Le Trappeurs de l’Arkansas

Chapitre 13La loi des prairies

 

Un espace considérable de terrain, situédevant l’entrée de la grotte habitée par le Cœur-Loyal, avait étédéblayé, les arbres abattus et cent cinquante ou deux cents huttesdressées.

La tribu entière des Comanches campaiten cet endroit.

Trappeurs, chasseurs et guerrierspeaux-rouges s’entendaient à merveille.

Au milieu de ce village improvisé, où leshuttes en peaux de bison peintes de différentes couleurs étaientalignées avec une certaine symétrie, une plus vaste que les autres,surmontée de scalps fichés à de longues perches, danslaquelle on entretenait continuellement un grand feu, servait dehutte du conseil.

La plus grande animation régnait dans levillage.

Les guerriers indiens étaient peints etarmés en guerre, comme s’ils se préparaient à marcher aucombat.

Les chasseurs avaient revêtu leurs plusbeaux costumes, nettoyé leurs armes avec le plus grand soin, ilspensaient peut-être devoir bientôt s’en servir.

Les chevaux complètement harnachésétaient entravés à l’amble, prêts à être montés, et gardés par unedizaine de guerriers.

On voyait les Peaux-Rouges et leschasseurs aller et venir d’un air affairé et préoccupé.

Chose rare et presque inusitée parmi lesIndiens, des sentinelles étaient placées de distance en distancepour signaler l’approche d’un étranger quel qu’il fût.

Enfin tout donnait à supposer qu’il sepréparait une de ces cérémonies particulières auxprairies.

Mais, chose étrange ! leCœur-Loyal, la Tête-d’Aigle et l’Élan-Noir étaientabsents.

Seul, Belhumeur surveillait les apprêts quel’on faisait tout en causant avec le vieux chef comanche nomméEshis ou le Soleil.

Mais leur visage était sévère, leurfront rêveur, ils semblaient en proie à une vivepréoccupation.

C’était le jour marqué par le capitainedes pirates pour que doña Luz lui fût livrée.

Le capitaine oserait-il venir ? oubien sa proposition n’était-elle qu’unerodomontade ?

Ceux qui connaissaient le pirate, et lenombre en était grand – presque tous avaient souffert de sesdéprédations –, penchaient pour l’affirmative.

Cet homme était doué – c’était du restela seule qualité qu’on lui reconnût – d’un courage féroce et d’unevolonté de fer.

Une fois qu’il avait affirmé qu’ilferait une chose, il la faisait quand même.

Et puis, qu’avait-il à redouter envenant une seconde fois au milieu de ses ennemis ? Netenait-il pas le général en son pouvoir ? Le général dont lavie répondait de la sienne ; on savait qu’il n’hésiterait pasà le sacrifier à sa sûreté.

Il était environ huit heures du matin,un soleil éblouissant répandait à profusion ses rayonsresplendissants sur le tableau que nous avons essayé dedécrire.

Doña Luz sortit de la grotte, appuyéesur le bras de la mère du Cœur-Loyal et suivie par nôEusébio.

Les deux femmes étaient tristes, pâles,leurs traits fatigués, leurs yeux rougis montraient qu’ellesavaient pleuré.

Dès qu’il les aperçut, Belhumeurs’avança vers elles et les salua.

– Mon fils n’est pas encore deretour ? demanda la vieille dame d’un air inquiet.

– Pas encore, répondit le chasseur,mais rassurez-vous, madame, il ne peut tarder à arriver.

– Mon Dieu ! je ne saispourquoi, mais il me semble qu’il doit être retenu loin de nous parun événement fâcheux.

– Non, madame, je le saurais ;lorsque je l’ai quitté cette nuit afin de vous tranquilliser et defaire exécuter les ordres qu’il m’a donnés, il était dans uneexcellente situation, ainsi, croyez-moi, rassurez-vous, surtoutayez confiance.

– Hélas ! murmura la pauvrefemme, je vis depuis vingt ans dans des transes continuelles,chaque soir je redoute de ne pas revoir mon fils lelendemain ; mon Dieu ! n’aurez-vous donc pas pitié demoi !

– Remettez-vous, madame, lui ditaffectueusement doña Luz en l’embrassant doucement, oh ! je lesens là, si le Cœur-Loyal court un danger en ce moment, c’est poursauver mon pauvre oncle ; mon Dieu, ajouta-t-elle avecferveur, faites qu’il réussisse !

– Bientôt, mesdames, touts’éclaircira, rapportez-vous-en à moi, vous savez que je nevoudrais pas vous tromper.

– Oui, dit la vieille dame, vousêtes bon, vous aimez mon fils, et vous ne seriez pas ici s’il avaitquelque chose à redouter.

– Vous me jugez bien, madame, jevous en remercie, je ne puis en ce moment rien vous dire, mais jevous en supplie, ayez un peu de patience, qu’il vous suffise desavoir qu’il travaille pour rendre la señora heureuse.

– Oh ! oui, dit la mère,toujours bon, toujours dévoué !

– Aussi l’a-t-on nommé leCœur-Loyal, murmura la jeune fille en rougissant.

– Et jamais nom ne fut mieuxmérité, madame, dit le chasseur avec conviction, il faut avoir véculongtemps avec lui, le connaître autant que je le connais pour bienl’apprécier.

– Merci à mon tour pour ce que vousdites de mon fils, Belhumeur, répondit la vieille dame en serrantla main calleuse du chasseur.

– Je ne dis que la vérité, madame,je suis juste, voilà tout, oh ! cela irait mieux dans lesprairies si tous les chasseurs lui ressemblaient.

– Mon Dieu, le temps passe,n’arrivera-t-il donc pas ? murmura-t-elle en regardant autourd’elle avec une impatience fébrile.

– Bientôt, madame.

– Je veux être la première à levoir et à le saluer à son arrivée !

– Malheureusement cela estimpossible.

– Pourquoi donc ?

– Votre fils m’a chargé de vousprier, ainsi que la señora, de vous retirer dans la grotte, ildésire que vous n’assistiez pas à la scène qui va se passerici.

– Mais, dit doña Luz avec anxiété,comment saurai-je si mon oncle est sauvé ?

– Rassurez-vous, señorita, vous neresterez pas longtemps dans l’inquiétude, mais, je vous en prie, nedemeurez pas ici plus longtemps, rentrez !rentrez !

– Peut-être cela vaut-il mieux,observa la vieille dame, obéissons, mignonne, ajouta-t-elle ensouriant à la jeune fille, rentrons, puisque mon filsl’exige.

Doña Luz la suivit sans résistance, maisen jetant derrière elle des regards furtifs pour tâcherd’apercevoir celui qu’elle aimait.

– Que l’on est heureux d’avoir unemère ! murmura Belhumeur en étouffant un soupir et en suivantdes yeux les deux femmes qui disparaissaient dans l’ombre de lagrotte.

Tout à coup les sentinelles indiennespoussèrent un cri qui fut immédiatement répété par un homme placédevant la hutte du conseil.

À ce signal les chefs comanches selevèrent et sortirent de la hutte dans laquelle ils étaientréunis.

Les chasseurs et les guerriers indienssaisirent leurs armes, se rangèrent de chaque côté de la grotte etattendirent.

Un nuage de poussière roulait vers lecamp avec une rapidité extrême.

Le nuage se dissipa bientôt et laissavoir une troupe de cavaliers qui accouraient à toutebride.

Ces cavaliers portaient pour la plupart lecostume des gambusinosmexicains.

À leur tête caracolait, sur unmagnifique cheval noir comme la nuit, un homme que tous reconnurentimmédiatement.

C’était le capitaine Ouaktehno quivenait audacieusement à la tête de sa troupe réclamer l’exécutionde l’odieux marché qu’il avait imposé trois joursauparavant.

Ordinairement dans les prairies, lorsque deuxtroupes se rencontrent, ou lorsque des guerriers ou des chasseursvisitent un village, il est d’usage d’exécuter une espèce defantasia en se lançant à fond de train les uns contre lesautres, en criant, en tirant des coups de fusil.

Cette fois, rien de tout cela n’eutlieu.

Les Comanches et les chasseurs restèrentmornes et silencieux, attendant sans bouger l’arrivée despirates.

Cette froide et sèche réception n’étonnapas le capitaine ; bien que ses sourcils se fronçassentlégèrement, il feignit de ne pas s’en apercevoir et entraintrépidement dans le village à la tête de sa troupe.

Arrivés en face des chefs rangés devantla hutte du conseil, les vingt cavaliers s’arrêtèrent subitementcomme s’ils eussent été changés en statues de bronze.

Cette manœuvre hardie fut exécutée avecune dextérité si grande que les chasseurs, bons connaisseurs enéquitation, réprimèrent difficilement un crid’admiration.

À peine les pirates furent-ils arrêtésque les rangs des chasseurs et des guerriers placés à droite et àgauche de la hutte se déployèrent en éventail et se refermèrentderrière eux.

Les vingt pirates se trouvaient par cemouvement exécuté avec une prestesse incroyable, enfermés dans uncercle formé par plus de cinq cents hommes bien armés etparfaitement montés.

Le capitaine eut un frisson d’inquiétudeà la vue de cette manœuvre, il se repentit presque d’êtrevenu ; mais, surmontant cette émotion involontaire, il souritavec dédain ; il se croyait certain de ne rien avoir àredouter.

Il salua légèrement les chefs placésdevant lui, et s’adressant à Belhumeur d’une voixferme :

– Où est la jeune fille ?demanda-t-il.

– Je ne sais ce que vous voulezdire, répondit le chasseur en ricanant, je ne crois pas qu’il y aitici une jeune fille sur laquelle vous ayez des droitsquelconques.

– Que signifie cela, et que sepasse-t-il ici ? murmura le capitaine en jetant autour de luiun regard de défiance. Le Cœur-Loyal a-t-il oublié la visite que jelui ai faite il y a trois jours ?

– Le Cœur-Loyal n’oublie jamaisrien, dit Belhumeur d’une voix ferme, mais ce n’est pas de luiqu’il s’agit ; comment avez-vous eu l’audace de vous présenterparmi nous à la tête d’un ramassis de brigands ?

– Bien, fit le capitaine raillant,je vois que vous voulez me répondre par une fin de nonrecevoir ; quant à la menace que renferme la dernière partiede votre phrase, je m’en préoccupe fort peu.

– Vous avez tort, monsieur, carpuisque vous avez commis l’imprudence de vous remettre vous-mêmeentre nos mains, nous ne serons pas assez simples, je vous enavertis, pour vous laisser échapper.

– Oh ! oh ! fit lepirate, quel jeu jouons-nous donc ?

– Vous allez l’apprendre,monsieur.

– J’attends, répondit le pirate, enjetant autour de lui un regard provocateur.

– Dans ces déserts où toutes leslois humaines se taisent, reprit le chasseur d’une voix vibrante,la loi de Dieu seule doit être en vigueur, cette loi dit œil pourœil, dent pour dent, vous le savez.

– Après ? fit le pirate d’unton sec.

– Depuis dix ans, continuaimpassiblement Belhumeur, à la tête d’une troupe de bandits sansfoi ni loi, vous êtes devenu la terreur des prairies, pillant etassassinant les hommes blancs et les hommes rouges, car vous n’êtesd’aucun pays, le vol et la rapine sont votre seule règle,voyageurs, trappeurs, chasseurs, gambusinos ou Indiens, vous nerespectez personne si le meurtre peut vous procurer un peud’or ; il y a quelques jours à peine, vous avez pris d’assautle camp de paisibles voyageurs mexicains et vous les avez massacréssans pitié. Cette carrière du crime devait avoir un terme, ce termeest enfin arrivé. Nous tous, Indiens et chasseurs, nous nous sommesréunis ici pour vous juger et vous appliquer la loi implacable desprairies.

– Oeil pour œil, dent pour dent,crièrent les assistants en brandissant leurs armes.

– Vous vous trompez grandement, mesmaîtres, répondit le pirate avec assurance, si vous croyez que jetendrai paisiblement la gorge au couteau comme un veau qu’on mène àl’abattoir, je me méfiais de ce qui arrive, voilà pourquoi je suissi bien accompagné. J’ai avec moi vingt hommes résolus qui saurontse défendre, vous ne nous tenez pas encore !

– Regardez autour de vous,monsieur, et voyez ce qui vous reste à faire.

Le pirate jeta les yeux en arrière, cinqcents fusils étaient dirigés sur sa troupe.

Un frisson parcourut ses membres, unepâleur mortelle couvrit son visage, le pirate comprit qu’il setrouvait en face d’un danger terrible ; mais après une secondede réflexion, il reprit tout son sang-froid et s’adressant auchasseur, il répondit d’une voix railleuse :

– Allons donc, pourquoi ces menacesqui ne peuvent m’effrayer ? vous savez fort bien que je suis àl’abri de vos coups. Vous l’avez dit, il y a quelques jours, j’aiattaqué des voyageurs mexicains, mais vous n’ignorez pas que leplus important de ces voyageurs est tombé en mon pouvoir !Osez toucher à un seul cheveu de ma tête, et le général, l’oncle dela jeune fille que vous voulez en vain ravir à ma puissance paieraimmédiatement de sa vie l’insulte qui me sera faite. Croyez-moidonc, messieurs, cessez de chercher plus longtemps à m’effrayer,rendez-moi de bonne grâce celle que je viens vous demander, ou jevous jure Dieu que dans une heure le général auravécu !

Tout à coup un homme fendit la foule etse plaçant devant le pirate :

– Vous vous trompez, lui dit-il, legénéral est libre !

Cet homme était leCœur-Loyal.

Un frémissement de joie parcourut lesrangs des chasseurs et des Indiens, tandis qu’un frisson de terreuragitait les pirates.

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