Actes et paroles – Depuis l’exil de Victor Hugo

Mais, dans les actes de la Commune, ce n’est pas à l’exagération des principes qu’on a affaire, c’est à leur négation.

Quelquefois même à leur dérision.

De là, la résistance de toutes les grandes consciences.

Non, la ville de la science ne peut pas être menée par l’ignorance ; non, la ville de l’humanité ne peut pas être gouvernée par le talion ; non, la ville de la clarté ne peut pas être conduite par la cécité ; non, Paris, qui vit d’évidence, ne peut pas vivre de confusion ; non, non, non !

La Commune est une bonne chose mal faite.

Toutes les fautes commises se résument en deux malheurs : mauvais choix du moment, mauvais choix des hommes.

Ne retombons jamais dans ces démences. Se figure-t-on Paris disant de ceux qui le gouvernent : Je ne les connais pas ! Ne compliquons pas une nuit par l’autre ; au problème qui est dans les faits, n’ajoutons pas une énigme dans les hommes. Quoi ! ce n’est pas assez d’avoir affaire à l’inconnu ; il faut aussi avoir affaire aux inconnus !

L’énormité de l’un est redoutable ; la petitesse des autres est plus redoutable encore.

En face du géant il faudrait le titan ; on prend le myrmidon !

L’obscure question sociale se dresse et grandit sur l’horizon avec des épaissis- sements croissant d’heure en heure. Toutes nos lumières ne seraient pas de trop devant ces ténèbres.

Je jette ces lignes rapidement. Je tâche de rester dans le vrai historique. Je conclus par où j’ai commencé. Finissons-en.
Dans la mesure du possible, concilions les idées et réconcilions les hommes.

Des deux côtés on devrait sentir le besoin de s’entendre, c’est-à-dire de s’ab- soudre.

L’Angleterre admet des privilèges, la France n’admet que des droits ; là est es- sentiellement la différence entre la monarchie et la république. C’est pourquoi, en regard des privilèges de la cité de Londres, nous ne réclamons que le droit de Paris. En vertu de ce droit, Paris veut, peut et doit offrir à la France, à l’Europe, au monde, le patron communal, la cité exemple.

Paris est la ferme-modèle du progrès.

Supposons un temps normal ; pas de majorité législative royaliste en présence d’un peuple souverain républicain, pas de complication financière, pas d’ennemi sur notre territoire, pas de plaie, pas de Prusse ; la Commune fait la loi parisienne qui sert d’éclaireur et de précurseur à la loi française faite par l’Assemblée. Paris, je l’ai dit déjà plus d’une fois, a un rôle européen à remplir. Paris est un propulseur. Paris est l’initiateur universel. Il marche et prouve le mouvement. Sans sortir de son droit, qui est identique à son devoir, il peut, dans son enceinte, abolir la peine de mort, proclamer le droit de la femme et le droit de l’enfant, appeler la femme au vote, décréter l’instruction gratuite et obligatoire, doter l’enseignement laïque, supprimer les procès de presse, pratiquer la liberté absolue de publicité, d’affi- chage et de colportage, d’association et de meeting, se refuser à la juridiction de la magistrature impériale, installer la magistrature élective, prendre le tribunal de commerce et l’institution des prud’hommes comme expérience faite devant ser- vir de base à la réforme judiciaire, étendre le jury aux causes civiles, mettre en location les églises, n’adopter, ne salarier et ne persécuter aucun culte, proclamer la liberté des banques, proclamer le droit au travail, lui donner pour organisme l’atelier communal et le magasin communal, reliés l’un à l’autre par la monnaie fiduciaire à rente, supprimer l’octroi, constituer l’impôt unique qui est l’impôt sur le revenu ; en un mot abolir l’ignorance, abolir la misère, et, en fondant la cité, créer le citoyen.

Mais, dira-t-on, ce sera mettre un état dans l’état. Non, ce sera mettre un pilote dans le navire.

Figurons-nous Paris, ce Paris-là, en travail. Quel fonctionnement suprême ! quelle majesté dans l’innovation ! Les réformes viennent l’une après l’autre. Paris est l’immense essayeur. L’univers civilisé attentif regarde, observe, profite. La France voit le progrès se construire lentement de toutes pièces sous ses yeux ; et, chaque fois que Paris fait un pas heureux, elle suit ; et ce que suit la France est suivi par l’Europe. L’expérience politique, à mesure qu’elle avance, crée la science poli- tique. Rien n’est plus laissé au hasard. Plus de commotions à craindre, plus de tâtonnements, plus de reculs, plus de réactions ; ni coups de trahison du pouvoir, ni coups de colère du peuple. Ce que Paris dit est dit pour le monde ; ce que Paris fait est fait pour le monde. Aucune autre ville, aucun autre groupe d’hommes, n’a ce privilège. L’ income-tax réussit en Angleterre ; que Paris l’adopte, la preuve sera faite. La liberté des banques, qui implique le droit de papier-monnaie, est en plein exercice dans les îles de la Manche ; que Paris le pratique, le progrès sera admis.
Paris en mouvement, c’est la vie universelle en activité. Plus de force stagnante ou perdue. La roue motrice travaille, l’engrenage obéit, la vaste machine humaine marche désormais pacifiquement, sans temps d’arrêt, sans secousse, sans soubre- saut, sans fracture. La révolution française est finie, l’évolution européenne com- mence.

Nous avons perdu nos frontières ; la guerre, certes, nous les rendra, mais la paix nous les rendrait mieux encore. J’entends la paix ainsi comprise, ainsi pra- tiquée, ainsi employée. Cette paix-là nous donnerait plus que la France redeve- nue France ; elle nous donnerait la France devenue Europe. Par l’évolution eu- ropéenne, dont Paris est le moteur, nous tournons la situation, et l’Allemagne se réveille brusquement prise et brusquement délivrée par les États-Unis d’Europe.

Que penser de nos gouvernants ? avoir ce prodigieux outil de civilisation et de suprématie, Paris, et ne pas s’en servir !

N’importe, ce qui est dans Paris en sortira. Tôt ou tard, Paris Commune s’impo- sera. Et l’on sera stupéfait de voir ce mot Commune se transfigurer, et de redou- table devenir pacifique. La Commune sera une œuvre sûre et calme. Le procédé civilisateur définitif que je viens d’indiquer tout à l’heure sommairement n’admet ni effraction ni escalade. La civilisation comme la nature n’a que deux moyens, infiltration et rayonnement. L’un fait la sève, l’autre fait le jour ; par l’un on croît, par l’autre on voit ; et les hommes comme les choses n’ont que ces deux besoins, la croissance et la lumière.

Vaillants et chers amis, je vous serre la main.

Un dernier mot. Quelles que soient les affaires qui me retiennent à Bruxelles, il va sans dire que si vous jugiez, pour quoi que ce soit, ma présence utile à Paris, vous n’avez qu’à faire un signe, j’accourrais.

V. H.

V L’INCIDENT BELGE
LA PROTESTATION.-L’ATTAQUE NOCTURNE. L’EXPULSION.

§1

Les événements se précipitaient.

La pièce Pas de Représailles , publiée à propos des violences de la Commune, avait été reproduite, on l’a vu, par presque tous les journaux, y compris quelques journaux de Versailles ; elle avait été traduite en anglais, en italien, en espagnol, en portugais (pas en allemand). La presse réactionnaire, voyant là un blâme des actes de la Commune, avait applaudi particulièrement à ces vers :

Quoi ! bannir celui-ci ! jeter l’autre aux bastilles ! Jamais ! Quoi ! déclarer que les prisons, les grilles. Les barreaux, les geôliers ; et l’exil ténébreux, Ayant été mauvais pour nous, sont bons pour eux ! Non, je n’ôterai, moi, la patrie à personne.
Un reste d’ouragan dans mes cheveux frissonne ; On comprendra qu’ancien banni, je ne veux pas Faire en dehors du juste et de l’honnête un pas ; J’ai payé de vingt ans d’exil ce droit austère D’opposer aux fureurs un refus solitaire Et de fermer mon âme aux aveugles courroux ; Si je vois les cachots-sinistres, les verrous, Les chaînes menacer mon ennemi, je l’aime,
Et je donne un asile à mon proscripteur même ; Ce qui fait qu’il est bon d’avoir été proscrit.
Je sauverais Judas si j’étais Jésus-Christ.

Celui qui avait écrit cette déclaration n’attendait qu’une occasion de la mettre en pratique. Elle ne tarda pas à se présenter.

Le 25 mai 1871, interpellé dans la Chambre des représentants de Belgique au sujet de la défaite de la Commune et des événements de Paris, M. d’Anethan, mi- nistre des affaires étrangères, fait, au nom du gouvernement belge, la déclaration qu’on va lire :

M. D’ANETHAN.-Je puis donner à la Chambre l’assurance que le gouvernement saura remplir son devoir avec la plus grande fermeté et avec la plus grande vi- gilance ; il usera des pouvoirs dont il est armé pour empêcher l’invasion sur le sol de la Belgique de ces gens qui méritent à peine le nom d’hommes et qui de- vraient être mis au ban de toutes les nations civilisées. (Vive approbation sur tous les bancs.)

Ce ne sont pas des réfugiés politiques ; nous ne devons pas les considérer comme tels.

Des voix : Non ! non ! M. D’ANETHAN.-Ce sont des hommes que le crime a souillés et que le châtiment doit atteindre. (Nouvelles marques d’approbation.)

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