Un homme dans la nuit

XVIII – CHÂTIMENT

 

Diane et Pold s’étaient réfugiés dans lachambre. Ils se regardaient et ne se parlaient point. Leur regardlisait avec suffisamment d’éloquence toute la folle terreur qui leshantait pour qu’ils n’eussent point à l’exprimer.

Ils étaient appuyés contre les murs, face àface. Ils ne bougeaient pas.

Ils attendaient.

Ce qu’ils attendaient, c’était l’inévitable,l’effroyable, l’horrible…

C’était la chose fatale qu’ils ne savaientpas, mais pour laquelle ils étaient là… pour laquelle on les avaitamenés là !

On n’avait point mis sur eux une porte dechêne et un mur sans un dessein terrible…

Ils prévoyaient qu’on les avait destinés àquelque supplice, à un supplice qui commençait…

Diane dit, d’une voix d’hallucinée :

– Qu’attendons-nous ?…

Elle dit encore :

– Pourquoi ? … Pourquoi ?…Pourquoi ?

Les paroles de Diane firent que Pold sortitenfin de l’abîme de terreur où les révélations de la jeune femmel’avaient plongé.

Il eut un geste de résolution.

– Enfin, s’écria-t-il, il fautaviser !… Il est certain que quelque chose nous menace.Quoi ? On nous retient de force ici, on nous y a murés. Cetteporte, malgré sa solidité, il faut la briser.

Diane étendit sa main vers lui ; elle luiparut une somnambule.

– Ne tente rien, dit-elle. Je te jure quec’est inutile !

Avec une horrible grimace de frayeur, elles’écria :

– Mais que veulent-ils de moi ?Pourquoi m’avoir enfermée dans ce tombeau ?… Toi… toi… ils ontà se venger de toi… Qu’ils se vengent ! qu’ils fassent cequ’il leur plaît de toi et de ta famille ! Que vous soyezvivants, que vous soyez morts, je me demande ce que cela peut bienme faire ! J’ai toujours été avec eux… Je leur ai toujoursobéi… Agra a été mon maître, il n’a pas cessé de l’être… Alors…alors, pourquoi m’enferment-ils ici ?…

Pold avait reconquis quelquelucidité :

– Je vous dis, Diane, que nous nedevrions songer qu’à une chose : unir nos efforts pour sortird’ici…

– Mais tu ne sortiras pas ! Je tedis que tu ne sortiras pas !

– Diane, revenez à vous…

– Je te dis que nous allons mourir…

– Moi peut-être… mais vous, Diane, vousles avez servis, vous êtes leur docile instrument… Pourquoivoulez-vous qu’ils vous sacrifient ?…

Elle répéta :

– Je te dis que nous allons mourir… Je tedis qu’ils ont quelque chose de terrible à accomplir ici… Nous n’yéchapperons point, sois-en sûr !…

– Alors, vous vous soumettez, Diane…demanda Pold.

– À quoi ?

– Au sort fatal auquel vous vous ditesvouée… Moi, je lutterai jusqu’au bout ! Et je vous jure que,s’ils veulent ma peau, eh bien ! il faudra qu’ils viennent laprendre, et que je saurai la défendre, Diane !

Il se baissa vers la cheminée, prit un chenetet cria :

– Je les attends !… Oui, jedéfendrai ma peau ! Et la vôtre par-dessus lemarché !…

Puis il prit Diane au poignet et voulutl’entraîner :

– Allons à la porte ! Il y apeut-être quelque chose à faire à la porte… Allons ! ducourage ! ou nous sommes fichus !…

Ils sortaient de la chambre et entraient dansle vestibule quand ils crurent percevoir un bruit derrière laporte.

– Écoute ! fit Pold, une mainétendue et arrêtant Diane.

Diane fit :

– Oui, oui, il y a là quelqu’un, là…derrière cette porte.

Pold répéta son geste de silence.

Et tous deux entendirent distinctement lebruit que faisait une clef que l’on introduisait dans uneserrure.

Ils se regardèrent et reculèrent.

Ils reculèrent jusque dans la chambre.

Diane se traîna derrière le lit.

Pold, sur le seuil de la chambre, resta.

Il se dressa dans une dernière attitude debravade, et serra le chenet dans sa main crispée.

Mais la peur, la peur atroce qu’on ne peutvaincre et qu’il n’avait point vaincue malgré tous ses efforts,faisait que ses dents claquaient.

Du seuil de la chambre, il ne pouvait voircelui qui entrait.

Il entendit donc, avec un effroi grandissant,la porte s’ouvrir.

Puis la porte fut refermée avec précaution,lentement et presque sans bruit.

Un pas glissa sur le tapis, un pas que l’onétouffait. Et, soudain, dans le cadre de clarté que faisait laporte de la chambre restée ouverte, apparut un homme.

Pold poussa un cri terrible, et son arme luiéchappa de la main : cet homme était son père !

Et il suffisait à Pold d’avoir rencontré uneseconde le regard de cet homme pour être définitivement fixé sur cequ’il savait et sur ce qu’il voulait.

Lawrence regarda son fils, qui avait étendules bras au travers de la porte.

Il le regarda d’une façon tellement étrange eten lui présentant un visage d’une pâleur tellement effrayante quePold recula.

Lawrence avançait. Lawrence entra dans lachambre. Et Pold reculait toujours…

– Où est-elle ? dit Lawrence.

Pold ne reconnut point la voix de son père etne lui répondit pas.

Mais Lawrence venait d’apercevoir Diane. Ellele regardait venir à elle.

– Que me voulez-vous ? Que mevoulez-vous ?…

Elle n’avait plus la force de crier. Ellevoulut dire encore des choses… mais il ne s’échappait de sa boucheque des sons rauques et inintelligibles.

Lawrence fit le tour du lit. Froidement, iltira de sa poche son revolver et l’arma.

– Je veux que tu meures !dit-il.

Diane recouvra une énergie terrible. Ellebondit, se glissa le long du mur, essaya de gagner la porte de lachambre. Mais Lawrence lui avait coupé la retraite.

– Tu vas mourir, je vais te tuer commeune chienne !

– Écoute-moi ! Écoute-moi,Lawrence !

Et elle hurla :

– Je ne veux pas mourir !…

Mais Lawrence avait levé sur elle sonrevolver.

Pold ne faisait rien pour arrêter son père. Ille considérait sans un geste, sans un cri.

Il sentait bien que tout était inutile et querien au monde ne pourrait empêcher Lawrence de frapper Diane.

Cette froide et terrible résolution serévélait tout entière dans l’âpreté de son regard et de sesparoles.

Pold regardait son père et Diane. Il vit lafemme bondir du côté de la porte et tenter vainement d’échapper àLawrence.

Il entendit Lawrence annoncer à Diane qu’elleallait mourir et il vit qu’il braquait son arme sur elle.

Il devina, plutôt qu’il ne l’entendit, qu’elledemandait grâce !

La minute était terrible.

Alors, simplement, au moment même où Lawrencetirait sur la malheureuse, au moment où le coup de feu retentissaitsourdement dans la pièce, il alla se jeter entre Lawrence etDiane.

Et la balle qui était destinée à Diane, il lareçut en pleine poitrine !…

Il étendit les bras, tourna sur lui-même ets’abattit.

Puis, le pauvre Pold eut encore la force dedire à Diane :

– Tu vois bien que je t’aimais, puisqueje meurs pour toi !

Une écume de sang s’échappait de sabouche.

Ses yeux perdirent bientôt tout éclat,devinrent vitreux, tels les yeux d’un mort. Sa main, qui fouillaitsa poitrine, n’eut plus un mouvement.

Ce fut, aux pieds de Lawrence, un cadavre. Lepère regardait le corps de son fils. Dans sa main, son revolverfumait encore.

Il eut un hurlement.

Il avait tué son fils ! Il avait tué sonPold !

Et il l’avait tué pour cette femme !…

Il releva sur Diane un visage d’outre-tombe.Il dit :

– Je voudrais te faire mourir deuxfois !

Diane se releva, se glissa le long des murs,refit le tour de la pièce, arriva à la porte et sortit de lachambre avec un cri sauvage.

Mais Lawrence la suivit. Elle était abattuecontre la porte de l’appartement, dans l’angle du mur. Elle sefaisait toute petite et criait :

– Je ne veux pas !

Lawrence lui prit un bras, et brutalement latira à lui.

Il eut un ricanement satanique :

– Tu ne veux pas mourir ! Et Poldest mort !

Et il la traîna par les poignets.

Il la ramena près du corps de Pold.

Elle avait des hoquets effrayants. Et luin’était point pressé de la voir mourir…

– Je te dis que je vais te frapper… Je tedis que tu ne m’échapperas point… À cette heure, tu m’appartiens,Diane !… toi, qui n’as point voulu m’appartenir !… Toi,que j’ai tant priée, c’est toi qui me supplies !…

– Oui, oui, faisait-elle. Je te supplie…Écoute-moi…

– M’écoutais-tu, toi ?

– Je t’écouterai, Lawrence.

– Tu ne trouves donc point qu’il est troptard ? répéta Lawrence.

Il jouait avec son arme, dont Diane ne pouvaitplus détacher ses yeux.

– Si tu m’écoutais, continua-t-elle, tuverrais bien que rien de ce qui est arrivé n’est de ma faute… Je tejure que c’est Agra, que ; c’est Arnoldson qui ont toutfait !… Tout !… tout !… tout !…

– Ce sont eux, sans doute, qui t’ontordonné de me tant faire souffrir ?…

– Oui, oui, Lawrence, ce sonteux !…

– Et pourquoi, dis-moi, pourquoi as-tufait ce qu’ils t’ont dit ?

– Parce que j’aimais le prince… Mais,aujourd’hui, je le hais !

– Mais, dis-moi, tu aimais aussi monfils ?…

– Lawrence ! si tu voulaism’écouter, je te prouverais bien que je n’aimais pas ton fils…

– Oui, tu me prouverais cela… Tu es assezforte pour me prouver cela… Mais je ne t’écouterai point !C’est vraiment dommage… N’est-ce pas, Diane, que c’est vraimentdommage que je ne t’écoute pas ?… Je t’ai trop écoutée, Diane…beaucoup trop…

Diane se traîna, elle écarta avec terreur lebras qui tenait l’arme…

Mais lui ne la regardait même plus : ilfixait le cadavre de son fils…

Elle reprit :

– Voyons, il n’est pas possible que tu metues comme cela !… Que feras-tu de moi quand je seraimorte ?

Elle vit qu’il ne répondait pas, qu’il nel’entendait peut-être pas…

Et, se souvenant, dans une minute de luciditésuprême, que sa coquetterie avait été toujours, jusqu’au moment oùelle connut le prince Agra, victorieuse des hommes, elle se glissavers Lawrence, se dressa contre lui, l’enserra de ses bras, lepénétra de la chaleur de son corps et eut la force surnaturelle delui sourire.

Elle plongea dans ses yeux son regard… Ellemit dans ce regard sa toute-puissance de courtisane. Elle lechargea de la promesse de mille joies infernales…

Mais Lawrence ne la voyait pas. Il ne voyait,par-dessus son épaule, que le cadavre de son fils.

– Lawrence ! Lawrence !cria-t-elle.

Elle l’appela très haut et très fort, commes’il avait été très loin.

Alors il dit :

– C’est assez !

Et, tandis qu’il la prenait, d’un geste debarbare, aux cheveux, son autre main lui appliqua sur la tempe lecanon du revolver.

Elle se rua en arrière. Il la ramenaférocement à lui.

– Meurs, chienne ! cria-t-il.

Il tira.

Le corps de Diane eut un long frisson…

Elle ne ferait plus souffrir les hommes…

Les gestes de Lawrence étaient en quelquesorte automatiques… Il semblait accomplir des gestes fatals où savolonté n’avait plus rien à faire.

Puis, il fut debout, porta le revolver à sonfront. Il tira.

Mais entre le moment précis où il appliquaitson arme sur sa tempe et celui, qui le suivit presqueimmédiatement, où il tira, il put voir, dans le cadre de la portede la chambre, la silhouette sombre d’un homme…

La silhouette, qu’il connaissait bien, del’Homme de la nuit…

L’Homme de la nuit s’avança vers Lawrence.Mais le coup de feu avait retenti.

Et Lawrence était tombé à la renverse, sur lelit.

Sa tempe laissait échapper quelques raresgouttelettes de sang.

L’Homme de la nuit se précipita sur lui, luipassa un bras sous le cou, et lui souleva la tête.

Il regarda ces yeux qui le voyaientencore.

Et l’Homme de la nuit ne souriait plus !Son visage avait revêtu une expression de férocité formidable…

L’une de ses mains rapprocha de lui, plus prèsencore, plus près toujours, la tête de Lawrence… De l’autre main,il retira ses lunettes… Il dévoila ses yeux… ses yeux que nuln’avait vus depuis vingt ans !… Et son regard alla trouver leregard mourant de sa victime.

Vision terrible ! Effroyable vision desêtres morts qui ressuscitent !…

Et l’Homme de la nuit cria à Lawrence, sur quiplanait cette vision :

– Me reconnais-tu, Charley ?… Mereconnais-tu ?

Et Lawrence le reconnut, car, dans un derniereffort, il dit :

– … Jonathan Smith !…

Sa tête se fit plus lourde sur la maind’Arnoldson, et il mourut, les yeux grands ouverts sur l’Homme dela nuit !

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