C’était ainsi…

Chapitre 7

 

C’était chose curieuse, et personne ne savaitni ne comprenait comment cette rumeur s’était propagée ; maiselle courait avec persistance, par tout le village. Les ouvriers,disait-on, se montreraient satisfaits et la grève prendrait fin, siM. de Beule consentait à diminuer la journée de travaild’une demi-heure et à doubler la ration de genièvre.

Sefietje en avait entendu parler, ainsiqu’Eleken, qui, après tout, ne quitterait pas son service à la findu mois. Mme de Beule et son fils étaient également aucourant. Cela flottait dans l’air, et on avait parfoisl’impression, à voir les gens sur le pas de leur porte ou pargroupes, le nez au vent, aux coins des rues, qu’ils humaient lesémanations volatilisées de l’alcool réconciliateur. On était versla fin de la première semaine de grève et on sentait venir ledimanche comme un jour de crise décisive, où, de deux chosesl’une : le conflit serait résolu, ou bien prendrait desproportions inquiétantes.

Ce dimanche-là, de fort bonne heure dans lamatinée, on put voir Pierken, l’air soucieux et affairé, passer etrepasser dans la rue ; et à dix heures, après la grand’messe,des camelots distribuer la petite feuille socialiste. Ellecontenait un article où l’on disait violemment leur fait aux fauxfrères qui oseraient trahir la cause commune et vendre leurs droitsles plus sacrés, leur dignité d’hommes libres, pour un immondeverre d’alcool empoisonneur.

A onze heures Justin-la-Craque vint sonner àla porte de M. de Beule. Il était légèrement éméché, avecdes yeux aqueux et fixes, prêt à fredonner l’O Pépita. Iln’en fit rien pourtant, mais insista pour avoir un momentd’entretien avec M. de Beule ; et lorsque celui-ci,averti par Sefietje, parut enfin, non sans une répugnancemarquée :

– Puis-je, monsieur ? Puis-je ?demanda Justin, sans plus de précision.

– Quoi ? dit M. de Beule,bourru et méfiant.

– Leur dire qu’ils auront double ration etpourront finir à sept heures et demie ?…

– Pour l’amour de Dieu, accepte ! suppliaMme de Beule, intervenant dans la conversation.

– Mais ne te mêle donc pas de cesaffaires-là ! dit M. de Beule, se retournantagacé.

Avec un soupir Mme de Beules’éloigna. Fixement, de ses yeux vitreux d’alcoolique Justinregardait M. de Beule. Il crut sentir qu’il hésitait,fléchissait.

– Je vais le leur dire ! Je vais le leurdire ! s’écria-t-il brusquement dans un transportd’enthousiasme, en faisant un mouvement vers la porte.

– A tes risques et périls, Justin ! Çavient de toi ! cria M. de Beule d’un ton sévère.

– Oui… oui… ça vient de moi ! criaJustin.

Et d’un saut il fut dans la rue.

– Ils vont revenir ! jubilaMme de Beule avec un soupir de soulagement.

Mais M. de Beule la toisa d’unregard courroucé et répliqua :

– Qu’en sais-tu ? Et d’ailleurs, qui tedit que je les laisserai rentrer ?

Mme de Beule préféra ne rienrépondre. Et elle se rendit à la cuisine auprès de Sefietje, pourparler du dîner.

Auteurs::

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer