La San-Felice – Tome III

XC – LA NUIT.

Sur les trois points où les Français ontattaqué Naples, on s’est battu avec le même acharnement. De toutesparts, les aides de camp arrivent au quartier général de la porteCapuana, et trouvent le bivac du général entre la via del Vasto etl’Arenaccia, derrière la double ligne de maisons qui brûlent.

Le général Dufresse, entre Aversa et Naples, atrouvé, sur un point où le chemin se rétrécit, un corps de dix oudouze mille lazzaroni avec six pièces de canon. Les lazzaroniétaient au pied d’une colline, les canons au sommet. Les hussardsde Dufresse ont fait cinq charges sur eux sans parvenir à lesentamer. Ils étaient si nombreux et si pressés, que les mortsrestaient debout, soutenus par les vivants.

Il a fallu les grenadiers chargeant à labaïonnette pour faire une trouée. Quatre pièces d’artillerievolante, dirigées par le général Éblé, ont, pendant trois heures,criblé de mitraille les lazzaroni ; ils se sont réfugiés surles hauteurs de Capodimonte, où Dufresse les attaquera demain.

Vers la fin du combat, un corps de patriotes,conduit par Schipani et Manthonnet, est venu se jeter dans lesrangs du général Dufresse. Ils annoncent que Nicolino s’est emparédu fort Saint-Elme ; mais il n’a que trente hommes et estbloqué par des milliers de lazzaroni, qui amassent des fascinespour mettre le feu aux portes, et qui apportent des échelles pourmonter aux murailles. Ils se sont emparés du couvent deSan-Martino, situé aux pieds des remparts du fort, ou plutôt lesmoines les ont appelés et leur ont ouvert les portes ; desterrasses du couvent, ils font feu sur les murailles. Si Nicolinon’est pas secouru dans la nuit, le fort Saint-Elme seraincontestablement pris au point du jour.

Trois cents hommes, conduits par HectorCaraffa et les patriotes, s’ouvriront, pendant la nuit, un cheminjusqu’aux portes du fort Saint-Elme ; deux cents renforcerontla garnison, cent enlèveront aux lazzaroni le couvent deSan-Martino.

Kellermann, après un combat acharné, s’estemparé des hauteurs de Capodichino ; mais il n’a pas pudépasser le Campo-Santo. Il lui a fallu enlever les unes après lesautres à la baïonnette les masseries, les églises, les villas, quitoutes ont fait une résistance héroïque. La cavalerie, quiconstitue sa principale force, lui a été inutile au milieu de cettemultitude de collines qui bossellent le terrain. De son bivac, ilvoit s’étendre devant lui la longue rue de Foria, encombrée delazzaroni ; l’immense bâtiment de l’hospice des Pauvres lesprotège. On voit une lumière à chacune de ses fenêtres ; lelendemain, toutes ces fenêtres cracheront des balles.

À la strada San-Giovanella, il y a unebatterie de canons ; au largo delle Pigne, un bivac en grandepartie composé de soldats de l’armée royale. Deux pièces de canondéfendent la montée du musée Borbonico, qui donne sur la grande ruede Tolède.

À l’aide de sa lunette, Kellermann voit leschefs qui parcourent les rues à cheval en encourageant leurshommes. L’un de ces chefs est vêtu en capucin et monté sur unâne.

Mathieu Maurice et le chef de brigadeBroussier se sont emparés des marais. Seulement, coupés par unréseau de fossés, ces marais ont dû être conquis avec des pertesconsidérables, les lazzaroni étant protégés par les mouvements duterrain, et les républicains attaquant à découvert. Ils sontarrivés jusqu’aux Granili, qu’on n’avait point songé àgarder ; ils ont coupé la route de Portici. Broussier estcampé sur la plage de la Marinella ; Mathieu Maurice, qui aété légèrement blessé au bras gauche, est au moulin de l’Inferno.Le lendemain, ils seront prêts à attaquer le pont de la Madeleine,tout resplendissant des cierges qui brûlent devant la statue desaint Janvier.

Des fenêtres des Granili, on distingue toutNaples, depuis la plage de la Marinella jusqu’à la hauteur dumôle : la ville regorge de lazzaroni qui se préparent à ladéfense.

Championnet écoutait ce dernier rapport,lorsque tout à coup de grands cris s’élèvent derrière lui, et unefusillade éclate sur un immense cercle, dont une des extrémitéstouche à la route de Capoue et l’autre à l’Arenaccia. Les ballesfont voler les cendres du feu auquel se chauffe le général enchef.

En un instant, Championnet et Duhesme, Monnieret Thiébaut sont sur pied. Les trois mille hommes qui composent lecorps d’armée du général en chef se forment en carré et font feusur les assaillants, qu’ils ne connaissent pas encore.

Ce sont les insurgés de tous les villages queles Français ont traversés dans la journée qui se sont réunis etqui attaquent à leur tour ; ils ont profité de l’obscurité etont fait leur première décharge presque à bout portant.

La multiplicité des coups de fusil indique quel’on a affaire à un corps de quatre à cinq mille hommes aumoins.

Mais, au milieu du pétillement de lafusillade, au-dessus des cris et des hurlements des lazzaroni, del’autre côté de cette ligne qui menace, on entend battre la chargeet sonner des trompettes, puis des feux de peloton admirablementnourris, qui annoncent l’approche d’une troupe régulière. Leslazzaroni, qui croyaient surprendre, étaient surpris.

D’où vient ce secours, aussi inattendu quel’attaque ?

Championnet et Duhesme se regardent ets’interrogent inutilement.

Le tambour et les fanfares se rapprochent, lescris de « Vive la République ! » répondent aux crisde « Vive la République ! » Le général en chefs’écrie :

– Soldats ! c’est Salvato et Villeneuvequi arrivent de Bénévent. Chargeons toute cette canaille, quin’osera pas nous attendre, je vous en réponds.

Duhesme et Monnier changent leurs carrés encolonnes d’attaque, les chasseurs montent à cheval, tout s’ébranled’un irrésistible mouvement. Les lazzaroni sont percés à jour parles hussards de Salvato et par les chasseurs de Thiébaut, par lesbaïonnettes de Duhesme et de Monnier, et, sur un monceau de morts,les deux troupes se rejoignent et s’embrassent au cri de« Vive la République ! »

Championnet et Salvato échangent quelquesparoles rapides. Comme toujours, Salvato est arrivé au bon momentet a révélé sa présence par un coup de tonnerre.

Il ira renforcer avec ses six cents hommesMathieu Maurice et Broussier. Si la blessure de Mathieu Maurice estplus grave qu’on ne le croit, ou si ce général, toujours atteint,parce qu’il est toujours au premier rang, reçoit une nouvelleblessure, Salvato prendra le commandement.

Il portera au général Mathieu Maurice l’ordred’attaquer le pont de la Madeleine au point du jour. Ce pont estdéfendu par les maisons crénelées de la Marine et du bourg deSan-Loreto ; derrière lui, il a pour le soutenir le fort delCarmine, défendu par six pièces de canon, par un bataillond’Albanais et par des milliers de lazzaroni, auxquels s’est jointun millier de soldats revenus de Livourne.

Vers trois heures du matin, on réveillaChampionnet, qui dormait dans son manteau.

Un aide de camp de Kellermann venait luidonner des nouvelles de l’expédition du château Saint-Elme.

Hector Caraffa, profitant de l’obscurité,s’était glissé à travers cette multitude de collines qui réunissentCapodimonte à Saint-Elme. Outre la difficulté du terrain,horriblement accidenté, il avait eu, pendant quatre heures demarche, un combat continuel à soutenir, souvent inégal, meurtriertoujours. Il lui avait fallu franchir cinq milles d’embuscadesentassées les unes sur les autres, et, de plus, un quartier deNaples insurgé.

Arrivé sous le feu de Saint-Elme, – qui lesoutenait de son mieux en tirant des coups de canon à poudre, depeur que les boulets ne se trompassent de but, et, croyantatteindre des ennemis, n’atteignissent des amis, – Hector Caraffa,au lieu de séparer ses hommes en deux bandes, avait réuni toutesses forces, et, au moment où l’on croyait qu’il allait les portersur le fort Saint-Elme, il s’était jeté sur la chartreuse deSan-Martino. Les lazzaroni, qui ne s’attendaient point à l’attaque,essayèrent de se défendre, mais inutilement. Les patriotes, jalouxde montrer aux Français qu’ils ne le cédaient à personne encourage, s’élancèrent en avant de la colonne, et entrèrent lespremiers aux cris de « Vive la République ! » Enmoins de dix minutes, les lazzaroni furent chassés du couvent etles portes refermées sur les Français.

Cent, comme il était convenu, restèrent à lachartreuse ; les deux autres cents, par la rampe del Petrio,montèrent au fort, dont les portes leur furent ouvertes,non-seulement comme à des alliés, mais encore comme à deslibérateurs.

Nicolino faisait demander à Championnet de luiaccorder l’honneur de donner, le lendemain, le signal du combat enfaisant, au premier rayon du jour, tirer un coup de canon.

Cette faveur lui fut accordée, et le généralenvoya son aide de camp à tous les chefs de corps pour leur direque le signal de l’attaque serait un coup de canon tiré par lespatriotes napolitains du haut du fort Saint-Elme.

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