Actes et paroles – Depuis l’exil de Victor Hugo

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SÉANCE DU 9 MARS

M. LE PRÉSIDENT.-Messieurs, je regrette profondément que notre illustre col- lègue, M. Victor Hugo, n’ait pas cru pouvoir se rendre aux instances d’un grand nombre de nos collègues, et, je crois pouvoir le dire, au sentiment général de l’As- semblée. ( Oui ! oui !-Très bien ! ) Il persiste dans la démission qu’il m’a remise hier au soir, et dont il ne me reste, à mon grand regret, qu’à donner connaissance à l’Assemblée :

La voici :

« Il y a trois semaines, l’Assemblée a refusé d’entendre Garibaldi ; aujourd’hui elle refuse de m’entendre. Cela me suffit.

« Je donne ma démission.

« VICTOR HUGO. »

8 mars 1871.

La démission sera transmise à M. le ministre de l’intérieur.

M. LOUIS BLANC.-Je demande la parole.

M. LE PRÉSIDENT.-M. Louis Blanc a la parole.

M. LOUIS BLANC.-Messieurs, je n’ai qu’un mot à dire.

A ceux d’entre nous qui sont plus particulièrement en communion de senti- ments et d’idées avec Victor Hugo, il est commandé de dire bien haut de quelle douleur leur âme a été saisie….

Voix à gauche .-Oui ! oui ! c’est vrai !

M. LOUIS BLANC.-En voyant le grand citoyen, l’homme de génie dont la France est fière, réduit à donner sa démission de membre d’une Assemblée française….

Voix à droite .-C’est qu’il l’a bien voulu.

M. LE DUC DE MARMIER.-C’est par sa volonté !

M. LOUIS BLANC.-C’est un malheur ajouté à tant d’autres malheurs … ( mou- vements divers ) que cette voix puissante ait été étouffée ( Réclamations sur un
grand nombre de bancs. )

M. DE TILLANCOURT.-La voix de M. Victor Hugo a constamment été étouffée !

Plusieurs membres .-C’est vrai ! c’est vrai !

M. LOUIS BLANC.-Au moment où elle proclamait la reconnaissance de la patrie pour d’éminents services.

Je me borne à ces quelques paroles. Elles expriment des sentiments qui, j’en suis sûr, seront partagés par tous ceux qui chérissent et révèrent le génie combat- tant pour la liberté. ( Vive approbation sur plusieurs bancs à gauche. )

M. SCHŒLCHER.-Louis Blanc, vous avez dignement exprimé nos sentiments à tous.

A gauche .-Oui ! oui !-Très bien !

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Caprera, 11 avril 1870.

« Mon cher Victor Hugo,

« J’aurais dû plus tôt vous donner un signe de gratitude pour l’honneur im- mense dont vous m’avez décoré à l’Assemblée de Bordeaux.

« Sans manifestation écrite, nos âmes se sont cependant bien entendues, la vôtre par le bienfait, et la mienne par l’amitié et la reconnaissance que je vous consacre depuis longtemps.

« Le brevet que vous m’avez signé à Bordeaux suffit à toute une existence dé- vouée à la cause sainte de l’humanité, dont vous êtes le premier apôtre.

« Je suis pour la vie,

« Votre dévoué,

« GARIBALDI. »

VI MORT DE CHARLES HUGO
Ce qui suit est extrait du Rappel du mercredi 15 mars :

« Une affreuse nouvelle nous arrive de Bordeaux : notre collaborateur, notre compagnon, notre ami Charles Hugo, y est mort lundi soir.

« Lundi matin, il avait déjeuné gaîment avec son père et Louis Blanc. Le soir, Victor Hugo donnait un dîner d’adieu à quelques amis, au restaurant Lanta. A huit heures, Charles Hugo prend un fiacre pour s’y faire conduire, avec ordre de des- cendre d’abord à un café qu’il indique. Il était seul dans la voiture. Arrivé au café, le cocher ouvre la portière et trouve Charles Hugo mort.

« Il avait eu une congestion foudroyante suivie d’hémorrhagie.

« On a rapporté ce pauvre cadavre à son père, qui l’a couvert de baisers et de larmes.

« Charles Hugo était souffrant depuis quelques semaines. Il nous écrivait, le sa- medi 11, samedi dernier :

« Je vous envoie peu d’articles, mais ne m’accusez pas. Un excellent médecin que j’ai trouvé ici m’a condamné au repos. J’ai, paraît-il, un « emphysème pul- monaire ! »avec un petit point hypertrophié au cœur. Le médecin attribue cette maladie à mon séjour à Paris pendant le siége….

« Je vais mieux pourtant. Mais il faut que je me repose encore. J’irai passer une semaine à Arcachon. Je pense pouvoir retourner ensuite à Paris et reprendre mon travail. »

« Victor Hugo devait l’accompagner à Arcachon. Charles se faisait une joie de rester là quelques jours en famille avec son père, sa jeune femme et ses deux pe- tits enfants ; le départ était fixé au lendemain matin…. Et le voilà mort ! Le voilà mort, ce vaillant et généreux Charles, si fort et si doux, d’un si haut esprit, d’un si puissant talent !

« Et Victor Hugo, après ces dix-neuf ans d’exil et de lutte suivis de ces six mois de guerre et de siége, ne sera rentré en France que pour ensevelir son fils à côté de sa fille, et pour mêler à son deuil patriotique son deuil paternel. »

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ENTERREMENT DE CHARLES HUGO

(18 mars.)

« Une foule considérable et profondément émue se pressait hier à la gare d’Or- léans, où, comme tous les journaux l’avaient annoncé, le cercueil du collabora- teur, de l’ami, que nous pleurons était attendu vers midi.

« A l’heure dite, on a vu paraître le corbillard, derrière lequel marchaient, le vi- sage en larmes, Victor Hugo et son dernier fils, François-Victor, puis MM. Paul Meurice, Auguste Vacquerie, Paul Foucher et quelques amis intimes.

« Ceux qui étaient venus témoigner leur sympathie attristée au grand poëte si durement frappé et au vaillant journaliste parti si jeune se sont joints à ce doulou- reux cortège, et le corbillard s’est dirigé vers le cimetière du Père-Lachaise.

« Il va sans dire qu’il n’a passé par aucune église.

« D’instant en instant, le cortège grossissait. « Place de la Bastille, il y a eu une chose touchante. Trois gardes nationaux, reconnaissant Victor Hugo, se sont mis aussitôt aux côtés du corbillard et l’ont escorté, fusil sous le bras. D’autres gardes nationaux ont suivi leur exemple, puis d’autres, et bientôt ils ont été plus d’une centaine, et ils ont formé une haie d’honneur qui a accompagné jusqu’au cime- tière notre cher et regretté camarade.

« Un moment après, un poste de gardes nationaux, très nombreux à cause des événements de la journée, apprenant qui l’on enterrait, a pris les fusils, s’est mis en rang et a présenté les armes ; les clairons ont sonné, les tambours ont battu aux champs, et le drapeau a salué.

« Ç’a été la même chose sur tout le parcours. Rien n’était touchant comme de voir, sur le canal, dans les rues et le long du boulevard, tous les postes accourir, et, spontanément, sans mot d’ordre, rendre hommage à quelqu’un qui n’était ni le chef du pouvoir exécutif ni le président de l’Assemblée et qui n’avait qu’une autorité morale. Cet hommage était aussi intelligent que cordial ; quelques cris de Vive la République ! et de Vive Victor Hugo ! échappés involontairement, étaient vite contenus par le respect de l’immense malheur qui passait.

« Çà et là on entrevoyait des barricades. Et ceux qui les gardaient, venaient, eux aussi, présenter les armes à cette gloire désespérée. Et on ne pouvait s’empêcher de se dire que ce peuple de Paris si déférent, si bon, si reconnaissant, était celui dont les calomnies réactionnaires font une bande de pillards !

« A la porte du cimetière et autour du tombeau, la foule était tellement com- pacte qu’il était presque impossible de faire un pas.

« Enfin on a pu arriver au caveau où dormaient déjà le général Hugo, la mère de Victor Hugo et son frère Eugène. Le cercueil a pris la quatrième et dernière place, celle que Victor Hugo s’était réservée, ne prévoyant pas que le fils s’en irait avant le père ! »

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Deux discours ont été prononcés. Le premier par M. Auguste Vacquerie. Nous en avons retenu les passages suivants :

« Citoyens,

« Dans le groupe de camarades et de frères que nous étions, le plus robuste, le plus solide, le plus vivant était celui qui est mort le premier. Il est vrai que Charles Hugo n’a pas économisé sa vie. Il est vrai qu’il l’a prodiguée. A quoi ? Au devoir, à la lutte pour le vrai, au progrès, à la république.

« Et, comme il n’a fait que les choses qui méritent d’être récompensées, il en a été puni.

« Il a commencé par la prison. Cette fois-là, son crime était d’avoir attaqué la guillotine. Il faut bien que les républicains soient contre la peine de mort, pour être des buveurs de sang. Alors, les juges l’ont condamné à je ne sais plus quelle amende et à six mois de Conciergerie, Il y était pendant l’abominable crime de Décembre. Il n’en est sorti que pour sortir de France. Après la prison, l’exil.

« Jersey, Guernesey et Bruxelles l’ont vu pendant vingt ans, debout entre son père et son frère, exilé volontaire, s’arrachant à sa patrie, mais ne l’oubliant pas, travaillant pour elle. Quel vaillant et éclatant journaliste il a été, tous le savent. Un jour enfin, la cause qu’il avait si bravement servie a été gagnée, l’empire a glissé dans la boue de Sedan, et la république est ressuscitée. Celui qui avait dit :

Et, s’il n’en reste qu’un, je serai celui-là.

a pu rentrer sans manquer à son serment. Charles est rentré avec son père. On pouvait croire qu’il allait maintenant être heureux ; il avait tout, sa patrie, la répu- blique, un nom illustre, un grand talent, la jeunesse, sa femme qu’il adorait, deux petits enfants ; il voyait s’ouvrir devant lui le long avenir de bonheur, de bien-être et de renommée qu’il avait si noblement gagné. Il est mort.

« Il y a des heures où la destinée est aussi lâche et aussi féroce que les hommes, où elle se fait la complice des gouvernements et où elle semble se venger de ceux qui font le bien. Il n’y a pas de plus sombre exemple de ces crimes du sort que le glorieux et douloureux père de notre cher mort. Qu’a-t-il fait toute sa vie, que d’être le meilleur comme le plus grand ? Je ne parle pas seulement de sa bonté in- time et privée ; je parle surtout de sa bonté publique, de ses romans, si tendres à tous les misérables, de ses livres penchés sur toutes les plaies, de ses drames dé- diés à tous les déshérités. A quelle difformité, à quelle détresse, à quelle infériorité a-t-il jamais refusé de venir en aide ? Tout son génie n’a eu qu’une idée : consoler. Récompense : Charles n’est pas le premier de ses enfants qu’il perd de cette façon tragique. Aujourd’hui, c’est son fils qu’il perd brusquement, en pleine vie, en plein bonheur. Il y a trente ans, c’était sa fille. Ordinairement un coup de foudre suffit. Lui, il aura été foudroyé deux fois.

« Qu’importe, citoyens, ces iniquités de la destinée ! Elles se trompent si elles croient qu’elles nous décourageront. Jamais ! Demandez à celui que nous venons d’apporter dans cette fosse. N’est-ce pas, Charles, que tu recommencerais ?

« Et nous, nous continuerons. Sois tranquille, frère, nous combattrons comme toi jusqu’à notre dernier souffle. Aucune violence et aucune injustice ne nous fera renoncer à la vérité, au bien, à l’avenir, pas plus celles des événements que celles des gouvernements, pas plus la loi mystérieuse que la loi humaine, pas plus les malheurs que les condamnations, pas plus le tombeau que la prison !

« Vive la république universelle, démocratique et sociale ! »

Voici également quelques-unes des paroles prononcées, au nom de la presse de province, par M. Louis Mie :

« Chers concitoyens,

« Si ma parole, au lieu d’être celle d’un humble et d’un inconnu, avait l’autorité que donne le génie, qu’assurent d’éclatants services et que consacre un exil de vingt années, j’apporterais à la tombe de Charles Hugo l’expression profondément vraie de la reconnaissance que la province républicaine tout entière doit à cette armée généreuse qu’on nomme dans le monde, la presse républicaine de Paris. Charles marchait aux premiers rangs de ces intrépides du vrai, que tout frappe, mais que console le devoir accompli.

« C’est à l’heure où d’étroites défiances semblent vouloir nous séparer, nous qui habitons les départements, et nous isoler de la ville sœur aînée des autres cités de France, que nous sentons plus ardemment ce que nous lui devons d’amour à ce Paris qui, après nous avoir donné la liberté, nous a conservé l’honneur.

« Je n’ai pas besoin de rappeler quelle large part revient à Charles Hugo dans cette infatigable et sainte prédication de la presse parisienne. Je n’ai pas à retracer l’œuvre de cette vie si courte et si pleine. Je n’en veux citer qu’une chose : c’est qu’il est entré dans la lutte en poussant un cri d’indignation contre un attentat à l’inviolabilité de la vie humaine. Il avait tout l’éclat de la jeunesse et toute la solidité de la conviction. Il avait les deux grandes puissances, celle que donne le talent et celle que donne la bonté.

« Charles Hugo, vous aviez partout, en province comme à Paris, des amis et des admirateurs. Il y a des fils qui rapetissent le nom de leur père ; ce sera votre éternel honneur à vous d’avoir ajouté quelque chose à un nom auquel il semblait qu’on ne pût ajouter rien. »

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On lit dans le Rappel du 21 mars :

« Victor Hugo n’a guère fait que traverser Paris. Il est parti, dès mercredi, pour Bruxelles, où sa présence était exigée par les formalités à remplir dans l’intérêt des deux petits enfants que laisse notre regretté collaborateur.

« On sait que c’est à Bruxelles que Charles Hugo a passé les dernières années de l’exil. C’est à Bruxelles qu’il s’est marié et que son petit garçon et sa petite fille sont nés.

« Aussitôt que les prescriptions légales vont être remplies, et que l’avenir des mineurs va être réglé, Victor Hugo reviendra immédiatement à Paris. »

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