Les Visiteurs

VII

Le docteur Mazoullier et le docteur Gombertentrèrent dans le hall où M. de Salinis les attendaitavec ses filles et son gendre.

Le docteur Mazoullier fit beaucoup dedifficultés pour précéder le docteur Gombert. Tous deux s’offraientdes révérences devant la porte et se souriaient gracieusement. Lepremier était un tout petit homme à barbe brune en éventail, l’airavantageux, la bouche très rouge, et qui parlait comme un orateur,en inclinant régulièrement la tête, tantôt à droite, tantôt àgauche. Un sourire de mansuétude infinie flottait sur ses lèvres.Au contraire, énorme, l’air chafouin, le crâne chauve, armé delunettes d’écaille, le nez en museau de fouine, les mâchoiresmassives et contractées, le docteur Gombert ne respirait quemalveillance et sentiments hostiles.

– Eh bien ! messieurs, ditM. de Salinis d’une voix faible, que nousapportez-vous ?

La peur de ce qu’ils pourraient dire luidonnait de l’angoisse ; ses mains tremblaient et ses parolesne pouvaient sortir de sa bouche qu’entre-choquées et presqueindistinctes. Une fine sueur froide perlait à ses tempes. Il avaitsur les épaules une couverture de voyage à grands carreaux bleus etcrème et un épais foulard blanc autour du cou ; cela nel’empêchait pas de grelotter.

– Permettez-moi d’abord de rendre hommageà la science de mon confrère, le docteur Gombert, dit le docteurMazoullier, d’une voix chantante. Son diagnostic est comme toujourssans défaillance. Nous nous trouvons en présence d’une pneumonienormale. Il ne faut pas nous étonner du maintien de la températureautour de 40 degrés, ni nous réjouir si elle baisse vers lecinquième jour, comme elle a baissé avant-hier. Elle remonterabrusquement jusqu’au moment de la crise qui surviendra vers leseptième ou le neuvième jour.

– Qu’appelez-vous la crise,docteur ? demanda Inès.

– La crise pneumonique est un état quiannonce la guérison. Or, la veille encore du jour où cette heureusemodification va se produire, nous assistons à un ensemble dephénomènes plus inquiétants que jamais…

La voix du docteur Mazoullier s’élevalentement, une expression vraiment angélique passa sur son visageépanoui et il continua en scandant légèrement ses paroles d’ungeste de la main :

– Alors nous voyons la face de la maladese cyanoser tragiquement, son anxiété grandir, la dyspnée semarquer davantage ; le délire survient, et une modification dupouls, qui devient rapide, irrégulier et comment dire ?boiteux. Mais tout cela annonce la délivrance, qui survient presqueimmédiatement.

Il se tourna vers Gombert et lui ditmélodieusement :

– Ai-je été suffisamment clair ?N’est-ce pas ainsi que les choses se présentent engénéral ?

Son confrère inclina profondément la tête sansrépondre, comme pénétré de respect et d’admiration.

– Alors, murmura M. de Salinis,nous n’avons plus rien à craindre.

– Je n’ai pas dit cela, monsieur. Enpleine santé nous avons tout à craindre ; et même dans lamaladie, quelle que soit sa régularité habituelle. Il peut arriverque la pneumonie se complique de rechute, ou même de plusieursrécidives, mais je dois vous avouer que dans le cas qui nousoccupe, je n’ai aucune crainte de ce genre.

Les deux médecins se levèrent et saluèrentM. de Salinis et sa famille.

– Enfin, tout va bien ? ditM. de Salinis en tendant une main glacée au docteurMazoullier.

– Tout va bien. Ou presque bien…L’essentiel est de maintenir le cœur en plein rendement. Le docteurGombert y pourvoira… Il m’a parlé, – n’est-ce pas, mon cherconfrère ? – d’anciens troubles cardiaques, d’une légèrelésion, paraît-il. C’est là le point faible. Très faible Questionde vigilance. Pour l’évolution normale de la pneumonie, je vous enréponds.

– Oh ! merci, docteur, merci !s’écria M. de Salinis, qui jeta aussitôt son foulardblanc et sa couverture sur le divan, tandis que Gilbertaccompagnait les deux médecins.

– Eh bien ! te voilà rassuré, ditHenriette, d’une voix aigre. Tu n’auras plus besoin de terecoucher. Moi, je monte chez Anne-Marie. Elle doit être impatienteaussi de connaître l’opinion des médecins.

– Surtout si elle a foi dans tasincérité, fit agressivement Inès.

– La vérité n’est pas telle qu’on puissela lui cacher.

– Non. Mais s’ils avaient dit lecontraire, tu la rassurerais aussi.

– J’aurais été surprise que tu ne medises pas quelque chose d’agressif.

– Ce n’est pas moi qui cherche à êtredésagréable à notre père.

Henriette haussa les épaules et sortitlentement. Elle avait dû calculer le temps nécessaire au retour deGilbert, car on l’entendit parlement longuement dans l’escalieravec son beau-frère.

– Voici pourquoi elle était impatiente derejoindre Anne-Marie !

– Chut ! Inès, ne recommençons pasles drames. Nous sommes tout à la joie.

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