Actes et paroles – Depuis l’exil de Victor Hugo

III A M. ROBERT HYENNE RÉDACTEUR EN CHEF DE LA DÉMOCRATIE DU MIDI
Paris, 2 décembre 1871.

Mon vaillant confrère, les souvenirs que vous me rappelez sont gravés en moi ; depuis longtemps je vous connais et je vous estime. Vous avez été l’ami de l’exil ; vous êtes aujourd’hui le combattant de la vérité et de la liberté. Votre talent et votre courage sont pour votre journal, la Démocratie du Midi , un double gage de succès.

Nous traversons une crise fatale. Après l’invasion, le terrorisme réactionnaire. 1871 est un 1815, pire. Après les massacres, voici l’échafaud politique rétabli. Quels revenants funestes ! Trestaillon avait reparu en juin, Bellart reparaît en novembre. À l’odieux assassinat de Clément Thomas et de Lecomte, à l’abominable meurtre des otages, quelles répliques sanglantes ! Quel grossissement de l’horreur par l’hor- reur ! Quelle calamité pour la France que ce duel de la Commune et de l’Assem- blée !

La civilisation est en danger ; nous sentons un affreux glissement sur la pente féroce. J’ai écrit :

Personne n’est méchant, et que de mal on fait !

Avertissons toutes ces pauvres consciences troublées. Si le gouvernement est myope, tâchons qu’il ne soit pas sourd. Crions : Amnistie ! amnistie ! assez de sang ! assez de victimes ! qu’on fasse enfin grâce à la France ! c’est elle qui saigne.-On a ôté la parole au Rappel ; vous tous qui l’avez encore, répétez son vaillant cri : Pitié ! pardon ! fraternité ! Ne nous lassons pas, recommençons sans cesse. Demandons la paix et donnons l’alarme. Sonnons le tocsin de la clémence.

Je m’aperçois que c’est aujourd’hui le 2 décembre. Il y a vingt ans à pareille heure, je luttais contre un crime, j’étais traqué, et averti que, si l’on me prenait, on me fusillerait. Tout est bien, luttons.

Cher confrère, je vous serre la main. VICTOR HUGO.

IV LE MANDAT CONTRACTUEL
Le 19 décembre, M. Victor Hugo reçut la lettre qu’on va lire : Paris, le 19 décembre 1871.
Monsieur,

En face d’une Assemblée qui méconnaît le mandat dont elle a été revêtue, il est nécessaire de faire passer dans les mœurs un grand principe, le mandat impératif.

A vous, la première gloire de la France, il appartient de donner au monde un grand exemple et de frapper un grand coup sur nos vieilles institutions. [Note : Les honorables signataires nous pardonneront d’omettre ici les quelques lignes où leur sympathie pour M. Victor Hugo est le plus vivement exprimée.]

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Vous penserez sans doute que votre acceptation du mandat impératif serait un grand acte de patriotisme et assurerait pour toujours le triomphe de cette institu- tion.

Nous vous prions de vouloir bien nous donner votre adhésion. Les membres du Comité électoral de la rue Bréa, DE LAVÉNAT, E. DIVE, BASSET, J.-C. CHAIGNEAU, ÉDOUARD DE LUZE, PAULIAT, MONPROFIT, ROSEL.

M. Victor Hugo ne pouvait accepter le mandat impératif , la conscience ne re- çoit pas d’ordres ; mais il pouvait et il sentit qu’il devait prendre l’initiative de la transformation du mandat impératif en mandat contractuel , c’est-à-dire réaliser plus sûrement le progrès électoral par le contrat librement débattu et consenti entre le mandant et le mandataire.

Ne voulant pas influencer le choix du peuple, il s’abstint de paraître aux réunions électorales, l’état de siége ôtant d’ailleurs toute liberté à ces réunions.

La déclaration suivante y fut lue en son nom :

DÉCLARATION

Je suis de ceux qui pensent qu’aucune pression ne doit être exercée sur le choix du peuple.

Plus le choix sera libre, plus il sera grand.

Plus le choix sera spontané, plus il sera significatif.

Le bon citoyen ne s’offre ni ne se refuse. Il est à la disposition du devoir.

Les devoirs d’un représentant du peuple et surtout d’un représentant de l’ad- mirable peuple de Paris sont aujourd’hui plus sérieux que jamais.

J’en comprends toute l’étendue.

Je suis prêt, quant à moi, à donner l’exemple de l’acceptation du mandat contrac- tuel , bien autrement efficace et obligatoire que le mandat impératif.

Le mandat contractuel, c’est-à-dire le contrat synallagmatique entre le man- dant et le mandataire, crée, entre l’électeur et l’élu, l’identité absolue du but et des principes.

Le choix que le peuple de Paris fera le 7 janvier doit signifier : république, néga- tion de toute monarchie sous quelque forme que ce soit ; amnistie ; abolition de la peine de mort en matière politique et en toute matière ; rentrée de l’Assemblée à Paris ; levée de l’état de siége ; dissolution de l’Assemblée dans le plus bref délai possible.

Le devoir est la loi de ma vie. Je le ferai hors de l’Assemblée comme dans l’As- semblée.

VICTOR HUGO.

28 décembre 1871.

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En même temps furent publiées, par les soins des comités, les deux pièces suivantes :

LE COMITÉ ÉLECTORAL DE LA RUE BRÉA ET LE COMITÉ ÉLECTORAL DES TRAVAILLEURS, AUX ÉLECTEURS DE LA SEINE.

Le grand citoyen qui s’est fait, depuis vingt ans, le champion le plus ardent de la démocratie, vient d’accomplir l’un des actes les plus considérables de sa vie. Le premier, Victor Hugo avait pris la défense de Paris contre les violences de la réac- tion ; le premier, il avait réclamé l’amnistie et protesté, au nom du droit d’asile, contre la coupable faiblesse de la Belgique ; plus tard, il implorait la grâce des condamnés à mort.

Aujourd’hui Victor Hugo vient de signer avec le peuple de Paris un contrat qui en fait son représentant nécessaire.

Victor Hugo et Paris, la grande ville et le grand poëte, ne font plus qu’un.

Parisiens ! et vous surtout, travailleurs ! vous n’avez qu’un nom à déposer dans l’urne ; il faut que ce nom soit celui de VICTOR HUGO.

MANDAT CONTRACTUEL

ARRÊTÉ PAR LE COMITÉ DE LA RUE BRÉA ET PAR LE COMITÉ ÉLECTORAL DES TRAVAILLEURS, ADOPTÉ DANS DIFFÉRENTES RÉUNIONS PUBLIQUES.

Considérant que le mandat contractuel est le seul moyen qui mette en évidence la volonté ferme et nette du collège électoral,

Les électeurs ont arrêté le programme suivant qui est adopté par le représentant qui sera nommé le 7 janvier 1872 :

  1. Amnistie pour tous les crimes et délits politiques.-Enquête sur les événe- ments de mai et juin 1871.-Abolition de la peine de mort en toutes matières.
  2. Proclamation définitive de la république.-Dissolution dans le plus bref délai de l’assemblée actuelle et nomination d’une assemblée constituante chargée de faire une constitution républicaine.
  3. Retour à Paris du gouvernement et de l’Assemblée.- Levée de l’état de siége à Paris et dans les départements.
  4. Service militaire obligatoire et personnel pour tout citoyen de la république française, sauf les seuls cas d’incapacité physique.
  5. Instruction primaire, gratuite, obligatoire et laïque.- Instruction secondaire, gratuite et laïque.
  6. Séparation absolue de l’église et de l’état.-Rétribution des ministres de tout culte à la charge exclusive de ceux qui les emploient.
  7. Liberté absolue d’association.-Liberté de réunion.- Liberté de la presse.-Abolition des procès de presse, excepté en matière civile.
  8. Nomination à l’élection des maires et adjoints de toutes les communes, sans aucune exception.
  9. Restitution au département, à l’arrondissement, au canton et à la commune de tout ce qui est de leur ressort.
  10. Réforme de la magistrature.-Suppression de l’inamovibilité.-Extension des attributions du jury.
  11. Impôt vraiment proportionnel sur le revenu.
  12. Exclusion de toutes les monarchies, sous quelque forme qu’elles se pré- sentent.
  13. Le programme ci-dessus constitue un mandat contractuel, que le représen- tant a accepté et signé.

l4. La sanction qui doit consacrer le mandat contractuel sera la démission du représentant, qui pourra, dans le cas d’infraction au présent contrat, lui être de- mandée par un jury d’honneur tiré au sort parmi les représentants républicains de l’Assemblée, ayant signé, eux aussi, le mandat contractuel. Paris, le 28 décembre 1871.

VICTOR HUGO.

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