Le Trappeurs de l’Arkansas

Chapitre 5L’alliance

 

Il nous faut maintenant revenir auCœur-Loyal.

Après avoir marché une dizaine deminutes à peu près devant lui, sans même se donner la peine desuivre un de ces innombrables sentiers qui sillonnent les prairiesdans tous les sens, le chasseur s’arrêta, posa la crosse de sonfusil à terre, regarda avec soin de tous les côtés, prêta l’oreilleà ces mille bruits du désert qui tous ont une signification pourl’homme habitué à la vie des prairies, et probablement satisfait durésultat de ses observations, il imita à trois reprisesdifférentes, à intervalles égaux, le cri de la pie avec une telleperfection que plusieurs de ces oiseaux, cachés au plus épais desarbres, lui répondirent immédiatement.

À peine le troisième cri avait-il finide vibrer dans l’air que la forêt, muette jusque-là et qui semblaitplongée dans la solitude la plus complète, s’anima comme parenchantement.

De toutes parts, se levèrent du milieudes broussailles et des herbes où ils étaient enfouis, une foule dechasseurs aux traits énergiques, aux costumes pittoresques, quiformèrent en un instant un cercle épais autour duchasseur.

Le hasard voulut que les deux premiersvisages qui frappèrent la vue du Cœur-Loyal furent ceux del’Élan-Noir et de nô Eusébio, postés tous deux à quelques pas delui seulement.

– Oh ! fit-il en leur tendantla main avec effusion, je comprends tout, mes amis, merci, mercimille fois de votre concours cordial, mais, grâce à Dieu, votresecours ne m’est plus nécessaire.

– Tant mieux ! fitl’Élan-Noir.

– Ainsi vous avez réussi à voussortir des mains de ces Peaux-Rouges endiablés ? lui demandale vieux serviteur avec intérêt.

– Ne dites pas de mal desComanches, répondit en souriant le Cœur-Loyal, ce sont maintenantmes frères.

– Parlez-vous sérieusement, s’écriavivement l’Élan-Noir, seriez-vous réellement bien avec lesIndiens ?

– Vous en jugerez vous-même, lapaix est faite entre eux, moi et mes amis, si vous y consentez, jecompte vous présenter les uns aux autres.

– Ma foi ! dans lescirconstances présentes, il ne pouvait rien nous arriver de plusheureux, dit l’Élan-Noir, et, puisque vous êtes libre, nous allonspouvoir nous occuper d’autres personnes qui sont en ce moment engrand péril et qui probablement ont un pressant besoin de notreaide.

– Que voulez-vous dire ?demanda le Cœur-Loyal avec une curiosité mêléed’intérêt.

– Je veux dire que des gensauxquels vous avez déjà rendu un immense service, pendant ledernier incendie de la prairie, sont en ce moment cernés par unebande de pirates, qui ne tarderont pas probablement à les attaquer,si ce n’est déjà fait.

– Il faut voler à leursecours ! s’écria le Cœur-Loyal avec une émotion dont il nefut pas le maître.

– Pardieu ! c’est bien notreintention, mais nous voulions d’abord vous délivrer, Cœur-Loyal,vous êtes l’âme de notre association, sans vous, nous n’aurionsrien pu faire de bon.

– Merci, mes amis, mais à présent,vous le voyez, je suis libre, ainsi, rien ne nous arrête plus, nousallons partir !

– Pardon, reprit l’Élan-Noir, maisnous avons affaire à forte partie, les pirates qui savent qu’ilsn’ont aucune pitié à attendre se battent comme des tigres ;plus nous serons nombreux, plus nous aurons de chances deréussite.

– C’est juste ! mais oùvoulez-vous en venir ?

– À ceci que, puisque vous avezfait en notre nom la paix avec les Comanches, il se pourraitque…

– Vous avez pardieu raison,l’Élan-Noir, interrompit vivement le Cœur-Loyal, je n’y songeaispas ; les guerriers indiens seront heureux de l’occasion quenous leur offrirons de montrer leur valeur, ils nous aideront avecjoie dans notre expédition, je me charge de les décider, suivez-moitous, je vais vous présenter à nos nouveaux amis.

Les trappeurs se réunirent et formèrentune troupe compacte d’une quarantaine d’hommes.

Les armes furent renversées en signe depaix, et tous, suivant les traces du chasseur, se dirigèrent versle camp.

– Et ma mère ? demanda avecémotion le Cœur-Loyal à nô Eusébio.

– En sûreté dans la hutte del’Élan-Noir.

– Comment setrouve-t-elle ?

– Bien, quoique dévoréed’inquiétude, répondit le vieillard ; votre mère est une femmequi ne vit que par le cœur, elle est douée d’un immense courage,les plus grandes douleurs physiques glissent sur elle, elle ne seressent plus des atroces tortures qu’elle avait commencé àsubir.

– Dieu soit loué ! mais il nefaut pas plus longtemps la laisser dans ces transesmortelles ; où est votre cheval ?

– Caché ici près.

– Prenez-le et rendez-vous auprès de mamère, vous la rassurerez et vous vous retirerez tous deux dans lagrotte du Vert-de-gris où elle sera à l’abri de toutdanger. Vous resterez avec elle. Cette grotte est facile à trouver,elle est située non loin du rocher du Bison mort ; dureste, lorsque vous serez arrivé à cet endroit, vous lâcherez mesrastreros que je vous laisse, ils vous y conduiront tout droit.Vous m’avez bien compris ?

– Parfaitement.

– Partez donc, alors ; nousvoici au camp, votre présence est inutile ici, tandis que là-baselle est indispensable.

– Je pars.

– Adieu.

– Au revoir.

Nô Eusébio siffla les limiers qu’ilréunit par une laisse, après avoir une dernière fois serré la maindu jeune homme, il le quitta, tourna à droite et reprit le cheminde la forêt, tandis que la troupe des chasseurs arrivait à l’entréede la clairière où était dressé le camp des Indiens.

Les Comanches formaient à quelques pasen arrière des premières lignes de leur camp un vaste demi-cercle,au milieu duquel se tenaient les chefs.

Pour faire honneur aux arrivants, ilsavaient revêtu leurs plus beaux costumes, ils étaient peints etarmés en guerre.

Le Cœur-Loyal fit arrêter sa troupe etcontinuant seul à marcher, il déploya une robe de bison qu’il fitflotter.

La Tête-d’Aigle quitta alors les autreschefs, il s’avança de son côté au-devant du chasseur, en faisant,lui aussi, flotter une robe de bison en signe de paix.

Lorsque les deux hommes furent à troispas l’un de l’autre, ils s’arrêtèrent, le Cœur-Loyal prit laparole :

– Le maître de la vie, dit-il, voitdans nos cœurs, il sait qu’au milieu de nous le chemin est beau etouvert, et que les paroles que souffle notre poitrine et queprononce notre bouche sont sincères ; les chasseurs blancsviennent visiter leurs frères rouges.

– Qu’ils soient les bienvenus,répondit cordialement la Tête-d’Aigle en s’inclinant, avec la grâceet la noblesse majestueuse qui caractérise les Indiens.

Après ces paroles, les Comanches et leschasseurs déchargèrent leurs armes en l’air, en poussant de longscris de joie.

Alors toute étiquette fut bannie, lesdeux troupes se mêlèrent et se confondirent si bien qu’au bout dequelques minutes elles n’en formaient plus qu’une seule.

Cependant le Cœur-Loyal qui savait,d’après ce que lui avait dit l’Élan-Noir, combien les momentsétaient précieux, avait pris la Tête-d’Aigle à part et lui avaitfranchement expliqué ce qu’il attendait de sa tribu.

Le chef sourit à cettedemande.

– Mon frère sera satisfait, dit-il,qu’il attende un peu.

Quittant alors le chasseur, il rejoignitles autres chefs.

Le crieur monta bientôt sur lavérandah d’une hutte et convoqua à grands cris, lesguerriers les plus renommés, à une réunion dans la case duconseil.

La demande du Cœur-Loyal eutl’approbation générale ; quatre-vingt-dix guerriers d’élite,commandés par la Tête-d’Aigle, furent désignés pour accompagner leschasseurs, et coopérer de tout leur pouvoir au succès de leurexpédition.

Lorsque la décision des chefs futconnue, ce fut une joie universelle dans la tribu.

Les alliés devaient se mettre en routeau soleil couchant, afin de surprendre l’ennemi.

L’on dansa, avec toutes les cérémoniesusitées en pareil cas, la grande danse de guerre, pendant laquelleles guerriers répètent continuellement en chœur :

« Wabimdam Kitchée manitoo,agarmissey hapitch neatissum ! »

C’est-à-dire :

« Maître de la vie, vois-moi d’unœil favorable, tu m’as donné le courage d’ouvrir mesveines. »

Lorsqu’on fut sur le point de partir, laTête-d’Aigle, qui savait à quels ennemis dangereux il allaits’attaquer, choisit vingt guerriers sur lesquels il pouvait compteret les expédia en avant en éclaireurs après leur avoir donné duscotté wigwas, ou bois écorce, afin qu’ils pussentimmédiatement allumer du feu, pour avertir en cas d’alerte.

Ensuite, il visita avec soin les armesde ses guerriers, et, satisfait du résultat de son inspection, ildonna le signal du départ.

Les Comanches et les trappeurs prirentla file indienne et, précédés de leurs chefs respectifs, ilsquittèrent le camp, au milieu des souhaits et des exhortations deleurs amis, qui les accompagnèrent jusqu’aux premiers arbres de laforêt.

La petite armée se composait de centtrente hommes résolus, parfaitement armés, commandés par des chefsque nul obstacle ne pourrait arrêter, nul péril fairereculer.

Les ténèbres étaient épaisses, la lunevoilée par de gros nuages noirs, qui couraient lourdement dansl’espace, ne répandait, par intervalles, qu’une lueur blafarde etsans rayonnement qui, lorsqu’elle disparaissait, donnait aux objetsune apparence fantastique.

Le vent soufflait par rafales ets’engouffrait dans les ravins, avec de sourds et plaintifsmurmures.

Enfin, cette nuit était une de cellesqui, dans l’histoire de l’humanité, semblent destinées à voirs’accomplir de lugubres tragédies.

Les guerriers marchaient silencieux, ilsparaissaient dans les ténèbres, une foule de fantômes échappés dusépulcre, se hâtant pour accomplir une œuvre sans nom, maudite deDieu, que la nuit seule peut abriter de son ombre.

À minuit, le mot de halte, fut prononcéà voix basse.

On campa, pour attendre des nouvellesdes éclaireurs.

C’est-à-dire que chacun, s’enveloppanttant bien que mal, se coucha où il se trouvait, afin d’être prêt aupremier signal.

Aucun feu ne fut allumé.

Les Indiens, qui comptent sur leurséclaireurs, ne posent jamais de sentinelles, lorsqu’ils sont sur lesentier de la guerre.

Deux heures se passèrent.

Le camp des Mexicains n’était éloignéque de trois milles au plus ; mais avant de se risquer plusprès, les chefs voulaient s’assurer que la route était libre ;au cas où elle ne le fût pas, quel était le nombre des ennemis quileur barraient le passage, et quel plan d’attaque ils avaientadopté.

Au moment où le Cœur-Loyal, dévoréd’impatience, se préparait à aller lui-même à la découverte, unfrôlement presque imperceptible d’abord, mais qui peu à peuaugmenta dans d’énormes proportions, se fit entendre dans lesbroussailles, et deux hommes parurent.

Le premier était un des éclaireurscomanches, l’autre était le docteur.

L’état dans lequel se trouvait le pauvresavant était digne de pitié.

Il avait perdu sa perruque, sesvêtements étaient en lambeaux, son visage bouleversé par laterreur, enfin toute sa personne portait des traces évidentes delutte et de combat.

Lorsqu’il arriva devant la Tête-d’Aigleet le Cœur-Loyal, il tomba le visage contre terre ets’évanouit.

On s’empressa de le rappeler à lavie.

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