Le Dossier 113

Chapitre 9

 

Non loin du Palais-Royal, dans la rue Saint-Honoré, à l’enseignede la Bonne Foi, est un petit établissement, moitié cafémoitié débit de prunes, très fréquenté par les employés duquartier.

C’est dans une des salles de cet estaminet modeste que lelendemain de sa mise en liberté, le vendredi, Prosper attendait M.Verduret, qui lui avait donné rendez-vous vers quatre heures.

Quatre heures sonnèrent ; M. Verduret, qui est laponctualité même, parut. Il était plus rouge encore que la veille,et comme la veille il avait cet air admirable de parfaitcontentement de soi.

Dès que le garçon auquel il avait demandé une chope se futéloigné :

– Eh bien ! demanda-t-il à Prosper, toutes nos commissionssont-elles faites ?

– Oui, monsieur.

– Vous avez vu le costumier ?

– Je lui ai remis votre lettre. Tout ce que vous demandez voussera apporté demain au Grand-Archange.

– Alors tout va bien, car je n’ai pas perdu mon temps, etj’apporte de grandes nouvelles.

Le débit de la Bonne Foi est à peu près désert versquatre heures. Le coup de feu du café du matin est passé, le momentde l’absinthe n’est pas arrivé encore : M. Verduret et Prosperpouvaient causer à l’aise, sans redouter l’oreille indiscrète desvoisins.

M. Verduret avait sorti son calepin, ce calepin précieux qui,pareil aux livres enchantés des féeries, a une réponse pour toutesles questions.

– En attendant ceux de nos émissaires auxquels j’ai donnérendez-vous ici, dit-il, occupons-nous un peu de monsieur deLagors.

À ce nom, Prosper ne protesta pas comme il l’avait fait laveille. Pareil à ces insectes imperceptibles qui, une fois qu’ilsse sont glissés dans un tronc d’arbre, le dévorent en une nuit, lesoupçon, quand il a pénétré dans notre esprit, s’y développe etbientôt y détruit les plus fortes croyances.

La visite de Lagors, le fragment de lettre de Gypsy avaientinspiré à Prosper des doutes qui, d’heure en heure, pour ainsidire, avaient grandi et s’étaient fortifiés.

– Savez-vous, mon cher ami, poursuivit M. Verduret, de quelpays, au juste, est le jeune monsieur qui se porte si fort votreami ?

– Il est, monsieur, du pays de madame Fauvel, de Saint-Rémy.

– En êtes-vous certain ?

– Oh ! parfaitement, monsieur. Non seulement il me l’a ditbien souvent, mais je l’ai encore entendu dire à monsieur Fauvel,je l’ai entendu répéter cent fois à madame Fauvel lorsqu’elleparlait de sa parente, la mère de Lagors, qu’elle aimebeaucoup.

– Ainsi, il n’y a, à cet égard, ni doute ni erreurpossible ?

– Non, monsieur.

– Eh ! eh ! fit M. Verduret, voilà qui commence à êtrepour le moins singulier.

Et il sifflotait entre ses dents, ce qui, chez lui, est un signemanifeste d’une satisfaction intime et supérieure.

– Qu’est-ce qui est singulier, monsieur ? demanda Prosper,intrigué.

– Ce qui arrive, parbleu ! répondit le gros homme, ce quej’avais flairé. Peste ! continua-t-il – imitant le débit desmontreurs de curiosités en foire –, c’est une ville charmante,Saint-Rémy, six mille habitants, boulevards délicieux surl’emplacement des fortifications, hôtel de ville très beau,fontaines abondantes, grand commerce de charbons, filatures desoie, maison de santé très renommée, etc.

Prosper était comme sur des charbons ardents.

– De grâce, monsieur, commença-t-il.

– On y connaît, poursuivait M. Verduret, un arc de triompheromain qui n’a pas son pareil et un mausolée grec, mais pas lemoindre Lagors. Saint-Rémy est la patrie de Nostradamus, mais noncelle de votre ami.

– Cependant, monsieur, j’ai eu des preuves…

– Naturellement. Mais les preuves, voyez-vous, cela sefabrique ; les parentés, cela s’improvise. Vos dépositionssont suspectes, mes témoignages sont irrécusables. Pendant que vousvous désoliez en prison, je dressais les batteries et je récoltaisdes munitions pour ouvrir le feu. J’ai écrit à Saint-Rémy et j’aides réponses.

– Ne me les communiquerez-vous pas, monsieur ?

– Un peu de patience, dit M. Verduret en feuilletant soncalepin. Ah ! voici la première, le numéro un. Saluez lestyle, c’est officiel.

Il lut :

– LAGORS. Très ancienne famille, originaire de Maillane,fixée à Saint-Rémy depuis un siècle…

– Vous voyez bien ! s’écria Prosper.

– Si vous me laissiez finir, hein ? dit M. Verduret. Et ilpoursuivit :

– Le dernier des Lagors (Jules-René-Henri), portant, sansdroits bien constatés, le titre de comte, épousa, en 1829, lademoiselle Rosalie-Clarisse Fontanet, de Tarascon ; est décédéen décembre 1848, sans héritier mâle, laissant seulement deuxfilles. Les registres de l’état civil consultés ne font mentiond’aucune personne, dans l’arrondissement, portant le nom deLagors.

» Eh bien ! demanda le gros homme, que dites-vous durenseignement ?

Prosper était abasourdi.

– Comment alors monsieur Fauvel traite-t-il Raoul comme sonneveu ?

– Comme le neveu de sa femme, vous voulez dire. Mais examinonsla notice numéro deux. Elle n’est pas officielle, mais elle éclaired’un jour précieux les vingt mille livres de rentes de votre ami:

» Jules-René-Henri de Lagors, dernier de son nom, est mort àSaint-Rémy le 29 décembre 1848, dans un état voisin de la misère.Il avait eu une certaine fortune, l’entreprise d’une magnaneriemodèle le ruina. Il n’a pas laissé de garçon, mais seulement deuxfilles, dont l’une est institutrice à Aix, et l’autre mariée à unpetit négociant d’Orgon. Sa veuve, qui habite le mas de laMontagnette, ne vit exactement que des libéralités d’une de sesparentes, femme d’un riche banquier de la capitale. On ne connaîtpersonne du nom de Lagors dans l’arrondissement d’Arles.

» Voilà tout ! fit M. Verduret, pensez-vous que ce soitassez ?

– C’est-à-dire, monsieur, que je me demande si je suis bienéveillé.

– Je conçois cela. Cependant, j’ai une remarque à vous faire.Des gens attentifs objecteront peut-être que madame veuve de Lagorsa pu, après la mort de son mari, avoir un enfant naturel non avouéet portant son nom. Cette objection est détruite par l’âge de votreami. Raoul a vingt-quatre ans, et il y a moins de vingt ans quemonsieur de Lagors est mort.

Il n’y avait rien à répliquer, et Prosper le comprit bien.

– Mais alors, fit-il, devenu pensif, qui serait doncRaoul ?

– Je l’ignore. Franchement, il est plus malaisé de découvrir quiil est que de savoir qui il n’est pas. Un seul homme, sur ce point,pourrait nous renseigner, mais il se garderait bien de riendire.

– Monsieur de Clameran, n’est-ce pas ?

– Juste.

– Toujours il m’a inspiré une inexplicable répulsion, ditProsper. Ah ! si on pouvait avoir son dossier, àcelui-là !

– J’ai déjà quelques petites notes, répondit M. Verduret, quim’ont été fournies par votre père, lequel connaît bien la familleClameran ; elles sont fort succinctes, mais j’en attendsd’autres.

– Que vous a dit mon père ?

– Rien de favorable, rassurez-vous. Voici au surplus, pour votreédification, le résumé de ses renseignements :

» Louis de Clameran est né au château de Clameran, près deTarascon. Il avait un frère aîné nommé Gaston. En 1842, à la suited’une rixe où il avait eu le malheur de tuer un homme et d’enblesser grièvement un autre, Gaston fut obligé de s’expatrier.C’était un garçon loyal, franc, honnête, que tout le monde aimait.Louis, au contraire, avait les plus détestables instincts et étaithaï.

» À la mort de son père, Louis vint à Paris, et, en moins dedeux ans, dévora, non seulement sa part de l’héritage paternel,mais aussi la part de son frère exilé.

» Ruiné, criblé de dettes, Louis de Clameran se fit soldat, etse conduisit si mal au régiment qu’il fut envoyé aux compagnies dediscipline.

» À sa sortie du service, on le perd totalement de vue ;tout ce qu’on sait, c’est qu’il habita successivement l’Angleterreet l’Allemagne, où il eut une horrible affaire dans une ville dejeux.

» En 1865, nous le retrouvons à Paris. Il était dans la dernièredes misères et fréquentait les pires sociétés, vivant uniquementdans le monde des escrocs et des filles.

» Il avait usé les plus honteux expédients lorsque, tout à coup,il apprit le retour de son frère en France. Gaston avait faitfortune au Mexique. Mais, jeune encore, habitué à une vie active,il venait d’acheter, près d’Oloron, une usine de fer, quand, il y asix mois, il est mort entre les bras de son frère Louis. Cette morta donné à notre Clameran et une grande fortune et le titre demarquis.

Prosper réfléchissait. Depuis vingt-quatre heures que M.Verduret travaillait devant lui, il commençait à se pénétrer de saméthode d’induction. Comme lui, il essayait de grouper les faits,d’ajuster les circonstances à des soupçons plus ou moinsprobables.

– De ce que vous m’apprenez, fit-il enfin, il résulte quemonsieur de Clameran, le nôtre, bien entendu, était dans uneprofonde misère, lorsque je l’ai aperçu pour la première fois chezmonsieur Fauvel.

– Évidemment.

– Et c’est peu après que Lagors est arrivé de saprovince ?

– Justement.

– Et c’est un mois environ après son arrivée que Madeleine, toutà coup, m’a banni.

– Allons donc !… s’écria M. Verduret, vous commencez à vousformer et à comprendre la signification des faits.

Il s’interrompit à la vue d’un nouveau consommateur qui entraità la Bonne Foi.

C’était un domestique de bonne maison, bien peigné, mieux rasé,portant dignement ses favoris noirs à la Bergami ; il avait debelles bottes plissées à revers, la culotte jaune, et le gilet àmanches, à raies rouges et noires.

Après un coup d’œil rapide, mais sûr, jeté autour de la salle,il marcha rapidement vers la table de M. Verduret.

– Eh bien ! maître Joseph Dubois ? interrogea le groshomme.

– Ah ! patron, ne m’en parlez pas, répondit le domestique,ça chauffe, voyez-vous, ça chauffe ferme.

Toute l’attention dont Prosper était capable, il la concentraitsur le superbe domestique.

Il lui semblait qu’il connaissait cette physionomie. Il sedisait que très certainement il avait déjà vu quelque part ce frontfuyant et ces yeux d’une agaçante mobilité.

Mais où, mais en quelles circonstances ? Il cherchait et netrouvait pas.

Cependant, maître Joseph s’était assis, non à la table de M.Verduret, mais à la table voisine, et il avait demandé un verred’absinthe qu’il préparait lentement, laissant l’eau tomber goutteà goutte de très haut, selon la formule.

– Parle ! lui dit M. Verduret.

– Pour commencer, patron, je dois vous avouer que tout n’est pasrose dans le métier de valet de chambre-cocher de monsieur deClameran.

– Au fait au fait ! tu te plaindras demain.

– Bon, j’y suis. Donc, hier, mon bourgeois est sorti à pied surles deux heures. Comme de juste, je l’ai suivi. Savez-vous où ilallait ? La bonne farce ! Il se rendait auGrand-Archange, au rendez-vous de la petite dame.

– Va donc ; on lui a dit qu’elle était partie.Après ?

– Après ! Ah ! il n’était pas content du tout, je vousassure. Il est rentré tout courant à l’hôtel, où l’autre, monsieurRaoul de Lagors, l’attendait. Non, vrai, cet homme-là n’a pas sonpareil pour jurer. Le Raoul lui a demandé ce qu’il y avait denouveau qui le mettait si fort en colère. « Il n’y a rien, arépondu mon bourgeois ; rien, sinon que la coquine a décampé,qu’on ne sait où elle est, qu’elle nous glisse entre les doigts. »Alors, ils ont paru très vexés et très inquiets tous les deux. «Sait-elle donc quelque chose de sérieux ? a demandé Lagors. –Elle ne sait rien que ce que je t’ai dit, a fait Clameran, mais cerien tombant dans l’oreille d’un homme ayant du flair peut mettresur la trace de la vérité. »

M. Verduret sourit, en homme qui avait ses raisons pourapprécier à leur juste valeur les craintes de M. de Clameran.

– Eh ! fit-il, sais-tu qu’il n’est pas absolument dépourvud’intelligence, ton bourgeois ? Et ensuite ?

– Là-dessus, patron, voilà le Lagors qui devient vert, et quis’écrie : « Si c’est grave, il faut se défaire de cettegueuse ! » Il va bien, le petit ! Mais mon bourgeoiss’est mis à rire et à hausser les épaules. « Tu n’es qu’un niais,a-t-il répondu, quand on est importuné par une femme du genre decelle-là, on prend des mesures pour s’en faire débarrasseradministrativement. » Cette idée les a fait beaucoup rire.

– Je crois bien ! approuva M. Verduret ; elle estexcellente, l’idée ; le malheur est qu’il est trop tard pourl’exécuter. Le rien, que redoutait Clameran, est déjà tombé dansune oreille intelligente. Cependant, comme je ne veux pas que cesgaillards-là brouillent les cartes, il faut aviser le bureau desmœurs.

– C’est fait, patron, répondit joyeusement maître Joseph.

C’est avec une curiosité fiévreuse, haletante, que Prosperécoutait ce rapport, dont chaque mot, pour ainsi dire, éclairaitd’un jour nouveau les événements. Il s’expliquait, maintenant,croyait-il, le fragment de lettre de Gypsy. Ce Raoul, qui avait eutoute sa confiance, ne pouvait être, il le comprenait, qu’unmisérable. Mille circonstances inaperçues jadis lui revenaient, etil se demandait comment il avait pu si longtemps être frappéd’aveuglement.

Maître Joseph, cependant, poursuivait :

– Hier, après son dîner, mon bourgeois s’est fait beau comme unfiancé. Je l’ai rasé, frisé, parfumé, adonisé, après quoi il estmonté en voiture, et je l’ai conduit rue de Provence, chez monsieurFauvel.

– Comment ! s’écria Prosper, après ses paroles insultantes,le jour du vol, il a été assez hardi pour s’y représenter.

– Oui, mon jeune monsieur, il a eu cette audace, et même il aosé y rester toute la soirée, jusqu’à près de minuit, à mon granddétriment, car j’ai été, sur mon siège, trempé comme une soupe.

– Quel air avait-il en sortant ? demanda M. Verduret.

– L’air moins content qu’en arrivant, c’est positif. Quand, moncheval bouchonné et ma voiture remisée, je suis allé lui demanders’il n’avait besoin de rien, j’ai trouvé sa porte fermée, et il m’acrié des injures au travers.

Et pour s’aider à digérer cette humiliation, maître Joseph avalaune gorgée d’absinthe.

– C’est là tout ? demanda M. Verduret.

– Pour hier, oui patron. Ce matin, le bourgeois s’est levé tard,et toujours d’une humeur de dogue. À midi, l’autre, le Raoul, estarrivé, furibond, lui aussi. Aussitôt ils ont commencé à sedisputer, mais à se disputer… tenez, des crocheteurs auraient rougide les voir. À un moment, mon grand escogriffe de bourgeois avaitempoigné le petit à la gorge, et il le secouait comme unprunier ; j’ai bien cru qu’il allait l’étrangler. Mais leRaoul, pas bête, vous a tiré de sa poche un joli couteau pointu, etma foi l’autre a eu peur, il a lâché prise et s’est calmé.

– Mais, que disaient-ils ?

– Ah ! voilà le hic, patron, fit piteusementmaître Joseph ; ils parlaient anglais, les canailles, de tellesorte que je n’ai rien compris. Ce dont je suis sûr, par exemple,c’est qu’ils se disputaient à propos d’argent.

– Comment le sais-tu ?

– Par la raison qu’en vue de l’Exposition universelle, j’aiappris comment on dit « argent » dans toutes les langues del’Europe, et que ce mot revenait à chaque instant dans leurconversation.

M. Verduret, les sourcils froncés, marmottait un monologueinintelligible, et Prosper, qui l’observait, se demandait si parhasard il avait la prétention de reconstruire, par la seule forcede la réflexion, la dispute dont le sens précis avait échappé audomestique.

– Pour finir, reprit maître Joseph, quand mes coquins ont étécalmés, ils se sont remis à parler français. Mais, bast ! ilsn’ont plus causé que de choses insignifiantes, d’un bal travestiqui a lieu demain chez des banquiers. Seulement, en reconduisant lepetit, mon bourgeois lui a dit : « Puisque cette scène estinévitable, autant qu’elle ait lieu aujourd’hui même, ainsi restechez toi, au Vésinet, ce soir. » Raoul a répondu : « C’est entendu.»

La nuit venait. L’estaminet, peu à peu, s’emplissait deconsommateurs qui, tous à la fois, criaient pour avoir del’absinthe ou du bitter.

Les garçons, montés sur des tabourets, approchaient desallumettes des becs de gaz qui s’enflammaient avec de sourdesdétonations.

– Il faut filer, dit M. Verduret à Joseph, ton maître peut avoirbesoin de toi, et, de plus, voici quelqu’un qui veut me parler. Àdemain.

Ce quelqu’un n’était autre que Cavaillon, plus troublé et plustremblant que jamais. Il promenait de tous côtés des regardsinquiets, plus tressaillant qu’un filou qui sait à ses troussestoute la police de Paris.

Lui non plus, il ne s’assit pas à la table de M. Verduret. C’estfurtivement qu’il donna une poignée de main à Prosper, et ce n’estqu’après s’être assuré que personne ne l’observait, qu’il se risquaà remettre à M. Verduret un petit paquet en disant :

– Voici ce qu’elle a trouvé dans un placard.

C’était un paroissien richement relié. M. Verduret le feuilletarapidement, et il eut bientôt trouvé les pages où avaient étédécoupés les mots collés sur la lettre reçue la veille parProsper.

– J’avais des preuves morales, dit-il en tendant le livre aujeune homme, voici une preuve matérielle qui à elle seule peut voussauver.

À la vue de ce livre, Prosper avait pâli. C’est qu’il lereconnaissait. Ce paroissien, c’est lui qui l’avait donné àMadeleine en échange de la médaille bénie.

Et, en effet, sur la première page, Madeleine avait écrit :Souvenir de Notre-Dame-de-Fourvières, 17 janvier 1866.

– Mais ce livre est à Madeleine ! s’écria-t-il.

M. Verduret ne répondit pas. Il venait de se lever pour aller àun jeune homme vêtu comme les garçons marchands de vins, qui venaitd’entrer.

À peine eut-il jeté les yeux sur un billet que ce garçon luiremit, qu’il revint vers la table dans un état d’agitationextraordinaire.

– Nous les tenons peut-être ! s’écria-t-il.

Et jetant sur la table une pièce de cinq francs, sans adresserun mot à Cavaillon, il entraîna Prosper, stupéfait.

– Quelle fatalité, disait-il, tout en courant le long dutrottoir, nous allons peut-être les manquer. À coup sûr, nousarriverons à la gare Saint-Lazare trop tard pour le train deSaint-Germain.

– Mais de quoi s’agit-il, au nom du Ciel ? demandaitProsper.

– Venez, venez, nous causerons en route.

Arrivé à la place du Palais-Royal, M. Verduret s’arrêta devantun des fiacres de la station, dont il avait, d’un regard, évaluéles chevaux.

– Combien veux-tu pour nous conduire au Vésinet ?demanda-t-il au cocher.

– C’est que je ne connais pas bien le chemin, par là-bas…

Mais ce nom du Vésinet disait tout à Prosper.

– Je vous indiquerai la route, fit-il vivement.

– Alors, reprit le cocher, à cette heure, par le temps de chienqu’il fait, ce sera… vingt-cinq francs.

– Et pour aller vite, combien demandes-tu de plus ?

– Dame ! bourgeois, ce sera à votre générosité ; maissi vous mettiez trente-cinq francs, je crois…

– Tu en auras cent, interrompit M. Verduret, si tu rattrapes unevoiture qui a sur nous une demi-heure d’avance.

– Tonnerre de Brest ! s’écria le cocher transporté, montezdonc, vous me faites perdre une minute.

Et, enveloppant ses maigres rosses d’un triple coup de fouet, illança sa voiture au grand galop dans la rue de Valois.

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