Le Trappeurs de l’Arkansas

Chapitre 8La vengeance indienne

 

La position des Américains était desplus critiques.

Le capitaine, surpris par l’attaquesilencieuse des Comanches, avait été réveillé en sursaut parl’effroyable cri de guerre qu’ils avaient poussé, dès que le feuavait été mis par eux aux matériaux entassés devant lefort.

Sautant au bas de son lit, le brave officier,un moment ébloui par les lueurs rougeâtres des flammes, s’était àdemi vêtu et son sabre à la main précipité du côté où reposait lagarnison, qui déjà avait pris l’alarme et se hâtait de se rendre àson poste avec cette insouciante bravoure qui distingue lesYankees.

Mais que faire ?

La garnison se montait, capitainecompris, à douze hommes.

Comment, avec une force numérique aussifaible, résister aux Indiens dont il voyait les diaboliquessilhouettes se dessiner fantastiquement aux reflets sinistres del’incendie ?

L’officier poussa un soupir.

– Nous sommes perdus !murmura-t-il.

Dans les combats incessants qui selivrent sur les frontières indiennes, les lois de nos guerrescivilisées sont complètement inconnues.

Le vae victis règne dans toutel’acception du mot.

Les ennemis acharnés qui combattent lesuns contre les autres avec tous les raffinements de la barbarie nedemandent et n’accordent pas de quartier.

Toute lutte est donc une question de vieou de mort.

Tel est l’usage.

Le capitaine le savait, aussi ne sefaisait-il pas la moindre illusion sur le sort qui l’attendait s’iltombait aux mains des Comanches.

Il avait commis la faute de se laissersurprendre par les Peaux-Rouges, il devait subir les conséquencesde son imprudence.

Mais le capitaine était un bravesoldat ; certain de ne pouvoir se retirer sain et sauf duguêpier dans lequel il se trouvait, il voulut du moins succomberavec honneur.

Les soldats n’avaient pas besoin d’êtreexcités à faire leur devoir, ils savaient aussi bien que leurcapitaine qu’il ne leur restait aucune chance de salut.

Aussi les défenseurs du fort seplacèrent résolument derrière les barricades et commencèrent àfusiller les Indiens avec une justesse et une précision qui nelaissèrent pas que de leur causer de grandes pertes.

La première personne que le capitaineaperçut en montant sur la plate-forme du fortin fut le vieuxchasseur Blancs-Yeux.

– Ah ! ah ! murmural’officier à part lui, que fait ici cet homme et comment y est-ilarrivé ?

Tirant alors un pistolet de sa ceinture,il marcha droit au métis, et le saisissant par la gorge il luiappuya le canon de l’arme sur la poitrine, en lui disant avec cesang-froid que les Américains tiennent des Anglais et qu’ils ontconsidérablement augmenté :

– De quelle façon vous êtes-vousdonc introduit dans le fort, vieille chouette ?

– Eh ! par la porteapparemment, répondit l’autre sans s’émouvoir.

– Ah ! bah ! vous êtesdonc sorcier alors ?

– Peut-être.

– Trêve de raillerie, sang-mêlé,vous nous avez vendus à vos frères, les Peaux-Rouges.

Un sourire sinistre éclaira le visage dumétis, le capitaine l’aperçut.

– Mais votre trahison ne vousprofitera pas, misérable, dit-il d’une voix tonnante, vous en serezla première victime.

Le chasseur se dégagea par un mouvementbrusque et inattendu ; puis il fit un bond en arrière etépaulant son fusil :

– Nous verrons, dit-il enricanant.

Ces deux hommes placés face à face surcette étroite plate-forme éclairée par les reflets sinistres del’incendie, dont l’intensité croissait à chaque seconde, avaientune expression terrifiante pour le spectateur auquel il aurait étédonné de les contempler de sang-froid.

Chacun d’eux personnifiait en lui cesdeux races en présence aux États-Unis, dont la lutte ne finira quepar l’extinction complète de l’une au profit de l’autre.

À leurs pieds le combat prenait lesgigantesques proportions d’une épopée.

Les Indiens se ruaient avec rage et enpoussant de grands cris contre les retranchements, où lesAméricains les recevaient par des décharges à bout portant ou àcoups de baïonnette.

Mais le feu gagnait toujours, lessoldats tombaient les uns après les autres ; bientôt toutserait fini.

À la menace de Blancs-Yeux, le capitaineavait répondu par un sourire de mépris.

Prompt comme l’éclair, il avait déchargéson pistolet sur le chasseur ; celui-ci avait laissé échapperson fusil, son bras droit était fracassé.

Le capitaine se précipita sur lui avecun rugissement de joie.

Le métis fut renversé par ce chocimprévu.

Alors son ennemi lui appuya le genou surla poitrine et le considéra un instant.

– Eh bien ! lui dit-il, avecun rire amer, me suis-je trompé ?

– Non, répondit le métis d’une voixferme, je suis un sot, ma vie t’appartient, tue-moi.

– Sois tranquille, je te réserveune mort indienne.

– Hâte-toi, si tu veux te venger,reprit le chasseur avec ironie, car bientôt il sera troptard.

– J’ai le temps… Pourquoi nousas-tu trahis, misérable ?

– Que t’importe ?

– Je veux le savoir.

– Eh bien ! sois satisfait,dit le chasseur après un instant de silence, les Blancs tes frèressont les bourreaux de toute ma famille, j’ai voulu mevenger.

– Mais nous ne t’avions rien fait,nous ?

– N’êtes-vous pas des Blancs ?tue-moi et que cela finisse… je puis mourir avec joie, car denombreuses victimes me suivront dans la tombe.

– Eh bien ! puisqu’il en estainsi, dit le capitaine avec un rire sinistre, je vais t’envoyerrejoindre tes frères, tu vois que je suis un loyaladversaire.

Alors appuyant fortement son genou surla poitrine du chasseur afin de l’empêcher de se soustraire auchâtiment qu’il lui réservait :

– À l’indienne, luidit-il.

Et prenant son couteau, il saisit de lamain gauche l’épaisse et rude chevelure grise du métis et avec unedextérité inouïe, il la lui enleva.

Le chasseur ne put retenir un crid’effroyable douleur à cette affreuse mutilation, le sang coulaiten abondance de son crâne nu, et inondait son visage.

– Tue-moi ! dit-il, tue-moi,cette douleur est horrible.

– Tu trouves ? dit lecapitaine.

– Oh ! tue-moi !tue-moi !

– Allons donc, répondit l’officieren haussant les épaules, me prends-tu pour un boucher, non, je vaiste rendre à tes dignes amis.

Il prit alors le chasseur par lesjambes, le traîna jusqu’au bord de la plate-forme et le poussa dupied.

Le misérable chercha instinctivement àse retenir en saisissant de la main gauche l’extrémité d’une poutrequi faisait saillie au-dehors.

Un instant il resta suspendu dansl’espace.

Il était hideux à voir, son crâne à vif,son visage sur lequel coulaient incessamment des flots d’un sangnoir, contracté par la souffrance et la terreur, tout son corpsagité de mouvements convulsifs inspiraient l’horreur et ledégoût.

– Pitié ! pitié !murmurait-il.

Le capitaine le regardait le sourire auxlèvres, les bras croisés sur la poitrine.

Mais les nerfs fatigués du misérable nepurent le soutenir plus longtemps, ses doigts crispés lâchèrent lepieu qu’il avait saisi avec l’énergie du désespoir.

– Bourreau ! soismaudit ! cria-t-il avec un accent de rage suprême.

Et il tomba.

– Bon voyage ! fit lecapitaine en ricanant.

Une clameur immense s’éleva aux portesdu fort.

Le capitaine s’élança au secours dessiens.

Les Comanches s’étaient emparés desbarricades.

Ils se précipitaient en foule dansl’intérieur du fortin, massacrant et scalpant les ennemis qu’ilsrencontraient sur leur passage.

Quatre soldats américains restaientseuls debout.

Les autres étaient morts.

Le capitaine se retrancha au milieu del’escalier qui conduisait à la plate-forme.

– Mes amis, dit-il à sescompagnons, mourez sans regret, j’ai tué celui qui nous atrahis.

Les soldats répondirent par unhurrah ! de joie à cette consolation d’une nouvelle espèce, etils se préparèrent à vendre chèrement leur vie.

Mais alors il se passa une choseincompréhensible.

Les cris des Indiens avaient cessé commepar enchantement.

L’attaque était suspendue.

– Que font-ils donc, murmura lecapitaine, quelle nouvelle diablerie inventent cesdémons ?

Une fois maître de toutes les approchesdu fort, la Tête-d’Aigle ordonna d’interrompre lecombat.

Les colons faits prisonniers dans levillage furent amenés les uns après les autres, ils étaient douze,parmi lesquels se trouvaient quatre femmes.

Lorsque ces douze malheureux se tinrenttremblants devant lui, la Tête-d’Aigle fit mettre les femmes àpart.

Ordonnant aux hommes de passer l’unaprès l’autre devant lui, il les regardait attentivement, puisfaisait un signe aux guerriers placés à ses côtés.

Ceux-ci s’emparaient immédiatement desAméricains, leur abattaient les deux poignets à coups de machète etles poussaient dans le fort après les avoir scalpés…

Sept colons avaient souffert cetteatroce torture.

Il n’en restait plus qu’un.

C’était un vieillard de haute taille,maigre, mais encore vert, ses cheveux blancs comme la neigetombaient sur ses épaules, ses yeux noirs lançaient des éclairs,mais ses traits demeuraient immobiles ; il attendait,impassible en apparence, que la Tête-d’Aigle décidât de son sort etl’envoyât rejoindre les malheureux qui l’avaientprécédé.

Cependant le chef comanche leconsidérait avec une attention extrême.

Enfin les traits du sauvage sedétendirent, un sourire se dessina sur ses lèvres et tendant lamain au vieillard :

– Usted no conocer amigo ?– Vous ne pas connaître ami ? – lui dit-il en mauvais espagnolavec l’accent guttural de sa race.

À cette parole, le vieillardtressaillit, regardant à son tour l’Indien.

– Oh ! dit-il avec étonnement,el Gallo – le Coq.

– Oah ! répondit le chefavec satisfaction, je suis un ami de la tête grise, lesPeaux-Rouges n’ont pas deux cœurs, mon père m’a sauvé la vie, monpère viendra dans ma hutte.

– Merci, chef, j’accepte votreproposition, dit le vieillard en serrant chaleureusement la mainque l’Indien lui tendait.

Et il alla en toute hâte se placerauprès d’une femme d’un certain âge, au visage noble, dont lestraits flétris par la douleur, conservaient cependant les tracesd’une grande beauté.

– Dieu soit béni ! dit-elleavec effusion, lorsque le vieillard la rejoignit.

– Dieu n’abandonne jamais ceux quiplacent leur confiance en lui, répondit-il.

Pendant ce temps, les Peaux-Rougesjouaient les dernières scènes de l’horrible drame auquel nous avonsfait assister le lecteur.

Lorsque tous les colons eurent étérenfermés dans le fort, l’incendie fut ravivé avec toutes lesmatières que l’on put trouver, une barrière de flammes sépara pourtoujours du monde les malheureux Américains.

Bientôt le fort ne fut plus qu’unimmense bûcher, d’où s’échappaient des cris de douleur mêlés parintervalles à des détonations d’armes à feu.

Les Comanches, impassibles,surveillaient à distance les progrès de l’incendie et souriaientcomme des démons à leur vengeance.

Les flammes avaient gagné tout lebâtiment, elles montaient avec une rapidité effrayante, éclairantau loin le désert, comme un lugubre phare.

Au sommet du fort on voyait s’agiterquelques individus avec désespoir, tandis que d’autres agenouilléssemblaient implorer la miséricorde divine.

Tout à coup un craquement horrible sefit entendre, un cri de suprême agonie s’élança vers le ciel, et lefort s’écroula dans le bûcher incandescent qui le minait en faisantjaillir des millions d’étincelles.

Tout était fini !

Les Américains avaientsuccombé.

Les Comanches plantèrent un énorme mât àl’endroit où avait été la place du village ; ce mât auquel ilsclouèrent les mains des colons fut surmonté d’une hache dont le ferétait teint de sang.

Puis après avoir mis le feu aux quelquescabanes qui restaient encore debout, la Tête-d’Aigle donna l’ordredu départ.

Les quatre femmes et le vieillard, seulssurvivants de la population de ce malheureux défrichement,suivirent les Comanches.

Et un silence lugubre plana sur cesruines fumantes, qui venaient d’être le théâtre de tant de scènesnavrantes.

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