Le Trappeurs de l’Arkansas

Chapitre 8La caverne du Vert-de-Gris

 

Deux jours s’étaient écoulés, depuis lesévénements rapportés dans notre précédent chapitre.

Nous conduirons le lecteur, entre troiset quatre heures de l’après-dîner, dans la grotte découverte parBelhumeur et dont le Cœur-Loyal avait fait son habitation deprédilection.

L’intérieur de la caverne, éclairé parde nombreuses torches de ce bois, que les Indiens nommentbois-chandelle et qui brûlaient, fichées de distance en distance,dans les parois des rochers, présentait l’aspect d’une halte debohémiens ou d’un campement de bandits, au gré de l’étranger, quipar hasard aurait été admis à la visiter.

Une quarantaine de trappeurs et deguerriers comanches étaient disséminés çà et là, les uns dormaient,les autres fumaient, d’autres nettoyaient leurs armes ou réparaientleurs vêtements, quelques-uns accroupis devant deux ou trois feuxsur lesquels étaient suspendues des chaudières, où rôtissaientd’énormes quartiers de venaison, préparaient le repas de leurscompagnons.

À chaque issue de la grotte, deuxsentinelles immobiles, mais l’œil et l’oreille au guet, veillaientsilencieuses au salut commun.

Dans un compartiment séparénaturellement par un bloc de rochers qui faisaient saillie, deuxfemmes et un homme, assis sur des sièges grossièrement taillés àcoups de hache, causaient à voix basse.

Les deux femmes étaient doña Luz et lamère du Cœur-Loyal, l’homme qui les regardait en fumant sacigarette en paille de maïs, et en se mêlant parfois à laconversation, par une interjection arrachée soit à la surprise,soit à l’admiration, soit à la joie, était nô Eusébio, le vieuxserviteur espagnol, dont nous avons souvent parlé dans le cours dece récit.

À l’entrée de ce compartiment, quiformait une espèce de chambre séparée dans la caverne, un autrehomme se promenait de long en large les mains derrière le dos ensifflotant entre ses dents, un air qu’il composait probablement aufur et à mesure.

Celui-là était l’Élan-Noir.

Le Cœur-Loyal, la Tête-d’Aigle etBelhumeur étaient absents.

La conversation des deux femmesparaissait beaucoup les intéresser, la mère du chasseur échangeaitsouvent des regards significatifs avec son vieux serviteur, quiavait laissé éteindre sa cigarette, et la fumait machinalementainsi, sans s’en apercevoir.

– Oh ! dit la vieille dame, enjoignant les mains avec ferveur et en levant les yeux au ciel, ledoigt de Dieu est dans tout ceci.

– Oui, répondit nô Eusébio avecconviction, c’est lui qui a tout fait.

– Et dites-moi, mignonne, depuisdeux mois que vous êtes en voyage, jamais votre oncle le général nevous a laissé entrevoir, soit par ses paroles, soit par sesactions, soit par ses démarches, le but de cetteexpédition ?

– Jamais ! répondit doñaLuz.

– C’est étrange, murmura la vieilledame.

– Étrange en effet, répéta nôEusébio, qui s’obstinait à faire sortir de la fumée de sa cigaretteéteinte.

– Mais enfin, reprit la mère duCœur-Loyal, depuis son arrivée dans les prairies, à quoi votreoncle passait-il son temps ? Pardonnez-moi, mon enfant, cesquestions qui doivent vous surprendre, mais qui ne sont nullementdictées par la curiosité, plus tard vous me comprendrez, vousreconnaîtrez alors que le vif intérêt que vous m’inspirez me porteseul à vous interroger.

– Je n’en doute pas, madame,répondit doña Luz avec un sourire charmant, aussi ne ferai-jeaucune difficulté de vous répondre. Mon oncle depuis notre arrivéedans les prairies était triste et préoccupé, il recherchait lasociété de ces hommes habitués à la vie du désert, lorsqu’il enrencontrait un, il restait de longues heures à causer avec lui et àl’interroger.

– Et sur quoi l’interrogeait-il,mon enfant, vous le rappelez-vous ?

– Mon Dieu, madame, je vousavouerai à ma honte, répondit la jeune fille en rougissantlégèrement, que je ne prêtais pas grande attention à cesconversations, qui, je le pensais du moins, ne devaientm’intéresser que fort peu. Moi pauvre enfant, dont jusqu’ici la vies’est écoulée triste et monotone, et qui n’ai vu le monde qu’autravers des grilles de mon couvent, j’admirais la nature grandiosequi avait comme par enchantement surgi devant moi, je n’avais pasassez d’yeux pour contempler ces merveilles et j’adorais leCréateur dont la puissance infinie m’était révélée tout àcoup.

– C’est vrai, chère enfant,pardonnez-moi ces questions qui vous fatiguent et dont vous nepouvez saisir la portée, dit la bonne dame en la baisant au front,si vous le désirez nous parlerons d’autre chose.

– Comme il vous plaira, madame,répondit la jeune fille en lui rendant son baiser, je suis heureusede causer avec vous, et quelque sujet que vous choisissiez, j’ytrouverai toujours un grand intérêt.

– Mais nous bavardons, nousbavardons, et nous ne songeons pas à mon pauvre fils, qui estabsent depuis ce matin, et qui d’après ce qu’il m’avait dit devraitêtre déjà de retour.

– Oh ! pourvu qu’il ne luisoit rien arrivé ! s’écria doña Luz avec effroi.

– Vous vous intéressez donc bien àlui ? demanda en souriant la vieille dame.

– Ah ! madame, répondit-elleavec émotion, tandis que son visage se colorait d’une vive rougeur,peut-il en être autrement, après les services qu’il nous a rendus,et ceux qu’il nous rendra encore, j’en suiscertaine ?

– Mon fils vous a promis dedélivrer votre oncle, soyez persuadée qu’il accomplira sapromesse.

– Oh ! je n’en doute pas,madame ! quel noble et grand caractère ! s’écria-t-elleavec exaltation, comme il est bien nommé leCœur-Loyal !

La vieille dame et nô Eusébio laconsidérèrent en souriant, ils étaient heureux de l’enthousiasme dela jeune fille.

Doña Luz s’aperçut de l’attention aveclaquelle ils la regardaient, elle s’arrêta, confuse, et baissa latête en rougissant encore davantage.

– Oh ! dit la vieille dame enlui prenant la main, vous pouvez continuer, mon enfant, je suischarmée de vous entendre parler ainsi de mon fils, oui,ajouta-t-elle avec mélancolie et comme s’adressant à elle-même,oui ! c’est un grand et noble caractère que le sien !comme toutes les natures d’élite, il est méconnu, mais patience,Dieu l’éprouve, un jour viendra où justice lui sera rendue à laface de tous.

– Serait-il malheureux ?hasarda timidement la jeune fille.

– Je ne dis pas cela, mon enfant,répondit la pauvre mère avec un soupir étouffé, dans ce monde quipeut se flatter d’être heureux ? chacun a ses peines qu’ildoit porter, le Tout-Puissant mesure le fardeau, suivant les forcesde chaque homme.

Un certain mouvement s’opéra dans lagrotte ; plusieurs hommes entrèrent.

– Voici votre fils, madame, ditl’Élan-Noir.

– Merci, mon ami,répondit-elle.

– Oh ! tant mieux ! fitdoña Luz en se levant avec joie.

Mais honteuse de ce mouvementinconsidéré, la jeune fille se laissa retomber confuse et touterougissante sur son siège.

C’était en effet le Cœur-Loyal quiarrivait, mais il n’était pas seul. Belhumeur et la Tête-d’Aiglel’accompagnaient ainsi que plusieurs trappeurs.

Aussitôt dans la grotte, le jeune hommese dirigea à grands pas vers le réduit où sa mère se tenait, il labaisa au front, se tournant ensuite vers doña Luz, il la salua avecun certain embarras qui ne lui était pas naturel, et que la vieilledame remarqua.

La jeune fille lui rendit un salut nonmoins embarrassé que le sien.

– Eh bien, dit-il d’un air enjoué,vous êtes-vous bien ennuyées en m’attendant, mes noblesprisonnières ? Le temps a dû vous sembler horriblement longdans cette grotte ; pardonnez-moi de vous avoir reléguée danscette hideuse demeure, doña Luz, vous qui êtes faite pour habiterde splendides palais, hélas ! c’est la plus magnifique de meshabitations.

– Près de la mère de celui qui m’asauvé la vie, monsieur, répondit la jeune fille avec noblesse, jeme trouve logée comme une reine, quel que soit le lieu qu’ellehabite.

– Vous êtes mille fois trop bonne,madame, balbutia le chasseur, vous me rendez réellementconfus.

– Eh bien, mon fils, interrompit lavieille dame, dans l’intention évidente de donner un autre tour àla conversation, qui commençait à devenir difficile pour les deuxjeunes gens ; qu’avez-vous fait aujourd’hui ? Avez-vousde bonnes nouvelles à nous donner ? Doña Luz est on ne peutpas plus inquiète de son oncle, elle brûle de le revoir.

– Je comprends l’inquiétude demadame, répondit le chasseur, j’espère bientôt la calmer, nousn’avons pas fait grand-chose aujourd’hui, il nous a été impossiblede retrouver la piste des bandits. C’est à se briser la tête decolère. Heureusement qu’à notre retour, à quelques pas de lagrotte, nous avons rencontré le docteur qui, selon sa louablehabitude, cherchait des herbes dans les fentes des rochers, il nousa dit avoir vu rôder un homme à mine suspecte aux environs,aussitôt nous nous sommes mis en chasse, en effet nous n’avons pastardé à découvrir un individu dont nous nous sommes emparés et quenous amenons avec nous.

– Vous voyez, monsieur, dit doñaLuz d’un petit air mutin, que c’est bon à quelque chose de chercherdes herbes ! Ce cher docteur vous a, selon toute apparence,rendu un grand service.

– Sans le vouloir, fit en riant leCœur-Loyal.

– Je ne dis pas le contraire,reprit la jeune fille en badinant, mais il n’en existe pas moins,c’est aux herbes que vous le devez.

– La recherche des herbes a du bon,je dois en convenir, mais chaque chose a son temps, sans reproche,le docteur n’a pas su toujours aussi bien le choisir.

Malgré la gravité des faits auxquels cesparoles faisaient allusion, les assistants ne purent réprimer unsourire aux dépens du malencontreux savant.

– Allons, allons, dit doña Luz, jene veux pas que l’on attaque mon pauvre docteur, il a été assezpuni de son oubli par le profond chagrin qui le mine depuis ce journéfaste.

– Vous avez raison, madame, je n’enparlerai plus ; maintenant je vous demande la permission devous quitter, mes compagnons meurent littéralement de faim, lesbraves gens m’attendent pour prendre leur repas.

– Mais, demanda nô Eusébio, l’hommeque vous avez arrêté, que voulez-vous en faire ?

– Je ne le sais pas encore,aussitôt après avoir mangé, je compte l’interroger, probablementses réponses dicteront ma conduite à son égard.

Les chaudières furent retirées du feu,les quartiers de venaison coupés par tranches, les trappeurs et lesIndiens s’assirent fraternellement auprès les uns des autres etmangèrent de bon appétit.

Les dames seules furent servies à partdans leur réduit, par nô Eusébio qui remplissait les fonctionsdélicates de maître d’hôtel, avec un soin et un sérieux dignesd’une scène plus convenable.

L’homme arrêté aux abords de la grotteavait été placé sous la surveillance de deux solides trappeurs,armés jusqu’aux dents, qui ne le quittaient pas de l’œil ;mais cet individu ne semblait nullement songer à s’échapper, ilfaisait au contraire vigoureusement honneur aux aliments, qu’onavait eu l’attention de déposer devant lui.

Dès que le repas fut terminé, les chefsse retirèrent à l’écart, causèrent entre eux à voix basse pendantquelques minutes.

Puis, sur l’ordre du Cœur-Loyal, leprisonnier fut amené et l’on se prépara à procéder à soninterrogatoire.

Cet homme, que l’on avait à peineregardé jusque-là, fut immédiatement reconnu, dès qu’il se trouvaen face des chefs, qui ne purent réprimer un geste desurprise.

– Le capitaine Ouaktehno !murmura le Cœur-Loyal avec étonnement.

– Moi-même, messieurs, répondit lepirate avec une ironie hautaine ; qu’avez-vous à medemander ? Me voici prêt à vous répondre.

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