L’Amérique mystérieuse – Todd Marvel Détective Milliardaire – Tome II

CHAPITRE IV – LE MIROIR OVALE

Dadd avait quitté Mexico enchanté de sonvoyage à New York. Il était installé dans un compartiment de luxe,il fumait un cigare exquis, enfin il se trouvait dans l’excellentétat d’esprit de l’homme qui pour la première fois de sa viepossède un carnet de chèques, et, chose extraordinaire pour Dadd,en dépôt dans une banque, de l’argent à peu près honnêtementgagné.

Aussi le jeune bandit, qui était d’uncaractère très sociable, liait conversation avec les premiers venuset donnait son avis avec un aplomb superbe sur les questions demines et de finances dans lesquelles, d’après ce qu’il avait retenudu docteur Klaus Kristian, il se croyait une véritable compétence.Il se montrait aimable et poli avec tout le monde, pleind’obligeance envers les dames, et il ne manquait pas d’arborer sonmonocle à toutes les stations un peu importantes.

Mais à mesure qu’on se rapprochait de New Yorkses idées prenaient un autre tour. Son voyage cessait de luiparaître une partie de plaisir. Il ne se dissimulait pas que lamission de confiance dont le docteur l’avait chargé présentait desérieuses difficultés.

Voici en substance ce que lui avait dit KlausKristian.

– D’après mes renseignements, mon ennemipersonnel, mon plus redoutable adversaire, le détectivemilliardaire Todd Marvel, se rend en France avec Miss Elsie, safiancée, pour y mener à bien une délicate enquête qui a pour lui laplus grande importance.

« Cette enquête, il ne faut pas qu’elleréussisse.

« Il m’importe beaucoup qu’ellen’aboutisse pas. Todd Marvel a déjà réuni des documentsintéressants sur cette affaire.

« Ce sont ces documents qu’il faut que tutrouves moyen de te procurer. Ils se trouvent, j’en suis certain,dans le palais de Todd Marvel à New York, un des plus beaux de laCinquième Avenue, et pour faciliter encore ta tâche, j’ajouteraique s’ils n’ont pas été déposés dans le coffre-fort du cabinet detravail, ils ne peuvent être que dans les appartements de MissElsie.

« Maintenant, c’est à toi de tedébrouiller, il me faut absolument ces papiers. »

Le lendemain de son arrivée à New York, Daddalla faire un tour du côté de la Cinquième Avenue, mais il n’osatrop approcher du palais, car il n’ignorait pas que Todd Marvel etson secrétaire Floridor le connaissaient parfaitement et seseraient empressés de le faire arrêter.

Finalement, il pensa que le plus sûr moyend’arriver à son but était d’adopter un déguisement, et après mûreréflexion il s’habilla en Chinois. Le visage jauni par unedécoction de safran, les yeux protégés par d’épaisses lunettesnoires, les pieds chaussés de bottines à semelles de feutre, il sedrapa dans une blouse de soie noire tout usagée et s’arma d’unparasol.

Ainsi accoutré il ressemblait trait pour traità ces étudiants pauvres qui sont très nombreux dans le quartierchinois ; puis il était sûr de n’être pas reconnu. Grâce à cecamouflage, il put se promener pendant toute une matinée, enflâneur, dans la Cinquième Avenue, sans attirer l’attention.

Il cherchait vainement une bonne idée, lorsqueses regards tombèrent sur un grand camion automobile qui descendaitl’avenue chargé de luxueux tapis dont quelques-uns étaient deschefs-d’œuvre des Gobelins ou de la Savonnerie.

Ces tapis étaient enroulés sur eux-mêmes et deplus protégés par une enveloppe de toile qui portait l’adresse deleur destinataire, Mr Todd Marvel.

Dadd avait enfin trouvé l’occasion espérée. Lavoiture était encore à trois cents mètres de la demeure dumilliardaire, le jeune bandit profita d’un encombrement pour sehisser avec son agilité habituelle sur le camion, puis il se glissadans l’espèce de tube formé par l’enroulement d’un des plus grandstapis. Là, il attendit tranquillement.

Dix minutes plus tard, il sentit que des brasrobustes enlevaient le tube d’étoffe dans lequel il était caché etprocédaient au déchargement du camion. Puis Dadd constata que sontapis et lui se mettaient en marche suivant une ligne verticale.Alors il y eut un nouvel arrêt.

En effet, les tapis avaient été placés sur unmonte-charge, et hissés jusqu’à une pièce du troisième étage où lesréparations qu’ils venaient de subir chez un spécialiste devaientêtre examinées avant qu’ils reprissent leur place dans les salonsdu milliardaire. Rassuré par le silence et par l’immobilité, Dadd,au bout d’un quart d’heure, se décida à sortir de son tube, enrampant avec précaution.

Il se trouvait dans une vaste resserre oùétaient empilés des meubles de toute espèce. Il résolut de passerlà le restant de la journée et d’attendre la nuit en étudiant,autant par distraction que par nécessité, le plan détaillé dupalais qui lui avait été remis par le docteur.

Ce plan lui apprit que l’appartement de MissElsie se trouvait juste au-dessous de la pièce où il s’étaitintroduit. Il fit une seconde remarque intéressante ; lepalais de Todd Marvel est de style Renaissance, à chaque étage, ily a des balcons superbement sculptés.

Il en conclut qu’à la nuit close rien ne luiserait plus aisé que de descendre à l’aide d’une corde du balcon dela resserre jusqu’à celui de l’appartement de la jeune fille. Pourpeu qu’on eût laissé quelque fenêtre entrouverte, il serait au cœurde la place et il avait eu soin de se munir d’une scie à métaux,d’une pince-monseigneur, qui se démontait en trois parties et netenait presque pas de place dans ses poches, enfin de quelquesautres outils des cambrioleurs de profession.

Restait à trouver une corde. Les solidesficelles qui liaient les tapis faisaient précisément l’affaire.Dadd choisit la plus forte et eut le loisir de la doubler pour larendre plus solide et d’y faire des nœuds, de place en place, pourfaciliter la descente.

La nuit vint sans que personne se fût avisé dele déranger.

Quand il fut onze heures, que le palais toutentier fut plongé dans le silence, et que les lumières eurentdisparu à la plupart des fenêtres, Dadd se servit de sa corde pourdescendre, mais il eut soin de l’attirer à lui, afin de ne paslaisser de traces de son passage, sitôt qu’il eut atteint sansaccident le balcon d’une des pièces occupées par Miss Elsie.

Tout le favorisait, la pièce était obscure etla fenêtre entrebâillée.

Il entra et reconnut qu’il se trouvait dans unpetit salon élégamment meublé dans lequel se trouvait un grandbureau en bois de rose, orné de cuivres ciselés qui attira tout desuite son attention, non que Dadd fût antiquaire, mais il supposaitavec vraisemblance que le document qu’il était chargé de volerpouvait fort bien se trouver là.

Il s’avançait déjà vers le meuble quand tout àcoup les lustres du plafond s’allumèrent inondant toute la pièced’une vive clarté. Miss Elsie rentrait.

Dadd n’eut que le temps de se fourrerprécipitamment sous un rideau de soie dans l’embrasure de lafenêtre, retenant son souffle et se faisant aussi petit quepossible.

La jeune fille ne s’était aperçue de rien,mais Dadd tremblait qu’elle n’eût la fâcheuse idée de fermer lafenêtre, car alors elle le découvrirait forcément. Pour le momentdu moins Miss Elsie semblait avoir d’autres préoccupations. Elleavait pris sur un meuble une glace ovale, au manche d’ivoirecurieusement ciselé, et elle se regardait moins par coquetterie quepour vérifier si son visage avait autant maigri que le lui avaitaffirmé le soir même une de ses amies, Gladys Barney.

Elle tournait le dos à Dadd ; sansméfiance, celui-ci allongea un peu la tête hors de sa cachette.

Mais il avait compté sans le miroir, quimontra à Miss Elsie les traits d’un hideux petit Chinois àlunettes, caché sous ses rideaux. La jeune fille jeta un cri ets’évanouit. Dadd comprit que la partie était perdue pour cette foiset qu’il était inutile d’insister.

Avec un rare sang-froid, il noua rapidement aubalcon du second étage la cordelette qu’il avait prudemmentconservée, se laissa glisser dans la rue et prit la fuite à toutesjambes.

Un des détectives spécialement chargés de lasurveillance du palais se lança à sa poursuite, mais Dadd eut vitefait de le distancer et arriva dans une rue déserte. Il sedébarrassa de ses lunettes et de son attirail de Chinois et rentratranquillement à son hôtel.

Au cri qu’avait poussé Miss Elsie, sacamériste Betty était accourue.

Elle imbiba les tempes de la jeune fille devinaigre aromatique, lui fit respirer des sels et parvint aisémentà la faire revenir à elle.

Betty était habituée à ces alertes ; d’untempérament très émotif, un peu cardiaque même, Miss Elsie étaitfréquemment sujette à ces syncopes, et les médecins avaientrecommandé de lui éviter toute émotion violente.

Lorsque la jeune fille ouvrit les yeux, etqu’elle vit la dévouée Betty penchée vers elle, son visage serasséréna immédiatement.

– Si tu savais comme j’ai eu peur,murmura-t-elle d’une voix faible.

« Est-il parti au moins ?…

– Qui cela ? je n’ai vupersonne.

– Un horrible petit Chinois. Il était là,il y a un instant, dissimulé dans l’embrasure de la fenêtre, ets’apprêtant peut-être à me poignarder. Pourvu qu’il ne soit pasresté dans quelque coin !…

Betty se demandait avec inquiétude si samaîtresse ne déraisonnait pas.

– Il serait bien surprenant qu’unmalfaiteur ait réussi à se glisser dans le palais,répondit-elle ; cependant, je vais m’en rendre compte.

Bien persuadée qu’elle n’allait riendécouvrir, elle fureta par toute la pièce, soulevant les rideaux etse penchant pour regarder sous les meubles.

– La fenêtre est restée grande ouverte,s’écria Miss Elsie avec impatience, c’est par là qu’il a dûs’enfuir.

Betty s’avança sur le balcon et tout de suitedécouvrit la corde, que, dans sa fuite précipitée, Dadd avaitlaissée attachée à la balustrade de pierre.

– Miss avait raison, dit-elle un peueffrayée, la corde grâce à laquelle le malfaiteur a pu se laisserglisser à terre, est encore là. Il faut que Mr Todd Marvelsoit mis au courant.

Le milliardaire, plus alarmé qu’il ne voulaitle laisser paraître, se livra à une rapide enquête. Les traces dela corde, qui avait laissé sa marque sur le balcon de l’étagesupérieur, le rouleau de tapis, privé de son emballage, eurent vitefait de lui révéler la vérité. Le rapport du détective qui avaitinutilement poursuivi le jeune bandit, le confirma dans sesappréhensions.

– C’est probablement Dadd, réfléchit-il,Dadd que je croyais parti pour le Mexique. Il ne peut être envoyéque par Klaus Kristian, et ce n’est certainement pas, sans un motifgrave, qu’il a trouvé moyen de pénétrer chez moi. Il faudraitdécidément, qu’avant mon voyage pour l’Europe, je me débarrasse unefois pour toutes de cette encombrante petite fripouille.

Et sans attendre au lendemain, Todd Marvel sehâta de téléphoner à l’inspecteur Herbert, un des plus habilespoliciers de New York avec lequel il était resté en relationsdepuis l’arrestation de Klaus Kristian dans la maison deMrs Plitch.

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