Actes et paroles – Depuis l’exil de Victor Hugo

XI

Paris vaincra Rome.

Toute la question humaine est aujourd’hui dans ces trois mots. Rome ira décroissant et Paris ira grandissant.
Nous ne parlons pas ici des deux cités, qui sont toutes deux également augustes, mais des deux principes ; Rome signifiant la foi et Paris la raison.

L’âme de la vieille Rome est aujourd’hui dans Paris. C’est Paris qui a le Capitole ; Rome n’a plus que le Vatican.

On peut dire de Paris qu’il a des vertus de chevalier ; il est sans peur et sans reproche. Sans peur, il le prouve devant l’ennemi ; sans reproche, il le prouve de- vant l’histoire. Il a eu parfois la colère ; est-ce que le ciel n’a pas le vent ? Comme les grands vents, les colères de Paris sont assainissantes. Après le 14 juillet, il n’y a plus de Bastille ; après le 10 août, il n’y a plus de royauté. Orages justifiés par l’élargissement de l’azur.

De certaines violences ne sont pas le fait de Paris. L’histoire constatera, par exemple, que ce qu’on reproche au 18 Mars n’est pas imputable au peuple de Pa- ris ; il y a là une sombre culpabilité partageable entre plusieurs hommes ; et l’his- toire aura à juger de quel côté a été la provocation, et de quelle nature a été la répression. Attendons la sentence de l’histoire.

En attendant, tous, qui que nous soyons, nous avons des obligations austères ; ne les oublions pas.

L’homme a en lui Dieu, c’est-à-dire la conscience ; le catholicisme retire à l’homme la conscience, et lui met dans l’âme le prêtre à la place de Dieu ; c’est là le travail du confessionnal ; le dogme, nous l’avons dit, se substitue à la raison ; il en résulte cette profonde servitude, croire l’absurde ; credo quia absurdum .

Le catholicisme fait l’homme esclave, la philosophie le fait libre. De là de plus grands devoirs.
Les dogmes sont ou des lisières ou des béquilles. Le catholicisme traite l’homme tantôt en enfant, tantôt en vieillard. Pour la philosophie l’homme est un homme. L’éclairer c’est le délivrer. Le délivrer du faux, c’est l’assujettir au vrai.

Disons les vérités sévères.

XII
Tout ce qui augmente la liberté augmente la responsabilité. Être libre, rien n’est plus grave ; la liberté est pesante, et toutes les chaînes qu’elle ôte au corps, elle les ajoute à la conscience ; dans la conscience, le droit se retourne et devient de- voir. Prenons garde à ce que nous faisons ; nous vivons dans des temps exigeants. Nous répondons à la fois de ce qui fut et de ce qui sera. Nous avons derrière nous ce qu’ont fait nos pères et devant nous ce que feront nos enfants. Or à nos pères nous devons compte de leur tradition et à nos enfants de leur itinéraire. Nous de- vons être les continuateurs résolus des uns et les guides prudents des autres. Il serait puéril de se dissimuler qu’un profond travail se fait dans les institutions hu- maines et que des transformations sociales se préparent. Tâchons que ces trans- formations soient calmes et s’accomplissent, dans ce qu’on appelle (à tort, selon moi) le haut et le bas de la société, avec un fraternel sentiment d’acceptation réci- proque. Remplaçons les commotions par les concessions. C’est ainsi que la civili- sation avance. Le progrès n’est autre chose que la révolution faite à l’amiable.

Donc, législateurs et citoyens, redoublons de sagesse, c’est-à-dire de bienveillance.
Guérissons les blessures, éteignons les animosités ; en supprimant la haine nous supprimons la guerre ; que pas une tempête ne soit de notre faute. Quatrevingt- neuf a été une colère utile. Quatrevingt-treize a été une fureur nécessaire ; mais il n’y a plus désormais ni utilité ni nécessité aux violences ; toute accélération de cir- culation serait maintenant un trouble ; ôtons aux fureurs et aux colères leur raison d’être ; ne laissons couver aucun ferment terrible. C’est déjà bien assez d’entrer dans l’inconnu ! Je suis de ceux qui espèrent dans cet inconnu, mais à la condition que nous y mêlerons dès à présent toute la quantité de pacification dont nous disposons. Agissons avec la bonté virile des forts. Songeons à ce qui est fait et à ce qui reste à faire. Tâchons d’arriver en pente douce là où nous devons arri- ver ; calmons les peuples par la paix, les hommes par la fraternité, les intérêts par l’équilibre. N’oublions jamais que nous sommes responsables de cette dernière moitié du dix-neuvième siècle, et que nous sommes placés entre ce grand passé, la révolution de France, et ce grand avenir, la révolution d’Europe.

Paris, juillet 1876.

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