La San-Felice – Tome III

CVII – DIPLÔME DU CARDINAL RUFFO.

« Cardinal Ruffo,

» La nécessité d’arriver le pluspromptement possible, et par les moyens les plus efficaces, ausalut des provinces du royaume de Naples et de les préserver desnombreuses intrigues que les ennemis de la religion, de la couronneet de l’ordre ourdissent pour les entraîner dans la rébellion, medétermine à commettre au talent, au zèle et à l’attachement deVotre Éminence le soin grave et l’importante mission de la défensede cette partie du royaume encore pure des désordres de tout genreet de la ruine qui menace le royaume dans cette terrible crise.

» Je charge, par conséquent, VotreÉminence de se porter en Calabre, cette province de notre royaumeétant celle que nous chérissons le plus particulièrement, et danslaquelle il est le plus facile d’organiser la défense et decombiner les opérations à l’aide desquelles on peut arrêter lamarche de l’ennemi commun et sauvegarder l’un et l’autre littoralde toute tentative soit d’hostilité, soit de séduction, quipourrait être essayée, par les malintentionnés de la capitale ou dureste de l’Italie.

» Les Calabres, la Basilicate, lesprovinces de Lecce, Barri et Salerne seront l’objet de mes soinsles plus empressés et les plus énergiques.

» Tous les moyens de salut que VotreÉminence croira pouvoir employer, au nom de l’attachement à lareligion, du désir de sauver la propriété, la vie et l’honneur desfamilles, les récompenses à accorder à ceux qui se distinguerontdans l’œuvre de restauration que vous allez entreprendre, serontadoptées par moi sans discussion, sans limite, ainsi que leschâtiments les plus sévères que vous croirez devoir appliquer auxrebelles. Enfin, quelque ressource à laquelle, dans l’extrémité oùnous nous trouvons, Votre Éminence croira devoir recourir etqu’elle jugera capable d’exciter les habitants à une juste défense,elle devra l’employer ; mais c’est surtout le feu del’enthousiasme dirigé dans la bonne voie qui nous paraît le plusapte à lutter contre les nouveaux principes et à les renverser. Cesprincipes régicides et désorganisateurs des sociétés sont pluspuissants que vous ne le croyez peut-être ; car ils flattentl’ambition des uns et la cupidité des autres, et la vanité etl’amour-propre de tous, en faisant naître dans les cœurs les plusvulgaires ces trompeuses espérances que répandent les fauteurs desopinions modernes et des manèges révolutionnaires, manèges qui,partout où ils ont été employés, opinions qui, partout où elles onttriomphé, ont fait le malheur de l’État, comme on peut le voir enjetant les yeux sur la France et l’Italie.

» À cet effet, pour remédier à toutes nosmisères par de promptes mesures destinées à reconquérir nosprovinces envahies, ainsi que cette insolente capitale qui leurdonne l’exemple du désordre, j’autorise Votre Éminence à exercer lacharge de commissaire général dans la première province où semanifestera le besoin de sa mission, celle de vicaire général duroyaume lorsqu’elle se trouvera en possession de tout ou partie dece royaume, à la tête des forces actives qu’elle va recevoir, avecle droit de faire en notre nom toute proclamation qu’elle croirautile au bien de la cause.

» Je donne, en outre, à Votre Éminence,comme mon alter ego, le droit de changer tout préside, derévoquer tout administrateur, tout président de tribunal, toutemployé supérieur ou inférieur de l’administration politique oucivile ; comme aussi de suspendre, d’éloigner, de fairearrêter tout employé militaire, s’il croit avoir des raisons d’userde cette rigueur, et d’employer intérimairement ceux auxquels ilaura confiance et qu’il chargera des postes vacants, jusqu’à ce quej’aie approuvé leur nomination, sur la demande qui m’en sera faite,et cela, afin que tous ceux qui dépendent de mon gouvernementreconnaissent dans Votre Éminence mon agent suprême et agissentactivement, sans retard ni opposition, et cela, ainsi qu’ilconvient et est indispensable aux heures critiques et difficiles oùnous nous trouvons.

» Cette charge de commissaire général etde vicaire du royaume sera, par Votre Éminence, appliquée etexercée comme elle l’entendra, attendu que, grâce à cette facultéd’alter ego que je lui concède de la façon et selon lemode le plus étendu, j’entends qu’elle fasse valoir et respectermon autorité souveraine, et que, par son emploi, elle préserve monroyaume de dommages ultérieurs, ceux qu’il a subisjusqu’aujourd’hui étant déjà trop grands.

» Elle devra, en conséquence, procéderavec la plus grande sévérité et la plus rigoureuse justice, soitpour se faire obéir, selon que l’exigera la nécessité du moment,soit pour donner les bons exemples et faire disparaître lesmauvais, soit enfin pour faire avorter la semence ou arracher lesracines de cette mauvaise plante de la liberté, qui a si facilementgermé et poussé aux endroits où mon autorité est méconnue, afin quele mal déjà fait soit réparé et que nous ne marchions pas à un malplus grand et à de nouveaux malheurs.

» Toutes les caisses du royaume, sousquelque dénomination qu’elles soient classées, relèveront de VotreÉminence et obéirait à ses ordres. Elle veillera à ce que l’on nefasse parvenir aucune somme à la capitale tant que celle-ci setrouvera dans l’état d’anarchie où elle est maintenant. L’argentdesdites caisses sera, par Votre Éminence, employé, pour le bien etle besoin des provinces, au payement nécessaire au gouvernementcivil et aux moyens de défense que nous devons improviser, ainsiqu’à la solde de nos défenseurs.

» Il me sera donné un état régulier de ceque Votre Éminence aura fait et comptera faire, afin que, sur leschoses faites et à faire, je puisse vous notifier mes résolutionset transmettre mes ordres.

» Votre Éminence choisira deux ou troisassesseurs probes et dignes de sa confiance, choisis dans lamagistrature, pour rendre leurs jugements dans les causes graves,qui, pour appel, dans les temps ordinaires, s’envoient au tribunalde la capitale. Ils remplaceront les tribunaux de Naples, afin queles affaires ne traînent pas en longueur. Pour ces emplois, VotreÉminence pourra se servir des magistrats provinciaux, lesautorisant à prononcer en même temps sur toute autre cause qu’illui plaira de leur soumettre, ainsi que sur les appels qui seraientportés devant eux, et elle s’assurera, en destituant les-ditsmagistrats, à l’occasion, que la plus stricte justice sera renduedans les provinces qu’elle administrera en mon nom.

» Par les différents papiers que jeremets à Votre Éminence, elle s’assurera que, dans la persuasionque la nombreuse armée que j’entretenais dans mon royaume, arméepar laquelle j’ai été si mal servi, n’est point encore entièrementdispersée ; j’avais donné l’ordre que ses restes se portassentà Palerme et jusque dans les Calabres, dans le but de défendre cesprovinces et de maintenir leurs communications avec la Sicile. Dansles circonstances où nous sommes, quels que soient les commandantsqui, sur son chemin, se présenteront à Votre Éminence avec cesdébris de troupes, ces commandants devront marcher d’accord avecVotre Éminence, quelle que soit la position qui leur ait été crééepar mes ordonnances précédentes. Quant au général de la Salandra outout autre général qui se réunirait à Votre Éminence avec ces mêmestroupes, ils suivront les prescriptions nouvelles qui leur sontdonnées. Votre Éminence les leur notifiera, et, aussitôt que jeserai prévenu de cette notification, j’expédierai les commissionsultérieures que Votre Éminence réclamera de moi.

» Relativement à la force militaire, etnous devons supposer raisonnablement qu’il n’en reste plus derégulière, Votre Éminence, et c’est là le but principal de sacommission, aura soin de la créer ou réorganiser par tous lesmoyens, et l’on tâchera, puisque, cette fois, elle combattra sur lesol de la patrie, bien que cette force ne puisse être composée quede soldats fugitifs et déserteurs, on tâchera de leur rendre ou deleur inspirer le courage qu’ont montré mes braves Calabrais dansles combats qu’ils viennent de soutenir contre l’ennemi. Il en seraainsi des corps qui se formeront, composés des habitants desprovinces que leur patriotisme et leur amour pour la religionporteront à prendre les armes et à défendre ma cause.

» Pour arriver à ce but, je ne prescrisaucun moyen à Votre Éminence ; je les laisse, au contraire,tous à son zèle, tant relativement au mode d’organisation que pourla distribution des récompenses de tout genre qu’elle croira devoiraccorder. Si ces récompenses sont pécuniaires, elle pourra lesdistribuer elle-même ; si ce sont des honneurs et des emplois,elle pourra temporairement accorder ces honneurs et distribuer cesemplois, et ce sera à moi de les ratifier ; car toute hautefaveur devra être soumise à ma ratification.

» Lorsque les troupes régulières quej’attends seront arrivées, on pourra en expédier une partie enCalabre, ou dans toute autre partie de la terre ferme, ainsi quetoutes munitions et pièces d’artillerie que l’on pourra partagerentre la Sicile et la Calabre.

» Votre Éminence choisira les employésmilitaires et politiques dont elle croira devoir s’entourer ;elle établira pour eux des conditions provisoires, et placerachacun au poste qu’elle croira le mieux lui convenir.

» Pour les dépenses de Votre Éminence, illui sera accordé la somme de quinze cents ducats (six mille francspar mois), somme que nous regardons comme indispensable à sesbesoins ; mais je lui accorde, en outre, toute sommeultérieure plus considérable qu’elle croira nécessaire à l’emploide sa commission, surtout dans ses passages d’un lieu à un autre,sans que ce surcroît de dépense puisse en aucune façon peser surmes peuples.

» Je lui concède, en outre, le maniementde l’argent qu’elle trouvera dans les caisses publiques et qui, parses soins, rentrera. Elle en emploiera une partie à se procurer lesnouvelles nécessaires, indispensables à sa sûreté, soit que cesnouvelles viennent de la capitale, soit qu’elles viennent desmouvements de l’ennemi à l’extérieur ; et, comme la capitalese trouve en ce moment dans le plus grand désordre, vu les nombreuxpartis opposés qui la déchirent, et dont le peuple est la victime,elle fera veiller par des hommes habiles et experts dans cet art,sur tout ce qui s’y passera et qui immédiatement de tout ce qui sepassera l’informeront. C’est pour cet objet qu’elle n’épargnera pasl’argent lorsqu’elle pensera que la prodigalité doive porter sesfruits.

» Dans d’autres cas où de pareillesdépenses lui paraîtraient nécessaires, Votre Éminence pourraengager sa promesse et donner des sommes vis-à-vis des personnagesqui pourraient rendre des services à l’État, à la religion et à lacouronne.

» Je ne m’étends point sur les mesures dedéfense que j’attends d’elle au plus haut degré, et encore moinssur la manière dont elle devra réprimer les émeutes, les troublesintérieurs, les attroupements, les séductions et les manœuvres desémissaires jacobins. Je laisse donc à Votre Éminence le soin deprendre les déterminations les plus promptes pour que justice soitfaite de tous ces délits. Les présides, celui de Leccespécialement, ceux de mes vassaux qui auront un essor loyal, lesévêques, les curés et tous les honnêtes ecclésiastiques,l’informeront de tous les besoins comme de toutes les ressourceslocales, et bien certainement ceux-ci seront aiguillonnés parl’ardente énergie et la puissante nécessité que commandent lescirconstances dans lesquelles nous nous trouvons.

» J’attends de l’empereur d’Autriche dessecours de tout genre ; le Turc m’en promet également ;la Russie a pris vis-à-vis de moi les mêmes engagements, et déjàles escadres de cette dernière puissance, rapprochées de notrelittoral, sont prêtes à nous secourir.

» J’en avise Votre Éminence, afin que,dans l’occasion, elle puisse s’appuyer d’elles, et même fairedescendre une partie de ses troupes dans la province, au cas oùleur secours lui deviendrait nécessaire ; comme aussi jel’autorise à réclamer de ces escadres toutes les ressources que lanature de l’opération lui feront considérer comme utiles à sadéfense.

» Je la préviens aujourd’hui, etvaguement encore, qu’elle peut trouver asile et secours chez mesalliés ; mais, d’ici, je lui ferai passer des instructionsultérieures qui assureront dans l’avenir un concours plus efficace.Il en sera de même de l’escadre anglaise, pour laquelle je luitransmettrai mes nouvelles instructions, et qui, naviguant sur lescôtes de Sicile et de Calabre, veillera à leur sûreté.

» Il sera établi par Votre Éminence desûrs moyens de me faire passer et de recevoir de moi deux fois lasemaine des nouvelles concernant les affaires importantes de samission. Je regarde comme indispensable à la défense du royaume quenos courriers se succèdent souvent et dans des délaisopportuns.

» Enfin, je me confie à son attachement,à ses lumières, et je suis certain qu’elle répondra à cette hauteconfiance que je mets dans son attachement à ma cause et à sondévouement pour moi.

» Ferdinand B.

» Palerme, 25 janvier 1799. »

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