hangar ; douze portefaix luientrent dans le ventre. Une jeune fille vêtue en sainte Marthe luiattache un ruban bleu autour du cou ; et le monstre se met enmarche aux grands applaudissements de la multitude. Si quelquecurieux passe trop près de sa tête, la Tarasque allonge le cou etle happe par le fond de sa culotte, qui lui reste ordinairementdans la gueule.

Si quelque imprudent s’aventure derrière elle,la Tarasque prend sa belle, et d’un coup de queue elle le renverse.Enfin, si elle se sent trop pressée de tous côtés, la Tarasqueallume ses artifices, ses yeux jettent des flammes ; ellebondit, fait un tour sur elle-même, et tout ce qui se trouve à saportée, dans une circonférence de soixante-quinze pieds estimpitoyablement brûlé ou culbuté. Au contraire, si quelquepersonnage considérable de la ville se trouve sur son passage, elleva à lui, faisant mille gentillesses, caracolant en preuve de joie,ouvrant la gueule en signe de faim ; et l’individu, qui saitce que cela veut dire, lui jette dans la gueule une bourse qu’elledigère incontinent au profit des portefaix qu’elle a dans leventre.

En 93, les Arlésiens et les Tarasconnais étanten guerre, les Tarasconnais furent vaincus, et Tarascon fut prise.Alors les Arlésiens ne trouvèrent rien de mieux pour humilier leursennemis que de brûler la Tarasque sur la place publique. C’était unmonstre de la plus grande magnificence, d’un mécanisme aussicompliqué qu’ingénieux, et qui avait coûté vingt mille francs àconfectionner.

Depuis cette époque, les Tarasconnais n’ontjamais pu dignement remplacer l’ancienne Tarasque, qui est encorel’objet des regrets les plus vifs. On en a fait faire une, maismesquine et pauvre en comparaison de son aînée ; c’estcelle-là que nous visitâmes, et qui nous parut, malgré leslamentations de notre guide, d’un aspect encore trèsconfortable.

Maintenant, comme dans toute tradition il y aun côté qui tourne à l’histoire, et dans tout miracle un point quipeut s’expliquer, il est probable qu’un crocodile venu d’Égypte,comme celui qui fut tué dans le Rhône, et dont la peau futconservée jusqu’à la Révolution dans l’hôtel de ville de Lyon,avait établi son domicile dans les environs de Tarascon, et queMarthe, qui avait appris au bord du Nil comment on attaquait cetanimal, parvint à délivrer de ce monstre la ville où son souvenirest en si grand honneur.

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