C’était ainsi…

Chapitre 13

 

Ainsi se passa l’hiver. Il y eut d’abord desjours sombres, avec de lourds nuages, qui flottaient bas, commes’ils étaient chargés de boue ; puis vinrent la neige et lagelée ; puis le dégel, puis encore de très fortes gelées,suivies d’une neige abondante par un vent glacial. Toute la contréeétait ensevelie sous l’immense nappe blanche, les maisonnettessemblaient plus petites et prenaient des tons décolorés au milieude tout ce blanc. La fumée des cheminées était fauve et bistre dansle gris opaque du ciel.

Les gens restaient chez eux, s’acagnardaientaux coins de l’âtre, dans un besoin d’intimité et de bien-être. Lesgrandes chambres des maisons cossues restaient glacées etsombres ; la bonne chaleur vivifiante se gardait sous lessolives basses et enfumées des humbles chaumines ; et chaquefois que M. Triphon entrait dans la maisonnette de Sidonie, ily goûtait une sorte d’intimité douillette qui n’existait pas chezses parents et qui l’y retenait comme une longue et douce caresse.Il aurait bien voulu y rester toujours, la pipe aux lèvres, Kaboulroulé en boule à ses pieds, les jambes allongées vers la flammedansante de l’âtre, où ses yeux suivaient des pensées pleines decharme, l’esprit bercé par le tambourinage léger des bobines, quirebondissaient sur le carton glacé des coussins de dentellière. Ileût voulu y vivre, toujours, toujours, simplement et humblement,comme eux vivaient ; il eût voulu partager leur frugal repasdu soir, s’amuser doucement au bavardage des jolies filles, puis ydormir devant le feu, avec Sidonie dans ses bras. Pourquoi cela nese pouvait-il pas ? Pourquoi ne pouvait-il rester là,simplement et naturellement, comme Kaboul et Minou, d’abord desennemis farouches, et maintenant des amis inséparables, enroulésensemble sur les dalles, devant la bonne chaleur du feu ? Ilss’y endormaient comme des êtres humains et M. Triphoncontemplait ce spectacle en souriant, presque avec une pointe dejalousie.

La vieille horloge, droite et raide comme uneaïeule desséchée dans son coin, comptait de son tic-tac lent etmonotone ces instants de reposant bonheur qui s’égrenaient dans lenéant. Le rouge de la flamme se reflétait en danses capricieusessur les cuivres luisants et les étains ternis le long desmurs ; le plafond bas aux solives brunes était comme unecuirasse de protection et de sécurité, qui ne laissait rien entrerde l’inclémence du dehors, ne laissait rien échapper du charme etdes délices du dedans. Parfois il se sentait là comme sur une îlebienheureuse, seule au milieu d’une mer mauvaise, gonflée depérils.

Car, chaque fois, il y avait risque pour lui às’y rendre, et risque aussi à s’en retourner. La neige rendait lesnuits trop claires ; chaque silhouette se détachait avec uneinquiétante netteté. Il était presque impossible qu’on ne l’aperçûtpas quelque soir. Avec les jours plus longs, le danger grandissait.Comment s’arrangerait-il lorsque, le printemps et l’été venus, lesgens restaient parfois, jusque tard dans la nuit, à prendre lefrais devant leur porte ? Problème qui lui paraissaitinsoluble et auquel il préférait ne pas penser encore.

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