La Reine des Épées

Chapitre 4Colin-maillard.

Chérie et Lenor étaient dans les bras l’une del’autre au pied même de la Croix-Miracle. Elles venaient de serencontrer dans la montagne.

– Mon Dieu, soyez béni ! disaitChérie ; nous sommes arrivées à temps, et puisque nous voilàtoutes deux, leur combat est du moins impossible !

– Que je suis heureuse de vous avoirtrouvée ! murmurait la jeune comtesse qui ne pouvait dominerencore le tremblement de sa voix. Tout le long du chemin,j’entendais des pas derrière moi, devant moi, autour de moi…Oh ! l’horrible nuit !

Elle se serrait frémissante contre la poitrinede Chérie. Celle-ci, plus forte, la soutenait.

– Et vous êtes venue, dit-elle, malgré laroute si longue !… Merci, madame, merci pour eux que vousallez sauver !

– Moi qui vous détestais ! balbutiaLenor.

– Cela prouve que vous l’aimez bien,interrompit Chérie, et vous m’en êtes plus chère, madame.

– Ne m’appelez plus madame, s’écria lajeune comtesse en appuyant la main de Chérie contre son cœur ;je veux expier ma haine folle… je veux vous aimer comme si vousétiez ma sœur !

– Ma sœur !… répéta Chérie enl’attirant sur son sein ; il y a si longtemps, moi, que j’aipour vous le cœur d’une amie !

Un instant elles restèrent embrassées, émuestoutes deux et toutes deux souriant parmi leurs larmes ; lanuit couvrait le groupe charmant qu’elles formaient au pied de lavieille croix penchée. Dans cette obscurité profonde de la campagneoù tant de pensées de mort s’agitaient, elles étaient, les deuxbelles jeunes filles, comme deux anges de paix envoyés par lamiséricorde de Dieu… Vous ne l’eussiez pas reconnue, la comtesseLenor. Plus d’orgueil en elle, plus de froideur ! Son âmes’élançait vers Chérie ; sa parole tombait de ses lèvres,toujours plus caressante et plus douce. Ce fut Chérie qui s’arrachala première à cette étreinte qui la faisait si heureuse ; savoix prit soudain une expression de tristesse tandis qu’elledisait :

– Il faut nous séparer, ma sœur.

– Pourquoi ? s’écria Lenor ;n’est-ce pas ici qu’ils doivent se rencontrer ?

– J’ai entendu d’étranges paroles dans lamontagne, répondit Chérie ; je n’en ai pu comprendre tout àfait le sens… mais je l’aime tant, ma sœur, que ma pauvre âme sedéchire chaque fois qu’un danger le menace.

– Un danger !… répéta Lenor ;et Rosenthal ?

– Ce danger-là n’est pas pour monsieur deRosenthal… Il va venir le premier, car j’ai aperçu Frédéric ausommet du Rouge tout à l’heure, et puisqu’il n’est pas ici déjà,c’est qu’il a dépassé sans le savoir le lieu du rendez-vous… Dieuveuille que je puisse le rejoindre !

– Vous m’abandonnez, ma sœur ?…murmura la jeune comtesse à qui son effroi revenait.

– Chut !… fit Chérie en prêtantl’oreille.

Un pas sonore et ferme retentissait sur lescailloux du chemin.

– C’est Rosenthal !… dit Lenor.

Chérie lui mit un baiser sur le front.

– Au revoir donc, ma sœur, dit-elle toutbas ; je vous laisse heureuse.

Elle disparut dans les ténèbres, tandis que lahaute taille de Rosenthal se montrait à la tête du pont debois.

– Qui est là ? demanda-t-il ens’arrêtant, car si léger que fût le pas de Chérie, il avait entendule pas de sa fuite.

Soit par hasard, soit à dessein, Lenor gardale silence. Rosenthal s’avança en tâtonnant et aperçut la jeunefille immobile au pied de la croix. Il marcha droit à elle.

– Vous avez tort de vous cacher de moi,madame, dit-il ; je vous ai reconnue, ce soir, quand vous êtessortie du château ; je vous ai reconnue une seconde fois à labrèche du parc, et je vous reconnais encore maintenant.

Lenor ouvrait la bouche pour le tirer de sonerreur ; mais elle était femme, elle l’aimait. Pendant troislongues semaines elle s’était crue abandonnée et trahie ;c’était une occasion de lire à livre ouvert dans le cœur deRosenthal. Lenor eut grand’peur ; mais les jeunes filles ontbeau trembler, où est celle qui jamais recula devant une pareilleépreuve ?

– Monsieur… balbutia-t-elle en déguisantsa voix de son mieux, je savais que vous deviez vous battre et jesuis venue…

Or c’était seulement le son de sa voix quiaurait pu mettre fin au quiproquo, car les deux jeunes fillesétaient de la même taille et portaient des costumes semblables. Parune nuit ordinaire, on aurait pu les confondre l’une avec l’autre,et les nuages qui s’amoncelaient au ciel interceptaient jusqu’à cesfaibles lueurs qui éclairent les nuits ordinaires. Rosenthal,d’ailleurs, était prévenu ; il se croyait certain d’être enface de Chérie. Et comme c’était une chose délicate au plus hautpoint qu’il voulait dire à Chérie, son embarras ne lui laissaitpoint le loisir de concevoir des soupçons. Il rendait grâce à cesténèbres qui cachaient le trouble de sa physionomie. À ladifférence du commun des poltrons, l’obscurité lui donnait ducourage.

– Cet intérêt que vous voulez bien meporter, madame, dit-il en cherchant ses paroles, m’est sans douteinfiniment précieux… Cependant… vous êtes bonne, je connais votreexcellent cœur, et j’espère que vous me pardonnerez mafranchise…

Il s’arrêta pour attendre une réplique ou unencouragement. Lenor n’avait garde ; son sein battait avecviolence. Quand il se fût agi de sa vie, elle eût été incapable deprononcer un seul mot.

Rosenthal pensait, bourrelé par sonremords : « Misérable fou, que je suis !… Pour uncaprice, voilà que je vais briser l’âme de cette pauvre jeunefille !… Qui sait, peut-être m’aime-t-elle ? peut-êtreson existence ne sera-t-elle désormais qu’un longmalheur !… » Et l’image de Lenor passait devant ses yeux,Lenor dont le sourire ému répondait au galant sourire de Frédéric.Il hésitait ; mais cette vision même était un aiguillon deplus.

– Ayez pitié de moi, madame,reprit-il ; je ne sais point de femme que l’on puisse vouscomparer… Mais avant de vous connaître, j’aimais… Un amourd’enfance et de famille, un de ces amours profonds et doux que lamort seule peut éteindre… Celle que j’aimais en ce temps-là, j’aipeur de l’aimer encore.

La jeune comtesse posa ses deux mains sur soncœur :

– Et c’est à moi que vous venez direcela !… murmura-t-elle d’une voix pleine de larmes ; carla joie pleure comme le désespoir.

– Madame, madame ! s’écria Rosenthalqui était au supplice, vous êtes belle, vous serez aimée, vousserez adorée !…

– Pas par vous, à ce qu’il paraît,monsieur ? repartit Lenor, trop heureuse pour joueradroitement son rôle.

Cette réponse, qui sortait brusquement dudiapason où doit se tenir la douleur d’Ariane délaissée, calma unpeu les reproches amers que Rosenthal se faisait dans saconscience. Il tira de son doigt la bague de saphir qu’il avaitgagnée à la fête des Arquebuses et qui était comme l’anneaud’alliance entre lui et Chérie.

– Reprenez ceci, madame, dit-il, je n’ensuis pas digne et j’aurais dû vous le rendre plus tôt.

Lenor tendit sa blanche main sans répondre.Rosenthal voulut la prendre et la baiser respectueusement, mais lajeune fille la retira. Elle devait être bien en colère…

– Vous êtes irritée contre moi, balbutiale pauvre baron d’un ton sentimental. Faut-il vous répéter, madame,qu’il y a en tout ceci de la fatalité ?… Je me suistrompé : vous voyant si digne d’être aimée, j’ai cru…

Il se creusait la cervelle pour trouver desconsolations. Puis, emporté tout à coup par la loyauté de soncaractère et par la passion véritable qui l’entraînait vers Lenor,il ajouta :

– Mais je ne suis plus maître de moi,madame… Pendant ces trois semaines, j’ai souffert tout ce qu’onpeut souffrir !

– Et c’est à moi que vous venez direcela !… répéta la jeune comtesse.

Mais, cette fois, l’accent n’était déjà plusle même. La première émotion du triomphe était passée, et parmi lerecueillement de la joie sans bornes, une petite pointe de moqueriese montrait.

Elles sont ainsi, j’entends les meilleures. Ettoute victoire n’a-t-elle pas son ivresse !

– Je vous dis cela, madame, répliquaRosenthal avec chaleur, parce que c’est mon devoir d’honnête homme,parce que j’ai consulté mon cœur qui ne peut être entraîné, séduit,enchanté que par elle…

– De mieux en mieux !… murmuraLenor.

Nous sommes bien forcé d’avouer qu’elle setenait à quatre pour ne pas se jeter au cou de Rosenthal.

– Je vous dis cela, poursuivait cedernier, qui avait désormais brûlé ses vaisseaux, parce que jel’aime… parce que je l’aimerai toujours… parce que je suis à votremerci, madame… parce que vous avez reçu ma foi et que vous seulepouvez me rendre le droit d’être heureux !

Vers le sommet du Rouge, un fracas confuss’éleva comme si une grande foule d’hommes se dispersait sur leflanc de la montagne. En même temps, on aurait pu entendre aulointain comme l’écho affaibli d’un chant mâle et grave. Mais latempête a de si inconcevables bruits ! elle sait donner à sagrande voix des intonations si bizarres ! C’était peut-être levent sonore qui chantait parmi les arbres de la forêt : orgueimmense aux cent mille tuyaux.

Rosenthal n’écoutait pas ; il était àgenoux et la main de Lenor frémissait entre les siennes.

– Puisque vous parlez de merci et depitié, disait la jeune fille, j’aurai pitié, mais à unecondition…

– Laquelle ?… s’écria Rosenthal avecune vivacité qui aurait été peu flatteuse pour la véritableChérie.

– Vous portez deux épées sous votremanteau, répondit la jeune comtesse ; je ne veux pas que vousfassiez usage de ces épées.

Rosenthal se releva et sa voix devintsombre.

– Vous ne m’avez donc pas compris ?prononça-t-il, tandis que dans son accent même on devinait sessourcils froncés violemment et l’éclair brûlant de sonregard ; je l’aime et je suis jaloux de cet homme !

Une rafale leur apporta si distinctement cesdeux bruits : la course sur la montagne et le chant lointain,qu’ils furent bien obligés de prêter l’oreille.

– Qu’est-ce que cela ? demanda Lenoreffrayée.

Quelques voix s’élevèrent dans la direction del’entonnoir, où la lueur rougeâtre apparaissait toujours :elles s’appelaient et se répondaient. Les pas couraient en toussens dans l’ombre. Tout à coup, un cri de terreur retentit del’autre côté du pont de bois ; les planches résonnèrent, et unhomme se montra courant à toutes jambes.

– Que Dieu ait pitié de moi !murmurait-il ; tous les démons de l’enfer sont déchaînés cettenuit !

Il allait au hasard et en aveugle ; sonpied s’embarrassa dans les cailloux du chemin, il trébucha, puis ilvint tomber comme une masse inerte entre Rosenthal et Lenor.

– On ne meurt qu’une fois, balbutia-t-ilsans essayer de se relever. Coupez-moi le cou avec vos cognées etn’en parlons plus !

– Mais c’est un de nos hôtes…, ditRosenthal en se penchant vers Bastian ; car c’était Bastian, àqui l’excès de la terreur inspirait cette résignation sublime.

– Hein !… fit-il en dressantl’oreille ; est-ce que ce serait vous, monsieur lebaron ?… Gaudeamus ! Gaudeamus !s’écria-t-il lorsque Rosenthal lui eut répondu affirmativement. Jevous trouve enfin dans ce dédale hideux, plus noir que la bouteilleà l’encre ! Tiens ! tiens ! je me reconnais :c’est ici que j’ai causé avec le vieil anthropophage… Or donc,laissez-moi souffler un peu, car je suis aux trois quartsdéfunt ; après cela je vous en apprendrai de belles !

Personne ne l’empêchait de souffler, mais illui fut impossible de garder ce qu’il avait sur le cœur.

– Des haches larges comme desguillotines ! reprit-il ; des coquins endiablés quibondissent là-bas, dans les buissons, comme des bêtesfauves !… Savez-vous que votre oncle est un tigre, monsieur lebaron ! un sauvage ! une hydre altérée de sang !…Savez-vous que vous allez être assassiné cette nuit, ainsi que cepauvre Frédéric ?

Lenor poussa un cri étouffé.

– Ah !… fit Bastian, il y a une dameici !… C’est justement pour une dame que ce boa de vieux comtefait ses fredaines… pour une dame et pour un château !

– Si vous pouviez vous expliquer ?…commença Rosenthal.

– Vous, interrompit Bastian, c’esttrès-bien, vous voilà et vous êtes averti… Mais Frédéric, monpauvre ami Frédéric !… Quand je pense que le vin du Rhin a pume rendre un instant complice de cet amateur forcené du beau sexeet des successions ! de cet homme du dix-huitième siècle quine croit pas en Dieu, et qui accomplit correctement toutes sortesde turpitudes, en gardant la paix de la conscience et en souriantcomme une lithographie à bon marché…

– Que disiez-vous de Frédéric ?…demanda le baron, pour qui tout ce bavardage incohérent était del’hébreu.

– Frédéric !… répéta Bastien ;Dieu sait où il est à cette heure !… Frédéric a fait pourvous, monsieur de Rosenthal, ce que vous ne feriez peut-être paspour lui… Quand je l’ai rencontré tout à l’heure, par miracle, del’autre côté de la montagne, je lui ai raconté la chose en deuxmots et j’ai ajouté : Sauve qui peut !… à lafrontière !… Mais j’avais eu l’imprudence de lui dire quevotre vie était menacée ; il s’est élancé dans la forêt, oùl’on entendait grouiller les vassaux de monsieur le comte, et ils’est écrié : « À tout prix, je lesauverai ! »

Rosenthal frappa du pied avec impatience.

– Avez-vous juré de ne parler qu’enénigmes ?… s’écria-t-il. Comment ma vie peut-elle êtremenacée ?

– Écoutez !… fit Bastian ; cesont les charbonniers qui hurlent dans les taillis… et peut-êtreont-ils trouvé la trace de Frédéric, qui vous cherche… Quant à cequi vous regarde, ne vous ai-je donc pas dit encore que les Épéesde l’université sont dans la montagne ?

Lenor comprenait mieux que Rosenthallui-même ; elle écoutait à la fois les révélations de Bastianet les rumeurs sinistres qui venaient de la forêt ; son cœurdéfaillait dans sa poitrine.

– Les Épées de l’université, ditRosenthal, doivent savoir que je ne les crains pas… Mais sous quelprétexte messieurs les étudiants viennent-ils me chercherjusqu’ici ?

– Ah çà ! vous ne voulez donc pasm’entendre ? s’écria Bastien ; les charbonniers et leurshaches sont pour Frédéric ; les étudiants et les glaives sontpour vous… C’est une conspiration montée avec soin par un homme quien fait son métier…

– Et vous prétendriez accuser mon oncle,le comte Spurzeim ?

– À moi, petit frère ! cria une voixde stentor dans les buissons qui couvraient la base du Rouge ;barre le passage, Hugo !… Le coquin d’étudiant ne peut nouséchapper !

Rosenthal se débarrassa vivement de sonmanteau.

– Restez ici, madame, dit-il.

– Au nom de Dieu ! s’écria Lenoremportée par la terreur, ne vous éloignez pas !

Rosenthal s’arrêta, étonné, car la jeune fillen’avait pas déguisé sa voix. Mais une longue plainte s’éleva dansles halliers ; il n’était pas temps de s’expliquer. Rosenthalmit l’épée à la main, franchit d’un seul bond le torrent ets’élança au travers des buissons.

– Suivons-le, dit Lenor en saisissant lebras de Bastian.

– Y songez-vous, madame ?… s’exclamace dernier.

Lenor lui lâcha le bras aussitôt, et sansajouter une parole, elle courut vers le pont de bois afin detraverser le Raub à son tour. Ne pouvant faire autrement, Bastianramassa la seconde épée que Rosenthal avait laissée tomber au piedde la croix, et suivit les traces de la jeune fille. Ilss’engagèrent tous deux dans les sentiers étroits et à peine tracésqui gravissaient tortueusement le flanc occidental du Rouge. Lesjambes de la pauvre jeune comtesse chancelaient sous le poids deson corps, mais elle allait toujours, et si elle s’arrêtaitparfois, c’était pour prêter l’oreille à ces bruits menaçants quiemplissaient les ténèbres. De temps en temps, sa voix faibles’élevait pour prononcer le nom de Rosenthal. On n’entendait plusrien dans les halliers ; la chasse humaine s’étaitéloignée.

– Hâtons-nous ! hâtons-nous !disait Lenor. J’ai comme un pressentiment qui m’étreint lecœur.

Ils avançaient ; Lenor allait tout droitdevant elle comme si un secret instinct l’eût guidée. Ilsarrivèrent ainsi au milieu des roches nues qui s’amoncellenttumultueusement au sommet du Rouge et qui soutiennent les lèvres decet entonnoir dont nous avons parlé déjà plusieurs fois.

En cet endroit, une lueur tremblante etconfuse luttait contre les ténèbres ; le bûcher allumé par lescharbonniers au fond du cratère n’était pas encore éteint. Sesflammes mourantes oscillaient avec lenteur, protégées contre levent par la rampe circulaire, et prêtaient aux rochers immobilesdes formes capricieuses et de brusques balancements. On eût dit desfantômes de géants menant leur danse muette et mesurée. Auxalentours, aucune créature humaine ne se montrait ;l’entonnoir lui-même était complétement désert. Lenor s’assit surune pierre, elle n’avait plus de force et le souffle lui manquait.En ce moment, ce chant male et grave que nous avons entendu auprèsde la Croix-Miracle éclata tout à coup de l’autre côté du cratère.Vous eussiez pu reconnaître, tant le chœur des exécutants s’étaitrapproché, la mélodie ronflante et même les paroles latines duGaudeamus igitur :

Frères, réjouissons-nous

Pendant que nous sommes jeunes :

Après la douce jeunesse,

Après la triste vieillesse,

La terre nous prendra ;

Donc, réjouissons-nous !…

Mais la belle mélodie et la poésiematérialiste sonnaient au milieu de cette nuit comme un chant deguerre. À la fin du couplet, le silence régna de nouveau, et parmile silence un hourra sauvage s’éleva du côté de la cabane desBraun.

– Dieu nous assiste !… murmuraBastian qui était pâle comme un mort.

Lenor n’avait plus de paroles… Désormais ledénoûment de ce noir imbroglio était entre les mains deDieu seul. Les charbonniers avaient-ils leur proie ? etpourquoi ce silence menaçant qui succédait tout à coup à la chansondes Compatriotes ?… Une minute s’écoula… un long siècle pourla pauvre Lenor !… Puis, dans le demi-jour qui régnait parmiles rochers, une sorte de tourbillon passa, rapide commel’éclair : des hommes, des femmes échevelées. – Hourra !hourra !

Un homme, en costume d’étudiant, avec ledolman et la casquette, précédait d’une cinquantaine de pas cettemeute hurlante et lancée à pleine course.

– Frédéric ! Frédéric !… criaune voix déchirante sur cette partie du rocher où s’adossait lacabane des frères Braun ; pitié pour Frédéric !…

Lenor et Bastian tournèrent les yeux de cecôté et reconnurent Chérie, qui était à genoux, les bras tendus enavant dans une attitude de supplication. Une autre voix s’élança dela partie opposée du cratère, une voix forte et impérieuse quidisait :

– Arrêtez !… sur votre vie,arrêtez !

Et la haute taille de Rosenthal se dessina surle bord même de l’entonnoir… Mais les charbonniers n’entendirentpas ou ne voulurent pas entendre, car, loin de s’arrêter, ilsprécipitèrent leur course folle sur le versant oriental du Rouge,où bientôt après on put ouïr un grand cri de triomphe… Chérie selaissa choir la face contre terre. C’en était fait sans doute…Cependant, à cette sauvage clameur des charbonniers une autreclameur répondit. Un cercle d’ombres noires entoura soudainRosenthal par derrière ; les épées brillèrent ; uncliquetis d’acier se fit, et parmi le tumulte ces parolesdominèrent :

– À mort, l’assassin deFrédéric !

Lenor se leva toute droite et commegalvanisée ; puis elle retomba sans mouvement sur lerocher.

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