La Reine des Épées

Chapitre 2Les trois frères Braun.

À trois cents pas de la cabane des frèresBraun, dans la direction du midi, le sol de la forêt cédait tout àcoup, et les arbres allaient s’étageant sur une pente abrupte etraide. Au bas de cette pente, la route de Munz à Freudenstadtpassait.

Quelques minutes après que les trois frèreseurent quitté leur cabane, on eût pu entendre au loin, sur laroute, les cahots d’une carriole qui s’avançait au trot de chevauxdu pays. Dans la carriole il y avait un homme et une femme :deux vieillards.

– Non, dame Barbel, disait l’homme, jen’ai pas eu tort de ne point allumer la lanterne… Dans ce diable depays, ce ne sont pas les fondrières qui semblent le plus àcraindre.

– Ta ! ta ! ta ! maîtreHiob, répliquait la vieille femme, je ne crois pas un mot de toutesvos histoires de brigands… C’est bon dans les livres, cela, maîtreHiob ; les oisifs s’amusent à ces contes de ma mèrel’oie !… Et puis, si nous rencontrions des voleurs, ilsseraient plus penauds que nous, puisque nous avons laissé notrepetit avoir à Stuttgard.

– Tout cela est bel et bon, mafemme ; croyez ou ne croyez pas, je m’en lave les mains… Maisje vous dis, moi, que ces trois hommes sont des diables, et qu’ilsont juré de mettre à mort quiconque achèterait leSparren !

La vieille femme eut un petit rire sec, coupépar les cahots de la voiture.

– Et vous vous laissez prendre à cela,Hiob, mon pauvre ami ? s’écria-t-elle. Vous ne savez donc pasl’histoire de l’intendant de Pfaffenheim, qui joua le rôle du malinEsprit pendant cinq ans pour éloigner les acquéreurs du château deson maître, et qui finit par acheter, pour un morceau de pain, leplus riche domaine du royaume de Bavière !… Allez, allez, nousconnaissons cela ; chaque finaud qui veut acheter à bon comptecommence par dégoûter les voisins de la marchandise. Voyezseulement à ne point nous verser dans quelque trou, maître Hiob, etje vous tiens garanti pour tout le reste !

Cette excellente argumentation n’avait aucunempire sur l’esprit de l’ancien bedeau. Sa femme avait pris pourelle toute la bravoure ; chaque fois qu’un bruit se faisaitentendre sur la route, maître Hiob ne se cachait pas pour tremblercomme un fiévreux. Mais l’avarice était en lui plus forte encoreque la poltronnerie. Précisément parce que les trois frères Braunavaient jusqu’alors éloigné les acquéreurs, l’achat du Sparrenétait une affaire d’or. Maître Hiob avait eu la chair de poule ensignant le contrat ; mais il l’avait signé ; son capital,doublé d’un seul coup, le consolait de ses terreurs.

En arrivant dans le pays, maître Hiob et safemme Barbel avaient pris leurs quartiers dans le village de Munz.Une fois leur affaire faite, l’ancien bedeau n’avait plus songéqu’à regagner les latitudes civilisées, mais la peur le tenaitbloqué à Munz ; il n’osait point braver les dangers de cetteroute, qui passait à quelques cents toises de la redoutable cabanedes frères Braun. Un instant même, il avait eu l’idée de faire legrand tour par le duché de Bade et le cercle du Bas-Rhin pourretourner à Stuttgard. Mais une lettre qu’il avait reçue la veilleet qui mettait dans ses affaires un embarras inopiné, avait dûchanger sa résolution. La lettre était de l’inspecteur Muller, sonexcellent patron. L’inspecteur Muller était, nous le savons,receveur général et faisait la banque. On prétendait même que,grâce à l’entremise de maître Hiob, l’inspecteur Muller servait deprovidence aux étudiants de l’université qui voulaient bien luipayer cinquante pour cent d’intérêt par an. C’était chezl’inspecteur Muller que maître Hiob avait naturellement placé sonpécule ; or ce pécule était assez rond, et l’inspecteur Mulleren savait l’origine. Pendant longtemps, l’inspecteur avait nourril’espoir de conférer à la reine Chérie le titre d’inspectrice. Ilpouvait être fort tendrement amoureux, mais nous devons avouer queles économies de l’ancien bedeau, dont il connaissait la source,n’étaient pas étrangères à cette résolution. Une fois marié, il eûtfait un procès pour réclamer le patrimoine que l’orpheline devait àla munificence de ses quatre mille tuteurs, et ce mariage d’amourse serait changé en union des plus raisonnables. Tel était le plande l’inspecteur Muller, diplomate de ménage encore assez fort, bienqu’il fût loin de notre radieux Spurzeim. Le départ de Chériel’avait brusquement éveillé de son rêve ; le mariage étaitdésormais impossible. Restait le patrimoine, et c’était à ce sujetque l’inspecteur Muller avait écrit à maître Hiob une lettreimportante. Maître Hiob, pour dissimuler sa fuite et contre l’avisexprès de dame Barbel, était parti de Munz à la tombée de la nuit.S’il avait évité jusque-là les fondrières que le bon sens de sacompagne redoutait bien plus que les voleurs, il fallait en rendrele mérite aux deux petits chevaux de montagne, car maître Hiobétait forcé, au milieu de cette obscurité profonde, de s’enremettre exclusivement à leur instinct. Ils étaient maintenant, safemme et lui, à moitié route ; aucun accident ne leur étaitencore arrivé.

– C’est comme l’affaire de l’inspecteurMuller, le scélérat maudit ! reprenait dame Barbel par une deces transactions fourchues que son sexe tient en si grandeaffection. Si je portais, comme on le dit, les culottes de notreménage, maître Hiob, il n’aurait pas de nous un rouge liard, cevampire !

– Songez, dame Barbel, qu’il a uneposition, et qu’il pourrait nous causer bien de la peine !

– C’est justement pour la position qu’ila, maître Hiob… Nous le tiendrons par sa position, si vous voulez…Et quand on lui aura dit tout net, en bon allemand :« Monsieur l’inspecteur, si vous bougez, toute la ville deStuttgard saura demain que vous prêtez à la petitesemaine ! » monsieur l’inspecteur deviendra doux comme unagneau !

– Ne vaudrait-il pas mieux faire unsacrifice ?… murmura le bedeau conciliant.

– Jour de Dieu ! s’écria dame Barbelen frappant de son poing maigre le tablier de la carriole,j’aimerais mieux restituer le tout à la reine Chérie.

Maître Hiob fit un geste d’effroi :

– Ne parlez pas si haut, ma chèrefemme ! balbutia-t-il.

– Je suis faite comme cela !…riposta la vieille qui s’animait à vue d’œil ; et n’avez-vouspas peur que les loups et les chouettes aillent redire nos parolesà Stuttgard ?… Si vous ne voulez pas parler d’usure, parce quece serait cracher en l’air, comme on dit, et qu’il vous enretomberait bien quelque chose sur le nez, gardez seulement,croyez-moi, la lettre de Muller… Que je perde mon nom si cettelettre-là ne vaut pas cent mille florins comme unpfenning !

La carriole s’arrêta tout à coup.

– Allons, maître Hiob, dit dame Barbel,allongez un coup de fouet à vos chevaux, si vous ne voulez pas quenous couchions ici !

Maître Hiob ne répondit pas. Dame Barbelsentit son bras trembler violemment contre le sien.

– Eh bien ! eh bien !…fit-elle, qu’avez-vous donc, maître Hiob ?

Les dents de l’ancien bedeauclaquèrent :

– Seigneur Dieu ! balbutia-t-il,ayez compassion d’une misérable créature !

– Oh ! oh !… fit une grossevoix dans la nuit, – et dame Barbel, prise au dépourvu, sauta commeun ressort sur sa banquette, – c’est du bien volé, à ce qu’ilparaît !

– Vous voyez, femme, vous voyez !…murmurait maître Hiob, affolé par l’épouvante.

Dame Barbel venait d’apercevoir dans l’ombre,à la tête des chevaux, deux grands fantômes noirs.

– Donnez le papier qui vaut cent milleflorins, dit l’un d’eux, et nous vous laisserons continuer votreroute.

– À vos pistolets, maître Hiob !s’écria dame Barbel, qui était l’intrépidité même, et montrez quevous êtes un homme !

La poitrine de l’ancien bedeau rendit ungémissement, car il devina que c’était là son arrêt :

– Mes bons amis, essaya-t-il de dire, jen’ai ni pistolets, ni florins…

Mais à la menace de dame Barbel, un desfantômes noirs avait bondi en avant, et la phrase commencée dupauvre bedeau se termina par ce long cri d’agonie que Chérie avaitentendu dans la clairière. La cognée d’Elias lui avait fracassé lecrâne et dame Barbel était inondée de son sang. L’ancien bedeauétendit ses deux bras en avant et s’affaissa au fond de lacarriole.

– Hiob ! s’écria dame Barbel, quiaimait véritablement son mari, Hiob, mon cher homme, êtes-vousblessé ?… Relevez-vous et défendez-vous pendant que je vaispousser les chevaux.

Elle avait saisi le fouet que le pauvre bedeauvenait de laisser échapper ; celui-ci n’avait garde d’obéir oumême de répondre.

– La paix, harpie ! dit Élias Braunau moment où dame Barbel fouettait les deux chevaux, qui secabrèrent : veux-tu qu’on t’en fasse autant qu’à ce vieuxfou ?

– Et que lui a-t-on fait, SeigneurDieu ? s’écria la bonne femme, qui fut frappée comme d’untrait de lumière, car jusqu’à ce moment elle ne se doutait derien.

Malgré le sang qui avait jailli sur sesvêtements, elle pensait tout au plus que maître Hiob avait purecevoir un coup de poing ou un coup de bâton. Ses mainstremblantes se prirent à tâtonner au fond de la carriole etrencontrèrent la tête ouverte du vieillard qui était mort.

– Hiob ! s’écria-t-elle en se jetantsur lui tout éplorée, Hiob, mon cher mari, vous ont-ils donctué ?… Hiob, au nom de Dieu, prononcez une parole pourrassurer votre femme !

– Ça ne va donc finir, Élias ?demanda Werner, qui tenait toujours la tête des chevaux.

Élias essuya du revers de sa main la sueurfroide qui lui coulait du front, car cette voix désolée lui remuaitquelque chose au fond de sa poitrine.

– Allons ! la vieille, dit-ilcependant, fais ce que ton mari aurait dû faire… donne la lettre ettu n’auras point de mal !

Barbel se leva toute droite.

– Il est mort !…murmura-t-elle ; Hiob est mort !… L’homme qui m’épousaquand j’avais quinze ans et qui m’a aimée jusqu’aux jours de mavieillesse !

Élias penchait sa tête en avant pour voir àl’intérieur de la carriole ; Barbel le saisit aux cheveux enpoussant des cris de rage folle et le front du bandit saignalabouré du haut en bas par les ongles de la vieille femme. Alors cefut quelque chose d’horrible, une lutte inégale et barbare quel’obscurité de la nuit prolongeait. Élias frappait la vieille femmeà coups de hache, mais les ténèbres égaraient le tranchant de sonarme, et dame Barbel, arrivée au paroxysme de la fureur, sedéfendait avec ses dents et avec ses ongles comme une lionne. Éliasblasphémait ; la vieille femme, râlant sourdement à chaqueblessure, déchirait et mordait toujours. Il fallut, pour la jetermorte sur le corps de son mari, le couteau de Werner, qui vint lapoignarder lâchement par derrière… Le silence se fit… Les deuxbandits arrachèrent la veste du bedeau et prirent la seule lettrequ’il eût sur lui, la fameuse lettre valant cent mille florins.Puis Élias allongea un grand coup de fouet au cheval de droitependant que Werner piquait de son couteau le flanc du cheval degauche. Les deux animaux partirent à pleine course et la carriolese remit à cahoter durement sur les pierres du chemin. Élias etWerner demeurèrent un instant immobiles, écoutant de loin leroulement de ce char funèbre.

– Ceux-là n’achèteront pas leSparren ! dit Werner.

Élias enfonça deux ou trois fois sa cognéedans la terre fraîche pour essuyer le sang.

– Le graff avait dit de leur faire peur…grommela-t-il, comme s’il eût essayé de plaider contre un vagueremords. Pourquoi la vieille femme a-t-elle parlé de pistolets etde florins ?…

 

Anciennement on avait tiré de la pierre ausommet du Rouge, qui gardait une forme d’entonnoir comme un Volcanéteint ; les traces de l’exploitation, abandonnée depuislongtemps, se montraient encore çà et là ; on voyait l’entréedes puits demi-comblés et ces trous en forme de voûtes qui devaientdonner passage dans les galeries. Au fond de l’entonnoir régnaitune grande flaque d’eau qui déversait son trop-plein par unecoupure taillée de main d’homme dans le roc vif. À l’époque despluies, ou lorsqu’un orage crevait sur la montagne, cela formait untorrent qui descendait à grand fracas le plan pierreux du Rouge ets’en allait rejoindre la rivière non loin du Wunder-Kreuz, àquelques cents pas de la cabane des Braun. On appelait ce torrentle Raub. Le rocher à pic qui formait l’ados de cette cabane seprolongeait jusqu’aux lèvres de l’entonnoir. Les deux ou troisgaleries, percées à son revers, prouvaient que les mineurs del’ancien temps avaient cherché, là surtout, ces belles pierres degrès rouge qui donnent tant de couleur à certaines ruines de laSouabe occidentale. C’était au moment où la reine Chérie, égaréedans la forêt, s’arrêtait devant la cabane des trois frères. Tandisque tout le reste du pays était plongé dans les ténèbres, deviolentes lueurs éclairaient le dedans de l’entonnoir. La flaqued’eau, protégée par les bords du cratère, restait unie comme uneglace, malgré le vent qui faisait rage aux alentours ; laflamme ardente d’un foyer de bois résineux venait s’y mirer etcomme une rivière d’étincelles au bas de la coupure qui livraitpassage à la chute du Raub. Ce feu était allumé au bord de la mare,en un endroit où la végétation avait essayé de vaincrel’infécondité du sol rocheux ; il y avait là quelques pinsrabougris, des sorbiers à la tige tourmentée et une douzaine defrênes malades dont les hautes branches étaient mortes. Toutalentour la pente de l’entonnoir se relevait aride et absolumentnue. Dans cette maigre oasis, autour du feu qu’alimentaient sanscesse de nouvelles branches de sapin, un branle désordonné semouvait : quarante ou cinquante montagnards, tous charbonniersou charbonnières, noirs comme des démons, se tenaient par la mainet formaient une ronde sauvage. Auprès du feu, il y avait un petitbaril de kirsch qui révélait le secret de leur gaieté bruyante.Sous le masque de poussière de charbon qui couvrait leurs visages,on devinait la rougeur de l’ivresse ; leurs yeux allumésbrillaient ; à la fin de chaque reprise de la ronde, unhurlement frénétique s’élevait de leurs rangs et portait à l’échole hourra national. Par un contraste qui est dans toutes les joiesallemandes, la ronde était une psalmodie lente et triste, moinstriste cependant que le sens des paroles. La poésie de ce peuples’embourbe toujours dans la philosophie ; ses chansonspopulaires ne sont pas idiotes à l’égal des nôtres, car il n’estaucun peuple au monde qui puisse, sur ce sujet, soutenir la luttecontre nous, mais elles déraisonnent gravement, comme si unprofesseur les eût bourrées d’antithèses à plaisir. Du haut en basde l’échelle lyrique, c’est toujours le même procédé matérialisteet païen. Les étudiants ivres de bière s’écrient :« Réjouissons-nous pour mourir ! » Les paysans,abrutis par le kirsch, hurlent : « Puisque noussouffrons, buvons ».

C’était une belle jeune fille aux cheveuxnoirs dénoués, à la taille haute et libre, qui menait la ronde etchantait les couplets de l’hymne montagnard. Une écharpe bleue senouait sur ses épaules demi-nues ; son corsage, lacé pardevant, dessinait les lignes hardies de sa gorge, et, pour dansermieux, elle avait relevé sa jupe éclatante au-dessus du genou. Labelle fille disait :

« Ceci est la chanson des malheureux.[3] Je suis jeune homme ; l’âge va venird’être soldat : je quitterai mon père et ma mère, ma fiancéeaussi.

» Quand je reviendrai, avec une manchevide, attachée à ma poitrine, je trouverai la tombe de mon père, etdans la mendiante du chemin je reconnaîtrai ma mère.

» Les enfants me diront : – Tafiancée est la femme de ton ennemi.

» Buvons !

 

» Ceci est la chanson des malheureux. Jesuis jeune fille ; le seigneur a vu mes cheveux blonds etl’azur de mes yeux… Adieu, ma mère !

» Quelques jours ont passé. J’étaisfraîche et je souriais. Me voilà pâle ; ma mère ne m’a pasreconnue.

» Celui qui m’aimait a détourné de moison regard.

» Le cimetière est plein de celles quisont mortes à force de pleurer !

» Buvons !

 

» Ceci est la chanson des malheureux. Jesuis mère ; l’aîné s’en est allé au delà de l’Océan. Sa sœurest à la ville et on ne prononce plus son nom autour de l’âtre.

» Il y a un pauvre enfant dans leberceau, un enfant présent de Dieu, qui est beau, qui sera bon etqui restera au village. Il ne faut qu’un peu de pain chaque jourpour qu’il soit un homme dans quinze ans.

» Je disais cela le printemps passé. Leberceau est vide et la tombe pleine. Hélas ! hélas !l’enfant est resté au village !

» Buvons ! »

La belle fille chantait cela d’une voixadmirablement douce et sonore. Chaque fois que le coupletfinissait, montagnards et montagnardes accéléraient le mouvement dela ronde en répétant : « Buvons ! hourra !buvons ! buvons ! » Puis la ronde entourait le barilde kirsch ; la belle fille emplissait une coupe de bois largeet profonde ; ses lèvres roses s’y trempaient avidement et lacoupe passait après cela de bouche en bouche. L’ivressemontait.

Au moment où le refrain du dernier coupletretentissait, enflé par l’écho de la rampe circulaire, une voixpuissante domina tout à coup le chant des montagnards, en poussantun hourra formidable. Un homme était debout devant un de cespassages en forme de voûtes qui pénétraient à l’intérieur du roc.Il avait presque la taille d’un géant et s’appuyait sur une sortede massue.

– Hugo ! s’écria-t-on de toutesparts, Hugo qui sort de chez lui !

Les rangs se rompirent, et la belle chanteuses’élança sur le géant, qui l’enleva dans ses bras musculeux.

– Nous avons bu sans toi, Hugo,dit-elle.

Hugo lui mit sur le front un baiser robustequi laissa une trace noire, car Hugo avait au visage autant depoudre de charbon qu’une ingénue de théâtre a de blanc et de rougesur le satin éraillé de ses joues.

– Si vous avez bu sans moi, dit-il, jevais me rattraper… Emplis la coupe, Grète.

La jeune fille obéit en souriant, et le géantvida d’un seul trait l’énorme vase.

– Gretchen, ma mignonne, reprit-il enfaisant claquer sa langue, tu as chanté comme une fauvette !…les autres couplets seront pour un autre jour… Attention,vous !… Il y a trois barils comme celui-là pour nous, si nousfaisons de la bonne besogne !

– Et qui nous donnera les troisbarils ? demanda l’un des charbonniers.

– Le graff, répondit Hugo.

Il y eut un murmure de contentement dans lecercle ; le graff était bon pour trois barils dekirsch-wasser.

– Et quelle besogne allons-nousfaire ? demanda encore le charbonnier.

– Voilà ! répliqua Hugo Braun en serecueillant, car l’éloquence n’était pas son fort. Il s’agit defaire la chasse dans la montagne tout autour de la Croix-Miracle…En cherchant bien, nous trouverons un coquin d’étudiant qui rôdedans le pays comme un loup depuis hier.

– Comment est-il habillé,l’étudiant ? s’écrièrent plusieurs voix.

– Un dolman bleu et une petite casquetteà visière tombante.

– Nous l’avons vu ! nous l’avonsvu ! dit-on de toutes parts.

– Là-bas, dans la forêt ! ajoutèrentles uns.

– Le long du clos de Rosenthal !firent les autres.

Et d’autres encore : – Sur la route duvillage de Munz ; une casquette à visière rabattue et undolman déchiré…

– Eh bien ! mes bons enfants, repritHugo le petit frère, qui but une seconde tasse pour éclaircir savoix, mettez-vous en quête tout de suite, et souvenez-vous bien quecelui qui amènera le coquin d’étudiant dans notre cabane aura unedemi-douzaine de rixdales pour sa peine.

– C’est le graff qui paye ?

– Toujours le graff.

On n’en attendit pas davantage. L’instantd’après, hommes et femmes grimpaient comme des chats le long desbords de l’entonnoir. La foule se dispersa dans toutes lesdirections, et bientôt il ne resta plus auprès du feu qu’Hugo Braunet la belle Gretchen.

– Hugo, dit la jeune fille, tu m’aspromis que tu m’épouserais si nous avions de quoi payer le prêtreet acheter l’anneau de mariage.

– Oui, repartit le petit frère ;mais nous n’avons pas de quoi, Grète.

– Avec une demi-douzaine de rixdales,nous aurions de quoi, Hugo.

– C’est vrai !… Sais-tu où lesprendre ?

– Je sais où est l’étudiant, repartit lajeune fille en baissant la voix.

Hugo brandit joyeusement sa massue.

– Tu seras une bonne femme,Gretchen ! s’écria-t-il, Conduis-moi ce soir ; moi, danshuit jours, je te conduirai à l’église.

Grète tendit sa main, que Braun secouarudement et avec une sorte de solennité. C’étaient les fiançailles…Puis la jeune fille gravit d’un pas rapide la pente de l’entonnoiret se dirigea sans hésiter vers cette partie du Rouge qui servaitd’ados à la cabane des trois frères, et où la reine Chérie avaitcru voir quelques instants auparavant, à la lueur lointaine etvague du feu des charbonniers, la silhouette de Frédéric.

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