Un homme dans la nuit

I – CONVALESCENCE

 

Le soir tombait. Dans une chambre de l’hôtelde l’avenue Henri-Martin, Adrienne écoutait dormir Pold. Elleconsidérait le pâle visage de son fils et l’agitation de sonsommeil.

Une femme de chambre apporta une lampe.

– Madame, il y a quelqu’un ici quivoudrait vous parler.

– Je n’y suis pour personne.

– Il insiste, madame. Il m’a dit que,lorsque vous sauriez son nom, vous le recevriez immédiatement.

– Ce nom ?

– Il m’a dit qu’il s’appelaitMartinet.

– Martinet ! Faites-le entrer ici,dit Adrienne.

La bonne s’en alla. Adrienne se leva et alla àla fenêtre.

Quand elle se retourna, elle vit, sur le seuilde la chambre, Martinet, qui attendait une parole d’elle pourentrer.

Elle s’avança vivement vers lui.

– Entrez, monsieur, entrez, il me tardaitde vous voir… J’ai tant de choses à vous dire, une tellereconnaissance à vous exprimer !

Martinet paraissait tout honteux :

– Madame, il n’y a pas de quoi… EtM. Pold ? Il va mieux ? dites… On m’a dit qu’ilallait mieux.

– Oui, oui, beaucoup mieux.

Cette conversation avait lieu à voix basse.Martinet regardait le lit où reposait Pold.

– Alors, dites, il est sauvé ?

– Oui. Le médecin m’a dit qu’il étaitsauvé, que nous n’avions plus rien à craindre… Ce n’est plus qu’unequestion d’un mois et demi au plus. Il était bien malade…

– Oui, madame, je le sais. Mais vos soinsl’ont sauvé.

– Avant que je ne le sauve, il vous a dûson salut, monsieur Martinet. Vous étiez son ami, soyez le mien… Jen’aurai plus que vous d’ami en ce monde…

– Oh ! madame, je ne saisvraiment…

Et, très ému, il continuait :

– Ah ! Il y a un mois que je voulaisle voir, ce bon Pold… Mais vous avez su que j’étais malade,n’est-ce pas, madame ?… Les émotions… C’est ça… Eh bien !je ne suis pas fort, moi, contre les émotions… Et je suis tombémalade. C’est la première fois que je sors… J’ai voulu venir icitout de suite… Mais vous savez que, tous les jours, j’envoyaischercher des nouvelles, en bas, chez votre concierge…

– Oui, je sais cela. J’aurais voulu allervous voir, car je sais tout ce que vous avez fait pour nous.Malheureusement, je n’ai pas quitté le chevet de mon fils… Quienvoyiez-vous chercher des nouvelles de Pold ?

– Mais c’étaitMme Martinet elle-même qui passait, madame.

– Votre femme, monsieur Martinet !Que n’a-t-elle demandé à me voir, à voir Pold ?… Quen’est-elle montée ici ?…

– C’est moi qui le lui avais défendu,madame, fit Martinet d’une voix grave. Je n’ai pas voulu qu’ellevînt vous importuner…

Pold fit quelques mouvements.

Un mois s’était écoulé depuis les derniersévénements qui se déroulèrent d’une façon si tragique dans lagarçonnière de Pold.

Quand Martinet était sorti de la chambrefunèbre, à la recherche d’un secours, il n’avait rencontré dans lamaison âme qui vive.

Et il constata que l’homme qui se tenaitdevant la porte de la garçonnière, et qu’il avait frappé, nel’avait pas été mortellement, puisque son corps n’était pas là. Ilavait disparu.

Arnoldson avait fui. Il n’y avait plus, danscette maison, que lui, Martinet, une femme évanouie, Pold expirantet deux cadavres.

Il sauta dans un fiacre et s’en fut à larecherche d’un médecin, qu’il ne trouva pas. Il perdait la tête. Ilne savait ce qu’il devait faire. Il voulait aller prévenir lapolice, mais il se rappelait les dernières paroles d’Arnoldson.Finalement, il revint rue de Moscou.

Quelle ne fut pas sa stupéfaction et saterreur en voyant que les corps avaient disparu ! On les avaitenlevés.

Mais un mot laissé en évidence sur le lit, etqui lui était adressé, lui ordonnait de se rendre avenueHenri-Martin sur-le-champ.

Perdant de plus en plus la tête, il se fitconduire avenue Henri-Martin.

À la loge, il rencontra le père Jules, qu’ilcroyait aux Volubilis.

– Ah ! quel malheur ! geignaitle brave homme.

Car le père Jules avait toujours passé pour unbrave homme aux yeux de tout le monde.

– Où sont-ils ? s’écriaMartinet.

– Là-haut, monsieur Martinet.Comment ! vous êtes déjà au courant ?… On vient de lesapporter… Ce pauvre monsieur ! J’ai été chercher le docteur dela maison, qui est un bon ami et un excellent homme, et plein desavoir, monsieur Martinet… Il a fait déjà revenir à elle cettepauvre Mme Lawrence… Et il s’occupe deM. Pold !… Mais, pour sûr, celui-ci n’en réchapperapas !…

Martinet ne l’écoutait plus déjà, et avaitbondi vers l’hôtel. Il passa sa nuit à aider le médecin dans lessoins qu’il prodiguait à Pold et à sa mère.

On fit, par l’ordre d’Adrienne, le plus absolusilence sur ce drame de famille, et Lawrence fut inhumé, avec lacomplicité des médecins, sans que nul pût se douter qu’il s’étaitdonné la mort.

Seule, la disparition de Diane fit beaucoup debruit dans Paris. Les feuilles ne s’occupèrent que de cela pendantquinze jours. Finalement, comme on n’entendait plus parler duprince Agra, on en tira cette conclusion qu’elle avait quitté Parisavec lui, sans prévenir personne.

La première chose qu’Adrienne avait faite,quand elle eut retrouvé un peu de cette énergie qui était le fondde son caractère, avait été de renvoyer tous les domestiques et deles remplacer par d’autres qu’elle croyait sûrs.

Elle chassa le père Jules et envoya sonremplaçant aux Volubilis, avec une dame de compagnie. Ils avaientl’ordre de faire patienter Lily, de s’opposer à son retour à Pariset, peu à peu, de la préparer – lourde et terrible tâche – àrecevoir l’affreuse nouvelle de la mort subite de son père,déterminée, disait-on, par la rupture d’un anévrisme.

Adrienne s’était déjà installée au chevet deson fils, bien décidée à l’arracher à la mort, quand, le lendemainmême du départ de la jeune fille, elle la vit revenir toute seule,lui apprenant que Lily n’était plus aux Volubilis.

C’était le dernier coup… et non le moinsdouloureux.

Et elle reconnut encore là la main de l’Hommede la nuit…

Elle s’entretenait encore avec Martinet del’affreux drame, quand la femme de chambre les vint trouver, unecarte à la main.

– Madame, dit-elle, voici la carte d’unhomme qui désire vous voir. Je lui ai dit que vous étiez absente,puis que vous ne receviez personne, mais il a déclaré qu’il nes’éloignerait point sans vous avoir vue.

Adrienne avait pris la carte…

– Arnoldson ! s’écria-t-elle.

Martinet fut debout :

– Le misérable !… Il ose…

Car Martinet savait à quoi s’en tenir,maintenant, sur Arnoldson, et, si on ne lui avait pas encore toutdit, il avait deviné beaucoup de choses.

Il savait, sans en connaître du reste laraison, que cet homme poursuivait d’une haine terrible Pold et safamille, et il avait l’explication de son apparition le soir où ilpénétra dans la chambre des crimes…

– Ah ! madame ! continua-t-il,je suis là. Usez de moi. Et, si vous voulez que je vous débarrassedu misérable, ce sera bientôt fait !

Adrienne ne trouvait pas une parole… Tant decynisme joint à une hardiesse si grande la confondait. Comment, ilosait encore ?…

Elle fut sur le point de crier à Martinet dedescendre et de chasser l’Homme.

Mais une sinistre pensée lui vint… Elle songeaà Lily. Ne lui avait-il point dit, à la villa des Volubilis, quandil lui avait remis les lettres, que sa vengeance irait frapper sesenfants ?…

Agra n’était-il point l’ami de cemonstre ?… Et Agra n’était-il point, à cette heure, le maîtrede sa fille ?… Ah ! il fallait qu’elle le vît… Il fallaitqu’elle lui parlât… Elle comprenait maintenant qu’il se présentâtdevant elle avec une pareille tranquillité…

Elle fit signe à Martinet de rester dans lachambre, auprès de Pold, qui s’éveillait et fixait de grands yeuxsur Martinet et sur sa mère.

Et elle descendit, disant :

– Il faut que je le voie. Il le faut.

Martinet la regardait partir avec unahurissement grandissant, car il ne comprenait point pourquoi ilfallait que cette femme reçût l’assassin de son mari… Martinet, eneffet, croyait toujours Lily aux Volubilis.

Il fut tiré de ses pensées par cet appel dePold :

– Martinet !

Martinet courut au chevet du malade. Et ilprit la tête de Pold et il l’embrassa comme un père eût embrasséson fils.

– Eh bien ! mon pauvre vieux… çava ?…

– Ça va… Martinet… ça va !…

Mais Pold regarda longuement Martinet.

– Si tu savais, Martinet…

– Je ne veux rien savoir, réponditMartinet. Ah ! mon gars, remets-toi, guéris-toi… et ne penseplus à autre chose.

– Écoute, Martinet… Tu sais tout… J’aireçu une lettre… Tu me pardonnes donc, Martinet ?

– Pour sûr que je te pardonne !

Et Martinet se moucha bruyamment.

– C’est très beau, ce que tu as faitlà ! dit Pold.

Martinet s’étranglait : l’émotionl’étouffait. Il prononçait des mots incohérents. Finalement, ilcria :

– Veux-tu me ficher la paix ?…Qu’est-ce qui lui prend donc, à ce sacré gosse ?

Et il se laissa tomber sur une chaise auprèsdu lit.

Pold avait compris…

Il avait pris la main de son ami, il la luiserra avec force.

– Pold ! dit Martinet, je suis unpauvre diable de crétin, d’imbécile !

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