Un homme dans la nuit

II – OÙ L’HOMME DE LA NUIT PROPOSE UNMARCHÉ ET OÙ ADRIENNE LE REFUSE

 

Adrienne trouva Arnoldson debout au milieu dusalon. Elle referma la porte et s’adossa à cette porte.

Adrienne et Arnoldson se dévisagèrent unmoment. C’est Adrienne qui commença l’attaque :

– Vous devinez sans doute, monsieur, laraison qui m’a fait vous recevoir. Je ne veux point savoir ce quivous amène ici : je ne veux que vous poser une question. Vousallez me dire où est ma fille, ce que vous avez fait de mafille.

Arnoldson se taisait.

– Répondez-moi !… Dites-moi tout desuite où est ma fille…

Arnoldson conservait le même silence.

– Vous ne voulez pas merépondre ?…

L’Homme de la nuit dit enfin :

– Oui, oui, madame, je vais vousrépondre…

– Enfin ! s’écria Adrienne… Vousavouez donc ?

– Et quoi, madame ?

– Vous avouez que vous m’avez pris mafille…

Arnoldson eut un sourire extraordinairementgracieux :

– Puisqu’on ne peut rien vous cacher,madame, j’avoue… je me suis dit : « Cette pauvre madameLawrence on lui a enlevé sa fille… Eh bien ! moi, je vais lalui rendre. »

– Monsieur ! s’écria Adrienne, sivos desseins étaient si purs, vous m’eussiez déjà rendu mafille !… Et l’atroce ironie de vos paroles me fait encoreredouter quelque horrible machination de votre part…

Arnoldson se décida :

– Voici, madame, où je veux en venir… Ilest exact que votre fille soit en ma puissance.

– Et qu’en avez-vous fait ?

– Moi, madame… Mais rien. Je ne l’ai,depuis son départ des Volubilis, ni vue ni approchée…

– Auprès de qui donc est-elle ?

– Elle est, madame, la propriété duprince Agra…

– Ah ! je voulais vous l’entendredire. C’est, n’est-ce pas ? ce prince qui est votre ami, votreâme damnée… votre monstrueux instrument, sans doute…

– Plus que cela, madame… Le prince Agraest mon fils… C’est vous dire combien il m’est dévoué…

– C’est lui qui a volé Lily cette nuit oùvous aviez fait notre maison du bois de Misère si déserte…

– Il ne l’a pas volée : il l’aséduite.

– Eh ! quoi ? vous osezprétendre que Lily l’aimerait ?…

– Elle l’adorait, madame…

Adrienne n’osait aller plus loin dans cetinterrogatoire. Elle n’osait demander à l’Homme de la nuit deschoses qui lui brûlaient les lèvres.

Arnoldson lisait tous ces sentiments, tous cesdésirs et toutes ces terreurs sur le visage d’Adrienne.

– Madame, dit-il, voyez combien je voussuis dévoué puisque je me réjouis du bonheur que je vousapporte…

– Expliquez-vous…

– Car, enfin, madame, y a-t-il un plusgrand bonheur pour une mère qui a redouté le déshonneur de sa filleque d’apprendre que cette fille est toujours pure ?

Adrienne s’avança vers Arnoldson :

– Je redoutais tout… tout…

Fielleux, il laissa tomber ces mots :

– Ne serait-il pas d’une bonne politiqued’en remercier sir Arnoldson ?

– Vous ? Je serais plutôt tentée decroire que, si une lâcheté n’a pas été commise, que, si un crimen’a pas été accompli, c’est que tous vos efforts ont échoué.

– Madame, je vous donne ma parole – et jevous ai prouvé que je la tiens toujours, n’est-ce pas,madame ? – le jour où j’aurai décidé la perte de votre fille,votre fille sera perdue !

Et Arnoldson ajouta, avec un cyniquesourire :

– Il ne me faudra pour cela que prononcerune parole, et le prince Agra l’attend !

Arnoldson continuait :

– Le prince Agra, madame, n’attendégalement qu’une parole de moi pour vous ramener la jeune Lily.Cette parole…

– Cette parole ? demandaanxieusement Adrienne.

– Cette parole… il dépend de vous que jela prononce, fit lentement Arnoldson.

Adrienne regardait l’Homme de la nuit. Elleavait peur de comprendre.

– Que voulez-vous, chère madame Lawrence,je suis désolé d’en être arrivé à de pareilles extrémités…

Cette fois, il n’y avait plus de doute dansl’esprit d’Adrienne… Elle comprenait l’ignoble marché que l’Hommede la nuit était venu lui proposer…

– Jamais !… s’écria-t-elle.Jamais !…

– Ceci n’est que le premier cri de votreâme révoltée, dit Arnoldson. Vous verrez que c’est la mère qui…m’amènera l’honnête femme… à l’heure que je voudrai, madame… àl’endroit que je vous désignerai… J’ai l’honneur, madame, de voussaluer…

Adrienne se jeta de côté, ne voulant pas êtrefrôlée de cet homme, ni souillée de son approche…

Les trois jours qui suivirent la visited’Arnoldson furent pour Adrienne des jours d’angoisse. Elle restaitauprès de Pold assis dans un fauteuil, commençant enfin saconvalescence.

Ce soir-là, Adrienne reçut la lettresuivante :

 

« Madame,

« Ne réprouvez pas tous mes actes. Jen’ai songé qu’à vous faire transporter à votre domicile, vous, cebon petit Pold que son père avait tant maltraité, et ce pauvreM. Lawrence. Je compte bien, madame, que vous m’en montrerezde la reconnaissance et que vous viendrez vous-même me remercierd’une aussi belle action. Je vous attendrai dans la nuit dedimanche prochain, c’est-à-dire dans sept jours, à l’auberge Rouge,au fond du bois de Misère.

« Je vous prierai, madame, de ne pointretarder ce doux entretien, ne fût-ce que de vingt-quatre heures,car je dois partir dès le lendemain matin pour une contrée assezéloignée où le prince Agra a élu domicile, et attend mesinstructions. »

 

Cette missive était signée de l’Homme de lanuit.

Adrienne la lut sans qu’un muscle de sonvisage tressaillît.

Et cependant l’ultimatum que lui envoyaitArnoldson était bien fait pour la plonger dans la plus terrible desalternatives.

Quand elle eut replié soigneusement cettelettre, elle dit tout haut :

– J’irai !…

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