Un homme dans la nuit

XIII – LE BAZAR DES FIANCÉES

 

Le Bazar des fiancées était sorti d’une idéedes plus charitables en même temps que des plus généreuses. Unefois l’an, les jeunes fiancées mondaines, comblées des dons de lafortune, se réunissaient dans une de ces fêtes où l’or des richescoule à flots pour les pauvres et « travaillaient » pourleurs sœurs déshéritées, pour les fiancées aux maigrestrousseaux.

Ce bazar, dont tous les comptoirs étaienttenus par des jeunes filles du monde, avait été édifié trèsrapidement dans un immense terrain vague, non loin de l’avenue desChamps-Élysées. C’était une construction légère, en planches et enpoutrelles, une sorte de hangar oblong, qui se développait sur lapresque totalité de la longueur du terrain et mesurait unevingtaine de mètres de largeur. Derrière se trouvait un vasteespace libre, limité par les hautes murailles des immeublesvoisins.

À l’intérieur du Bazar, on avait disposé touteune série de comptoirs très coquettement installés, où les dames etles demoiselles patronnesses vendaient à leur aristocratiqueclientèle des objets d’art, des bibelots, des tableaux, des bijoux,des ouvrages de libraire, des potiches et… des layettes.

Tous les comptoirs étaient fleuris, toutes leslogettes étaient tapissées avec un goût exquis.

Le plancher de l’édifice était légèrementexhaussé : il fallait franchir trois marches pour pénétrerdans le hall par deux petites portes situées aux deux extrémités dela construction. On entrait tout d’abord dans une sorte desalon-vestibule, puis l’on gagnait le bazar proprement dit. Aucentre du spacieux pavillon, on avait ménagé une large porte à deuxbattants, qui s’ouvrait à l’intérieur et seulement au moment de lasortie.

La fête était dans son plein éclat. À l’un descomptoirs, Courveille s’entretenait avec Adrienne.

– Vous serez longtemps encore à Paris,madame ? lui demanda-t-il.

Elle lui répondit que son désir était departir bientôt pour l’étranger et de fuir cette ville où elle avaitperdu Lawrence.

– J’ai cru de mon devoir de me montrerencore à cette fête de charité, conclut-elle, mais je pense que cesera la dernière à laquelle on nous verra, moi et mes enfants.

– Et Pold, que devient-il ?

Pold se chargea de répondre lui-même. Ilarrivait…

– Je suis en retard, mais j’ai voulupasser rue du Sentier pour y prendre Martinet et sa femme.

– Où sont-ils ?

– Les voilà. Ils me suivent.

Et il montra de loin le couple Martinet, quiétait arrêté devant le tourniquet du cinématographe.

Il alla le rejoindre.

Martinet, qui paraissait fort agité, lui ditaussitôt :

– Tu ne sais pas qui j’ai trouvéici ? Tu ne sais pas qui est préposé à la recette ducinématographe, au tourniquet ?

– Mais non. Qu’est-ce que tu veux que çame fasse ?

– Eh bien, moi, cela me fait quelquechose, je t’assure.

Mme Martinet prit la parole.Elle semblait aussi émue que son mari.

– Victor ! dit-elle. C’estVictor…

– Qui ça, Victor ?

– Mais notre ex-employé ! Celui quia disparu de chez nous le lendemain de la catastrophe… celui qui ya certainement pris part et qui était un des hommes, un des espionsd’Arnoldson : nous en avons eu des preuves depuis…

– Ah ! fit Martinet, je voudraisbien le voir, lui parler… En voilà un avec lequel nous avons unvieux compte à régler ! Il m’a reconnu. Il a pénétré dans lachambre du cinématographe aussitôt qu’il m’a vu.

– Eh bien, entrons-y, mon ami ! fitPold.

– Dans une demi-heure. Les séances necommencent pas avant une demi-heure… Ah ! le gredin !

– Écoute, fit avec sagesseMme Martinet. Il est inutile de causer del’esclandre ici. Nous n’irons point aux séances… Vous feriez bienmieux de l’attendre à la sortie.

– Excellent conseil, fit Pold, toutpensif. Allons, viens, Martinet. Nous reparlerons de cela tout àl’heure… Allons visiter le Bazar.

Et il entraîna Martinet et sa femme. Martinethochait la tête.

– Si ce bougre-là est ici, fit-il,l’Homme de la nuit n’est peut-être pas bien loin…

Ils se frayèrent difficilement un chemin dansla foule élégante, qui augmentait sans cesse.

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