Actes et paroles – Depuis l’exil de Victor Hugo

M. VAN OVERLOOP.-Et les assassins des généraux Lecomte et Clément Tho- mas ?

M. JOTTRAND.-Ils ne se sont pas mis à 50,000 pour assassiner ces généraux !

M. DEMEUR.-Ces principes ont déjà été établis à l’occasion de faits que vous ne réprouvez pas moins que ceux de Paris. Il s’agissait d’un attentat commis contre un souverain étranger et des personnes de sa suite. Les frères Jacquin avaient commis des faits connexes à cet attentat. Leur extradition n’a pu être accordée. Il a fallu modifier la loi ; mais la loi qu’on a faite confirme ma thèse. En effet, la loi de 1856 n’autorise l’extradition, en cas de faits connexes à un crime politique, que lorsque ce crime aura été commis ou tenté contre un souverain étranger.

M. D’ANETHAN, ministre des affaires étrangères.-Nous n’avons pas à discuter la loi de 1835. J’examine seulement la question de savoir si le gouvernement a bien fait d’appliquer la loi.

La loi dit que le gouvernement peut expulser tout individu qui, par sa conduite, a compromis la tranquillité publique.

Eh bien, M. Hugo a-t-il compromis la tranquillité du pays par cette lettre qui contenait un défi insolent ? Les faits répondent à cette question.

Mais j’ai un détail à ajouter à la déclaration que j’ai faite au sénat. M. Victor Hugo ayant été appelé devant l’administrateur de la sûreté publique, ce fonction- naire lui dit :-Vous devez reconnaître que vous vous êtes mépris sur le sentiment public.-J’ai contre moi la bourgeoisie, mais j’ai pour moi les ouvriers, et j’ai reçu une députation d’ouvriers qui a promis de me défendre. »[Note : M. Victor Hugo n’a pas dit cela.] (Exclamations sur quelques bancs.)

Dans ces circonstances, il eût été indigne du gouvernement de ne pas sévir. (Très bien !) Il importe que l’on connaisse bien les intentions du gouvernement. Ses intentions, les voici : nous ne recevrons chez nous aucun des hommes ayant appartenu à la Commune, [Note : La protestation de Victor Hugo a produit ce résultat, qu’après cette déclaration formelle et solennelle du ministre, le gouver- nement belge, baissant la tête et se démentant, n’a pas osé interdire l’entrée en Belgique à un membre de la Commune, Tridon, qui est mort depuis à Bruxelles.] et nous appliquerons la loi d’extradition à tous les hommes qui se sont rendus coupables de vol, d’assassinat ou d’incendie. ( Marques d’approbation à droite. )

M. COUVREUR.-Messieurs, moi aussi, je me lève, en cette circonstance, sous l’empire d’une profonde tristesse.

Il ne saurait en être autrement au spectacle de ce débordement d’horreurs qui font reculer la civilisation de dix-huit siècles et dont les conséquences menacent de ne pas s’arrêter à nos frontières.

Oui, je le dis avec l’unanimité de cette Chambre, les hommes de la Commune de Paris qui ont voulu, par la force et l’intimidation, établir la domination du pro- létariat sur Paris, et par Paris sur la France, ces hommes sont de grands coupables.

Oui, il y avait parmi eux, à côté de fanatiques et d’esprits égarés, de véritables scélérats.

Oui, les hommes qui, de propos délibéré, ont mis le feu aux monuments et aux maisons de Paris sont des incendiaires, et ceux qui ont fusillé des otages arbitrai- rement arrêtés et jugés sont d’abominables assassins.

Mais si je porte ce jugement sur les vaincus, que dois-je dire des vainqueurs qui, après la victoire, en dehors des excitations de la lutte, fusillent sommairement, sans examen, sans jugement, par escouades de 50, de 100 individus, je ne dis pas seulement des insurgés de tout âge, de tout sexe, pris les armes à la main, mais le premier venu, qu’une circonstance quelconque, un regard suspect, une fausse démarche, une dénonciation calomnieuse ( interruption ), oui, des délations et des vengeances ! désignent à la fureur des soldats ? ( Interruption. )

M. JOTTRAND.-Brigands contre brigands !

Des voix à droite. -A l’ordre !

M. LE PRÉSIDENT.-Les paroles qui viennent d’être prononcées ne sont pas par- venues jusqu’au bureau….

M. COUVREUR.-J’ai dit….

M. LE PRÉSIDENT.-Je ne parle pas de vos paroles, monsieur Couvreur.

M. JOTTRAND.-Je demande la parole.

M. COUVREUR.-Ces faits sont dénoncés par la presse qui peut et qui ose parler, par les journaux anglais.

Lisez ces journaux. Leurs révélations font frémir. Le Times le dit avec raison :
« Paris est un enfer habité par des démons. Les faits, les détails abondent. A les lire, on se demande si le peuple français est pris d’un accès de démence féroce ou s’il est déjà atteint dans toutes ses classes de cette pourriture du bas-empire qui annonce la décadence des grandes nations. »

Cela est déjà fort affligeant, mais ce qui le serait bien davantage, c’est que ces haines, ces rages féroces, ces passions surexcitées pussent réagir jusque chez nous. Que la France soit affolée de réaction, que les partis monarchiques sèment, pour l’avenir, de nouveaux germes de guerre civile, déplorons-le, mais n’imitons pas ; nous qui ne sommes pas directement intéressés dans la lutte, gardons au moins l’impartialité de l’histoire. Restons maîtres de nous-mêmes et de notre sang-froid, ne substituons pas l’arbitraire, le bon plaisir, la passion à la justice et aux lois.

Lorsque, il y a quelques jours, l’honorable M. Dumortier, interpellant le gou- vernement sur ses intentions, disait que les crimes commis jusqu’à ce moment à Paris par les gens de la Commune devaient être considérés comme des crimes de droit commun, pas une voix n’a protesté. Mais un point n’avait pas été suffisam- ment mis en lumière. J’ai été heureux d’avoir entendu tantôt les explications de l’honorable ministre des affaires étrangères, qui a précisé dans quel sens l’appli- cation des lois se ferait ; j’ai été heureux d’apprendre que la Belgique, dans cette circonstance, réglerait sa conduite sur celle de l’Angleterre, de l’Espagne et de la Suisse, c’est-à-dire que l’on examinera chaque cas individuellement….

M. D’ANETHAN, ministre des affaires étrangères.-Certainement.

M. COUVREUR. que l’on jugera les faits ; que l’on ne rejettera pas dans la four-
naise des passions surexcitées de Versailles ceux qui viennent nous demander un asile, non parce qu’ils sont coupables, mais parce qu’ils sont injustement soup- çonnés, qu’ils peuvent croire leur vie et leur liberté en péril.

L’expulsion de M. Victor Hugo s’écarte de cette politique calme, humaine, tolé- rante. Voilà pourquoi elle me blesse.

J’y vois une tendance opposée à celle qui s’est manifestée dans la séance de ce jour. C’est un acte de colère, bien plus que de justice et de stricte nécessité.

La mesure prise peut-elle se justifier dans les circonstances spéciales où elle s’est produite ? Je réponds non sans hésiter.

Je dis plus. J’aime à croire qu’en arrêtant ses dernières résolutions, le gouverne- ment ignorait encore les détails des faits qui se sont passés sur la place des Barri- cades, dans la nuit de samedi à dimanche.

Quels sont ces faits, messieurs ?

Les premières versions les ont présentés comme une explosion anodine, natu- relle, légitime du sentiment public : tapage nocturne, charivari, sifflets, quelques carreaux cassés.

Depuis, le fils de M. Victor Hugo a publié, sur ces événements, une autre ver- sion. Il résulte de son récit que la scène nocturne a duré près de deux heures.

M. ANSPACH.-C’est un roman.

M. COUVREUR.-C’est ce que la justice aura à démontrer. Mais ce qui n’est pas un roman, c’est la frayeur que des femmes et de jeunes enfants ont éprouvée. ( Interruption. )

J’en appelle à tous les pères. Si, pendant la nuit, provoqués ou non, des forcenés venaient pousser devant votre porte, messieurs, des cris de mort, briser des vitres, assaillir la demeure qui abrite le berceau de vos petits-enfants, diriez-vous aussi : C’est du roman ? Écoutez donc le témoignage de M. François Hugo, racontant les angoisses de sa famille.

M. ANSPACH.-Nous avons le témoignage de M. Victor Hugo lui-même ; [Note : C’est faux. Publiez-le signé de M. Victor Hugo, on vous en défie.] il prouve qu’on a embelli ce récit.

M. COUVREUR.-C’est à l’enquête judiciaire de le prouver. Je dis donc que, d’après ce récit, la maison de M. Victor Hugo a été, pendant cette nuit du samedi au di- manche, l’objet de trois attaques successives (interruption) , qu’un vieillard sans armes, des femmes en pleurs, des enfants sans défense ont pu croire leur vie me- nacée ; je dis qu’une mère, une jeune veuve a essayé en vain de se faire entendre des voisins ; que des tentatives d’effraction et d’escalade ont eu lieu ; enfin que, par une circonstance bien malheureuse pour les auteurs de ces scandales, à l’heure même où ils se commettaient, des hommes portant une poutre étaient arrêtés dans le voisinage de la place des Barricades et arrachés aux mains de la police par des complices accourus à leur secours.

N’est-ce pas là une attaque nocturne bien caractérisée ? Le surlendemain, la justice n’était pas encore intervenue, le procureur du roi ou ses agents ne s’étaient pas encore transportés à la maison de M. Hugo. (Interruption.) Et sauf l’enquête ouverte par le commissaire de police, ni M. Hugo, ni les membres de sa famille n’avaient été interrogés sous la foi du serment.

Quels sont les coupables, messieurs ?

Sont-ce des hommes appartenant aux classes populaires qui venaient ainsi prendre en main, contre M. Hugo, la cause du gouvernement attaqué par lui ? C’est peu probable. La lettre qui a motivé les démonstrations avait paru le matin même.

Il faut plus de temps pour qu’une émotion populaire vraiment spontanée puisse se produire.

Lorsque j’ai reçu, pour ma part, la première nouvelle de ces regrettables événe- ments, j’ai cru que les réfugiés français pouvaient en être les principaux auteurs, et j’étais presque tenté de les excuser, tant sont grands les maux de la guerre civile et les exaspérations qu’elle cause. M. Hugo prenait sous sa protection les assas- sins de la Commune ; il avait demandé pour eux les immunités du droit de l’asile ; donc il était aussi coupable qu’eux. Ainsi raisonné la passion.

Mais, s’il faut en croire la rumeur publique, ce ne sont ni des français, ni des prolétaires amis de l’ordre qui sont les auteurs de ces scènes de sauvagerie dé- noncées par la lettre de M. François- Victor Hugo. Ce sont des émeutiers en gants jaunes, des prolétaires de l’intelligence et de la morale, qui ont montré aux vrais prolétaires comment on casse les vitres des bourgeois. Les imprudents ! ils en sont encore à se vanter de ce qu’ils ont fait ! Et leurs compagnons de plaisir s’en vont regrettant tout haut de ne pas s’être trouvés à l’endroit habituel de leurs rendez- vous, où a été complotée cette bonne farce ; une farce qui a failli tuer un enfant !

C’est un roman, dit-on, ce sont des exagérations, et la victime en a été le pre- mier auteur. Soit. Où est l’enquête ? Où est l’examen contradictoire ? Vous voulez punir des violences coupables, et vous commencez par éloigner les témoins ; vous écartez ceux dont les dépositions doivent contrôler les recherches de vos agents.

Ah ! vous avez fait appeler M. Victor Hugo à la sûreté publique pour l’engager à quitter le pays. Ne deviez-vous pas, au contraire, l’obliger à rester ? Son témoi- gnage, le témoignage des gens de sa maison, ne sont-ils pas indispensables au procès que vous voulez intenter ? (Interruption.)

Voilà ce qu’exigeait la justice ; voilà ce qu’exigeait la réparation des troubles dé- plorables qui ont eu lieu.

Savez-vous, messieurs, ce que peut être la conséquence de l’expulsion, dans les conditions où elle se fait ? Si, par hasard, la rumeur publique dit vrai, si les hommes qu’elle désigne appartiennent à votre monde, à votre parti, s’ils appar- tiennent à la jeunesse dorée qui hante vos salons, savez-vous ce qu’on dira ? On dira que les coupables vous touchaient de trop près ; que vous ne les découvrirez pas parce que vous ne voulez pas les découvrir ; que vous avez un intérêt politique à masquer leur faute, à empêcher leurs noms d’être connus, leurs personnes d’être frappées par la justice.

Aujourd’hui vous avez mis tous les torts de votre côté. L’accusé d’hier sera la victime demain. Les rapports non contrôlés de la sûreté publique et des agents de police auront beau dire le contraire ; pour le public du dehors, la version véritable, authentique, celle qui fera foi devant l’histoire, sera la version du poëte que vous avez expulsé le lendemain du jour où il a pu croire sa vie menacée.

Voilà pourquoi je regrette la mesure qui a été prise ; voilà pourquoi je déclare que vous avez manqué d’intelligence et de tact politique.

M. JOTTRAND.-Messieurs, excité par l’injustice incontestable de quelques-unes des interruptions parties des bancs de la droite, j’ai prononcé ces paroles : « Bri- gands contre brigands ! »Vous avez, à ce propos, monsieur le président, prononcé quelques mots que je n’ai pas compris. Je dois m’expliquer sur le sens de mon exclamation.

M. LE PRÉSIDENT.-Permettez. Avant que vous vous expliquiez, je tiens à dire ceci : les paroles que vous reconnaissez avoir prononcées, je ne les avais pas en- tendues. Aux demandes de rappel à l’ordre, j’ai répondu que je ne pouvais le pro- noncer sans connaître les expressions dont vous vous étiez servi….

D’après la déclaration que vous venez de faire, vous auriez appelé brigands les représentants de la force légitime.

M. JOTTRAND.-Monsieur le président, ces paroles sont sorties de ma bouche au moment où mon honorable collègue, M. Couvreur, venait de flétrir ceux qui, après la victoire et de sang-froid, exécutent leurs prisonniers en masse et sans jugement. Je me serais tu, si à ce moment, si, de ce côté, n’étaient parties des protestations contre l’indignation de mon collègue, protestations qui ne pouvaient avoir d’autre sens que l’approbation des actes horribles qui continuent à se passer en France.

Ces paroles, vous le comprenez, ne s’appliquaient pas, dans ma pensée, à ces défenseurs énergiques, résolus et dévoués du droit et de la légalité qui, prévoyant l’ingratitude du lendemain, la montrant déjà du doigt, la proclamant comme at- tendue par eux, n’en ont pas moins continué à se dévouer à la tâche pénible qu’ils accomplissaient ; ces paroles, dans ma pensée, ne s’appliquaient pas à ces soldats esclaves de leur devoir, agissant dans l’ardeur du combat ; elles s’appliquaient uni- quement à ceux dont j’ai rappelé les actes. Et ces actes, suis-je seul à les flétrir ?

N’entendons-nous pas, à Versailles même, des voix amies de l’ordre, des hommes qui ont toujours défendu dans la presse l’ordre et la légalité, ne les voyons-nous pas protester contre les horreurs qui se commettent sous leurs yeux ? ne voyons- nous pas toute la presse française réclamer la constitution immédiate de tribu- naux réguliers et la cessation de toutes ces horreurs ?

Voici ce que disait le Times , faisant, comme moi, la part égale aux deux partis en lutte :

« Des deux parts également, nous arrive le bruit d’actes incroyables d’assassinat et de massacre. Les insurgés ont accompli autant qu’il a été en leur pouvoir leurs menaces contre la vie de leurs otages et sans plus de pitié que pour toutes leurs autres menaces. L’archevêque de Paris, le curé Deguerry, l’avocat Chaudey, en tout soixante-huit victimes sont tombées sous leurs coups. Ce massacre d’hommes distingués et inoffensifs est un de ces crimes qui ne meurent point et qui souillent à jamais la mémoire de leurs auteurs. Mais, dans l’esprit de carnage et de haine qu’il révèle, les communistes ne semblent guère pires que leurs antagonistes.

« Il est presque ridicule, de la part de M. Thiers, de venir dénoncer les insurgés pour avoir fusillé un officier captif au mépris des lois de la guerre.

« Les lois de la guerre ! Elles sont douces et chrétiennes, comparées aux lois in- humaines de vengeance, en vertu desquelles les troupes de Versailles ont, pendant ces six derniers jours, fusillé et déchiqueté à coups de bayonnette des prisonniers, des femmes et des enfants !

« Nous n’avons pas un mot à dire en faveur de ces noirs coquins, qui, évidem- ment, ont prémédité la destruction totale de Paris, la mort par le feu de sa popu- lation et l’anéantissement de ses trésors. Mais si des soldats se transforment eux- mêmes en démons pour attaquer des démons, est-il étonnant de voir le caractère démoniaque de la lutte redoubler ?

« La fureur a attisé la fureur, la haine a envenimé la haine, jusqu’à ne plus faire des plus sauvages passions du cœur humain qu’un immense et inextinguible bra- sier. »

Voilà, messieurs, les sentiments qu’inspire à l’opinion anglaise ce qui se passe à Paris ; voilà les sentiments sous l’empire desquels j’ai répondu tantôt aux inter- ruptions de la droite.

Je n’ai voulu flétrir que des actes qui seront à jamais flétris dans l’histoire comme le seront ceux des insurgés eux-mêmes.

Je passe à l’expulsion de Victor Hugo. Je n’en dirai qu’un mot, si on veut me laisser la parole en ce moment.

Si j’étais sûr de l’exactitude de la conversation que M. le ministre des affaires étrangères nous a rapportée, comme ayant eu lieu entre M. l’administrateur de la sûreté publique et M. Victor Hugo, je déclare que je ne voterais point l’ordre du jour qui d’abord avait mes sympathies.

On répand partout dans la presse, pour terrifier nos populations, le bruit d’une vaste conspiration dont on aurait saisi les preuves matérielles sur des cadavres de membres de la Commune, conspiration ayant pour but de traverser avec l’armée insurrectionnelle le territoire occupé par les troupes prussiennes, afin de porter en Belgique les restes de la Commune expirante, et de l’y ranimer à l’aide des sym- pathies qu’elle excite prétendument chez nos classes ouvrières.

Je ne crois pas à cette conspiration, et je ne crois pas non plus aux paroles que l’on prête à M. Hugo dans son entretien avec M. l’administrateur de la sûreté publique. (Interruption.)

M. le ministre des affaires étrangères les a-t-il entendues ? Ne peut-on, au mi- lieu des passions du moment, au milieu des préoccupations qui hantent légitime- ment, je le veux bien, l’esprit des ministres et de leurs fonctionnaires, se tromper sur certains détails ?

Avez-vous un interrogatoire de M. Victor Hugo ?

N. D’ANETHAN, ministre des affaires étrangères.-Oui. [Note : C’est faux]

M. JOTTRAND.-…Signé de lui ? Avez-vous la preuve que, pour le triomphe de sa personnalité, il ait été prêt à plonger notre pays dans l’abîme de la lutte entre classes ?

Si vous pouviez fournir cette preuve, je déclarerais que l’expulsion a été méritée. Mais cette preuve, vous ne pouvez nous la donner ; je me défie de vos paroles, et, en conséquence, je voterai l’ordre du jour.-

A la suite de cette discussion dans laquelle le ministre et le bourgmestre ont reproduit leurs affirmations mensongères, dont ferait justice l’enquête judiciaire éludée par le gouvernement belge, la Chambre a voté sur l’ordre du jour proposé par M. Defuisseaux.

Elle l’a rejeté à la majorité de 81 voix contre 5. Ont voté pour :
MM. Couvreur.
Defuisseaux.
Demeur.
Guillery. Jottrand.

—-

A M. LE RÉDACTEUR DE L’ Indépendance belge . Bruxelles, 1er juin 1871.
Monsieur,

Je viens de lire la séance de la Chambre. Je remercie les hommes éloquents qui ont défendu, non pas moi qui ne suis rien, mais la vérité qui est tout. Quant à l’acte ministériel qui me concerne, j’aurais voulu garder le silence. Un expulsé doit être indulgent. Je dois répondre cependant à deux paroles, dites l’une par le ministre, l’autre par le bourgmestre. Le ministre, M. d’Anethan, aurait, d’après le compte rendu que j’ai sous les yeux, donné lecture du procès-verbal d’un entretien signé par moi . Aucun procès-verbal ne m’a été communiqué, et je n’ai rien signé. Le bourgmestre, M. Anspach, a dit du récit des faits publié par mon fils : C’est un ro- man . Ce récit est la pure et simple vérité, plutôt atténuée qu’aggravée. M. Anspach n’a pu l’ignorer. Voici en quels termes j’ai annoncé le fait aux divers fonctionnaires de police qui se sont présentés chez moi : Cette nuit, une maison, la mienne, ha- bitée par quatre femmes et deux petits enfants, a été violemment attaquée par une bande poussant des cris de mort et cassant les vitres à coups de pierres, avec tentative d’escalade du mur et d’effraction de la porte. Cet assaut, commencé à minuit et demi, a fini à deux heures un quart, au point du jour. Cela se voyait, il y a soixante ans, dans la forêt Noire ; cela se voit aujourd’hui à Bruxelles.

Ce fait est un crime qualifié. A six heures du matin, le procureur du roi devait être dans ma maison ; l’état des lieux devait être constaté judiciairement, l’en- quête de justice en règle devait commencer, cinq témoins devaient être immédia- tement entendus, les trois servantes, Mme Charles Hugo et moi. Rien de tout cela n’a été fait. Aucun magistrat instructeur n’est venu ; aucune vérification légale des dégâts, aucun interrogatoire. Demain toute trace aura à peu près disparu, et les té- moins seront dispersés ; l’intention de ne rien voir est ici évidente. Après la police sourde, la justice aveugle. Pas une déposition n’a été judiciairement recueillie ; et le principal témoin, qu’avant tout on devait appeler, on l’expulse.

Cela dit, je pars. VICTOR HUGO.
§7

Auteurs::

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer