L’Île au trésor

Mon premier livre

C’était loin d’être mon premier livre, car je ne suis passeulement un romancier.

Mais je sais à merveille que mon maître-payeur, le grand public,regarde avec indifférence, sinon avec aversion, tout ce que j’aiécrit quand ce n’est pas du roman.

S’il me réclame quelquefois, c’est sous le caractère qui lui estfamilier et qui m’est indélébile ; et quand on me demande deparler de mon premier livre, il n’est, certes, question dans lemonde que de mon premier roman.

Tôt ou tard, d’une manière ou d’une autre, je devais fatalementécrire un roman.

Il semble inutile de demander pourquoi.

Les hommes sont nés avec des manies variées.

Dès mon plus jeune âge, c’était chez moi un goût de faire joujouavec des séries d’événements imaginaires et sitôt que je fuscapable d’écrire, je devins l’ami des journalistes.

Rames sur rames se sont succédé dans l’impression deRathillet, La Révolte de Pentland, Le Pardon du Roi (ou ParkWhitehead), Edward Daven, Une danse de Village, et Une vendettadans l’Ouest, et c’est une consolation pour moi de me rappelerque ces rames, maintenant des cendres, sont revenues au sol.

Je n’ai nommé que quelques-uns de mes essais malheureux, ceuxseulement qui arrivèrent à un renom passable avant qu’ils fussentoubliés ; et même ainsi, ils couvrent une longue séried’années.

Rathillet fut lancé avant ma quinzième année. Unevendetta quand j’en avais vingt-neuf, et ce fut une successionde défaites qui durèrent sans relâche, jusqu’à ce que j’en eustrente et un.

À ce moment, j’avais écrit de petits livres, de petits essais etde courtes histoires ; j’avais recueilli des coups et j’avaisété payé pour mes travaux, bien que pas assez pour pouvoir vivre dema plume.

J’avais presque une réputation, j’étais un homme à succès ;j’avais passé mes jours à m’échiner, et la futilité de mon effortfaisait quelquefois brûler de honte mes joues.

Je dépensais l’énergie d’un homme à cette besogne ; encorene pouvais-je gagner ma subsistance et brillait-il devant moi unidéal non atteint.

Bien que je m’y fusse essayé avec vigueur au moins dix ou douzefois, je n’avais pas encore écrit un roman.

Mes précieux ouvrages avaient tous marché un peu, puis s’étaientinexorablement arrêtés comme la montre d’un écolier.

Je pouvais être comparé à un cricketer jouant depuis plusieursannées et qui n’aurait jamais fait un but.

Quelqu’un peut écrire une nouvelle courte – une mauvaise, jepense – s’il a du métier, du papier et assez de temps disponible,mais nul ne peut songer à écrire même un mauvais roman.

C’est la longueur qui tue.

Le romancier accueilli peut prendre son roman par le haut et lereprendre par le bas, peiner en vain des jours sur son livre etn’écrire que jusqu’à ce qu’il se fourvoie.

Il n’en est pas ainsi du débutant.

La nature humaine a certains droits.

L’instinct de conservation empêche qu’aucun homme qui n’est passoutenu par la conscience d’une victoire antérieure, endure lesmisères d’un travail littéraire sans succès au-delà d’une périodequi se mesure en semaines.

Il faut qu’il y ait quelque chose qui l’alimented’espérance.

Le débutant doit avoir un souffle.

Une veine de chance doit l’encourager ; il doit être dansune de ces heures où les mots viennent et les phrases se balancentd’elles-mêmes, même au début.

Et même quand il s’est mis en train, quels regards terrifiés iljette devant lui, jusqu’à ce que le livre soit terminé !

Car aussi longtemps que la brise souffle sans varier, que laveine continue à courir, aussi longtemps peut-il conserver sesmêmes qualités de style, aussi longtemps ses marionnettes seronttoujours vivantes, toujours fortes, toujours vigoureuses !

Je me rappelle que j’avais l’habitude de regarder, dans cesjours-là, tout roman en trois volumes avec une sorte de vénération,comme une prouesse – non pas, s’entend, de littérature, – mais aumoins d’endurance physique et morale pour laquelle il fallait lecourage d’Ajax.

Dans cette heureuse année, je vins vivre avec mon père et mamère à Kinnaird, au-dessus de Pitlochry.

Alors, je foulai les rouges bruyères et escaladai les boisdorés.

L’air rude et pur de nos montagnes m’excitait, s’il nem’inspirait pas, ma femme et moi projetâmes ensemble un volumed’histoires de fantômes, pour lequel elle écrivit L’Ombre surle lit, et je fabriquai Thrawn Janet et une premièreébauche de Les Hommes Joyeux.

J’aime mon air natal, mais lui ne m’aime pas ; et la fin decette délicieuse période fut un refroidissement, un vésicatoire etune émigration par Strathardle et Glenshee au Castleton deBraemar.

Là, le vent souffla en tempête et il plut à proportion.

Mon air natal fut pire pour moi que l’ingratitude des hommes, etje dus me résoudre à passer une bonne période de temps confinéentre quatre murs dans une maison connue sous le nom lugubre deCottage de feu miss Mac Gregor.

Et maintenant, admirez le doigt de la prédestination.

Il y avait un écolier dans le cottage de feu miss Mac Gregor, aulogis depuis les vacances, et à la recherche de quelque plat derésistance pour son intellect.

Il n’avait aucune arrière-pensée de littérature.

L’art de Raphaël recevait ses suffrages volages, et avec l’aided’une plume, d’encre et une boîte de couleurs à l’eau, d’unshilling, il eut bientôt fait d’une des pièces une galerie depeinture.

Mon devoir le plus immédiat envers la galerie fut d’être unvisiteur curieux ; et quelquefois, pour me délasser, jerejoignais l’artiste (si on peut le qualifier ainsi) à son chevaletet passais l’après-midi avec lui, dans une généreuse émulation, àcolorier des dessins.

Dans une de ces occasions, je fis la carte d’une île. C’étaittravaillé et, je crois, bellement colorié.

La forme en captiva mon admiration au-delà de touteexpression.

Elle contenait des baies qui me plaisaient comme dessonnets ; et, avec l’inconscience de ma destinée, j’étiquetaimon œuvre L’Île au Trésor.

On m’a dit qu’il y a des personnes qui ne se soucient pas descartes : je trouve difficile de le comprendre.

Les noms, les formes des terrains boisés, le cours des routes etdes rivières, les premiers pas préhistoriques de l’homme qu’on peutencore distinguer en haut sur la colline et en bas dans la vallée,les lacs et les gués, peut-être la pierre levée ou le cercledruidique dans la bruyère, il y a là un inépuisable fonds d’intérêtpour quelqu’un qui a des yeux pour voir ou la valeur de deux penced’imagination pour comprendre.

Pas d’enfant qui ne doive se le rappeler, en posant sa tête dansl’herbe, en regardant la forêt sans fin, et la voyant grouiller,toute peuplée de ses armées de fées.

Un peu de cette façon, comme je contemplais ma carte de l’Île auTrésor, le futur caractère du livre commençait à m’y apparaîtrevisiblement entre des bois imaginaires. Les silhouettes bronzées etles armes brillantes de mes héros vinrent éclore pour moi de lieuxinespérés, comme ils passaient, luttant et pourchassant un trésorsur ces quelques pouces carrés de ma carte.

La première chose que je vis, c’est que j’avais quelques papiersdevant moi et que j’écrivais une table de chapitres.

Combien souvent j’ai fait ainsi, et tout est venu à lasuite ! Mais cela semble être les éléments du succès de cegenre d’entreprises.

Ce devait être une histoire pour la jeunesse : nul besoindonc de psychologie ou de belle littérature.

J’avais un gamin près de moi comme pierre de touche.

J’étais incapable de manœuvrer un brick (commel’Hispaniola en aurait été un), mais je pensais que jepourrais me tirer d’affaire et le faire voguer comme un schoonersans en éprouver une honte publique.

Et alors j’eus une idée pour John Silver, de qui je me promistout un trésor de plaisirs. Je me ferais de lui un ami qu’on admire(le lecteur, très vraisemblablement, le connaît et l’admire autantque moi). Je lui enlèverais toutes ses plus fines qualités ettoutes ses plus hautes grâces de tempérament, je ne lui laisseraisque sa force, son courage, sa vivacité et son superbe caractère, etj’essaierais d’exprimer cela en termes appropriés à la culture d’unrude marin en suroît goudronné.

Semblable chirurgie psychique est, je pense, un chemin communpour créer un caractère dans notre roman.

Peut-être même est-ce le seul.

Nous pouvons y incorporer la gracieuse figure qui nous a dit unecentaine de mots hier au bord du chemin, mais laconnaissons-nous ? Notre ami, avec son infinie variété etflexibilité, nous le connaissons, mais pouvons-nous ledécrire ?

Sur le premier, nous pouvons greffer des qualités secondaires etd’imagination, même, il est possible, des vices. Du second, couteauen main, nous devons tailler et réduire l’inutile arborescence dela nature, mais le tronc et le peu de branches qui restent, nousdevons au moins en être noblement sûrs.

Par une froide matinée de septembre, à côté d’un feu pétillant,et la pluie tambourinant sur ma fenêtre, je commençai leCuisinier du bord.

C’était le titre original.

J’ai entrepris, et fini, nombre d’autres livres, mais je ne peuxpas me rappeler m’être attablé devant l’un de mes manuscrits avecplus de complaisance.

Ce n’est pas merveilleux, car « eaux volées sontdouces », dit le proverbe.

J’arrive maintenant à un chapitre pénible.

Nul doute que le perroquet a appartenu à Robinson Crusoé.

J’en tiens peu de compte ; ce sont des bagatelles et desdétails ; et aucun homme ne peut penser avoir un monopole dessquelettes ou la spécialité de faire parler les oiseaux.

La palissade, m’a-t-on dit, est empruntée au capitaineMarryat[12] .

Cela peut être, je m’en soucie peu.

Ces utiles écrivains ont accompli le dire du poète ; enpartant, ils ont laissé derrière eux la trace de leurs pas impriméssur les sables du temps, traces que peut-être un autre… et je fuscet autre !

C’est ma dette à Washington Irving qui éveille mes scrupules, etavec justice, car je crois que le plagiat fut rarement poussé plusloin.

J’eus la chance de dépouiller les Contes d’unvoyageur[13] il y a quelques années, en vued’une anthologie de prose narrative, et le livre déborda en moi etme frappa.

Billy Bones, son coffre, la compagnie dans le parloir, toutl’esprit du livre et une bonne quantité des détails matériels demes premiers chapitres, tous étaient la propriété de WashingtonIrving.

Mais je ne m’en souciais guère quand je m’assis près de mon feuoù semblaient souffler les effluves du printemps d’une inspirationquelque peu terre à terre, ni non plus chaque jour, quand, après lelunch, je lisais à haute voix mon travail du matin à mafamille.

Il me semblait original comme le péché ; il semblaitm’appartenir comme mon œil droit.

J’avais compté sur mon gosse, je me trouvais en avoir deux dansmon auditoire.

Mon père prit feu soudain avec tout le romantisme infantile desa nature originale.

Ses histoires, que chaque nuit de sa vie il se contait,lui-même, pour s’endormir, traitent perpétuellement de bateaux,d’auberges sur le bord des routes, de vieux matelots et detrafiquants avant l’ère de la vapeur.

Il n’a jamais fini un de ses romans !

L’heureux homme n’avait pas besoin de les finir ! Mais,dans L’Île au Trésor, il reconnut quelque chose qui étaitapparenté à sa propre imagination : c’était sa manière dedépeindre ; et non seulement il entendit avec plaisir monchapitre quotidien, mais s’offrit lui-même à collaborer.

Quand le moment vint où l’on saccage le coffre de Billy Bones,il doit avoir passé la plus grande partie du jour à préparer, surle dos d’une enveloppe juridique, un inventaire de son contenu queje reproduis exactement ; et c’est à sa requête personnelleque le nom du vieux navire de Flint – le Walrus – lui futattribué.

Et, maintenant, qui vient jouer le Deus exmachina ?

Le Dr Japp en personne, comme le prince déguisé qui doit tirerle rideau sur la paix et à l’heureuse apothéose du dernieracte ; car il apportait dans sa poche, non pas une corne ou untalisman, mais un éditeur.

Même la cruauté d’une famille unie recula devant l’extrêmedureté d’infliger à notre hôte les membres mutilés du Cuisinierdu bord.

En même temps, nous ne voulions en aucune façon arrêter noslectures ; et, en conséquence, l’histoire fut recommencéeencore du commencement et solennellement relue au bénéfice du DrJapp.

Depuis ce moment, j’ai hautement pensé de ses facultés decritique ; car, lorsqu’il nous quitta, il emportait dans savalise le manuscrit pour le soumettre à son ami (depuis lors lemien), M. Henderson. Celui-ci l’accepta pour son périodiquePour les Jeunes.

Il y avait donc tout pour m’encourager : sympathie, aide,et maintenant un engagement positif.

En outre, j’avais choisi le style le plus facile.

Comparez-le avec les Hommes Joyeux, presquecontemporains.

Un lecteur pourra préférer le style de celui-ci, un autre decelui-là – c’est une affaire de goût, peut-être de prédispositions– mais nul connaisseur ne peut manquer de voir que l’un estbeaucoup plus difficultueux et l’autre beaucoup plus difficile àsoutenir.

Il semble qu’un homme de lettres expérimenté puisse s’engager àrédiger L’Île au Trésor à raison de beaucoup de pages parjour et en gardant sa pipe allumée.

Mais, hélas ! tel n’était pas mon cas.

Quinze jours je bûchai et écrivis quinze chapitres ; etalors, dans les premiers paragraphes du seizième, je perdisignominieusement le fil.

Ma bouche était vide. Il n’y avait pas un mot de L’Île au Trésordans ma poitrine, et les épreuves du début m’attendaient à« la Main et la Lance » !

Puis, je les corrigeai, vivant la plupart du temps seul,déambulant sur la bruyère, à Weybridge, les matins humidesd’automne, très satisfait de ce que j’avais fait et plus inquietque je ne peux vous dire de ce qui me restait à faire.

J’avais trente et un ans.

J’étais le chef de la famille.

J’avais perdu ma santé.

Je n’avais pas encore achevé mes études.

Je n’avais jamais gagné deux cents livres par an.

Mon père avait tout à fait récemment vendu et publié un livrequi fut un échec. Serait-ce pour moi un autre et dernierfiasco ?

J’étais par suite très près du désespoir ; mais je fermaiavec force ma bouche et, durant un voyage à Davos, où je passail’hiver, je résolus de penser à d’autres choses et de m’enterrerdans les romans de M. du Boisgobey.

Arrivé à destination, je m’assis un matin avec abattement devantmon récit inachevé ; et voilà, il jaillit de moi comme unefacile conversation ; et dans une seconde marée de joyeuxépanchement, et toujours au taux d’un chapitre par jour, je finisL’Île au Trésor.

Il fallait en faire une copie fidèle.

Ma femme était malade ; l’écolier restait seul descroyants ; John Addington Symonds (à qui, timidement,j’insinuai que j’avais pris des engagements) me regarda detravers.

À ce moment, il désirait très ardemment que j’écrivisse sur lescaractères de Théophraste, tant vont loin au-delà du raisonnableles jugements des hommes les plus savants. Mais Symonds (à direvrai) était peu porté à être pris de sympathie pour une histoire degosses.

Il avait un esprit large.

C’était « un homme complet » s’il en est un ;mais le vrai nom de mon entreprise ne lui suggérait que l’idée decapitulations de conscience et de solécismes de style.

Hélas ! il n’était pas loin de la vérité !

L’Île au Trésor – ce fut M. Henderson qui effaçale premier titre, Le Cuisinier du bord – parut comme ilconvenait, dans le journal Pour les Enfants, dans unignoble mélange sans gravures et n’attira pas la moindreattention.

Je m’en souciai peu.

J’aimais le récit que j’avais écrit beaucoup pour la raison quil’avait fait aimer à mon père dès le commencement.

C’était mon goût du pittoresque qui l’emportait.

Je n’étais pas peu orgueilleux de John Silver, aussi ; et,à ce moment, j’admirais plutôt ce mielleux et formidableaventurier.

Ce qui était infiniment plus réjouissant, j’avais franchi unebarrière, j’avais fini un roman et écrit le mot « Fin »sur mon manuscrit, comme je ne l’avais pas fait depuis LaRévolte de Pentland, alors que j’étais un jeune garçon deseize ans, pas encore entré au collège.

En vérité, il en était ainsi par un assemblage d’heureuxaccidents. Si le Dr Japp n’était pas venu nous visiter ; si lerécit n’avait pas jailli en moi avec une singulière facilité, ilaurait été laissé de côté comme ses prédécesseurs et aurait trouvésans détours et sans regrets le chemin du feu. Les puristespourront suggérer qu’il en aurait été mieux ainsi.

Je ne suis pas de cet avis.

Le roman semble avoir procuré beaucoup de plaisir et il a fourni(ou était un moyen de fournir) du feu, des aliments et du vin à unefamille méritante à laquelle je prenais intérêt.

Je n’ai pas besoin de dire que je parle de la mienne.

Mais les aventures de L’Île au Trésor ne sont pasencore tout à fait finies.

Je l’avais écrit sur la carte.

La carte était la principale partie de mon sujet. Par exemple,j’avais appelé un îlot « l’île au squelette », ne sachantpas ce que je voulais dire, recherchant seulement le pittoresqueimmédiat, et c’est pour justifier ce nom que je fracturai lagalerie de M. Poe et volai la Pointe de garcette Flint.

Et, de la même manière, c’était uniquement parce que j’avaisdessiné deux baies que l’Hispaniola fut envoyée dans sesrandonnées avec Israël Hands.

Le temps vint où il fut décidé de rééditer, et j’envoyai monmanuscrit avec la carte à M. M. Cassell.

Les épreuves vinrent, elles étaient corrigées, mais je ne susrien de la carte.

J’écrivis et demandai ; je dis que je ne l’avais jamaisreçue, et restai consterné.

C’est une chose de dessiner une carte au hasard ; de poserune échelle dans une de ses cornes à l’aventure et d’écrire unehistoire sur les choses ainsi préétablies.

C’en est tout à fait une autre d’avoir à examiner un livreentier, de faire un inventaire de toutes les allusions qu’ilcontient et, avec un compas, de dessiner avec beaucoup de peine unecarte pour se conformer aux données.

Je le fis ; et la carte fut une seconde fois dessinée dansle bureau de mon père, avec embellissements de baleines soufflantet de vaisseaux voguant, et mon père lui-même apporta le concoursde la dextérité qu’il avait obtenue dans des contrées variées etcontrefit avec soin la signature du capitaine Flint et lesindications nautiques de Billy Bones.

Mais, d’une façon ou d’une autre, ce ne fut jamais mon Îleau Trésor.

J’ai dit que la carte était pour moi le principal del’intrigue.

Je dois aussi dire qu’elle en était tout le sujet.

Quelques ressouvenirs de Poe, de de Foe et de Washington Irving,un exemplaire des Boucaniers de Johnson, le nom du« Coffre de l’Homme mort » de À la fin deKingsley, quelques descriptions de canotage sur les hautes mers etla carte elle-même, avec son infinie, son éloquente suggestion,cela composait entièrement mes matériaux.

Il est peut-être rare qu’une carte figure de façon aussi longuedans un roman, si importante qu’elle y soit.

L’auteur doit connaître les côtes de son pays, ou réelles ouimaginaires ; il doit les connaître comme sa main.

Les distances, les points de la boussole, la place où le soleilse lève, la marche de la lune seront au-dessus de l’hésitation.

Et combien troublante est la lune ! J’en suis arrivé àdiscuter sur la lune dans le Prince Otto, et ainsi,aussitôt que cela me fut signalé, j’adoptai une précaution que jerecommande aux autres : je n’écris jamais maintenant sans unalmanach.

Avec un almanach et la carte du pays, et le plan de chaquemaison, ou concerté sur papier ou immédiatement saisi par lapensée, on peut espérer éviter quelques-unes des plus grosseserreurs possibles.

La carte devant soi, on permettra difficilement au soleil de secoucher à l’est, comme cela arrive dans L’Antiquaire.

L’almanach à la main, on permettra difficilement à deux chevaux,voyageant pour l’affaire la plus urgente, d’employer six jours,depuis trois heures du lundi matin jusque tard dans la nuit dusamedi, à un voyage de 90 à 100 milles, et avant que la semainesoit terminée et aux mêmes chevaux de couvrir 50 milles par jour,comme on peut lire tout au long dans l’inimitable roman de RobRoy.

Et il est certainement bien, quoique ce soit loin d’êtrenécessaire, d’éviter semblables « bûches ». Mais c’estmon système – ma superstition, si vous voulez, – que celui qui estplein de foi dans sa carte, la consulte et tire d’elle soninspiration, journellement et à toute heure, y gagne un soutienpositif, et non pas une simple immunité négative contre lesaccidents.

Le roman y a une racine ; il pousse dans le sol ; il aune carcasse qui est à lui, derrière les mots.

Bien mieux si la contrée est réelle et si l’auteur en a parcouruchaque pied et connaît chaque borne des routes ! Mais, mêmedans des sites imaginaires, il fera bien, dès le commencement, dese procurer une carte.

Comme il l’étudiera, des rapports apparaîtront auxquels iln’avait pas pensé ; il découvrira, visibles bienqu’insoupçonnées, pistes et empreintes pour ses messagers.

Même quand une carte n’est pas tout le plan, comme c’était lecas dans L’Île au Trésor, ce sera une mine desuggestions.

Robert Louis STEVENSON.

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