Le Trappeurs de l’Arkansas

Chapitre 4Le docteur

 

Pendant que s’accomplissaient cesévénements terribles, le docteur herborisaittranquillement.

Le digne savant, émerveillé par la richeflore qu’il avait sous les yeux, avait tout oublié pour neplus songer qu’à l’ample moisson qu’il pouvait faire. Il allait lecorps penché vers la terre, s’arrêtant devant chaque plante qu’iladmirait longtemps, ayant de se résoudre à l’arracher.

Lorsqu’il se fut chargé d’un nombreinfini de plantes et d’herbes pour lui excessivement précieuses, ilse résolut enfin à s’asseoir au pied d’un arbre, afin de lesclasser à son aise, avec tout le soin que les savants émérites ontcoutume d’apporter à cette opération délicate, tout en grignotantquelques morceaux de biscuit, qu’il tira de sagibecière.

Il était depuis longtemps plongé danscette occupation, qui lui procurait une de ces jouissances extrêmesque les savants seuls peuvent savourer et qui sont inconnues duvulgaire ; probablement il se serait oublié à ce travailjusqu’à ce que la nuit le surprît et l’obligeât à chercher un abri,lorsqu’une ombre vint tout à coup se placer entre le soleil et luiet projeter son reflet sur les plantes qu’il classait avec tant desoin.

Machinalement il leva latête.

Un homme, appuyé sur un long rifle,était arrêté devant lui et le considérait avec une attentiongoguenarde.

Cet homme était l’Élan-Noir.

– Hé ! hé ! dit-il audocteur, que faites-vous donc là, mon brave monsieur ? Lediable m’emporte, en voyant ainsi remuer les herbes, j’ai cru qu’ily avait un chevreuil dans le fourré, et j’ai été sur le point devous envoyer une balle.

– Diable ! s’écria le docteuren le regardant avec effroi, faites-y attention, vous auriez pu metuer, savez-vous ?

– Parbleu ! reprit le trappeuren riant, mais ne craignez rien, j’ai reconnu mon erreur àtemps.

– Dieu soit loué !

Et le docteur, qui venait d’apercevoirune plante rare, se baissa vivement pour la saisir.

– Vous ne voulez donc pas me dire,continua le chasseur, ce que vous faites là ?

– Vous le voyez bien, monami.

– Moi, je vois que vous vous amusezà arracher les mauvaises herbes de la prairie, voilà tout, et je medemande à quoi cela peut vous servir ?

– Oh ! l’ignorance ! murmura lesavant, et il ajouta tout haut avec ce ton de condescendancedoctorale particulier aux disciples d’Esculape : mon ami, jecueille des simples que je collectionne, afin de les classer dansmon herbier ; la flore de ces prairies est magnifique, je suisconvaincu que j’ai découvert au moins trois nouvelles espèces duchirostemon pentadactylon dont le genre appartient à laFlora mexicana.

– Ah ! fit le chasseur enouvrant des yeux énormes et faisant des efforts inouïs pour ne pasrire au nez du docteur, vous croyez avoir trouvé trois espècesnouvelles de…

– Chirostemon pentadactylon, monami, dit le savant avec douceur.

– Ah bah !

– Au moins, peut-être y en a-t-ilquatre.

– Oh ! oh ! cela est doncbien utile ?

– Comment si c’est utile !s’écria le médecin scandalisé.

– Ne vous fâchez pas, je ne saispas, moi.

– C’est juste ! fit le savantradouci par le ton de l’Élan-Noir, vous ne pouvez comprendrel’importance de ces travaux qui font faire à la science un pasimmense.

– Voyez-vous cela ! et c’estpour arracher ainsi des herbes que vous êtes venu dans lesprairies ?

– Pas pour autre chose.

L’Élan-Noir le considéra avec cetteadmiration que cause la vue d’un phénomène inexplicable ; lechasseur ne parvenait pas à comprendre qu’un homme sensé se résolûtainsi de gaieté de cœur à supporter une vie de privation et depérils, dans le but inqualifiable pour lui d’arracher des plantesqui ne servent à rien, aussi en vint-il au bout d’un instant à sepersuader que le savant était fou. Il lui lança un regard decommisération en hochant la tête, et, plaçant son rifle sur sonépaule, il se prépara à continuer sa route.

– Allons ! allons !dit-il de ce ton que l’on emploie pour parler aux enfants et auxaliénés, vous avez raison, mon brave monsieur, arrachez, arrachez,vous ne faites tort à personne, et il en restera toujours assez.Bonne chance et au revoir !

Et sifflant ses chiens, il fit quelquespas, mais revenant presque aussitôt :

– Encore un mot, fit-il ens’adressant au docteur, qui déjà ne pensait plus à lui et s’étaitremis avec ardeur à la besogne que l’arrivée du chasseur l’avaitforcé d’interrompre.

– Dites, répondit-il en levant latête.

– J’espère que la jeune dame quiest venue visiter hier mon hatto en compagnie de son oncle se portebien, hein ? Pauvre chère enfant, vous ne pouvez vous imaginercombien je m’intéresse à elle, mon brave monsieur.

Le docteur se releva subitement en sefrappant le front.

– Étourdi que je suis !dit-il, je l’avais complètement oublié !

– Oublié, quoi donc ? demandale chasseur étonné.

– Je n’en fais jamaisd’autres ! murmura le savant ; heureusement que le maln’est pas grand et que, puisque vous êtes là, il est facile àréparer.

– De quel mal parlez-vous ?fit le trappeur avec un commencement d’inquiétude.

– Figurez-vous, continuatranquillement le docteur, que la science m’absorbe tellement quej’en oublie souvent le boire et le manger, à plus forte raison,n’est-ce pas, les commissions dont je me charge ?

– Au fait ! au fait ! ditle chasseur avec impatience.

– Ah ! mon Dieu ! c’est biensimple, j’ai quitté le camp au point du jour pour me rendre à votrehutte, mais, arrivé ici, j’ai été tellement charmé par lesinnombrables plantes rares que je foulais aux pieds de mon chevalque, sans plus songer à suivre ma route, je me suis arrêté d’abordpour arracher une plante, puis j’en ai aperçu une autre quimanquait à mon herbier, une autre après, ainsi de suite ;bref, je n’ai plus du tout songé à aller vous trouver, j’étais mêmetellement absorbé par mes recherches, que votre présence imprévue,il n’y a qu’un instant, ne m’a pas remis en mémoire la commissionque j’avais à faire auprès de vous.

– Ainsi vous êtes parti du camp aulever du soleil ?

– Mon Dieu, oui.

– Savez-vous l’heure qu’il est ence moment ?

Le savant regarda le soleil.

– Trois heures à peu près,dit-il ; mais cela importe peu, je vous le répète ;puisque vous voilà, je vais vous rapporter ce que doña Luz m’achargé de vous dire, et tout sera arrangé, je l’espère.

– Dieu veuille que votre négligencene soit pas cause d’un grand malheur ! fit le chasseur avec unsoupir.

– Que voulez-vousdire ?

– Bientôt vous le saurez ;j’espère que je me trompe. Parlez, je vous écoute.

– Voici ce que doña Luz m’a prié devous répéter.

– Ainsi c’est doña Luz quivous envoie à moi ?

– Elle-même.

– S’est-il donc passé quelque chose desérieux au camp ?

– Au fait ! c’est vrai, celapourrait être plus grave que je ne l’ai supposé d’abord ;voici l’affaire : cette nuit, un de nos guides…

– Le Babillard ?

– Lui-même. Vous leconnaissez ?

– Oui. Après ?

– Eh bien ! il paraît que cet hommecomplotait avec un autre bandit de son espèce, de livrer le camp àdes Indiens, probablement ; doña Luz a, par hasard, entendutoute la conversation de ces drôles, et, au moment où ils passaientprès d’elle pour s’échapper, elle a tiré sur eux deux coups depistolet à bout portant.

– Elle les a tués ?

– Malheureusement non ; l’un,quoique grièvement blessé sans doute, a pu s’échapper.

– Quel estcelui-là ?

– Le Babillard.

– Et alors ?

– Alors, doña Luz m’a fait jurer deme rendre auprès de vous et de vous dire, attendez donc, fit lesavant en cherchant à se souvenir.

– L’Élan-Noir, l’heure sonne !interrompit vivement le chasseur.

– C’est cela même ! fit lesavant en se frottant les mains avec joie, je l’avais sur le boutde la langue ; je vous avoue que cela m’a paru assez obscur etque je n’y ai rien compris du tout, mais vous allez me l’expliquer,n’est-ce pas ?

Le chasseur le saisit vigoureusement parle bras et approchant son visage du sien, il lui dit, le regardenflammé et les traits contractés par la colère :

– Misérable fou ! pourquoin’êtes-vous pas venu me trouver en toute hâte ? au lieu deperdre le temps comme un imbécile, votre retard causera peut-êtrela mort de tous vos amis.

– Il serait possible ! s’écriale docteur atterré, sans songer à se formaliser de la façon un peubrusque dont le secouait le chasseur.

– Vous étiez chargé d’un message devie et de mort, insensé que vous êtes ! maintenant quefaire ? peut-être est-il trop tard !

– Oh ! ne dites pascela ! s’écria le savant avec agitation, je mourrais dedésespoir s’il en était ainsi !

Le pauvre homme fondit en larmes etdonna des preuves non équivoques du plus grand chagrin.

L’Élan-Noir fut obligé de leconsoler.

– Voyons, du courage, mon bravemonsieur, lui dit-il en se radoucissant, que diable !peut-être tout n’est-il pas perdu !

– Oh ! si j’étais cause d’unsi grand malheur, je n’y survivrais pas !

– Enfin, ce qui est fait estfait ! il faut en prendre notre parti, dit philosophiquementle trappeur, je vais aviser à leur venir en aide. Grâce àDieu ! je ne suis pas aussi seul qu’on pourrait le croire,j’espère d’ici à quelques heures, avoir réuni une trentaine desmeilleurs rifles de la prairie.

– Vous les sauverez, n’est-cepas ?

– Du moins je ferai tout ce qu’ilfaudra pour cela, et s’il plaît à Dieu jeréussirai !

– Le ciel vousentende !

– Amen ! dit le chasseur en sesignant dévotement, maintenant, écoutez-moi, vous allez retournerau camp.

– De suite !

– Mais plus de cueillement defleurs ni d’arrachement d’herbes, n’est-ce pas ?

– Oh ! je vous le jure !maudite soit l’heure à laquelle je me suis mis à herboriser !s’écria le savant avec un désespoir comique.

– Très bien, c’est convenu, vousrassurerez la jeune dame ainsi que son oncle, vous leurrecommanderez de faire bonne garde et en cas d’attaque unevigoureuse résistance, et vous leur direz que bientôt ils verrontdes amis venir à leur secours !

– Je le leur dirai.

– Alors à cheval et au galopjusqu’au camp.

– Soyez tranquille, mais vous,qu’allez-vous faire ?

– Ne vous occupez pas de moi, je neresterai pas inactif, tâchez seulement de rejoindre vos amis leplus tôt possible.

– Avant une heure je serai prèsd’eux !

– Bon courage et bonnechance ! surtout ne désespérez pas !

L’Élan-Noir lâcha la bride du chevalqu’il avait saisie et le savant partit à fond de train, allure peuhabituelle au bonhomme qui avait une peine infinie à conserverl’équilibre.

Le trappeur le regarda un instants’éloigner, puis il tourna sur lui-même et s’enfonça à grands pasdans la forêt.

Il marchait depuis dix minutes à peine,lorsqu’il se trouva face à face avec nô Eusébio qui avait entravers de sa selle la mère du Cœur-Loyal évanouie.

Cette rencontre était pour le trappeurune bonne fortune, dont il profita pour demander au vieil Espagnoldes renseignements positifs sur le chasseur, renseignements que levieillard se hâta de lui donner.

Puis, les deux hommes se rendirent à lahutte du trappeur dont ils étaient peu éloignés et dans laquelleils voulaient placer provisoirement la mère de leur ami.

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