Le Trappeurs de l’Arkansas

Chapitre 12Ruse de guerre

 

Après son étrange proposition auxchasseurs, le chef des pirates avait repris en toute hâte le cheminde son repaire.

Mais il était trop habitué à la vie desprairies pour ne pas se douter que plusieurs de ses ennemissuivraient de loin sa piste. Aussi avait-il mis en usage pour lesfourvoyer toutes les ruses que lui fournissait son espritinventif : faisant des détours sans nombre, revenantincessamment sur ses pas ; et, comme on le dit vulgairement,reculant de dix mètres pour avancer d’un.

Ces nombreuses précautions avaientexcessivement retardé sa marche.

Arrivé sur les bords de la rivière dontles eaux baignaient l’entrée de la caverne, il jeta un dernierregard autour de lui, pour s’assurer qu’aucun œil indiscret nesurveillait ses mouvements.

Tout était calme, rien de suspectn’apparaissait, il se préparait à lancer à l’eau le radeau cachésous les feuilles, lorsqu’un léger bruit dans les buissons attirason attention.

Le pirate tressaillit, saisissantvivement un pistolet à sa ceinture, il l’arma et s’avançarésolument vers l’endroit d’où partait ce bruitinquiétant.

Un homme courbé vers la terre étaitoccupé avec une petite bêche à arracher des herbes et desplantes.

Le pirate sourit et repassa son pistoletà sa ceinture.

Il avait reconnu le docteur, qui selivrait avec acharnement à sa passion favorite.

Celui-ci tout à son travail ne l’avaitpas aperçu.

Après l’avoir un instant considéré avecdédain, le pirate lui tournait le dos, lorsqu’une idée lui vint,qui le fit au contraire s’avancer vers le savant, sur l’épauleduquel il laissa rudement tomber sa main.

À cet attouchement brutal, le pauvredocteur se redressa effaré, en laissant de terreur tomber planteset bêche.

– Holà ! mon brave homme, luidit le capitaine d’un air narquois, quelle rage vous tient doncd’herboriser ainsi, à toute heure du jour et de lanuit ?

– Comment ? répondit lesavant, que voulez-vous dire ?

– Dame ! c’est bien simple, nesavez-vous pas qu’il n’est pas loin de minuit ?

– C’est vrai, répondit naïvement lesavant, mais la lune est si belle !…

– Que vous l’avez prise pour lesoleil, interrompit le pirate avec un éclat de rire ; mais,ajouta-t-il en redevenant subitement sérieux, il ne s’agit pas decela, bien qu’à moitié fou, je me suis laissé dire que vous étiezassez bon médecin.

– J’ai fait mes preuves, monsieur,répondit le docteur vexé de l’épithète.

– Très bien, vous êtes l’hommequ’il me faut.

Le savant s’inclina de mauvaise grâce,il était évident que l’attention le flattaitmédiocrement.

– Que désirez-vous ?demanda-t-il, êtes-vous malade ?

– Pas moi, grâce à Dieu ! maisun de vos amis qui en ce moment est mon prisonnier, ainsi vousallez me suivre.

– Mais ?… voulut objecter ledocteur.

– Je n’admets pas d’excuse,suivez-moi, sinon je vous brûle la cervelle ; du reste,rassurez-vous, vous ne courrez aucun risque, mes hommes auront pourvous tous les égards auxquels la science a droit.

Comme il n’y avait pas de résistancepossible, le bonhomme prit son parti de bonne grâce, de si bonnegrâce même que, pendant une seconde, il laissa errer sur ses lèvresun sourire, qui aurait donné fort à réfléchir au pirate s’il avaitpu l’apercevoir.

Le capitaine enjoignit au savant depasser devant lui, et tous deux gagnèrent la rivière.

À l’instant où ils quittaient la placeoù venait d’avoir lieu leur conversation, les branches d’un buissons’écartèrent avec précaution, une tête rasée, et ne conservant ausommet qu’une longue touffe de cheveux dans laquelle une plumeétait plantée, apparut, puis un corps, puis un homme tout entier,qui bondit comme un jaguar à leur poursuite.

Cet homme était laTête-d’Aigle.

Il assista silencieux à l’embarquementdes deux Blancs, les vit entrer dans la grotte, puis il disparut àson tour dans l’épaisseur des bois après avoir murmuré à voix bassele mot :

– Och ! – bon – la suprêmeexpression de joie dans le langage des Comanches.

Le docteur avait tout simplement servid’appât pour attirer le pirate et le faire tomber dans le piègetendu par le chef indien.

Maintenant le digne savant était-ild’intelligence avec la Tête-d’Aigle ? c’est ce que noussaurons bientôt.

Le lendemain au point du jour le piratefit faire une battue générale aux environs de la grotte.

Aucune piste n’existait.

Le capitaine se frotta les mains, sonexpédition avait doublement réussi, puisqu’il était parvenu àrentrer dans la caverne sans être suivi.

Certain de ne rien avoir à redouter, ilne voulut plus garder auprès de lui tant d’hommes inactifs, plaçantprovisoirement sa troupe sous les ordres de Franck, vieux banditémérite dans lequel il avait toute confiance, il ne garda que dixhommes sûrs auprès de lui et renvoya le reste.

Bien que l’affaire qu’il traitait en cemoment fût intéressante, que son succès lui parût assuré, il nevoulait pas cependant négliger ses autres occupations et nourrirdans la paresse une vingtaine de bandits qui d’un moment à l’autre,poussés par l’oisiveté, pouvaient lui jouer un mauvaistour.

On voit que le capitaine était nonseulement un homme prudent, mais encore qu’il connaissait à fondses honorables associés.

Lorsque les pirates eurent quitté lagrotte, le capitaine fit signe au docteur de le suivre et leconduisit auprès du général.

Après les avoir présentés l’un àl’autre, avec ces politesses ironiques dont il avait l’habitude, lebandit les laissa seuls et se retira.

Seulement, avant de s’éloigner, lecapitaine tira un pistolet de sa ceinture et l’appuyant sur lapoitrine du savant :

– Bien que vous soyez à moitié fou,lui dit-il, comme vous pourriez cependant avoir quelques velléitésde me trahir, retenez bien ceci, cher monsieur : c’est qu’à lamoindre démarche équivoque que je vous verrai tenter, je vous feraisauter la cervelle ; vous êtes averti, maintenant agissezcomme vous voudrez.

Et repassant son pistolet à sa ceinture,il se retira en ricanant.

Le docteur écouta cette admonestation,avec un visage contrit mais avec un sourire narquois qui, malgrélui, glissa sur ses lèvres ; heureusement il ne fut pas aperçupar le capitaine.

Le général et son Nègre Jupiter setrouvaient relégués dans une salle assez éloignée de l’entrée de lagrotte.

Ils étaient seuls.

Le capitaine avait jugé inutile de lesfaire garder à vue.

Assis tous deux sur un amas de feuillessèches, la tête basse et les bras croisés, ils réfléchissaientprofondément.

À la vue du savant, le visage sombre dugénéral s’éclaira d’un fugitif sourire d’espoir.

– Vous voilà, docteur, lui dit-ilen lui tendant une main que celui-ci serra silencieusement, dois-jeme réjouir ou m’attrister de votre présence ?

– Sommes-nous seuls ? demandale médecin sans répondre à la question du général.

– Je le crois, fit-il étonné ;dans tous les cas il est facile de vous en assurer.

Le docteur rôda de tous les côtés,furetant avec soin dans tous les coins, enfin il revint auprès desprisonniers.

– Nous pouvons causer,dit-il.

Le savant était habituellement sienfoncé dans ses calculs scientifiques, il était tellement distraitde sa nature, que les prisonniers n’avaient en lui qu’une confiancefort minime.

– Et ma nièce ? demanda legénéral avec inquiétude.

– Rassurez-vous, elle est en sûretéauprès d’un chasseur nommé le Cœur-Loyal, qui a pour elle le plusprofond respect.

Le général poussa un soupir desoulagement, cette bonne nouvelle lui rendait tout soncourage.

– Oh ! dit-il, qu’importemaintenant que je sois prisonnier ! puisque ma nièce estsauvée, je puis tout souffrir.

– Non, non ! dit vivement ledocteur, il faut au contraire vous échapper à tout prix, d’ici àdemain.

– Pourquoi ?

– Répondez-moi d’abord.

– Je ne demande pasmieux.

– Vos blessures me semblent assezlégères, elles sont en voie de guérison.

– En effet.

– Vous croyez-vous capable demarcher ?

– Oh ! oui.

– Entendons-nous, je veux direcapable de faire une longue route ?

– Je le crois, s’il le fallaitabsolument.

– Eh ! eh ! fit le Nègrequi jusqu’à ce moment était demeuré silencieux, est-ce que je nesuis pas assez fort pour porter mon maître, moi, s’il ne pouvaitplus marcher ?

Le général lui serra la main.

– C’est vrai ! Au fait, dit ledocteur, ainsi, voilà qui va bien, seulement il faut vouséchapper.

– Je ne demande pas mieux, maiscomment ?

– Ah ! voilà, fit le savant ense grattant le front, comment, je ne sais pas, moi ! Maissoyez tranquille, je trouverai un moyen. Je ne sais pas lequel, parexemple.

Des pas se firent entendre, le capitaineparut.

– Eh bien ! demanda-t-il,comment vont les malades ?

– Pas trop bien, répondit ledocteur.

– Bah ! bah ! reprit lepirate, tout cela s’arrangera ; du reste, le général serabientôt libre, alors il pourra se soigner tout à son aise. Allons,venez, docteur, j’espère que je vous ai laissé assez longtempscauser avec votre ami.

Le médecin le suivit sans répondre,après avoir fait au général un dernier geste pour lui recommanderla prudence.

La journée se passa sansincident.

Les prisonniers attendaient la nuit avecimpatience ; malgré eux la confiance du docteur les avaitgagnés, ils espéraient.

Vers le soir le digne savant reparut. Ilmarchait d’un pas délibéré, son visage était rayonnant, il tenaitune torche à la main.

– Eh ! qu’avez-vous donc,docteur ? lui demanda le général, je vous trouve l’air toutjoyeux.

– Je suis joyeux en effet, général,répondit-il en souriant, parce que j’ai trouvé le moyen de vousfaire évader, ainsi que moi, bien entendu !

– Et ce moyen ?

– Est déjà à demi exécuté, fit-ilavec un petit rire sec qui lui était particulier lorsqu’il étaitsatisfait.

– Que voulez-vousdire ?

– Pardieu ! une chose biensimple, mais que vous ne devineriez jamais ; tous nos banditsdorment, nous sommes les maîtres de la grotte.

– Il serait possible ! maiss’ils s’éveillent ?

– Pour cela, soyez tranquille, ilsse réveilleront, cela ne fait pas un doute, mais point avant sixheures d’ici, au moins.

– Comment cela ?

– Parce que je me suis chargémoi-même de leur verser le sommeil, c’est-à-dire qu’à leur souper,je leur ai servi une décoction d’opium, qui les a fait tomber commedes masses de plomb, depuis ils ronflent comme des soufflets deforge.

– Oh ! c’est parfait !s’écria le général.

– N’est-ce pas ? dit ledocteur avec modestie ; dame ! j’ai voulu réparer le malque je vous avais causé par ma négligence ! Je ne suis pas unsoldat, moi, je suis un pauvre médecin, je me suis servi de mesarmes, vous voyez que dans l’occasion elles en valentd’autres.

– Elles valent mieux centfois ! Docteur, vous êtes un homme adorable.

– Allons, allons, ne perdons pas detemps.

– C’est juste, partons ! maisle capitaine, qu’en avez-vous fait ?

– Pour lui, le diable seul sait oùil est. Il nous a quittés cet après-dîner sans rien dire àpersonne, mais je me doute de l’endroit où il se rend, et je metrompe fort ou nous le verrons bientôt.

– Enfin, tout est pour le mieux, enroute.

Les trois hommes se mirent en marche.Malgré le moyen employé par le docteur, le général et le Nègren’étaient pas sans inquiétude.

Ils arrivèrent à la salle qui servait dedortoir aux bandits, ils dormaient étendus çà et là.

Les fugitifs passèrent.

Arrivés à l’entrée de la grotte, aumoment où ils allaient détacher le radeau pour traverser larivière, ils virent aux rayons pâlissants de la lune, un autreradeau monté par une quinzaine d’hommes qui se dirigeaientlentement de leur côté.

La retraite leur étaitcoupée.

Comment résister à un aussi grand nombred’adversaires ?

– Fatalité ! murmura legénéral avec désespoir.

– Oh ! fit piteusement ledocteur, un plan de fuite qui m’avait donné tant de peine àélaborer !

Les fugitifs se jetèrent dans unrenfoncement des rochers afin de ne pas être aperçus, et ilsattendirent, le cœur palpitant, le débarquement des arrivants, dontles manœuvres leur paraissaient de plus en plussuspectes.

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