Un homme dans la nuit

X – OÙ IL EST DÉMONTRÉ QU’ON NE PREND NINE SURPREND L’HOMME DE LA NUIT

 

Pold sauta dans la salle. Arnoldson avaitdevant lui Pold et Martinet ; derrière lui, Adrienne.

Il vit qu’il lui serait impossible de fuir.Cela constaté, il s’en alla d’un pas tranquille jusqu’à lamuraille, s’y adossa, croisa les bras et attendit.

Pold et Martinet jugèrent qu’il ne tenteraitplus de leur échapper.

Martinet se précipita alors sur le corps de safemme, qui était étendu près de la fenêtre et qu’il venaitd’apercevoir.

– Qu’est-ce qu’ils ont fait de mafemme ? s’écria-t-il.

Il se courba sur le corps et le prit dans sesbras.

– Ah ! elle dort, fit-il.

Il regarda Joe, à moitié étendu sur latable.

– Lui aussi, il dort ! Ils dormenttous les deux…

– Bah ! fit Pold, en ne quittant pasdu regard l’Homme de la nuit, ils se seront endormis avec le mêmenarcotique… Elle nous expliquera cela, quand elle sera réveillée.Occupons-nous de celui-là !

– Un instant ! un instant ! fitMartinet.

Et Martinet, laissant sa femme, alla à Joequ’il enleva de la table et fit descendre brutalement sur lecarreau.

Puis il retourna à sa femme, la souleva ànouveau, l’emporta dans ses bras, l’étendit sur la table, à laplace où se trouvait Joe tout à l’heure, et dit :

– Fais dodo, ma poulotte !

Il revint auprès de Pold :

– Et maintenant, Pold, je suis tout àtoi.

Pold alla à la cheminée, grimpa sur unescabeau, décrocha le fusil de Joe qui se trouvait appenduau-dessus de cette cheminée, et dit, en revenant en face de l’Hommede la nuit et après avoir constaté la véracité de sondire :

– Il est chargé.

Ils étaient un peu étonnés du calme absolu, dela tranquillité parfaite avec lesquels Arnoldson suivait leursmouvements et les voyait se préparer à lui faire un mauvaissort.

Adrienne fixait toujours Arnoldson, et sesyeux reflétaient une haine mortelle… De ce côté, il ne pouvaitespérer aucun pardon…

Quant à Pold, il regarda en face l’Homme de lanuit et dit :

– Tu vas mourir parce que c’est toi quias tué mon père, parce que tu fus la cause de son suicide, parceque j’ai failli mourir moi-même… Tu vas mourir parce qu’avant qu’ilne meure tu as fait souffrir mon père comme nul homme en ce monden’a souffert… N’est-ce pas, qu’il va mourir, ma mère ?

– Oui, tue-le ! fit Adrienne.

Et Martinet prit la parole à son tour.

– Crève donc, chien ! s’écria-t-il…Crève donc, toi qui as tué la sœur de ma femme… Car toi seul l’astuée…

– Il faut qu’il meure, dit Adrienne… Laterre a porté ce monstre trop longtemps… Il faut qu’il meure…

Pold leva son arme sur l’Homme de la nuit.

Adrienne se voila la face de ses deuxmains…

Mais Arnoldson dit, d’une voix au timbreéclatant, d’une voix qu’on ne lui connaissait point :

– Mary ! Toi que l’on appelleAdrienne et qui fus Mary, ordonne au fils de Charley de jeter sonarme ! Et toi, regarde !

Adrienne fit entendre un cri terrible et seprécipita sur son fils.

– Ne tire pas ! ne tire pas !malheureux ! s’écria-t-elle d’une voix que son fils nereconnut point, ne tire pas !

Pold avait relevé le fusil et considérait samère, qu’il crut devenue folle.

– Qu’avez-vous, mère ? fit-il, etpourquoi ne voulez-vous point que je venge mon père ?

– Oui, oui, madame, s’exclamait Martinet,laissez faire votre fils ! Pas de pitié ! Si nousépargnons cet homme, cet homme ne nous épargnera pas !

Mais Adrienne clamait :

– Taisez-vous !Taisez-vous !

Et elle contemplait avec épouvante l’Homme dela nuit, l’Homme aux lunettes noires, qui, toujours aussi calme,aussi tranquille, appuyé contre la muraille et les bras croisés,semblait assister à des événements qui ne l’intéressaient qu’entant que spectateur.

Un grand silence régna.

Adrienne tremblait de tous ses membres. Ellene disait plus un mot. Elle n’avait plus la force de dire unmot.

Arnoldson, d’une voix paisible,reprit :

– Insensés que vous êtes ! Qui avezcru un instant être plus forts, plus puissants que l’Homme de lanuit !… Je suis seul ici, sans aide, sans arme… En apparence,je suis à votre complète disposition. Vous pouvez faire de moi cequ’il vous plaît. Vous pouvez me tuer. Je n’ai plus de serviteurs…Vous les avez empoisonnés peut-être et vous me croyez perdu !…Insensés ! Il me suffit de prononcer un mot, un seul !…pour vous arrêter, pour que vos armes menaçantes se relèventd’elles-mêmes… pour que celle qui a le plus d’intérêt à ma mortvous supplie soudain de m’épargner… Je dis :« Mary ! » mot magique, mot plein de mystère et deprestige, et je vois cette femme trembler. Et si à ce mot« Mary » je joins celui de « Charley »… alors,oh ! alors, la peur dont avait été saisie cette femme setransforme en une épouvante sans nom !…

– Ah ! Mary !… Mary !…continuait l’Homme de la nuit, toi qui as levé une main criminellesur ton bienfaiteur, quelle est donc ton âme pour avoir oublié untel forfait ? Il ne t’empêche donc point de vivre etd’aimer ? Tu as oublié ! Tu as cru que ton oubli faisaitdisparaître le crime ! Tu gémis sur les malheurs quit’accablent et tu ne te les expliques pas… Sache donc que, s’il y aeu un crime commis, c’est le tien, et que, si quelqu’un expie uncrime, c’est toi !

La parole d’Arnoldson avait alors une telleautorité, prenait une telle ampleur qu’elle en imposait à tous,qu’elle les faisait frissonner tous.

– Pauvre insensée ! continua l’Hommede la nuit. Tu avais pu penser que ton passé ne reviendrait jamaisau jour !… Tu l’avais si bien oublié que, dans la successionde malheurs épouvantables qui viennent de fondre sur toi, tu net’es pas demandé une seconde s’il n’y avait point une corrélationquelconque entre ton crime d’autrefois et mes crimesd’aujourd’hui !…

Adrienne fit entendre une plainte effrayante.Son masque exprimait une horreur sans pareille.

– Qui donc êtes-vous, vous qui savez tantde choses ? dit-elle d’une voix qu’on entendait à peine. Vousqui ressuscitez tant de choses mortes ?

– Qui je suis ! clama l’Homme de lanuit. Je vais te dire qui je suis… Si tu ne l’as pas déjà deviné,femme maudite, c’est que tu crois que les tombes gardent leurscadavres !

Dans le silence formidable qui régnait,Arnoldson continua :

– Qui je suis ?… Je suis celui à quitu as donné le droit de haïr et de maudire le genre humain.Regarde, Mary !… Regarde qui je suis ! Regarde !

Et l’Homme de la nuit, d’un geste rapide,enleva ses lunettes, comme il l’avait fait devant Lawrence àl’agonie… et il montra ce regard qui n’avait pas changé, ce regardvivant, ce regard qu’on avait cru éteint depuis vingtans !

Adrienne poussa un hurlementfarouche :

– Jonathan Smith ! ! !Jonathan Smith ! ! !

Et Martinet, lui aussi, reconnut ceregard.

– Le roi de l’huile ! fit-il.

– Oui, Jonathan Smith ! repritArnoldson. Oui, le roi de l’huile !… le roi de l’huile, que tune tueras point deux fois, n’est-ce pas, Mary ?

Et Arnoldson quitta la muraille et se dirigeavers la porte de l’auberge Rouge, sans plus s’occuper des troispersonnages qui le contemplaient avec épouvante.

Pold, seul, fit un mouvement vers Arnoldson.Mais Adrienne avait déjà arrêté son geste.

– Laisse passer cet homme, luidit-elle.

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