La Nouvelle Carthage

Chapitre 7LA CARTOUCHERIE

 

Ce jour de mai, les brouillards d’un hiverexceptionnellement tenace s’étaient dissipés pour ne laisserflotter dans l’air qu’une évaporation diaphane à travers laquellel’azur offrait une intéressante pâleur de convalescence et quis’irisait, à la radieuse lumière, comme un pulvérin de perlesfines.

Après une longue maladie contractée lelendemain de son orageux Mardi gras, Laurent, aussi convalescentque la saison, faisait sa première sortie de l’hôpital où lespraticiens l’avaient sauvé malgré lui et moins, sans doute, parintérêt pour sa personne que pour triompher d’un des cas de typhusles plus opiniâtres et les plus compliqués qui se fussentrencontrés dans l’établissement.

Remis sur pied, rendu à la vie du dehors, ilsemblait revenir d’un long et périlleux voyage, comme amnistié d’unexil qui aurait duré des années. Aussi jamais, même le jour de sarentrée à Anvers, la métropole ne lui était apparue sous cet aspectde puissance, de splendeur et de sérénité. Au port, l’activité seressentait de la température printanière. La famine récente causéepar le blocus de l’Escaut n’avait pas persisté après la débâcle desglaces. Plus que jamais la rade et les docks regorgeaient denavires et une recrudescence formidable succédait à la longueaccalmie du trafic.

Les ouvriers travaillaient sans souffrance,heureux de dépenser leurs forces, considérant aujourd’hui lacorvée, si souvent pénible, comme une gymnastique rendantl’élasticité a leurs membres longtemps engourdis.

Même les émigrants, stationnant aux portes desconsulats, semblaient à Paridael moins pitoyables, plus résignésque de coutume.

Passant devant le Coin des Paresseux, ilconstata que tous les habitués en étaient absents.

Leur roi, chômeur permanent, ne travaillantpas quand les paresseux les plus fieffés se laissaient embaucher,dérogeait exceptionnellement à sa fainéantise. Cette constatationhumilia quelque peu Laurent Paridael. Il demeurait l’unique bourdonde la ruche en pleine activité. Il lui tardait de se régénérer parle travail.

À cette fin il aborda plusieurs brigades dedébardeurs et demanda de l’emploi, n’importe lequel, à leur baes,mais celui-ci, après l’avoir dévisagé, peu soucieux de s’empêtrerd’une main-d’œuvre aussi dérisoire que celle d’un particulier rongépar deux mois de fièvres, l’engageait à repasser le lendemain,alléguant que la journée était déjà trop avancée.

Charriant les fardiers, passaient, d’uneallure majestueuse et lente, les grands chevaux des« Nations ». À leurs larges colliers des clous dorésdessinaient le nom ou le monogramme de la corporation propriétaire.Les voituriers de ces chars n’emploient pour toutes rênes qu’unelongue corde de chanvre passée dans un des anneaux du collier. Soitqu’ils trônent debout sur leurs chariots lèges à la façon descochers antiques, ou qu’ils marchent, placides et apparemmentdistraits, à côté du véhicule charge, leur adresse, leur coup d’œilet aussi l’intelligence de leurs chevaux sont tels, que lesattelages se croisent, se frôlent, sans jamais s’accrocher.

Laurent ne se lassait pas de s’extasier devantces rudes chevaux et ces magnifiques conducteurs, il s’immobilisaitmême sur leur passage et à tout instant il se fût fait écraser, siun impératif claquement de fouet ou une gutturale onomatopée nel’eût averti de se garer.

Ivre de renouveau, il pataugeait avec voluptédans cette boue grasse, sueur noire et permanente d’un pavécontinuellement foulé par le pesant roulage ; il enjambait desrails et des excentriques de voies ferrées ; des amarres lefaisaient trébucher, des ballots jetés à la volée, de mains enmains, comme de simples muscades par des jongleurs herculéens,menaçaient de le renverser, et l’équipe dont il contrariait lamanœuvre rythmique et cadencée, le houspillait dans un patoisénorme et croustilleux comme leurs personnages.

Rien n’altérait, aujourd’hui, la belle humeurde Laurent ; il prenait plaisir à se sentir rudoyé par lemonde de ses préférences, jouissait de l’extrême familiarité quelui témoignaient ces débardeurs aussi robustes que placides.

Il longea le grand bassin du Kattendyk. Soncœur battit plus fort à la vue des compagnons del’Amérique, la « Nation » dont il avait faitpartie, en train de décharger des grains. Les sacs agrippés à fondde cale par les crocs de la grue étaient guindés à hauteur des matset de la cheminée, puis le formidable levier, décrivant unhorizontal quart de cercle, entraînait sa portée jusqu’au-dessus ducamion attendant sur le quai.

Debout sur le camion, nu-tête et bras nus, ungrand gaillard, les reins sanglés comme un lutteur, une sorte deserpe à la main, accrochait au passage les sacs surplombant satête, les débarrassait de leurs élingues et, du même coup, rendaitla liberté de son mouvement à la machine qui virait pour continuerses fouilles.

À la file, d’autres compagnons, coiffés,ceux-ci, du capuchon, s’approchaient à point nommé pour transbordersur un second camion la charge que l’homme nu-tête soulevait d’untour de main et assujettissait contre leur échine. Alentour, lesbalayeuses rassemblaient en tas le grain qui se répandait à chaquevoyage de la machine par les fissures des sacs accrochés etmordus.

En s’approchant, Laurent reconnut dans leprincipal acteur de cette scène, dont lui seul, peut-être, parmises contemporains, ressentait jusqu’aux moelles la souverainebeauté et qui eût sollicité Michel-Ange et transporté de lyrismeBenvenuto Cellini, le débardeur secouru par lui dans le galetas ets’estima récompensé au delà de toute perspective terrestre oudivine par l’émotion dont l’emplissait la vue do cette noblecréature restituée à la vie et à son décor. Un instant Laurentsongea à héler le personnage, mais il n’en fit rien ; le bravegars eût pu croire, tant son bienfaiteur avait l’air minable etvanné, que celui-ci faisait brutalement appel à sa reconnaissance.Paridael se hâta même de poursuivre son chemin, craignant d’êtrereconnu, se félicitant d’avoir eu ce scrupule, mais non sansenvoyer du fond de l’âme à son obligé l’effluve le plus chaud deson fluide affectif.

Il dépassa les cales sèches, traversa forceponts et passerelles, atteignit les entrepôts de matièresinflammables, les magasins de naphte immergés dans des bas-fondsmarécageux, les tanks à pétrole, cuves immenses comme desgazomètres, tous objets d’apparence topique contribuant à ladémarcation de ce paysage commercial.

Ici s’arrêtait, lors de ses dernièresvagations, l’industrie accapareuse et vorace de la métropole.

Aussi ne fut-il pas peu surpris en constatantque, passé les réservoirs à pétrole, vers le hameau d’Austruweel –piteux coin de village cruellement séparé de son clocher par lesnécessités stratégiques, et réuni de force à la région urbaine –s’élevait un agglomérat de constructions sommaires et hâtives commeun baraquement, d’un aspect si trouble, si rebutant, édifiéestellement à la diable, que Laurent n’était pas loin de leurattribuer, en effet, une origine diabolique. Aucun nom, aucuneenseigne ne les revêtait, comme si le propriétaire eût été honteuxde revendiquer sa propriété ou comme s’il e exercé une professioninavouable. Ces masures avaient dû pousser là comme les champignonsgerment en une nuit dans les endroits humides, propices aussi àl’éclosion de crapauds.

L’ensemble tenait à la fois du lazaret, dudispensaire, du chantier d’équarrissage, d’un entrepôt decontrebande, d’une brûlerie clandestine reléguée hors la zone desindustries normales. Choqué désagréablement, Laurent Paridaels’arrêta malgré lui devant ces pourpris interlopes, consistant encinq corps de bâtiments sans étages, faits d’épaves, de torchis, degravats, de matériaux agglutinés comme une chose provisoire àlaquelle on ne demanderait qu’une consistance éphémère.

Entouré d’un méchant palis, garde fousvermoulu, l’ensemble jetait une note discordante dans l’harmoniegrandiose et loyale, dans l’impression de probe aloi produiteaujourd’hui par le panorama d’Anvers. Ces bicoques sans destinationapparente intriguaient Paridael plus qu’il ne l’aurait voulu.

Il fut distrait de sa critique par une dizained’apprentis, garçons et jeunes filles, qui, bâtant le pas etdevisant joyeusement, allaient précisément s’engager dans ceschantiers équivoques.

Il les aborda avec l’angoisse d’un sauveteurqui saute à l’eau ou au mors de chevaux emballés, pour secourir leprochain en détresse, et leur demanda ce que représentait cesinstallations suspectes.

– Ça ? mais c’est la Cartoucherie Béjardlui dirent-ils en le regardant comme s’il tombait de la lune.

À cette réponse il dut avoir l’air encore plusahuri. Comment n’avait-il pas prévu cette corrélation ?Établissement de mine si repoussante et de dehors si maléfique nepouvait évidemment servir qu’à Béjard.

Laurent Paridael se rappela qu’on lui avaitparlé de la dernière opération de l’ancien esclavagiste. Sans seréconcilier avec Bergmans, il avait applaudi à la campagnevéhémente conduite par le tribun contre les menaçantes œuvres dumarchand de viande humaine, et s’il ne s’était pas mêlé plusactivement à cette opposition, c’est qu’il croyait le Magistratincapable de tolérer pareilles manipulations à l’intérieur de laville. Et voilà que Paridael trouvait ses prévisions démenties etle salut public mis en péril malgré les philippiques, lesadjurations et les cris d’alarme de Bergmans !

Béjard, le méchant alchimiste, était parvenu àétablir son laboratoire où bon lui semblait.

C’était dans ces ateliers précaires, presqueouverts à tous les vents, plutôt aménagés pour séduire leschauve-souris que pour abriter des êtres humains, que sepratiquaient ces opérations redoutables !

C’était dans le proche voisinage des matièresles plus combustibles qu’on tolérait la présence des plusfoudroyants producteurs du feu ! Non seulement on installaitune soute aux poudres à côté des entrepôts de naphte et d’huile,mais on se livrait sur cette poudre à une trituration des pluspropres à la faire éclater.

C’était des gamins, des bambines fatalementvolages et étourdis, appartenant par essence à la classe la plusturbulente et la plus téméraire des prolétaires anversois, que l’onchargeait d’un travail pour lequel on n’aurait jamais requismanipulateurs trop sages et trop rassis !

Et pour que rien ne manquât à cette gageure,pour que le défi criât mieux vengeance au ciel, pour tenter plussûrement Dieu ou plutôt l’Enfer, on outillait d’engins grossiers etrudimentaires ces menottes novices et maladroites.

Enfin, provocation suprême, on logeait unemachine à vapeur et son foyer à proximité de la poudrière, ontraitait littéralement la poudre par le feu !

Ne considérant que le peu de difficulté,comportée par la tâche même, simple travail de mazettes, « unvéritable jeu d’enfant ! » disait en ricanant l’âprecapitaliste, celui-ci avait tout bonnement rabattu deux cents deces tout jeunes voyous et maraudeurs, pullulant dans le quartierdos Bateliers et de la Minque, graine de ribaudes, de colporteuses,de pilotins, de smugglers et de runners,truandaille à faibles prétentions qu’il salariait à raison dequelques liards par jour. Béjard s’occupait aussi peu de lasécurité de ces pauvrets que de celle des émigrants. Cettecartoucherie était le digne pendant du navire avarié. Laurents’imagina même reconnaître dans ces planches moussues etgoudronnées, des épaves de la Gina, et par plus de reculencore il songeait aux navires qu’avaient aidé à construire dutemps de Béjard père, les apprentis suppliciés pour amuser Béjardfils.

L’aîné des gamins, auxquels Laurent venait des’adresser, ne courait que sa seizième année et il apprit de luique la plupart de ses compagnons n’atteignaient pas cet âge.

En les interrogeant, Paridael prenait à leursort un intérêt encore inéprouvé, leur portait d’emblée uneimpérieuse et presque cuisante sollicitude, la plus intense, laplus jalouse qu’être humain eût éveillée en ses moelles,s’ingéniait à prolonger la conversation pour les retenir, là,auprès de lui, et retarder de minute en minute leur rentrée dansl’usine.

Il se creusait la tête afin de les détournerde leur travail, de licencier cet atelier délétère. Jamais iln’avait nourri pareille envie de disputer à une usine son peuple deservants ; de débaucher, de libérer, d’affranchir lesapprentis attelés aux métiers homicides. Toutes ses amours passéesrevivaient, se condensaient en cet attachement suprême.

– Dans ce bâtiment-là, devant votre nez, estl’atelier où les garçons vident les cartouches. Derrière la remise,la douane… Au milieu, cette espèce de fort entouré de terre battuevous représente la poudrière dans laquelle nous mettons en caissela poudre provenant des cartouches démontées… De l’autre côté de lapoudrière : l’atelier des filles… C’est là que s’applique mabonne amie, la rousseaude, qui se cache derrière cette autrepisseuse… Comme autrefois à l’école, on sépare les culottes desjupons. Je ne dis pas qu’on ait tout à fait tort… d’autant plus quenous nous dédommageons à la sortie, n’est-ce pas, la Carotte ?Enfin, ce hangar-là contient le four en maçonnerie où l’on fondséparément en lingots le cuivre et le plomb…

« Le même auvent protège la machine àvapeur servant à écraser les douilles vidées et brûlées. Moi, jetravaille au four. C’est moi, Frans Vervvinkel, qui fais partir lefulminate des amorces après avoir vidé les douilles. Il faudrait mevoir à l’œuvre ! C’est très amusant et pas plus difficile quede planter une taloche à celui-ci. Vlan ! je fais ainsi. Et letour est joué ! Ne te fâche pas, Pitiet, c’était pourexpliquer le truc à monsieur ! »

À mesure que l’aîné lui donnait sansrécriminer, même sur un ton de forfanterie, fortement imprégné dusavoureux bagout local, ces détails et d’autres encore sur leslieux, le matériel et les travailleurs, les affinités de Laurentpour cette traînée de lurons et de luronnes se corsaient auparoxysme de la commisération.

Ils avaient la charnure bien modelée, la minesaine quoiqu’un peu déveloutée, le museau éveillé, les alluresbalancées et dégourdies, les vives prunelles, les lèvres mobiles,ce teint un peu hâlé, ces pommettes briquetées, cette complexionbrune des riverains du port, ce type local tellement prisé parLaurent qu’il lui rendait sympathiques jusqu’aux runnerset autres requins de terre.

En les dévisageant, comment se fit-il soudainla réflexion que les premières victimes de Béjard et de sescharpentiers de navires, que les petits crucifiés du chantierFulton devaient avoir eu leur âge, leur galbe, leur gentillesse,leur crânerie ? C’était bien là les congénères de ces fiersbonshommes qu’au dire des gazettes du temps on avait pu brimer etmartyriser à l’envi sans les pousser à la délation, sans seulementen tirer une plainte.

– Et vous ne vous faites point mal ? Onne vous fait point de mal là-dedans ? Bien sûr ? Cethomme, Béjard, ne prend-il point plaisir à voir couler votresang ? Oh, dites, n’ayez point peur !… N’est-ce pas quevous vous prêtez à ses amusements féroces, qu’il vous brûle et vouscharcute, le bourreau !… Ne dites pas non ! Je leconnais… Prenez garde !

Ils se regardaient en pouffant, ne comprenantrien aux divagations de ce carême-prenant.

Le pressentiment d’occultes dangers qui lesmenaçaient, angoissait atrocement Paridael, attristait, pouremployer la parole sublime du Sauveur, son âme jusqu’à la mort. Unattirail de supplices et de questions guettait cette chairadolescente. Il aurait voulu racheter ces pauvrets au prix de sonpropre sang, il ne savait à quels vivisecteurs.

Un moment il crut avoir trouvé le moyen deconjurer leur fortune.

Après avoir calculé mentalement ce qu’ilpossédait encore, il proposa de but en blanc à toute la flopée dela conduire à la campagne, au-delà d’Austruweel où il les auraitrégalés de riz au safran, « de pain de corinthes » et decafé sucré, tout comme Jésus traite ses élus au Paradis.

Mais, en même temps qu’il fouillait ses pochespour en retirer son dernier argent, il se tâtait, en quête debandelettes, de charpie et d’onguent. Ses hardes s’en étaient-ellesimprégnées à l’hôpital, mais, simultanément, une abominable odeurde phénol, de laudanum, de chair cautérisée, outragea sesnarines.

Ficelé dans un de ces accoutrementspicaresques à la composition desquels il apportait un véritabledandysme, les joues creusées, la mine ravagée par la maladie etrendue plus hagarde, plus décomposée encore par l’angoisseprésente, des propos saugrenus et incohérents brochant sur ladégaine défavorable du personnage, Laurent Paridael était si peu leparticulier de qui on eût pu attendre largesse, qu’en lui entendantproposer cette mirifique régalade à la campagne, les gamins secrurent positivement en présence d’un fou, d’un fumiste ou d’univrogne incapable de tenir ce qu’il leur offrait et se mirent àl’étourdir par un tas de propositions burlesques :

– Dis, Jan Slim, as-tu fini de couïonner tonmonde ? Apprends-nous plutôt l’adresse de ton tailleur. –Eh ! l’oiseau rare, puisque tu es en veine de prêche, si tunous récitais les dix commandements de Dieu ! – Certes qu’ont’accompagnera, mon petit père, et tout de suite encore, maispourrais-tu nous mener dîner à l’Hôtel Saint-Antoine ou chez.Casti ? – Soit dit sans te blesser, mais tu nous fais l’effetd’un échappé de la rue des Béguines ou d’un pèlerin de Merxplas. –C’est-il avec l’argent volé que tu nous gaveras la panse ?

Loin de se formaliser de ces brocards, Laurentregrettait profondément de ne plus disposer du moindre billet decent francs pour les partager entre ces garnements et payer leurrançon à la fatalité. Lui-même était à bout de ressources, et àmoins qu’il ne trouvât demain à louer ses bras affaiblis, il luifaudrait, en effet, se rendre en pèlerinage à Merxplas, àl’hospitalier dépôt des musards et des las d’aller, où il auraitretrouvé Karel le Forgeron et tant d’autres dignes anathèmes.

Averti d’une détresse de plus en plusimminente, Laurent insista pour entraîner les jeunes ouvriers loinde cet endroit ; les supplia presque avec des larmes d’allers’embaucher ailleurs comme goujats, terrassiers, trieuses de café,harengères, ou tout au moins de chômer aujourd’hui, un seulaprès-midi, de faire l’usine buissonnière durant le restant dujour.

Mais jugeant que cette mystification tournaità la scie, leur chef, un polisson aux grands yeux couleur dechâtaigne mûre, à la moue gouailleuse, au menton carré etvolontaire marqué d’une délicieuse fossette, un espiègle difficileà prendre sans vert, le même Frans Verwinkel qui se disait chargéde « faire partir le fulminate » tira respectueusement sacasquette à Paridael et, inclinant sa caboche noire et frisée, leharangua à ces termes :

– Ce n’est pus, mon vieux frère, que tacompagnie nous soit particulièrement désagréable ou que taconversation manque de ragoût, mais si tu m’en crois, tu prendrasles devants et iras nous attendre à Wilmarsdonck… Voilà au moinsune heure que la cloche a sonné et, sans être tout à fait lecroquemitaine que tu nous disais, le Béjard ne se gênerait pas pournous coller des amendes ou nous foutre tous à la porte, certainqu’il est, le roublard, de piger toujours assez d’artistes de notreforce pour faire marcher sa boutique.

« Et comme, dans ce cas, ce n’est pasencore toi, notre oncle, qui beurreras nos tartines et nousnicheras dans un poulailler, ou tendras le cul à notre place pourrecevoir une fessée aussi paternelle que brûlante, nous tesouhaitons le bonsoir, l’ami. Salut et bon ventarrière ! »

Laurent tenta de lui barrer le passage,l’arrêta par le bras, lui retint les mains :

– Allons hop ! l’ami ! Bas lespattes ! Au large, entends-tu ?

Le fringant apprenti se dégagea et Laurent eutbeau s’accrocher désespérément aux blouses et aux jupes, touspassèrent outre, à la suite de leur chef, non sans molester untantinet le chanteur de noires complaintes. Et, avec des huées, dossifflets, à grand renfort de gestes cyniques à son adresse, ilss’engouffrèrent dans la cartoucherie, plus effrontés, plustapageurs qu’une volée de moineaux narguant l’épouvantail.

Paridael demeura en cet endroit longtempsaprès que la porte se fut refermée sur le dernier desretardataires. Leur rire sonore, leur voix vibrante claironnaitencore à ses oreilles ; il voyait reluire et pétiller lesprofonds yeux couleur de châtaigne mûre du plus grand, seremémorait le ragoût de son mouvement, lorsque d’un revers de mainil avait relevé vers le ciel la visière de sa casquette à la façond’une mésange querelleuse qui hérisserait sa huppe.

Le cœur de Paridael saignait de plus en plusdouloureusement sous sa poitrine. Et cela, à propos de galopins quilui étaient absolument étrangers !

« Il en gredine des centaines, voire desmilliers, du même moule, du même fion dans les quartierspopulaires, depuis Merxem jusqu’à Kiel ! » lui auraitfait observer le judicieux et raisonnable Marbol.

Eux-mêmes ne venaient-ils pas de reconnaîtreque Béjard n’eût pas été embarrassé de lever plus d’une réserve deconscrits de pareil acabit.

La ville prolifique les jetait sur le pavé,négligemment, les exposant aux aventures, les abandonnant à leurpropre industrie, à leurs bons ou mauvais instincts, les vouantpresque tous à l’ilotisme, mais les prodiguant pour la plus grandesaveur de la rue et du rivage.

S’ils ne servent pas à la nourriture despoissons, un jour ils s’allongent sur la dalle des morgues oucontribuent à l’instruction des carabins. Possédaient-ils bienl’unique, le suprême cachet que leur prêtait Laurent ?Incontestablement. Eût-il même été seul à les voir sous cettecouleur chaude et en si ferme relief, c’est qu’ils étaient créés,qu’ils existaient ainsi.

Sur le point de relancer les apprentis dansleur atelier afin de suspendre les malignes pratiques auxquelles onse livrait sur eux et de les disputer à Béjart lui-même, la mêmeodeur que tout à l’heure, mais plus véhémente encore, une touffeurd’abattoir mêlée à des relents d’infirmerie et à des bouffées deroussis fondit à sa rencontre. Comme si on lui eût fait respirer unviolent anesthésique, il eut un éblouissement, un vertige ;les objets tournoyèrent autour de lui.

La palissade enclavant la cartoucherie futbalayée, la maçonnerie s’effrita, les murs se lézardèrent ets’entrouvrirent comme des décors d’opéra, ou comme si sedéclaraient de subites voies d’eau et, dans une verte lumière debengale ayant la couleur d’une mer glauque et phosphorescente,d’insolites formes humaines tourbillonnèrent devant ses yeux, plusrapides, plus fugaces qu’un banc de poissons lumineux ou que lesmille chandelles folletant sous la paupière d’un apoplectique.Quoique endiablées que fussent leurs virevousses, Laurent démêladans ces apparitions des têtes sans corps, des torses sans membres,des pieds et des mains amputés, et un qui le consterna surtout,dans ce météore, fut l’expression conjuratrice, implorante outerrifiée des yeux éclairant ces talus exangues, les mêmes beauxyeux d’adolescents si fripons il y a quelques secondes, et lerictus, la convulsion, la grimace d’atroce souffrance de cesbouches, les mêmes bouches tout à l’heure si mutines, sirailleuses, et ces minois ouverts et hardis de bouts d’hommesémancipés ne reculant devant rien, tordus a présent, convulsés dansil ne savait quel spasme…

Assistait-il à un naufrage ou à unincendie ? Il revoyait à la fois les enfants martyrisés duchantier Fulton et les émigrants qui avaient sombré avec laGina. Et un de ces visages, celui du jeune FransVerwinkel, ressemblait extraordinairement à celui de son cher petitPierket, le frère cadet d’Henriette et l’image de la jeune fille,mais une version mutine et luronne de cette pensive image.

Cette fantasmagorie ne dura qu’une mortelleseconde, après laquelle la lumière verte s’éteignit, les parois serefermèrent, le palis se releva et la vilaine usine reprit sonapparence revêche, mais normale.

« Ah ça ! se dit Paridael,deviendrais-je fou ? »

Et rougissant de cet accès morbide qu’ilattribuait à une hyperesthésie causée par sa maladie, à l’actioncapiteuse de l’air après une longue claustration, il se décidaenfin à tourner le dos à ces objets hallucinants et se dirigea versle fleuve.

Deux ou trois fois, cependant, il ramena lesregards vers le chantier, revint un instant sur ses pas comme s’ilavait oublié quelque chose ou si quelqu’un de bien aimé lerappelait pour lui redire adieu.

Graduellement ce charme cessa d’opérer.L’apparence normale et rassurante du reste des objets sous lalumière et dans la tiédeur de ce premier beau jour le lénifialui-même. Pas un nuage n’offusquait l’opale azurée du ciel.D’imperceptibles vaguilles ridant la rivière inondée de soleilfaisaient songer à ce frisson d’aise, a cette petite mort courantau flanc d’une monture flattée par son cavalier.

Laurent ne distinguait plus les gréements etles cordages des vaisseaux lointains, de sorte que leurs voilesblanches, plus blanches que les draps de son lit numéroté àl’hôpital ou que la bâche des civières, semblaient flotter sansentrave dans l’espace et suggéraient les ailes d’anges envoyés à larencontre des âmes attendues prochainement là-haut !

Parvenu sur la digue, au point même d’où ilavait vu décroître le vaisseau emportant les Tilbak, amoureusement,jalousement, Paridael embrassa le panorama de sa ville natale. Sesregards parcoururent les contours et les arêtes des monuments, ilsen firent une délinéation minutieuse et appuyée comme pour uneépure, en même temps que son enthousiasme avivait les teintes,multipliait, chromatisait à l’infini les nuances de cesarchitectures familières. Il inhala avec une avidité d’asphyxiérappelé à la vie, l’air salin, les arômes du large, les émanationsdes épices odoriférantes et même les vireuses matières organiqueschargées sur les flottes marchandes. L’odeur obsédante de l’hôpitalse dissipa dans ce bouquet majeur.

Laurent apercevait les équipes diligentes,surprenait les manœuvres d’ensemble sous les grands gestes desélévateurs et des grues, enregistrait les appels, les signaux etles commandements. Il confondait dans un immense transportd’affection l’horizon natal et tous ceux dont cet horizon bornaitla vue. Une profonde et totale béatitude l’envahit, une sorte denirvana, de voluptueuse stupeur. Tout en savourant, en dégustant laréalité ambiante et tangible, il ne se sentait déjà plus fairepartie de la Cité. Celle-ci prenait les proportions et le caractèred’une sublime œuvre d’art. Était-ce qu’il ne participait plus enrien à la création ou bien qu’il s’était fondu et dissous dans lesessences et les principes mêmes qui la constituent ?

C’était le premier jour qu’il l’appréciait,qu’il se l’assimilait ainsi par tous les pores. De quelle vieétrange vivait-il donc ? Si telles délices constituaient lejour sans lendemain, il ne se fût jamais lassé de leuréternité !

Une saltarelle de carillon préluda au coup detrois heures.

Avant le premier tintement, Paridael éprouvacette sensation de froid d’un dormeur qui se réveille à la belleétoile ; en même temps, il lui sembla qu’on le tiraitfortement par la manche et que les dernières voix humaines qu’ileût entendues, celles des jeunes ouvriers de Béjard, le hélaient detrès loin. Il se retourna vers les bâtiments de la cartoucherie. Iln’y avait âme qui vive entre ces bâtiments et le fleuve, et, ennuyépar ce rappel, Laurent allait reporter ses regards du côté de larade.

En même temps que sonnait le premier coup del’heure, il entendit partir de la cartoucherie une série de petitesdétonations de plus en plus précipitées, et comme il renonçait àles compter, une commotion lui laboura les jambes, le sol se tenditet se détendit comme un tremplin sous ses pieds et le fit bondir,d’un élan involontaire, à quelques mètres en avant.

Un tonnerre, comparable à celui de tous lescanons des forts réunis en une seule batterie, lui brisait letympan et faisait jaillir le sang de ses oreilles. Simultanément,une partie de la cartoucherie – hélas, les ateliers desenfants ! – oscilla, se désagrégea comme un simple château decartes et ramassé, englobé dans une trombe blanche, monta, fusavers le ciel.

Cela monta d’un seul jet très vite, ah !trop vite, droite tige d’une végétation spontanée et au bout decette tige, blanche et cotonneuse, qui n’en finissait pas, se formal’immense masse bulbeuse d’une tulipe rose et noire s’épanouissantcomme la fabuleuse agave au fracas de la foudre, mais floraisonmort-née effeuillant ses pétales en un funèbre feu d’artifice.

Au deuxième coup de trois heures, durant lemillième de seconde que vécut cette fleur pyrique, Laurent,scrutait ces pétales, démêla des bras, des jambes, des tronçons, etaussi d’entières silhouettes humaines, gesticulant horriblement,tels des pantins trop désarticulés. Il se rappela gestes etcontorsions analogues dans des toiles de peintres hallucinés,évocateurs de sorciers se rendant au sabbat… Et ces parties de latulipe rose et noire, sanguinolentes ou carbonisées, décrivaientdans toutes les directions de longues trajectoires, et sans cessepleuvaient, pleuvaient, pleuvaient d’innombrables débris avecaccompagnement d’intraduisibles clameurs et de la continuellepétarade. Giries de brûlés vifs ! Pyrotechnienéronienne !

Comme il semblait à Laurent avoir entendu déjàde ces voix, quelques masses s’abattaient autour de lui en mêmetemps qu’une grêle de balles, et il eut la vision précipitée d’untronc auquel adhérait un corsage, d’un pied d’enfant encore logédans son petit sabot, d’une jambe musclée culottée de velours, etdu même coup il se rappelait la cambrure de ce corsage, le pli dece pantalon, le bruit guilleret de petits sabots courant à leurbesogne et la belle impudence d’un visage émerillonné sous certainevisière bravache :

« C’est moi, Frans Verwinkel, qui faispartir le fulminate ! Il faudrait me voir à l’œuvre. Je n’aiqu’à frapper ainsi, et le tour est joué ! »

Peut-être le pauvret n’avait-il eu qu’àfrapper ainsi…

Non, c’était impossible ! Laurent n’enpouvait croire ses sens. Le mirage reprenait de plus belle. Pour seconvaincre de son état d’hallucination, il poussa un immense éclatde rire, mais il s’entendit rire et le cauchemar persista. Versl’extrémité de l’enceinte urbaine, à l’endroit où s’élevait, il y amoins d’une seconde, un tènement du hameau d’Austruweel, il nerestait debout des vingt bicoques que l’estaminet In denSpanjaard, contemporain de la domination espagnole et arborantle millésime 1560. Par la trouée furieuse on découvrait lacampagne, les talus verdissants des remparts, un rideau d’arbres enbourgeons et le placide clocher d’Austruweel, au-dessus duquell’alouette chantait sa première chanson. La guérite d’unesentinelle gisait au bas du rempart.

Capricieuse comme la foudre, l’explosion avaitménagé de proches et précaires masures qu’un souffle aurait dûbalayer et préservé même une partie de la cartoucherie, alorsqu’elle avait renversé et pulvérisé des constructions situées àplusieurs kilomètres de là, réduit en bouillie des maçonneries àl’épreuve des torpilles, rompu comme un fétu de paille les madrierset les pilotis des débarcadères, converti le fer en limaille,ramassé et chiffonné ainsi qu’une étoffe de soie les toitures entôle galvanisée des hangars.

Des ruines penchaient dans un état d’équilibreinstable et se déchiquetaient en profils fabuleux, en architecturesinouïes.

Tout cela s’était accompli au deuxième coup detrois heures.

Avant le troisième coup avait surgi, derrièrela cartoucherie, sifflant, hurlant comme un essaim de guivres, ungeyser enflammé dont les ondes déferlèrent – toujours avant quel’heure n’eût sonné – sur une surface de dix hectares : toutela réserve du pétrole, cinquante mille barils, flambaient comme unesimple allumette.

Et tels étaient le progrès de la déflagration,telle fut la furie de cette marée incendiaire qu’elle paraissaitdevoir submerger la métropole et ne faire qu’une gorgée de sonfleuve.

Par un trompe-l’œil de la perspective, lesénormes langues rouges démesurément allongées, dardées toutes dansla même direction, léchaient les contreforts de la cathédrale.Malgré le plein jour la flèche altière reflétait un coucher desoleil. Et les navires des bassins, alternativement masqués etdécouverts suivant que s’écartaient ou se rapprochaient les vaguesflamboyantes, semblaient, jouets de ces flots dévorateurs, tanguersur un océan en éruption.

L’apocalyptique splendeur du spectaclefinissait par noyer dans une monstrueuse extase l’horreur et lapitié de Laurent. Mais le bitume et le soufre ne pleuraient pas del’empyrée. Jamais si pur, si doux éther n’avait empli l’espace,jamais ciel si bleu si paressant n’avait leurré les mortels.Contrairement à la prophétie les astres ne s’écroulaient pas, lejour printanier continuait de sourire indifférent, même réjoui, etla fumée épaisse et noire, déroulant au loin ses volutes pressées,noire écume de cette tempête de flammes, ne parvenait à voiler ou àtroubler l’impavide et sereine majesté du soleil.

Cependant, après l’inertie et la consternationdu premier moment, un vent d’épouvante balayait la population versla campagne méridionale et chassait de leurs foyers, sous une grêlede plâtras et de vitres cassées, les habitants des quartiers lesplus éloignés de la cartoucherie. Des ouvriers échappés à lamort : calfats, débardeurs, trieuses, femmes portant despoupons sur les bras, jeunes filles presque nues, matelots,douaniers, éclusiers, hagards, horriblement essoufflés, lesprunelles plus dilatées que par la belladone ; la bouchefendue, élargie par un cri prolongé, les cheveux et les habitsbrûlés, parfois atteints jusqu’à la chair, torchères vivantes dontla course stimulait l’activité, se ruaient à l’assaut des berges etallaient même se jeter dans l’Escaut.

Un de ces fuyards courut sur Laurent qu’ilfaillit renverser. Laurent reconnut Béjard et, arraché brusquementà la fascination, la haine lui restituant toute sa lucidité,persuadé que cette extermination était l’ouvrage de son ennemi, Lecouronnement de ses iniquités, il le harpa au passage.

En cet instant hypercritique, il récupéra sesforces perdues. Il allait tenir parole : venger Régina, vengerAnvers, venger les émigrants délibérément jetés aux poissons,venger enfin les petiots de la cartoucherie.

Ah, c’était donc la les « vues » quele destin avait sur lui !

Béjard se débattit, hurla même « àl’incendiaire ! » mais tout entiers à leur propredétresse, les fugitifs poursuivaient leur course sans se préoccuperde ce corps à corps.

Laurent matait Béjard, le serrait d’une poigneimplacable tenant à la fois des crocs du bouledogue, des serres dugypaète, des tentacules de l’araignée, des ventouses de lapieuvre.

Ah ! il s’était flatté, l’exacteur, letortionnaire, le marchand d’âmes, de survivre à cette hécatombed’enfants ! il touchait au salut, le fléau semblait,l’amnistier, mais quelqu’un de plus vigilant et de plus acharné queles flammes se trouvait heureusement là pour suppléer à leuraveugle clémence et leur restituer la proie qu’elles laissaientéchapper.

Aussi implacable que la mort même, justicierabsolu, Laurent ramenait son patient du côté de la gehenne. Ilétait le seul, dans tout Anvers, qui se dirigeât de sang-froid versce foyer d’horreur. Il comptait bien y rester avec son condamné.L’idée du trépas n’avait rien pour lui répugner. Ne s’était-il passenti partir délicieusement, il y a quelques minutes ?

Béjard, devinant l’atroce dessein de sonbourreau, ruait, mordait, jouait de tous ses membres, le désespoirdécuplant aussi sa vigueur normale.

Parfois il opposait une telle résistance queLaurent ne parvenait plus à avancer et qu’ils se crochetaient surplace. Mais l’avantage restait toujours à Paridael et il poussaitvictorieusement sa capture en avant, à travers tout, par-dessus desamas visqueux, des matières flasques ou carbonisées dans lesquelleson aurait eu peine à reconnaître des restes humains.

Il foulait même des blessés, l’idée de lavengeance le rendait sourd à leur râle. Des cartouches partaientconstamment sous ses pieds, des balles sifflaient à ses oreilles,il aurait pu se croire sur un champ de bataille, au cœur de lafusillade décisive.

La chaleur devenait intolérable. Le naphteenflammé l’asphyxiait. En cette extrémité, il n’adressait qu’uneprière à Dieu : celle de ne mourir qu’après avoir tuéBéjard.

Dieu l’exauça.

Au moment même où, à bout de forces, Paridaelallait lâcher prise, ce qui restait des cartouches fit masse etdétermina une explosion suprême. Les derniers vestiges de l’usineBéjard sautèrent. Une autre tulipe rose et noire s’épanouit dansles éclairs.

Deux ombres étroitement enlacées s’abattirentau milieu du lac de feu.

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