Le Trappeurs de l’Arkansas

Chapitre 10Le camp retranché

 

Nous laisserons aux chasseurs suivre lapiste des Peaux-Rouges et nous reviendrons au général.

Quelques minutes après que les deuxhommes eurent quitté le camp des Mexicains, le général sortit de latente et tout en jetant un regard investigateur autour de lui, etrespirant l’air frais du matin, il se mit à se promener de long enlarge d’un air préoccupé.

Les événements de la nuit avaientproduit une vive impression sur le vieux soldat.

Pour la première fois peut-être depuisqu’il avait entrepris cette expédition, il l’entrevoyait sous sonvéritable jour ; il se demandait s’il avait bien réellement ledroit d’associer à cette vie de périls et d’embûches continuellesune jeune fille de l’âge de sa nièce, dont l’existence n’avait étéjusqu’à ce moment qu’une suite non interrompue de douces ettranquilles émotions, et qui probablement ne pourrait pass’accoutumer à ces dangers incessants et à ces agitations de la viedes prairies qui, en peu de temps, brisent les ressorts des âmesles mieux trempées.

Sa perplexité était grande. Il adoraitsa nièce ; c’était son seul amour, sa seule consolation. Pourelle il aurait mille fois sacrifié tout ce qu’il possédait, sansregret et sans hésitation ; mais, d’un autre côté, les raisonsqui l’avaient obligé à entreprendre ce périlleux voyage étaientd’une importance telle qu’il frémissait et sentait une sueur froideenvahir son front rien qu’à la pensée d’y renoncer.

– Que faire ?… disait-il, quefaire ?

Doña Luz, qui sortait à son tour de latente, aperçut son oncle dont la promenade saccadée duraittoujours, elle accourut vers lui, et lui jetant avec abandon lesbras autour du cou :

– Bonjour, mon oncle, lui dit-elleen l’embrassant.

– Bonjour, ma fille, répondit legénéral – il avait l’habitude de la nommer ainsi –, eh !eh ! mon enfant, vous êtes bien gaie ce matin.

Et il lui rendit avec effusion lescaresses qu’elle lui prodiguait.

– Pourquoi ne serais-je pas gaie,mon oncle ? Grâce à Dieu, nous venons d’échapper à un immensepéril, tout semble sourire dans la nature, les oiseaux chantent surtoutes les branches, le soleil nous inonde de ses chauds rayons,nous serions ingrats envers le créateur si nous restionsinsensibles à cette manifestation de son pouvoir.

– Ainsi nos périls de cette nuitn’ont laissé aucune fâcheuse impression dans votre esprit, chèreenfant ?

– Aucune, mon oncle, si ce n’estune immense reconnaissance pour les bienfaits dont Dieu nousaccable.

– Bien, ma fille, répondit legénéral avec joie, je suis heureux de vous entendre parlerainsi.

– Tant mieux si je vous faisplaisir, mon oncle.

– De sorte, reprit le général,suivant toujours son idée, que la vie que nous menons en ce momentne vous fatigue pas.

– Nullement, je la trouve fortagréable, au contraire, dit-elle en souriant, et surtout fortaccidentée.

– Oui, fit le général en partageantla gaieté de sa nièce, mais, ajouta-t-il en redevenant sérieux, ilme semble que nous oublions un peu trop nos libérateurs.

– Ils sont partis, répondit doñaLuz.

– Ils sont partis ? dit legénéral en tressaillant.

– Depuis une heure déjà.

– Comment le savez-vous, manièce ?

– Par une raison toute simple, mononcle, ils m’ont dit adieu, avant de nous quitter.

– Ce n’est pas bien, murmura legénéral avec tristesse, un service oblige autant ceux qui lerendent que ceux qui le reçoivent, ils n’auraient pas dû nousabandonner ainsi, sans nous dire si nous pourrons jamais les revoiret même sans nous laisser leurs noms.

– Je les sais.

– Vous les savez, ma fille ?dit le général avec étonnement.

– Oui, mon oncle, avant de partir,ils me les ont dits.

– Et… comment se nomment-ils ?demanda vivement le général.

– Le plus jeune,Belhumeur.

– Et le plus âgé ?

– Le Cœur-Loyal.

– Oh ! il faudra que jeretrouve ces deux hommes, dit le général avec une émotion dont ilne put se rendre compte.

– Qui sait ? répondit la jeunefille rêveuse, peut-être au premier danger qui nous menacera lesverrons-nous apparaître comme deux bienfaisants génies.

– Dieu veuille que ce ne soit pas àune pareille cause que nous devions leur retour parminous.

Le capitaine vint leur adresser lessouhaits du matin.

– Eh bien ! capitaine, dit ensouriant le général, vos hommes sont-ils remis de leursémotions ?

– Parfaitement, général, réponditle jeune homme, ils sont prêts à repartir dès que vous en donnerezl’ordre.

– Après déjeuner, nous lèverons lecamp, veuillez, je vous prie, donner les ordres nécessaires auxlanceros et m’envoyer le Babillard.

Le capitaine se retira.

– Quant à vous, ma nièce, continuale général en s’adressant à doña Luz, surveillez, je vous prie, lesapprêts du déjeuner, tandis que je causerai avec leguide.

La jeune fille s’envola.

Le Babillard arriva bientôt.

Son air était plus sombre, sa mine plusrenfrognée que de coutume.

Le général ne parut pas s’enapercevoir.

– Vous savez, lui dit-il, qu’hierje vous ai manifesté l’intention de trouver un emplacement où matroupe puisse camper en sûreté pendant quelquesjours ?

– Oui, général.

– Vous m’avez assuré connaître unendroit qui remplirait parfaitement ce but ?

– Oui, général.

– Êtes-vous disposé à m’yconduire ?

– Quand vous voudrez.

– Combien nous faut-il de tempspour nous y rendre ?

– Deux jours.

– Fort bien. Nous partironsaussitôt après le déjeuner.

Le Babillard s’inclina sansrépondre.

– À propos, dit le général avec unefeinte indifférence, il me semble qu’il nous manque un de voshommes ?

– Oui.

– Qu’est-ildevenu ?

– Je ne sais pas.

– Comment, vous ne le savezpas ? s’écria le général avec un coup d’œilinvestigateur.

– Non. Dès qu’il a vu l’incendie,la peur s’est emparée de lui, et il s’est sauvé.

– Eh bien ?

– Il aura probablement été victimede sa couardise.

– Que voulez-vousdire ?

– Le feu l’aura dévoré.

– Pauvre diable !

Un sourire sardonique crispa les lèvresdu guide.

– Vous n’avez plus rien à me dire,général ?

– Non… Ah !attendez.

– J’attends.

– Ne connaissez-vous pas ces deuxchasseurs, qui cette nuit nous ont rendu un si grandservice ?

– Tout le monde se connaît, dans laprairie.

– Quels sont ceshommes ?

– Des chasseurs et destrappeurs.

– Ce n’est pas cela que je vousdemande.

– Quoi donc alors ?

– Je vous parle de leurmoralité.

– Ah ! fit le guide avec unmouvement.

– Oui.

– Je ne sais pas.

– Comment senomment-ils ?

– Belhumeur et leCœur-Loyal.

– Et vous ne connaissez rien deleur vie ?

– Rien.

– C’est bien, vous pouvez vousretirer.

Le guide salua et rejoignit à pas lentsses compagnons qui faisaient leurs préparatifs dedépart.

– Hum ! murmura le général enle suivant des yeux, je surveillerai ce drôle, il y a du louchedans sa conduite.

Après cet aparté, le général entra dansla tente où le capitaine, le docteur et doña Luz l’attendaient pourdéjeuner.

Le repas fut court.

Une demi-heure plus tard tout au plus latente était repliée, les caisses chargées sur les mules et lacaravane continuait son voyage sous la direction du Babillard quimarchait en éclaireur à une vingtaine de pas en avant.

L’aspect de la prairie avait bien changédepuis la veille.

La terre noire et brûlée étaitrecouverte par places de monceaux de cendres fumantes, çà et là,des arbres calcinés, mais debout encore, montraient leur squeletteattristant. Au loin l’incendie grondait toujours, et des nuagesd’une fumée cuivrée masquaient l’horizon.

Les chevaux n’avançaient qu’avecprécaution sur ce terrain accidenté, où parfois ils trébuchaientcontre les os des animaux saisis par l’étreinte terrible desflammes.

Une sombre tristesse, augmentée encorepar la vue du paysage qui se déroulait devant eux, s’était emparéedes voyageurs ; ils marchaient auprès les uns des autres, sansse parler, enfoncés dans leurs réflexions.

Le chemin que suivait la caravaneserpentait dans un étroit ravin, lit desséché de quelque torrent,profondément encaissé entre deux collines.

Le terrain foulé par le pied des chevauxse composait de cailloux ronds qui fuyaient sous leurs sabots, etaugmentaient les difficultés de la marche, rendue plus difficileencore par les rayons brûlants du soleil qui tombaient d’aplomb surles voyageurs sans qu’ils pussent s’en garantir, car le pays qu’ilstraversaient avait pris complètement l’apparence de l’un de cesvastes déserts que l’on rencontre dans l’intérieur del’Afrique.

La journée s’écoula ainsi sans que, àpart la fatigue qui les accablait, aucun incident rompît lamonotonie du voyage.

Le soir ils campèrent dans une plaineabsolument nue, mais à l’horizon ils aperçurent la verdure, ce quifut pour eux une grande consolation, ils allaient enfin entrer dansune zone épargnée par l’incendie.

Le lendemain, deux heures avant le leverdu soleil, le Babillard donna l’ordre du départ.

Cette journée fut encore plus fatiganteque la précédente, les voyageurs étaient littéralement exténuéslorsque l’on campa.

Le Babillard n’avait pas trompé legénéral, le site était admirablement choisi pour repousser uneattaque indienne ; nous ne le décrirons pas, le lecteur leconnaissant déjà : c’était en ce lieu que se trouvaient leschasseurs, lorsque pour la première fois nous les avons mis enscène.

Le général, après avoir jeté autour delui ce regard infaillible de l’homme de guerre, ne put s’empêcherde manifester sa satisfaction.

– Bravo, dit-il au guide, si nousavons eu des difficultés presque insurmontables à vaincre pourarriver ici, au moins nous pourrions, le cas échéant, y soutenir unsiège.

Le guide ne répondit pas, il s’inclinaavec un sourire équivoque et se retira.

– C’est étonnant, murmura legénéral, bien qu’en apparence la conduite de cet homme soit loyale,et qu’il me soit impossible de lui reprocher la moindre chose,malgré cela je ne sais pourquoi j’ai le pressentiment qu’il noustrompe et qu’il machine quelque diabolique projet contrenous.

Le général était un vieux soldat remplid’expérience, qui ne voulait rien laisser au hasard, ce deus exmachina, qui rompt en une seconde les plans les mieuxconçus.

Malgré la fatigue de ses gens il nevoulut pas perdre une minute ; aidé par le capitaine, il fitabattre une énorme quantité d’arbres afin de former un solideretranchement hérissé de chevaux de frise. Derrière leretranchement, les lanceros creusèrent un large fossé dont ilsrejetèrent la terre du côté du camp, puis derrière ce deuxièmeretranchement les ballots furent empilés de façon à former unetroisième et dernière enceinte.

On planta la tente au milieu du camp,les sentinelles furent placées et chacun alla se livrer à un reposdont il avait le plus grand besoin.

Le général, qui avait l’intention deséjourner quelque temps en ce lieu, voulait autant que possibleassurer la sécurité de ses compagnons, et grâce à ses minutieusesprécautions il croyait avoir réussi.

Depuis deux jours les voyageursmarchaient à travers des chemins exécrables, dormant à peine, nes’arrêtant que le temps strictement nécessaire pour prendre un peude nourriture, nous l’avons dit, ils étaient rendus defatigue ; aussi malgré tout leur désir de rester éveillées,les sentinelles ne purent résister au sommeil qui les accablait, etelles ne tardèrent pas de tomber dans un assoupissementprofond.

Vers minuit, au moment où tout le mondedans le camp était plongé dans le sommeil, un homme se levadoucement et rampant dans l’ombre avec la légèreté d’un reptile,marchant avec des précautions extrêmes, il se glissa en dehors desbarricades et des retranchements.

Alors il s’étendit sur le sol et peu àpeu d’une façon presque insensible, s’aidant des mains et desgenoux, il se dirigea à travers les hautes herbes, vers une forêtqui couvrait les premiers plans de la colline et s’étendait au loindans la prairie.

Arrivé à une certaine distance, sûrdésormais de ne pas être découvert, il se releva.

Un rayon de lune passant entre deuxnuages, vint alors éclairer son visage.

Cet homme était leBabillard !

Il regarda autour de lui avec soin,tendit l’oreille, puis avec une perfection inouïe, il imita le cridu chien des prairies.

Presque instantanément le même cri futrépété et un homme parut à dix pas au plus du Babillard.

Cet homme était le guide, qui troisjours auparavant s’était échappé du camp aux premières lueurs del’incendie.

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