Un homme dans la nuit

I – OÙ NOUS REVENONS QUELQUES ANNÉES ENARRIÈRE

 

Ainsi, Jonathan Smith vivait toujours. Le roide l’huile avait échappé par miracle à la mort ! Ce n’étaitpas un cadavre que Charley avait jeté par-dessus le pont deJulesbourg. Jonathan respirait encore ! L’une des piles de cepont repose sur un étroit îlot, et c’est sur cet îlot, parmi lesgrands joncs qui poussent aux bords de la rivière Platte, que leroi de l’huile vint échouer.

Combien de temps resta-t-il sansconnaissance ? Quand il ouvrit les yeux, d’étranges visages lefixaient. C’étaient des têtes aux teintes de cuivre, tatouées etempennées. Certaines avaient de larges anneaux passés dans lesnarines, ou encore des bâtonnets. Certaines portaient d’immensesplumes multicolores dressées sur leur longue chevelure. Tous cesgens bizarres étaient vêtus d’étoffes éclatantes jetées sur lesépaules ; les poitrines étaient nues, badigeonnées au miniumet tatouées comme les visages. Ils étaient armés de longs fusils etportaient des ceintures qui recelaient les munitions. La pluparts’entretenaient dans un langage incompréhensible pour un hommecivilisé. Certains affectaient de parler anglais ou tout au moinsde « sortir » les quelques mots, les quelques phrasesqu’ils connaissaient de cette langue.

Le roi de l’huile comprit qu’il était auxmains d’une tribu de Peaux-Rouges. Il était le prisonnier desDelawares !

On se rappelle que ceux-ci traversaient alorsle Nebraska, en pirates, s’attaquant aux Blancs chaque fois quel’occasion en était jugée bonne, et pillant. Ils s’attaquaient mêmealors aux convois, aux trains en marche, et trois voyageurs, lejour qui précéda l’arrivée du roi de l’huile, de Charley et de Marydans le Nebraska, avaient ainsi disparu.

C’était dans l’une de ces expéditions qu’ungroupe de Delawares, qui avaient eu l’audace de se rapprocher, à latombée de la nuit, de Julesbourg, et qui avaient campé aux rives dela rivière Platte, aux environs du pont, couchés et cachés dans lesroseaux et derrière quelques bouquets d’arbres, avaient découvertle corps, fort endommagé, du roi de l’huile. Ils l’avaient aperçude la rive dès l’aurore. Jonathan Smith avait donc passé la nuitdans les joncs de son îlot. Deux pirogues allèrent à lui et leramenèrent au camp.

Le médecin des Delawares, en lequel ilsavaient toute confiance, n’était point de leur race. C’était unnoir géant, qui paraissait fort versé dans l’art de guérir le plussimplement du monde les maux les plus récalcitrants. Ce noir étaitoriginaire de la Louisiane où il avait servi longtemps dans unefamille française. L’esprit des aventures le poussa à quitter laLouisiane.

Il s’en fut tout seul, par les bois, montantvers le Nord. C’est là qu’il rencontra pour la première foisquelques échantillons des naturels qui faisaient, à cette époqueencore, l’ornement de la jeune Amérique. Ces Peaux-Rouges, lesderniers qui fussent restés dans les Florides, lui parurenttellement supérieurs, par la politesse qu’ils lui montrèrent et leségards dont ils l’entourèrent, aux planteurs qu’il venait dequitter qu’il résolut de vivre avec eux. Et c’est alors qu’il sedécouvrit des aptitudes spéciales pour la médecine. Quelquesplantes bien choisies, de bizarres incantations et quelquesbouteilles de gin constituaient une science médicale à laquelle lesPeaux-Rouges ne purent pas résister.

La renommée de Joe, docteur pour Peaux-Rouges,se répandit de tribu en tribu. C’est ainsi que nous trouvons Joe, àl’heure qui nous occupe, définitivement établi chez les Delawares,en plein Nebraska. Ce fut Joe qui soigna Jonathan. Le malheureuxn’avait point besoin des soins de Joe pour rester estropié toute savie. Il avait été fort malmené dans sa chute et, sans rendre uncompte exact des opérations qu’il eut à subir, dans des appareilsplus que primitifs, nous nous bornerons à constater latransformation de cet être grand, fort et corpulent qu’était le roide l’huile en cet individu ample d’épaules, quasi bossu, d’attitudeet de marche fantasques, que fut celui que l’on appela plus tardl’Homme de la nuit, lequel, aussitôt qu’il le put, cacha ladéformation de son corps et la déviation de ses membres sous cemacfarlane qui ne le quittait jamais.

Quant à la balle dont l’avait gratiné missMary et qui était entrée dans les chairs du cou, déterminant unesyncope, elle y resta. Joe essaya, il est vrai, de délivrerJonathan de son projectile, mais ayant constaté que les instrumentsdont il se servait pour cette délicate besogne ne réussissaient, aulieu de tirer la balle au-dehors, qu’à l’enfoncer plus profondémentau-dedans, il y renonça. Une large cicatrice resta à la nuque dupatient, cicatrice due beaucoup moins au passage de la balle qu’àcelui des instruments du docteur.

Quoi qu’il en fût de la science de Joe et deses opérations, Jonathan prit tout de suite en grande amitié cegéant noir qui lui témoignait tant de zèle et l’entourait de tantde soins.

Un autre personnage aussi ne quittait guère leprisonnier, car Jonathan se considérait avec juste raison comme leprisonnier des Delawares. Celui-là était aussi grand, aussi fortque Joe. C’est cette égale puissance qui les avait réunis en unesolide affection autant que l’infirmité dont ce colosse souffrait –car il était sourd-muet – et dont le guérit en partie le docteurJoe, puisque celui-ci enseigna à celui-là à exprimer sa pensée et àcomprendre celle des autres, grâce à des signes fort ingénieux.Dans leur langage imagé, les Delawares appelaient ce formidablePeau-Rouge « l’Aigle », sans doute à cause de son regardqui semblait très dur et qui était infiniment puissant.

La nature paraissait avoir voulu remplacer cequ’elle avait enlevé à cet homme du côté du tympan et des cordesvocales par la force dont elle avait doué sa prunelle.

Joe et l’Aigle tenaient donc compagnie àJonathan, qui souffrait beaucoup moins des blessures de son corpsque de celles de son cœur. La trahison de miss Mary lui étaitautrement douloureuse que les soins inexpérimentés de Joe et del’Aigle. Une rage inexprimable, une soif inextinguible devengeance, d’effroyable vengeance, le jetaient des heures entièresdans un silence farouche. Sa pensée, toujours hantée du crime deMary, qui l’avait voulu tuer pour sauver son amant, sa penséeagitait des projets de terrible revanche. Elle inventait dessupplices.

C’est à cette heure-là qu’ayant jugé parlui-même combien les souffrances de l’âme sont supérieures à cellesde la chair, il résolut de châtier « par l’âme ». Ilavait été frappé dans son amour : il frapperait les autresdans leur amour ! Ah ! l’amour ! De quelle haine ilallait le poursuivre ! Ce qui faisait monter sa colère auparoxysme était cette considération qu’il n’avait pu être aimé,qu’il n’avait jamais été aimé pour lui-même, qu’il ne le seraitjamais ! Il songeait, avec furie, qu’avec son immense fortune,les centaines de millions qui constituaient sa fortune, il n’avaitpu acheter une minute de l’amour d’une femme ! Il avait achetéla femme, mais point son amour !

Il se décida. Ce fut une résolution soudaine,un serment terrible, qu’il se fit à lui-même de ne plus vivre quepour la haine de l’amour. En attendant qu’il se vengeât sur Mary etsur Charley – car il était décidé à attendre longtemps pour sevenger davantage – il se vengerait sur les autres, il exercerait savengeance, il aiguiserait les instruments de sa vengeance surl’amour des autres ! Cela lui permettrait, plus tard, beaucoupplus tard, de frapper à coup sûr. Et cela lui donnerait la patienced’attendre !

Et d’abord, il fallait qu’on le crût mort. Ilfallait que Charley et Mary vécussent en toute tranquillité etl’oubliassent complètement… Le hasard le servit.

Un des prisonniers des Delawares, qui étaitjustement l’un des voyageurs disparus dans l’attaque d’un desderniers convois, voulut, un soir, s’échapper du camp et n’hésitapas à tuer une sentinelle qui gênait son projet. Il fut surpris,dans sa fuite, par un Peau-Rouge qui le tua d’un coup decarabine.

Jonathan expliqua à Joe qu’il lui fallait cecadavre. Il y avait eu entre Joe et Jonathan de longuesconversations. Jonathan promit une récompense splendide à Joe sicelui-ci exécutait ses ordres. Joe acquiesça à ces offres. Lecadavre fut défiguré. On l’habilla des vêtements du roi del’huile ; on lui mit les papiers du roi de l’huile dans lespoches et l’on alla porter ce cadavre dans les joncs de la rivièrePlatte, où il fut découvert quelques jours plus tard. Alors serépandit dans le monde entier la nouvelle de la mort du roi del’huile, dont on doutait encore, malgré la disparition soudaine deCharley et de Mary qui avait fait croire à un drame intime.

Un mois plus tard, les Delawares quittèrent lecamp volant qu’ils avaient établi sur la rivière, non loin deJulesbourg, et retournèrent chez eux, emmenant Jonathan dans unesorte de carriole, car il n’était pas encore tout à fait remis deses blessures.

Déjà, avant cette époque, Joe s’était absentédu camp sur les prières de Jonathan et n’y était revenu quequelques jours plus tard. Ce fut à ce moment que des hommes de loitrouvèrent dans un secrétaire du bureau de la maison de campagneque Jonathan possédait sur les bords du lac Michigan un testamentfort régulier qui laissait tous les biens du roi de l’huile, de parsa volonté, à celui qu’il appelait dans ce testament son« plus fidèle serviteur », à M. Harrison, qui,jusqu’à ce jour, avait occupé dans la maison de Jonathan le rôle demajordome et n’avait pas encore eu le temps de donner beaucoup depreuves de son dévouement, puisqu’il n’avait guère que vingt-deuxans, mais qui, en revanche, avait donné à Jonathan Smith la preuveabsolue de son honnêteté en des circonstances où il lui aurait étéloisible de s’approprier des sommes considérables.

On s’étonna beaucoup et l’on parla longtempsde ce legs extraordinaire, auquel nul ne s’attendait. Mais, commele roi de l’huile n’avait pas de parents et que le testament étaitrégulier, il fallut bien en passer par la volonté du testateur.

La vérité était que tout s’était fait parl’entremise de Joe, auquel Jonathan avait raconté ses terriblesaventures, en lui promettant de se l’attacher pour la vie s’ilvoulait servir ses projets. Jonathan avait jugé Joe fortintelligent, et celui-ci ne manqua pas de lui rendre bientôt lesplus signalés services. C’est ainsi que, sur ses indications, ilsubstitua au testament qui était dans le secrétaire de Jonathan,testament qui instituait Mary sa légataire universelle, un autretestament olographe, antidaté, naturellement, que lui remit au campJonathan et qui donnait toute la fortune à Harrison.

Quelques jours après, Joe s’éloignait du petitvillage qui constituait la capitale des Delawares dans lesterritoires réservés et où l’on avait transporté Jonathan Smith.Quand il revint, il avait avec lui Harrison. Celui-ci vint àJonathan lui jurer une fidélité absolue. Il savait par Joe toutel’histoire, tout le crime. Déjà il haïssait Charley de ce qu’ilavait plus que lui encore la confiance de Jonathan. À lui aussi lavengeance serait douce, disait-il.

– Si tu m’obéis, je te récompenserai, luidit Jonathan, comme jamais serviteur n’a été récompensé en cemonde. Si tu me trahis, la mort est sur toi. Toute la fortune duroi de l’huile est à toi, mais tu n’y toucheras point. Sinon, Joe,l’Aigle et moi nous saurons te châtier. Tu as un an pour toutliquider, pour tout vendre, tout emporter. Joe ne te quittera pas.Moi, j’irai m’établir avec l’Aigle sur les bords du lac Érié, d’oùje te surveillerai, prêt à te découvrir, prêt à me montrer, prêt,au besoin, à retarder ma vengeance sur Charley pour l’exercerd’abord sur toi !

Harrison l’avait interrompu.

– Monsieur, lui dit-il, si vous doutiezde moi, pourquoi m’avez-vous fait venir ? Que ferai-je devotre fortune si, du jour où je la fais mienne et où je veuxréellement en user, vous apparaissez et vous prouvez que vous êtesvivant et, par conséquent, que votre testament n’est pas encoreexécutoire ? Croyez-moi, monsieur, si, pour les autres, jesuis l’héritier du roi de l’huile, pour vous je ne suis que votreserviteur.

Les choses ainsi réglées, et Jonathan s’étantdéfinitivement remis sur pied, on songea au départ. D’innombrablescaisses arrivèrent pendant huit jours au camp des Delawares.

Ces caisses renfermaient des trésors depassementeries, des bijoux, des colliers, des bracelets en grandequantité. Puis vinrent d’innombrables litres de liqueur, del’alcool à enivrer tous les Delawares et tous les Osages, leursvoisins de l’État de Kansas. C’était la rançon du roi del’huile.

En revanche, Jonathan Smith emportait auxDelawares ces deux géants, cette force précieuse : Joe, lenoir et l’Aigle, le Peau-Rouge. Depuis qu’un heureux hasard, à lasuite de sa terrible aventure du railway, l’avait fait tomber –tomber est bien le mot – au milieu des Delawares, iln’avait pas eu un instant à se plaindre de leur hospitalitéforcée.

Jonathan, Harrison, Joe et l’Aigle s’enallèrent sur les rives du lac Érié. Le roi de l’huile s’installa àÉrié même avec l’Aigle ; Harrison et Joe partirent pourChicago. Comme les établissements du roi de l’huile se trouvaientmi-partie à Chicago, mi-partie à Oil City, et qu’Érié est entre lesdeux villes, ils avaient maintes occasions de rendre visite àJonathan.

Celui-ci avait, naturellement, changé de nomet se faisait appeler sir Arnoldson. Il se procura même, à ce nom,tous les papiers qui peuvent constituer une identité.

Un an, ainsi, il resta sur les bords de celac, méditant sa vengeance. Il ne quitta Érié qu’à de raresoccasions, quand il lui semblait bon d’aller surprendre Harrison etJoe à Oil City. Joe lui était de plus en plus dévoué. Harrisonrestait l’employé fidèle qu’il avait toujours été. Et celui quenous appellerons désormais Arnoldson se rendait bien compte, quandil se trouvait à Oil City ou même à Chicago, que, pour tous,Jonathan Smith était mort. De fait, il était, même pour lespersonnages qui l’avaient le plus fréquenté, méconnaissable. Déjà,il avait caché son regard sous des lunettes noires, car ce regardétait toujours resté le regard du roi de l’huile, et les moinsprévenus, s’ils eussent surpris ce regard, se fussent écriés :« Voici Jonathan Smith ! »

La liquidation touchait à son terme. Toutesles opérations se faisaient sous le contrôle d’Arnoldson et sur sesindications précises. Quand toute cette immense fortune fut entreles mains d’Harrison et tint en d’innombrables carnets de chèquessur les banques les plus riches du monde entier, Harrison peu à peutransmit à Arnoldson ce qui en fait et en droit n’avait jamaiscessé de lui appartenir. Comme nous l’avons dit, en effet, il luisuffisait de se montrer et de dire : « Je suis JonathanSmith », pour que toute cette fortune échappât à Harrison, ensupposant que celui-ci voulût se l’approprier.

Arnoldson, quand tout fut terminé, voulutrécompenser Harrison et lui proposa cinq millions. Harrison lesaccepta ; mais, quand Arnoldson lui dit qu’il pouvaits’éloigner de lui, qu’il reconquérait toute sa liberté et qu’il nelui demandait plus que le secret le plus absolu sur son existence,Harrison dit : « Je reste ! »

Et c’est alors qu’il lui fit l’aveu que luiaussi avait aimé miss Mary d’un amour que nul au monde n’avaitsoupçonné et que sa plus douce joie serait de joindre sa vengeanceà celle de Jonathan.

– Il te suffira de servir lamienne ! fit Arnoldson. Tu attendras tant que je te diraid’attendre. Tu n’agiras que lorsque je te dirai d’agir.

– Je vous le jure, maître.

Alors, Arnoldson se souvint de son fils. Ilemmena ses serviteurs à La Nouvelle-Orléans. Joe s’en fut frapper àla porte de la family house et apprit que le petit Williams’était échappé depuis deux mois, mais qu’on l’avait vu errant surle port. Il en retrouva la trace. Il remonta derrière lui la rivedu Mississippi et le rejoignit à Little Rock. Là, il reçut l’ordrede ne plus le perdre de vue mais de le laisser abandonné à lui-mêmeet de ne le secourir en quoi que ce fût.

Arnoldson, ayant réussi du côté de son fils,songea alors à savoir où avaient pu se réfugier Charley et Mary. Ilpartit avec Harrison et l’Aigle pour le Colorado. Arrivé à Denver,il alla demander à l’hôtel d’Albany Mr Wallace. Celui-ci nereconnut point Jonathan Smith. Arnoldson prononça ces mots :The queen city of the plains. Mr Wallace luirépondit : « Monsieur, je devais remettre à la personnequi m’aborderait ainsi un pli qui me fut jadis confié par le roi del’huile. Or vous êtes le second qui venez me trouver avec cettephrase. Je n’ai plus le pli. Le premier fut un jeune homme blondqui ne fit que passer à l’hôtel d’Albany quelques jours avant quele bruit de la mort de mon malheureux ami ne se fût répandu jusqu’ànous. J’ai souvent songé à cette visite, qui me parut louche en detelles circonstances, et je donnai le signalement du voyageur à lapolice, qui ne le retrouva naturellement pas. »

Ce disant, Mr Wallace salua Arnoldson.Quand il releva la tête, il fut stupéfait de voir qu’Arnoldsonétait déjà loin.

– Bizarre individu ! fit-il.

Et il se remit à ses affaires.

Arnoldson savait tout ce qu’il désiraitsavoir. Charley était venu chercher le secret de l’ingénieur. Il leretrouverait quand il lui plairait. Car Charley, avec une inventionpareille dans les mains, ne manquerait point de tenter lafortune.

Alors, Arnoldson revint à La Nouvelle-Orléans,où il resta de longs mois. Joe venait l’y voir souvent et luidonnait des nouvelles de son fils, qu’il lui dépeignait dans lamisère la plus extrême. Arnoldson, alors, riait d’un rire sinistreet disait à Harrison qui le suppliait de venir en aide aupetit :

– Attendons, mon cher, attendons. Plus iltombera, plus je l’élèverai, et plus il me sera reconnaissant.

Quelquefois, Harrison questionnait Arnoldsonsur ses projets de vengeance. Alors, très sombre, le roi de l’huiledisait :

– Tu verras… Tu verras… Je te feraiassister à quelque chose de vraiment bien. Mais il te faut de lapatience… beaucoup de patience… Des années… Dix annéespeut-être !… Que sais-je ?… Vingt années !…

– Vous attendrez trop longtemps… Votrevengeance vous échappera…

– Pauvre fou !… J’attendrai qu’ilsaient perdu même mon souvenir… J’attendrai qu’ils soient riches etpleins de quiétude. J’attendrai qu’ils aient des enfants, de beauxenfants, Harrison, de beaux enfants…

Et Arnoldson riait atrocement.

– J’attendrai aussi que je ne l’aimeplus… car mon cœur est encore plein de mon amour, vois-tu… et je neveux pas avoir d’hésitation à l’heure du châtiment… Il faut savoirattendre… Si tu es las déjà, va-t’en !…

Mais Harrison restait. Il avait donné saparole au roi de l’huile et il était ainsi fait qu’il ne lareprendrait jamais.

Quand Arnoldson se décida à sauver son fils,il n’était vraiment que temps. William n’eût pu résister encore àquelques semaines de misère. La constitution du petit, qui étaitd’une robustesse peu commune, prit bientôt le dessus, et Williamfut debout et bien portant un mois à peine après qu’Arnoldson l’eutramassé sur la paillasse de la taverne de Boston.

Dire la reconnaissance de l’enfant et l’amourqu’il voua à celui qui le traitait alors comme le plus chéri desfils serait impossible.

Ce fut alors qu’Arnoldson passa avec Williamce qu’il appelait son contrat. Il lui promit tout ce qu’il luidonna plus tard, à la condition que le petit obéît en tout ettoujours, et qu’il se montrât son élève soumis. Arnoldsonapparaissait à William comme un dieu bienfaisant. Il se donna à cedieu sans hésitation.

Immédiatement commença l’éducation spécialedont il fut déjà parlé et qui fit de William l’être unique qu’avaitrêvé Arnoldson. On voyagea beaucoup, toujours avec Joe et l’Aigleet les professeurs du moment. On restait deux ans dans une contrée,et, William s’étant familiarisé avec la langue de cette contrée, onpassait à une autre. Arnoldson parcourut ainsi la terre, certainqu’il retrouverait, un jour, Charley et Mary exploitant l’inventionqu’ils tenaient de Mr Wallace. Et, en effet, il les retrouvafinalement au Siam, où ils vivaient sous les noms de M. etMme Lawrence, se faisant passer pour des Françaisd’origine anglaise. Ils avaient, à cette époque, deux enfants, etsemblaient en train de faire fortune avec l’exploitation du mineraid’or.

Ce fut Harrison qui fut chargé de contrôlertous ces renseignements, et, quand il en eut reconnu l’exactitude,Arnoldson déclara qu’il fallait bien se garder de troubler Charleyet Mary dans leurs travaux. Il ne voulut point les voir et fit toutpour les éviter. Enfin, s’étant assuré que, s’ils quittaient lepays, il en serait tout de suite averti, il revint en Europe.

Arnoldson, quand il ne s’occupait pas de sonfils, s’occupait de sa fortune. Au bout de vingt ans, cettefortune, tant par les opérations heureuses auxquelles il se livraque par l’amoncellement des capitaux et des intérêts, avait dépasséde beaucoup le milliard.

Arnoldson était l’un des maîtres de la terre.C’est alors qu’il produisit son œuvre, ce prince Agra, auquel ilvenait d’acheter des terrains immenses dans les Indes anglaises, etdont l’apparition devait causer tant de drames dans les sociétés duvieux monde.

Enfin, trois années avant l’époque où sepassent les événements qui nous occupent, Lawrence, sa femme et sesenfants étaient venus s’installer à Paris. Joe fut chargé de lessurveiller et d’organiser autour d’eux cette surveillance, pendantqu’Arnoldson préparait tout pour une vengeance qu’il avait annoncéetrès proche.

Joe avait donc, depuis trois ans, acquis, àdeux pas de la villa de Lawrence, l’auberge Rouge, dans laquellenous avons vu entrer cette famille dont l’Homme de la nuit avaitjuré la perte !

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