Actes et paroles – Depuis l’exil de Victor Hugo

XVIII LE CENTENAIRE DE PÉTRARQUE
Victor Hugo, à l’occasion des fêtes du centenaire de Pétrarque, a reçu l’invita- tion suivante :

Avignon, 14 juillet 1874. Cher et grand citoyen,
Le 18 juillet, Avignon officiel va donner de grandes fêtes en l’honneur de Pé- trarque, à l’occasion du cinquième centenaire de sa mort.

Plusieurs villes et plusieurs sociétés savantes de l’Italie se font représenter à ces fêtes par des délégués. M. Nigra sera parmi nous.

Or, dans notre ville, le conseil municipal élu a été remplacé par une commission municipale triée, selon l’usage, par un des plus célèbres préfets de l’ordre moral. C’est ce monde-là qui va recevoir les patriotes que l’Italie nous envoie.

Il importe donc, selon nous, qu’une main glorieuse et véritablement fraternelle puisse, au nom des républicains de France, serrer la main que vont nous tendre les enfants d’une nation à laquelle nous voudrions témoigner de sincères sentiments de sympathie.

Nous serions fiers qu’Avignon pût parler par la voix de notre plus grand poëte aux concitoyens du poëte et du patriote Pétrarque.

L’Italie, alors, entendrait un langage véritablement français, et l’échange des sentiments qui doivent unir les deux grandes nations serait dignement exprimé.

C’est dans ces circonstances, c’est dans cette pensée, et pour donner, nous, à ces fêtes officielles leur véritable portée, qu’un groupe considérable d’amis,- qui représentent toute la démocratie avignonnaise et la jeunesse républicaine du pays,-m’ont chargé de vous adresser la présente lettre, pour vous inviter à venir passer au milieu de nous les journées des 18, 19 et 20 juillet. La vraie fête aura lieu si vous daignez accepter cette invitation, et votre visite aurait, pour tout le midi de la France, une grande, une féconde signification.

Permettez-nous d’espérer que notre invitation sera par vous acceptée, et de nous en réjouir d’avance ; et veuillez, cher et grand citoyen, recevoir, au nom de mes amis ainsi qu’en mon nom personnel, l’expression de notre respectueuse et profonde admiration.

SAINT-MARTIN,

Conseiller général de Vaucluse, ex-rédacteur en chef de la Démocratie du Midi .

—-

Victor Hugo a répondu : Paris, 18 juillet 1874.
Mon honorable concitoyen,

La noble et glorieuse invitation que vous voulez bien me transmettre me touche profondément. J’ai le chagrin de ne pouvoir m’y rendre, étant en ce moment re- tenu près de mon petit-fils, convalescent d’une grave maladie.

Je suis heureux du souvenir que veut bien me garder cette vaillante démocratie du midi, qui est comme l’avant-garde de la démocratie universelle, et à laquelle le monde pense toutes les fois qu’il entend la Marseillaise .

La Marseillaise , c’est la voix du midi ; c’est aussi la voix de l’avenir.

Je regrette d’être absent du milieu de vous. J’eusse été fier de souhaiter, en votre nom à tous, la bienvenue à ces frères, à ces généreux italiens, qui viennent fêter Pétrarque dans le pays de Voltaire. Mais de loin j’assisterai, ému, à vos solenni- tés. Elles fixeront l’attention du monde civilisé. Pétrarque, qui a été l’auréole d’un siècle ténébreux, ne perd rien de sa clarté dans ce plein midi du progrès qu’on nomme le dix-neuvième siècle.

Je félicite Avignon. Avignon, pendant ces trois jours mémorables, va donner un illustre spectacle. On pourrait dire que Rome et Paris vont s’y rencontrer ; Rome qui a sacré Pétrarque, Paris qui a jeté bas la Bastille ; Rome qui couronne les poëtes, Paris qui détrône les rois ; Rome qui glorifie la pensée humaine, Paris qui la délivre.

Cette accolade des deux cités mères est superbe. C’est l’embrassement de deux idées. Rien de plus pathétique et de plus rassurant. Rome et Paris fraternisant dans la sainte communion démocratique, c’est beau. Vos acclamations donneront à cette rencontre toute sa signification. Avignon, ville pontificale et ville populaire, est un trait d’union entre les deux capitales du passé et de l’avenir.

Nous nous sentons tous bien représentés par vous, hommes de Vaucluse, dans cette fête, nationale pour deux nations. Vous êtes dignes de faire à l’Italie la salutation de la France.

Ainsi s’ébauche la majestueuse République fédérale du continent. Ces magni- fiques mélanges de peuples commencent les États-Unis d’Europe.

Pétrarque est une lumière dans son temps, et c’est une belle chose qu’une lu- mière qui vient de l’amour. Il aima une femme et il charma le monde. Pétrarque est une sorte de Platon de la poésie ; il a ce qu’on pourrait appeler la subtilité du cœur, et en même temps la profondeur de l’esprit ; cet amant est un penseur, ce poëte est un philosophe. Pétrarque en somme est une âme éclatante.

Pétrarque est un des rares exemples du poëte heureux. Il fut compris de son vivant, privilège que n’eurent ni Homère, ni Eschyle, ni Shakespeare. Il n’a été ni calomnié, ni hué, ni lapidé. Pétrarque a eu sur cette terre toutes les splendeurs, le respect des papes, l’enthousiasme des peuples, les pluies de fleurs sur son passage dans les rues, le laurier d’or au front comme un empereur, le Capitole comme un dieu. Disons virilement la vérité, le malheur lui manque. Je préfère à cette robe de pourpre le bâton d’Alighieri errant. Il manque à Pétrarque cet on ne sait quoi de tragique qui ajoute à la grandeur des poëtes une cime noire, et qui a toujours marqué le plus haut sommet du génie. Il lui manque l’insulte, le deuil, l’affront, la persécution. Dans la gloire Pétrarque est dépassé par Dante, et le triomphe par l’exil.

XIX LA QUESTION DE LA PAIX REMPLACÉE PAR LA QUESTION DE LA GUERRE
A MM. LES MEMBRES DU CONGRÈS DE LA PAIX A GENÈVE.

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