Actes et paroles – Depuis l’exil de Victor Hugo

Chapitre 7

NOTE I. ÉLECTIONS DU 8 FÉVRIER 1871 SEINE
Liste complète des représentants élus . Électeurs inscrits : 545,605.

  1. Louis Blanc 216,471
  2. Victor Hugo 214,169
  3. Garibaldi 200,065
  4. Edgar Quinet 169,008
  5. Gambetta 191,211
  6. Henri Rochefort 193,248
  7. Amiral Saisset 154,347
  8. Ch. Delescluze 153,897
  9. P. Joigneaux 153,314
  10. Victor Schoelcher 149,918
  11. Félix Pyat 141,118
  12. Henri Martin 139,155
  13. Amiral Pothuau 138,122
  14. Édouard Lockroy 134,635
  15. F. Gambon 129,573
  16. Dorian 128,197 17. Ranc 126,572 18. Malon 117,253
  17. Henri Brisson 115,710
  18. Thiers 102,945
  19. Sauvage 102,690
  20. Martin Bernard 102,188
  21. Marc Dufraisse 101,192
  22. Greppo 101,001
  23. Langlois 95,756
  24. Général Frébault 95,235
  25. Clémenceau 95,048
  26. Vacherot 94,394
  27. Jean Brunet 93,345
  28. Charles Floquet 93,438
  29. Cournet 91,648
  30. Tolain 89,160
  31. Littré 87,780
  32. Jules Favre 81,126
  33. Arnaud (de l’Ariége) 79,710
  34. Ledru-Rollin 76,736
  35. Léon Say 75,939
  36. Tirard 75,178
  37. Razona 74,415
  38. Edmond Adam 73,217
  39. Millière 73,145
  40. A. Peyrat 72,243
  41. E. Farcy 69,798

NOTE II. VICTOR HUGO A BORDEAUX.
(Extrait de la Gironde, 16 février 1871. )

A l’issue de la séance, des groupes nombreux stationnaient autour du palais de l’Assemblée, qui était protégé par un cordon de garde nationale. Chaque député, à sa sortie, a été accueilli par le cri de : Vive la république !

Les acclamations ont redoublé lorsque Victor Hugo, qui avait assisté à la séance, est arrivé à son tour sur le grand perron. A partir de ce moment, les vivats en l’hon- neur du grand poëte des Châtiments ont alterné avec les vivats en l’honneur de la république.

Cette ovation, à laquelle la garde nationale elle-même a pris part, s’est prolon- gée sur tout le passage de Victor Hugo, qui, du geste et du regard, répondait aux acclamations de la foule.

NOTE III. DÉMISSION DE VICTOR HUGO.
Nous reproduisons, en les atténuant, les appréciations des principaux écrivains politiques présents à Bordeaux, sur la séance où Victor Hugo a dû donner sa dé- mission.

Bordeaux, 8 mars (5 heures 1/2).

A la dernière minute, quelques mots en hâte sur l’événement qui met l’Assem- blée et la ville en rumeur.

Victor Hugo vient de donner sa démission. Voici comment et pourquoi.
La vérification des pouvoirs en était arrivée aux élections de l’Algérie. La nomi- nation de Gambetta à Oran et celle de M. Mocquard à Constantine venaient d’être validées.

Pour l’élection de Garibaldi à Oran, le rapporteur proposait l’annulation, at- tendu que « Garibaldi n’est pas français ».

Applaudissements violents à droite.

Le président dit :-Je mets l’annulation aux voix. Personne ne demande la pa- role ?

-Si fait, moi ! dit Victor Hugo.

Profond silence.-Victor Hugo a parlé admirablement, avec une indignation calme, si ces deux mots peuvent s’allier. Le Moniteur vous portera ses paroles exactes ; je les résume tant bien que mal :

-La France, a-t-il dit, vient de passer par des phases terribles, dont elle est sortie sanglante et vaincue ; elle n’a rencontré que la lâcheté de l’Europe. La France a toujours pris en main la cause de l’Europe, et pas un roi ne s’est levé pour elle, pas une puissance. Un homme seul est intervenu, qui est une puissance aussi. Son épée, qui avait déjà délivré un peuple, voulait en sauver un autre. Il est venu, il a combattu….

-Non ! non ! crie la droite furieuse. Non ! il n’a pas combattu ! Et des insultes pour Garibaldi.
-Allons ! riposte Victor Hugo, je ne veux offenser ici personne ; mais, de tous les généraux français engagés dans cette guerre, Garibaldi est le seul qui n’ait pas été vaincu !

Là-dessus, épouvantable tempête. Cris : A l’ordre ! à l’ordre ! Dans un intervalle entre deux ouragans, Victor Hugo reprend :
-Je demande la validation de l’élection de Garibaldi.

Cris de la droite plus effroyables encore :-A l’ordre ! à l’ordre ! Nous voulons que le président rappelle M. Victor Hugo à l’ordre.

Le général Ducrot se fait remarquer parmi les plus bruyants.

Le président.-Je demande à M. Victor Hugo de vouloir bien s’expliquer. Je rap- pellerai à l’ordre ceux qui l’empêcheront de parler. Je suis juge du rappel à l’ordre.

Le tumulte est inexprimable. Victor Hugo fait de la main un geste ; on se tait ; il dit :

-Je vais vous satisfaire. Je vais même aller plus loin que vous. Il y a trois se- maines, vous avez refusé d’entendre Garibaldi ; aujourd’hui vous refusez de m’en- tendre ; je donne ma démission.

Stupeur et consternation à droite. Le général Ducrot croit injurier Garibaldi en disant qu’il est venu défendre, non la France, mais la République.

Cependant le président annonce « que M. Victor Hugo vient de lui faire remettre une lettre par laquelle il donne sa démission ».

-Est-ce que M. Victor Hugo persiste ? demande-t-il.

-Je persiste, dit Victor Hugo.

-Non ! non ! lui crie-t-on maintenant à droite. Mais il répète :-Je persiste.
Et le président reprend :-Je ne lirai néanmoins cette lettre qu’à la séance de de- main.

Séance du 8.

Je vous ai jeté, à la dernière minute, quelques mots sur l’événement qui était la rumeur d’hier et qui est encore la rumeur d’aujourd’hui,-la démission de Victor Hugo.

Si vous aviez assisté à ce moment de la séance, aux vociférations de la réaction, à sa rage, à son épilepsie, comme vous approuveriez le grand orateur de n’être pas resté là !

Victor Hugo avait dit que Garibaldi était le seul de nos généraux qui n’eût pas été battu. Notez que c’est rigoureusement exact,-et que ce n’est pas injurieux pour les quelques généraux énergiques, mais malheureux, qui n’ont pas à rougir de n’avoir pas réussi. Et ; en effet, quand la majorité a hurlé : « Vous insultez nos géné- raux ! »Chanzy, Jauréguiberry, l’amiral La Roncière, etc., ont fait signe que non, et il n’y a eu que deux généraux parfaitement inconnus, et un troisième trop connu par son serment-M. Ducrot-qui se soient déclarés offensés.

Lorsque Victor Hugo a dit que Garibaldi était venu avec son épée …-un vieux rural a ajouté :-Et Bordone ! Ce vieux rural s’appelle M. de Lorgeril.

Victor Hugo : « Garibaldi est venu, il a combattu »Toute la majorité : « Non !
non ! »Donc ils ne veulent même pas que Garibaldi ait combattu. On se demande s’ils comprennent ce qu’ils disent.

Il s’est trouvé un rural pour cette interruption : « Faites donc taire M. Victor Hugo ; il ne parle pas français. »

Au paroxysme du tumulte, il fallait voir le dédain et l’impassibilité de l’orateur attendant, les bras croisés, la fin de ce vacarme inférieur.

Vous allez avoir de la peine à me croire ; eh bien, quand Victor Hugo a donné sa démission, même cette majorité-là a senti, ce dont je l’aurais crue incapable, qu’en perdant l’éternel poëte des Châtiments , elle perdait quelque chose. M. Grévy ayant demandé si Victor Hugo persistait dans sa démission, il y a eu sur tous les bancs des voix qui ont crié : Non ! non !

Victor Hugo a persisté. Et comme il a eu raison ! Qu’il retourne à Paris, et qu’il laisse cette majorité parfaire toute seule ce qu’elle a si bien commencé en livrant à la Prusse Strasbourg et Metz.

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La validation des élections a eu son cours. J’allais me retirer, quand tout à coup Victor Hugo apparaît à la tribune. Quelle que soit l’opinion de M. Victor Hugo comme homme politique, il est un fait incontestable, c’est qu’il est un puissant esprit, le plus grand poëte de France, et qu’à ce titre il a droit au respect d’une assemblée française, et doit tout au moins être écouté d’elle. C’est au milieu des hurlements, des cris, d’un tumulte indescriptible, du refus de l’écouter, que M. Victor Hugo est resté une bonne demi-heure à la tribune. Il s’agissait de l’élection de Garibaldi à Alger. On voulait l’écarter parce qu’il n’a pas la qualité de français.

« La France accablée, mutilée en présence de toute l’Europe, n’a rencontré que la lâcheté de l’Europe. Aucune puissance européenne ne s’est levée pour défendre la France, qui s’était levée tant de fois pour défendre l’Europe. Un homme est intervenu. (Ici les murmures commencent.) Cet homme est une puissance. (A droite, grognements.) Cet homme, qu’avait-il ? (Rires des cacochymes.) Une épee.

Cette épee avait délivré un peuple. (La voix de l’orateur, si forte, est couverte par les violentes apostrophes de la majorité.) Elle pouvait en sauver un autre. (Déné- gations frénétiques, jeunes et vieux se lèvent ivres de colère.) Enfin cet homme a combattu. (Ici l’orage crève. C’est un torrent. La voix du président est étouffée ; le bruit de la clochette n’arrive pas jusqu’à nous, et pourtant elle est agitée avec vi- gueur. On n’entend plus que ces mots : Ce n’est pas vrai, c’est un lâche ! Garibaldi ne s’est jamais battu ! Enfin le président saisit un moment de calme relatif et, avec colère, lance une dure apostrophe à cette assemblée que l’intolérance aveugle. Hugo, calme et serein, les mains dans les poches, laisse passer l’orage.)

« Je ne veux blesser personne. Il est le seul des généraux qui ont lutté pour la France qui n’ait pas été vaincu. »(A ces mots la rage déborde : A l’ordre ! à la porte ! Qu’il ne parle plus ! Nous ne voulons plus l’entendre ! Tels sont les cris qui s’échangent au milieu d’une exaspération croissante.)

Hugo se croise les bras et attend. Le président refuse de rappeler l’orateur à l’ordre. Hugo, alors, avec une grande dignité : « Il y a trois semaines, vous avez refusé d’entendre Garibaldi-(Vous mentez ; tout le monde sait que ce n’est pas vrai ! lui crie-t-on),-aujourd’hui vous refusez de m’entendre, je me retire. »

Alors Ducrot s’élance à la tribune et demande une enquête pour savoir si Gari- baldi est venu défendre la France ou la République universelle.-Il est accueilli par des hourrahs de : Oui, oui.

Le président, consterné, demande publiquement à Hugo de retirer la lettre par laquelle il donne sa démission. Sollicité vivement par quelques amis, Hugo ré- pond avec fermeté : Non ! non ! non !

L’Assemblée comprend l’acte ridicule qu’elle a commis et le président demande de ne lire cette lettre que demain.

Les hommes de cœur et d’intelligence ne peuvent plus rester….-GERMAIN CASSE.

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