Un homme dans la nuit

V – L’HOMME DE LA NUIT ATTAQUE

 

Suivant les indications et les ordres del’Homme de la nuit, Harrison était revenu à Paris.

Le jour même où Lily avait rencontré dans lebois le jeune homme qui avait produit tant d’impression sur elle,Harrison avait eu, dans un cabaret du quartier des Champs-Élysées,deux longues entrevues : la première avec le cocher de Diane,la seconde avec le concierge de Lawrence, le père Jules, qui, dureste, se disposait à aller rejoindre ses maîtres, auxVolubilis.

Après ces entrevues, il rédigea un longrapport, qu’il expédia à l’auberge Rouge, à l’adresse de Joe ;puis, comme le soir tombait, il se dirigea vers le quartier del’Europe.

Il entra sous la voûte d’une maison de la ruede Moscou où nous avons introduit nos lecteurs dans la premièrepartie de ce récit. Cette maison, on s’en souvient, avait été lethéâtre du déshonneur de Mme Martinet et de sapremière chute dans les bras de Pold. Là était, au rez-de-chaussée,sur la cour, la garçonnière du jeune homme.

Harrison entra donc dans cette maison etfrappa à la fenêtre du concierge. Cette fenêtre s’ouvrit, et unetête y fut immédiatement encadrée.

– Salut, monsieur Harrison, fit la tête.Qu’y a-t-il pour votre service ?

– Il n’y aura pas de lune cettenuit, fit Harrison.

Et il s’en alla.

Il descendit jusqu’au coin de la rued’Amsterdam et, là, monta dans un fiacre qui reçut l’ordre destationner. Cinq minutes plus tard, la même tête qui était apparueà la fenêtre de la loge de la rue de Moscou apparaissait à laportière du fiacre où se trouvait Harrison.

– Eh bien ? fit ce dernier.

– Il n’y en a plus qu’un, dit leconcierge, qui ne veuille pas déloger. Les autres sont partis.

– Et que veut-il, ce locatairerécalcitrant ?

– Oh ! c’est bien simple, réponditle concierge : il réclame une indemnité double.

– Je te l’apporterai demain, et il s’enira le jour suivant. C’est entendu ?

– Je l’espère.

– Les locataires ont-ils fait desréflexions avant de partir ?

– Oui, que le précédent propriétaire leurdemandait de l’argent pour qu’ils restent. Et celui-ci leur endonne pour qu’ils s’en aillent. Dans quarante-huit heures, lamaison sera déserte. Il n’y aura plus que moi dans ma loge etM. Pold dans sa garçonnière, s’il lui prend fantaisie d’yvenir.

– C’est parfait. Rappelle-toi lesordres : Que chaque appartement ait l’air habité ; despaillassons aux portes et des rideaux aux fenêtres.

– Comptez sur moi.

– À demain, pour l’indemnité.

– À demain.

Le concierge prit congé, remonta la rue deMoscou, et Harrison donna au cocher l’adresse des Folies. Sur lesmurs du théâtre, le nom de Diane s’étalait en lettres immenses surdes affiches démesurées. On annonçait comme prochaine unereprésentation exceptionnelle où Diane apparaîtrait dans un jeufort compliqué de lumières dans une danse de feu dont elle avait,disait-on, seule le secret. Ce secret, ses petites amiesprétendaient que c’était le prince Agra qui le lui avait livré, caril ne faisait plus de doute pour personne, maintenant, que leprince était son amant. Cette opinion était corroborée par quelquesvisites et d’innombrables cadeaux. Harrison alla donc aux Folies,eut une conversation avec le directeur, vit la loge que l’onpréparait pour Diane, quitta les Folies, se fit conduire à la garede l’Est, et, dans la nuit, revint aux Pavots.

Il était onze heures quand il y arriva. Ildemanda à Joe, qui s’y trouvait, de le conduire immédiatement àArnoldson. Mais Joe lui répondit :

– Il faut attendre. Arnoldson n’est pasencore rentré.

– Où est-il ?

– À la villa des Volubilis.

– À cette heure ? Mais Lawrence estparti ce soir même pour Paris… Diane l’attendait.

– Parfaitement, et le patron est restéseul là-bas, en tête à tête avec Mme Lawrence, fitJoe. M’est avis qu’il y aura beaucoup de nouveau d’ici quelquesjours. Et voulez-vous que je vous dise, monsieurHarrison ?

– Dites, Joe, dites…

– Je crois bien que le patron commencel’attaque ce soir.

– C’est possible, fit Harrison d’un airrêveur.

– Dites donc, elle est encore bougrementjolie, madame Lawrence…

– Joe, allez vous coucher, mon ami…

Et Harrison se disposa à rentrer dans lavilla.

– Oui, jolie, très jolie !fit-il.

Il poussa un soupir :

– Aussi ! je l’ai beaucoupaimée…

Il croyait Joe déjà loin. Mais Joe l’avaitentendu.

– Oui, oui, vous l’avez aimée. Mais vousne l’aimez plus ? demanda le noir en riant.

– Je te dis d’aller te coucher, Joe, fitHarrison avec colère.

– Parce que si vous vous permettiezd’aimer encore cette femme-là, monsieur Harrison, continua Joe enriant toujours, vous ne pèseriez pas lourd dans la main dupatron !

– Oui, déclara Harrison, devenu trèspâle, je sais ce que je risque et… je ne l’aime plus !…

– Croyez-vous que, si vous vous montriezà elle sans cette fausse perruque, qui vous déguise, et sans cevisage que vous faites quand vous venez ici de jour, elle vousreconnaîtrait ?

– Je crois que ce sont là des précautionsinutiles, dit Harrison, car les années m’ont bien changé. Mais cesprécautions m’ont été ordonnées par sir Arnoldson, et j’obéis. SirArnoldson est mon maître, conclut Harrison avec solennité, et jelui ai juré obéissance. Quoi qu’il arrive et quoi qu’il fasse, jene violerai point mon serment.

Et il quitta Joe.

Joe, resté seul, fit, songeur :

– J’étais fou ! Harrison ne noustrahira pas…

Harrison n’était pas plus tôt entré dans lavilla qu’il rencontrait l’Homme de la nuit.

Car sir Arnoldson avait quitté les Volubilis àdix heures du soir et, pendant que Joe le croyait en tête à têteavec Mme Lawrence, il errait par le bois de Misère,en proie à une émotion profonde.

À onze heures, il revenait vers la villa,quand il perçut les ombres de Mme Martinet et dePold. Il entra sans bruit dans le jardin des Pavots et, comme nousl’avons vu au chapitre précédent, il laissa passer devant lui, ense dissimulant le long du mur, les deux amoureux.

Il y eut ce soir-là, à la villa des Pavots,une longue conférence entre l’Homme de la nuit et Harrison.

Auteurs::

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer