Les Linottes

X

Ce soir-là eut lieu à huis clos, ainsiqu’Hamiet en avait décidé, la dernière répétition de MadameBrimborion. Elle fut singulièrement houleuse, vu le chiquagesurvenu entre Stéphen Hour et Pouperol à la suite d’une observationimprudemment présentée par celui-ci à celui-là sur le ton d’aménitéparticulier à son genre d’éloquence, l’intervention conciliatricede Maudruc qui était sorti de l’aventure avec, sur l’œil droit, uncoquart fâcheusement détourné de sa destination, et enfinl’expulsion de Hour qu’un quadrille de machinistes mobilisés pourla circonstance avaient empoigné par les membres tant supérieursqu’inférieurs et déposé sur le trottoir, devant l’entrée desartistes, comme une paillasse hors d’usage. Or, cet hommeconsidérable s’étant redressé sur ses pieds puis acheminé vers leFaubourg Montmartre en affirmant que le thermomètre péterait sousla poussée de l’alcool le jour où on le repincerait au sein decette bande de crapules, Cozal se dit que le moindre de ses devoirsétait d’accompagner Hélène qui ne pouvait sans imprudence regagnerseule la Butte à cette heure tardive, et de la déposer rue deLorient avant de réintégrer lui-même les solitudes de la VillaBon-Abri.

Il monta donc à la loge de l’actrice.

– Toc, toc !

– Qui est là ?

– Moi.

– Qui, vous ?

– Cozal ! On peut entrer ?

– Je crois bien qu’on peut entrer !Seulement, je vous préviens : je suis en chemise. Pas dans cesens, la clé. Donnez le tour à gauche. À gauche, donc !… Àgauche, on vous dit !… – Dieu ! que les hommes sontmaladroits ! Madame Tourdebec, s’il vous plaît, bien aimabled’aller ouvrir, ou ça n’en finira jamais. Merci, Madame Tourdebec.Bonsoir, vous.

– Bonsoir Hélène.

– Quelque chose ne va pas ? Vousvenez me gronder ?

– Vous gronder !… Si je commettaisce crime, j’en garderais l’éternel remords. Non. Je viens toutbonnement mettre mon bras à la disposition du vôtre. Il est tard,les rues ne sont pas sûres, et on se doit aide et assistance entrevieux Montmartrois comme nous.

– Quel chic type vous faites ! ditHélène touchée. Vous n’avez que de gentilles pensées !J’accepte avec grand plaisir. Alors, tout de bon, là, sérieusement,ça va comme vous désirez ? Vous n’êtes pas trop mécontent devotre petite interprète ?

– C’est-à-dire, répondit le jeune homme,que tout le succès sera pour vous ; que vous êtes adorable,c’est bien simple ; et que je vous mangerais de baisers si jene craignais d’être indiscret.

– Sans blague ? fit-elle alors. Uneminute, en ce cas ; le temps de tremper mon nez dansl’eau.

En une cuvette géante où un ménage de canardseût pu barboter à son aise, elle plongea jusqu’aux épaules. Ainsivue de dos, la croupe saillante, elle apparut un instant comme sanstête, toute rose en haut par la chair de ses bras, toute noire enbas par ses bas de curé dont on sentait à travers la chemise seprolonger le deuil à mi-cuisses. S’étant redressée, elle déchaînaun vacarme d’inondation et elle demeura aveuglée, battant l’air deses mains éperdues avec des cris aigus de moutard débarbouillé àl’eau de puits :

– Misère en Prusse, que c’estfroid ! Brr ! Brr ! Brr !… Madame Tourdebec, laserviette !… Vite, vite, Madame Tourdebec !

Déjà, elle était devant Cozal, lui présentantsa joue rebondie, séchée en un tour de main, et que la fraîcheur del’eau avait enluminée en ton de pomme d’api.

Lui, l’embrassa de tout son cœur.

– Bon petit chat ! murmura-t-il.

Puis, à demi-voix :

– Ah fichtre ! Ah sapristi ! Ahdiable ! je n’aurais jamais cru cela de vous !

– De moi ? demanda Hélène. Demoi ? Qu’est-ce que vous n’auriez jamais cru ?

Elle le regardait, intriguée des airs entendusqu’il prenait, du rire malin et mystérieux dont il compliquait sonmutisme. Brusquement elle comprit, à voir sur le clair-obscur deson jeune corps bâiller l’échancrure de sa chemise, tandis que lui,s’émerveillant, appréciait : « Très bien ! trèsjoli ! » comme un spectateur bien placé qui goûte le jeud’une comédienne ou applaudit au cinéma le relief d’une projectionbien venue. Elle eut pour la forme le petit cri d’une Dianesurprise, qui s’en fiche ; d’ailleurs résignée, d’un mot, auxpetites traîtrises des choses : « Ah ! et puis,qu’est-ce que ça peut faire ? Vous êtes mon auteur, aprèstout ! » : envisagé particulier dont le poète deMadame Brimborion prisa très fort la sagesse.

– Mais oui, mais oui, dit ce bon jeunehomme une paternité dans la voix. L’auteur et le médecin, ça necompte pas ! – C’est égal, vous vous y entendez, à cacher ledessous de vos cartes ! En voilà, une petitesournoise !

Historiographe consciencieux des faits etgestes des fantoches dont nous achevons de crayonner lessilhouettes, nous pousserons le culte du vrai jusqu’à reconnaîtrequ’Hélène eût pu utiliser ses bas comme cuissards sans que lesmailles tendues à l’excès courussent le risque d’éclater. Ellepensa défaillir d’orgueil aux sous-entendus de ces propos empreintsde la plus vile flagornerie, et elle réfugia tant bien que mal sonembarras bien naturel dans un méli-mélo confus de coq-à-l’âne.

– Oui, c’est gentil… – Asseyez-vous donc…– d’être venu… – Pas cette chaise-là… – N’est-ce pas que je les discomme il faut… – Elle a un pied qui remue… – mes couplets… – etl’autre qui ne va guère… – des granules ?… – D’ailleurs, lapièce est charmante !… – Je vous fais attendre… Pardon !…J’en ai pour cinq minutes au plus.

Un sopha bas longeait le mur de la loge :il la reçut assise, toute dansante. Elle saisit le petit pantalonqui chevauchait le dossier d’une chaise prochaine : unpantalon de linon blanc où serpentaient, en mauve suave, desfaveurs de boîtes de dragées. D’un coup de reins qui la mit lesquatre fers en l’air, elle en passa à la fois les deux jambes,ripostant gaiement : « Bah ! tant pis ! Vousn’en perdrez pas la vue ! » aux exclamations faussementscandalisées de Cozal, qui commençait à trouver drôle le parti prissystématique où s’entêtait cette ingénue de montrer son derrièresans discontinuer.

Puis, tandis qu’un genou à terre,Mme Tourdebec la chaussait, lui encapuchonnait lespieds de ses hautes bottines délacées, elle se lissa les bandeauxdevant un petit miroir de poche juste assez vaste pour qu’elle pût,tour à tour, y refléter chacun de ses yeux, le joli écrin de sesquenottes, et son nez troussé d’une chiquenaude, opération délicatequi, un instant, l’absorba.

Enfin :

– Hop ! Voilà qui est fait !dit-elle en sautant sur ses pieds. Mon corsage, et je suis àvous !

Du menton, Cozal approuva. À vrai dire, unbruit de mots vagues, sans signification précise, avait seul frappéson oreille, car toute sa pensée était retournée à Marthe et c’estvraiment sans la moindre émotion des sens qu’il avait souri tout àl’heure à la maigre nudité de sa petite camarade. Pour en avoirdésespéré, la soudaine revenue de Marthe Hamiet l’avait quelque peuahuri, mais surtout elle avait fait naître, en sa conscience pavéedes meilleures intentions, des impressions aussi enchevêtrées etfleuries que les haies de son petit jardin ; car nous nesaurions trop répéter à quel point il était le contraire d’unméchant, l’antipode d’un cœur sec, l’inverse d’un ingrat. Oui, ilavait cela d’excellent qu’il détestait ses erreurs et qu’ilhaïssait à l’égal de sa plus mortelle ennemie son aisance à yretomber. N’importe ; Marthe Hamiet avait trop fait, cettefois ! Son cœur sautait en sa poitrine au souvenir des pauvresbeaux yeux baignés de larmes souriantes ; du pauvre, et doux,et cher visage qui s’était venu cacher, honteux, en sonaisselle ; de la pauvre et bien-aimée voix qui lui avaitmurmuré à l’oreille : « Tout est bien puisque je teretrouve ; aimons-nous et n’en parlons plus. » Aucomparé, par réflexion, de tant de noblesse chez elle et de tant devilenie chez lui, il eut, de son âme, cette opinion qu’ont de leurcervelle les pochards au lendemain d’une cuite mémorable : unpetit tas de boue nauséabond. Un dégoût lui vint aux lèvres. L’idéede retourner à de nouvelles trahisons le bouleversa comme uneinsulte ; il se vit plus abject que le chien de l’Écriture,obstiné à son vomissement, et la révolte fut immense, du bonvouloir qui était en lui !

Pouah !

À ce moment :

– Quand vous voudrez, fit Hélène. Ehbien ? Et alors ? Vous dormez ?

Il tressaillit.

– Je vous demande pardon.

– Voyons, reprit Hélène égayée, il fautvous faire une raison. Si on lui a coupé la tête à l’infortunéLouis XVI, ce n’est ni ma faute, ni la vôtre… Allons, en route. Ilest une heure du matin. – Bonsoir, Madame Tourdebec.

L’un suivant l’autre, ils sortirent. Un boyaude corridor éclairé de quinquets dont les réflecteurs de fer-blancprenaient la lumière sans la rendre, les jeta rueGrange-Batelière.

Là :

– Vous devez être lasse, dit Cozal ;depuis le temps que vous êtes sur vos jambes. On va fréter uneauto, hein ?

Mais elle s’effara.

– Une auto ! – Pourquoi donc faire,une auto ?

Elle avait des instincts de grisette, desidées tout à fait arrêtées sur l’argent, exclusivement fait pourêtre consacré à se payer des rigolades, des gâteaux ou des bellesaffaires. À la question qu’il lui posa ensuite :« Avez-vous soif ?… Avez-vous faim ? », ellerépondit n’avoir ni faim ni soif, ceci avec une discrétioncharmante de petite pauvre respectueuse de la médiocrité descamarades.

– Je n’ai besoin de rien.

– Bien vrai ?

– Parole d’honneur ! Donnez-moi lebras et rentrons.

Cozal dut obéir. Il lui offrit son bras,qu’elle prit ; et près l’un de l’autre, sans se hâter, ilss’acheminèrent vers Montmartre sous un clair firmament d’automne,où la lune jouait à saute-mouton de nuage en nuage.

Tout en marchant, elle jacassait, revenue à sacomposition du rôle de Madame Brimborion dont elle donnales tenants et les aboutissants, les pourquoi et les parce que.Elle n’y mettait d’ailleurs aucune prétention : fillette raviede jouer la comédie, qui ne se lasse pas d’en rabâcher sa joie etvolontiers arrêterait les passants pour leur crier : « Jedébute demain ! » comme une échappée de couvent persécuteles gens autour d’elle à rabâcher vingt fois par heure :« Je vais à mon premier bal dimanche. »

– Ce n’est bien sûr pas, fit-elle, parceque je joue le rôle de Madame Brimborion, mais je suissûre d’un grand succès !

– Oui ?

– J’en mettrais ma main au feu. Elle estsi jolie, cette pièce !… Tenez, une chose qui me ravit, c’estquand le chevalier me presse sur son cœur en disant qu’il avaitvoulu souffler la noirceur en mon âme mais qu’il n’a pas osé lefaire parce que je lui fais l’effet d’une rose incomprise !…Je ne peux pas l’entendre me dire cela sans avoir envie depleurer ; je crois toujours que c’est arrivé, que le chevalierm’aime pour de bon et que je suis une rose pour de vrai. C’estbête, c’est ridicule ; mais c’est plus fort que moi !

Elle s’interrompit, soupira ; puis, aprèsun instant de silence :

– Oh ! reprit-elle, avoir unamoureux… un vrai !… un amoureux qui vous câline, vous berce,vous dit de ces choses tendres, tendres, qu’on ne comprend pastoujours très bien, mais qui sont… – Comment dirai-je ?… – quisont comme quand on vous sourit !… Je vous fais rire,hein ! Je suis stupide ?

Le coup de clarté d’un bec de gaz lui avaitdénoncé le coin de lèvres de Cozal, que soulevait une moquerie.

Lui se récria :

– Quelle bête d’idée !… Vous diteslà des choses charmantes, au contraire ! Seulement…

– Seulement ?

– Seulement, vous ne le tiendriez pas,votre amoureux idéal, que vous l’auriez déjà trompé avec unautre.

– C’est une erreur, fit-ellegravement.

Incrédule, il sourit.

– Ah ! ouat !

Hélène fit halte, pour le coup.

Et solennelle :

– Je vous le jure, Robert !

Sans qu’il sût au juste pourquoi, il éprouvaun grand charme à l’entendre l’appeler ainsi, de son prénom. Ilappuya contre son cœur les deux petites mains accrochées à sonbras.

– Je vous crois, chère enfant,dit-il.

Et, comme « l’enfant », encouragée,parlait des potins, mensongers, dont sa bonne renommée payait,hélas ! les frais, déplorait la facilité de la foule engénéral et de Cozal en particulier à les prendre pour argentcomptant sans se donner la peine d’en contrôler les sources, ilconvint qu’il avait eu le tort de s’en remettre aux apparences etil en montra de vifs regrets, soulevant cette fois jusqu’à seslèvres les deux petites mains qu’il baisa en manière d’amendehonorable. Comme beaucoup de cyniques inconscients, il était, quandil s’y mettait, d’une naïveté à rendre des points à Jocrisse !trop évidemment femme lui-même pour que le fatras des vagueslyrismes, des poétiques aspirations, ne trouvât pas en lui decomplaisants échos. Ainsi, aiguillés dans le sens de ce qu’onpourrait appeler le quiproquo sentimental, longuement ilsphilosophèrent, causant de la bêtise de la vie où, à la rechercheles uns des autres, les gens de cœur errent à tâtons, comme depauvres aveugles atteints de cécité et même privés de la lumière,chantant le plaisir que l’on goûte à échanger des idées entrepersonnes sympathisantes, traitant de la douceur d’aimer, del’agrément de se comprendre et d’autres sujets fort touchants. Ilcommençait à la trouver très gentille, et, qu’il le fît exprès ounon, à ralentir étrangement le pas.

Bien sûr, rien n’était changé à ses bellesrésolutions, et ses serments de fidélité demeuraient vierges detoute lézarde, mais enfin il en est du mot « fidélité »comme de pas mal d’autres mots : affaired’interprétation !… D’abord, primo et d’un, une fois n’est pascoutume ; puis il n’y a pas tromperie au sens précis du motquand on conserve assez d’empire sur soi-même pour restermentalement fidèle, l’instant psychologique venu, à la dame de sespensées, (point sur lequel il était sûr de lui) ; enfin, lesentiment très exact que la petite camarade ne demandait qu’àdonner des marques éclatantes de sa bonne camaraderie l’acculait,comme en une impasse, à la nécessité de passer pour un daim – dequoi Marthe eût été la première à rougir ! – ou de cueillir entoute hâte un fruit pressé d’être croqué : conclusionparfaitement logique et qu’achevait de faire triompher la certitudechez le logicien de n’être pas pincé, cette fois, la main – sij’ose dire ! – dans le sac.

Or, comme la lointaine église de Clignancourtégrenait trois coups de gong dans le calme de la nuit :

– Vraiment, ce n’est pasraisonnable ! fit Hélène que, depuis vingt minutes, il tenaitdebout devant sa porte. Il faut aller faire dodo.

– Déjà !

– Comment déjà ? Voilà trois heuresqui sonnent !

– Et quand il en serait quatre !…Après ? Vous n’êtes pas pressée, que diable !… Vous vouslèverez plus tard demain.

– Pour ça, impossible, milleregrets ! J’ai rendez-vous à neuf heures chez Landolff. Moncorsage du trois bride dans le dos, que c’en est unedésolation !

– Ah ! diable, c’est grave ! Jene vous retarde plus, en ce cas. Bonsoir, Hélène.

– Bonsoir, Robert.

Elle lui tendit sa main, qu’il prit et qu’ilgarda.

– Alors, questionna-t-il, àdemain ?

Stupéfaite :

– Certainement, à demain !répondit-elle. Vous pensiez que j’avais l’intention d’aller faireun petit voyage et de laisser mon rôle jouer tout seul !

– C’est vrai, au fait ! Je vousdemande pardon, mon petit chat ; je suis complètementidiot.

– Non, mais vous dormez debout.

– Je commence à le croire.

– Vous savez ce qui vous reste àfaire !

– Oui. À demain, donc !

– À demain.

– À demain. Dormez bien, if youplease !

– Thank you ! Ne faites pasde mauvais rêves.

– Merci !

– Bonsoir, Robert.

– Bonsoir, Hélène.

Cependant, dans la main à peine close deCozal, la main d’Hélène demeurait ; petite captiveconsentante, prisonnière de bonne volonté, qui se trouve très bienoù elle est et que ne tourmente pas l’impatience de reprendre laclé des champs.

– À propos ! fit soudain le jeunehomme ; vous n’avez pas peur, j’espère ?

– Peur !… Peur de quoi ?

– Mon Dieu, une femme seule… ; lanuit… ; dans un quartier si désert !

– Je tire mon verrou, ne vous faites pasde bile.

– Ah ! vous avez un… ?

– Tiens, parbleu !

– À la bonne heure !

– C’est plus sûr.

– Oui.

– Dame, vous comprenez… la nuit…

– … dans un quartier si désert…

– … une femme seule !… Tandis quecomme ça, au moins…

– … Vous êtes plus tranquille.

– Tout juste.

– Et moi aussi, bien entendu.

– Et vous aussi, bien entendu. Noussommes plus tranquilles tous les deux.

– Eh bien, voilà.

– Eh bien, voilà.

– Alors… oui ?

– Quoi alors, oui ?

– Une, deusse, troisse, ça yest ?

– Qu’est-ce qui y est ?

– On regagne chacun son plumard.

– Ça me paraît indiqué.

– Je crois aussi.

– N’est-ce pas ?

– Dame, il me semble.

– Évidemment.

– À demain, alors ?

– À demain !

– Bonsoir, Hélène.

– Bonsoir, Robert.

C’était bien fini, cette fois. Sur unedernière poignée de main, ils prirent congé l’un de l’autre ;et, le dos l’un à l’autre tourné, ils s’en furent chacun dans unsens. Mais, comme Hélène chassait devant soi le lourd panneau de saporte entr’ouverte :

– Excusez-moi, lui dit Cozal qui étaitrevenu sur ses pas ; je vais peut-être être indiscret… Est-ceque vous ne pourriez pas me donner un verre d’eau ? Je crèvede soif, figurez-vous !

Un verre d’eau !…

– Comment donc ! fit-elle. Prenez mamain et suivez-moi. Refermez la porte doucement !… Là !…Faites attention ; il y a une marche !… Pas de bruit,surtout !… Marchez sur la pointe du pied !… Ne réveillezpas le concierge… Chut ! Chut !

……  …  …  …  …  … .

Lorsqu’il eut bu :

– Ah ! fit Cozal avec un soupirsoulagé, reposant au marbre de la cheminée son verre resté pleinaux trois quarts.

Hélène s’était approchée ; elle le fixaitdans les yeux d’un drôle d’air.

– Vous aviez bien soif, pauvreami ?

Ayant pris un temps :

– Non, dit-il.

Ils se regardèrent, ils se sourirent. Derrièrele cou de Robert Cozal, Hélène croisa ses mains gantées. Uneveilleuse qui brûlait à ras d’huile, dans un coin, projeta sur lemur l’ombre énorme du muet baiser qu’ils échangèrent.

Jeunesse ! Jeunesse !Jeunesse !…

Une heure plus tard, sur la frêle épaule de lapetite, le jeune homme posa son front. Elle le laissa faire,docile, heureuse de sa douce victoire, souriant à ces pâlespaupières qu’elle avait closes. Et déjà, dans la brume du rêve quidevient sommeil, il revivait la minute, l’inoubliable minute,connue le matin au côté de Marthe, quand il eut la vague conscienced’une bouche qui frôlait la sienne, d’un baiser qui se posait là, àfleur de lèvres, comme une invitation au repos pleine de gratitudeet de sollicitude tendres…

– Bonsoir, Robert.

– Bonsoir, Hélène.

Et il tomba au néant.

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