Un homme dans la nuit

X – LUI !

 

Diane était montée dans sa chambre, suivie duprince. Celui-ci fit comprendre à la jeune femme qu’il lui fallaitéloigner la soubrette.

– Mais il faut que je m’habille,prince !

Agra fronça les sourcils. La soubrette futmise à la porte sur-le-champ.

Ils restèrent seuls. Diane alla vers le princeet lui prit les mains.

– Tout ce que vous voulez, dit-elle… Jesuis votre esclave. Ordonnez, mon maître, et vous serez obéi…

Elle se glissa, infiniment câline, sur lapoitrine du jeune homme. Ses bras firent un collier au prince. Ellevoulut courber sa belle tête vers ses lèvres.

Agra dénoua, sans effort, les bras quil’enlaçaient, écarta Diane, lui montra un siège, et dit :

– Madame, dans cette chambre, une heure àpeine après m’avoir quitté, l’autre soir, il y avait làquelqu’un…

Elle se leva, effrayée du ton que prenaitAgra, de sa parole glacée. Elle joignit les mains.

– Oh ! prince, fit-elle, vous quisavez tout, vous pour qui il n’est point de mystère, ignorez-vousque ce jeune homme m’a surprise, qu’il s’est introduit chez moi parescalade, et qu’il m’a imposé son amour par l’épouvante ?

– Madame, j’ai cru cela. Mais je fus unsot. Car si votre défaite a été telle que vous le dites, vous avezdû le chasser ensuite, votre… amoureux malgré vous !

– Oh ! certes !

– Et si vous l’avez chassé, vous l’avezfait de telle sorte qu’il ne lui prît plus l’envie derevenir ?

– Pouvez-vous en douter ?

– Et cependant, madame, il estrevenu !

– Jamais ! jamais ! Je vous lejure ! Jamais ! protesta Diane avec une forcecroissante.

Le prince s’assit et joua négligemment avec legland d’un fauteuil.

– Moi qui sais tout, dit-il, je sais quecet adolescent est revenu. Il est si bien revenu, qu’il est là, àcette heure, dans votre hôtel. Oui, madame.

– Mais cela est impossible !Prince ! prince ! on vous a trompé !

Le prince répliqua, plus froid quejamais :

– Vous oubliez qu’on ne peut pas metromper.

Diane se mit à ses genoux :

– Écoutez, prince, vous me dites qu’ilest là, mais je vous jure que je n’en sais rien. Je vous jure queje n’ai rien fait pour qu’il fût là ! Je vous jure que cegamin n’a jamais existé pour moi, que je l’ignore, qu’à peine jesais son prénom : Pold, que je ne l’ai jamais aimé et que jele hais ! Je le hais de ce qu’il écarte vos lèvres de meslèvres !

Elle roula sa jolie tête sur les genoux de sonidole et pleura, car elle se donnait, et le prince ne la prenaitpas. Il était toujours aussi calme, aussi maître de lui.

– Je vous dis, madame, que ce jeunehomme, votre amant, est dans votre hôtel.

Elle se releva, se tordit les poignets etcria :

– Eh bien ! s’il est là, prince,dites-moi où il est, car vous seul le savez ! Dites-le-moi,que je le chasse ! que je le fasse déchirer par meschiens !

– Sonnez votre femme de chambre, fitAgra.

Fébrile, elle sonna. La soubretteaccourut.

– Jenny, écoutez bien ce que vous dira leprince, et exécutez de point en point ses ordres.

– Mademoiselle, vous allez descendre surla scène : vous y trouverez un jeune ouvrier en blouse blancheet casquette noire. Vous le prierez de vous suivre et vous leconduirez ici.

– Et faites vite ! s’écriaDiane.

La soubrette avait disparu.

– Ah ! il se déguise, maintenantqu’il ne peut plus entrer chez moi en escaladant les murs ! Jevous promets que je vais lui faire passer le goût destravestissements !

Le prince ne répondit pas. Elle se tut, elleaussi, regardant la porte d’un air sombre. Cette portes’ouvrit.

Pold fut enfin sur le seuil, la casquette à lamain, se demandant s’il devait entrer. Une émotion indescriptibles’emparait de tout son être en regardant cette chambre où ils’était introduit une première fois d’une manière si romanesque etdans laquelle il revenait en des circonstances plus étrangesencore.

– Entrez ! cria Diane.

Elle alla claquer la porte derrière lui. Il laregarda. Il eut peur de ses yeux, qui lui jetaient de la haine. Ilrecula. Il eut la terreur de ce qui allait lui arriver. Il setrouva à côté du prince et le contempla d’un air hagard. Il nepouvait prononcer une parole. Le calme suprême du prince le remitun peu. Il se tourna vers Diane de nouveau.

– Que faites-vous ici ? cria-t-elle.Qui vous a introduit ici ? Pourquoi êtes-vous ici ? Jevous avais chassé ! Chassé et jeté à ma porte ! Chassécomme un voleur ! Car vous êtes un voleur ! Vous avezvolé ici quelques minutes de plaisir ! Vous aviez escaladé monmur, la nuit ! Je pouvais vous tuer ! Je devais voustuer !

Sa parole était saccadée, sa voix rauque.

– Oui, vous tuer comme un chien !Pourquoi êtes-vous revenu ?

Il répondit très bas :

– Parce que je vous aime…

Ces paroles d’humilité et de détresse ne lacalmèrent point, au contraire…

– Vous m’aimez ! Eh bien !qu’est-ce que vous voulez que j’y fasse ? Est-ce que cela meregarde, moi, si vous m’aimez ? Est-ce que je vous aime,moi ?…

Il se fit plus humble encore :

– Madame, vous ne m’aimez pas. Je suishorriblement malheureux parce que vous ne m’aimez pas. Je croismême que vous me haïssez maintenant !… Mais j’avais espéré quevous m’aimeriez… L’espoir est une chose qui n’est pointdéfendue…

Reprenant un peu de sang-froid, voyant qu’ellele laissait parler, il eut le courage d’ajouter :

– Après ce qui s’est passé entre nous,cette nuit que je n’oublierai jamais…

Car il n’était pas fâché de montrer au tiersqui l’écoutait qu’une minute avait existé où Diane s’étaitapprivoisée. Elle se jeta sur lui, la main haute, pour legifler :

– Ah ! misérable ! Tu osesparler de cette nuit !…

Devant les coups prêts à venir, Pold avaitsoudain changé d’attitude. Il n’allait pas se laisser piétinerainsi. Son orgueil finissait par se révolter sous les outrages quecette femme lui jetait à la face, devant cet homme… cet hommeimpassible, qui était sans doute la cause de tout son malheur…

Il avait retenu au vol la main de Diane. Sajoue n’en fut pas effleurée.

– Ah ! ne me touchez pas,madame ! s’écria-t-il. Ne me touchez pas !… Assezd’outrages, assez d’injures ! Je m’en vais ! Je vousaimais, je vous aime peut-être encore… mais ne craignez rien… je nevous le dirai plus…

Diane le laissa se diriger lentement vers laporte.

– Et que je ne te revoie plus jamais, tuentends ? jamais plus, gamin !

Pold se retourna, très flagellé de l’épithètedevant l’autre. Il regarda fixement Diane, eut une mouedédaigneuse et dit :

– Madame préfère sans doute lesvieillards ?

Il avait dit cela d’une façon si drôle que lacolère de Diane, par un bizarre phénomène de ses nerfs, tomba ducoup.

– Ah ! le sale gosse ! fit-ellesimplement.

Et elle ne put s’empêcher de rire.

Ce rire fut plus douloureux à Pold que lacolère de tout à l’heure.

Il vit que le prince aussi souriait. On semoquait de lui. Il revint vers Diane.

– Rien n’empêchera, madame, dit-il, quece sale gosse vous ait aimée… et rien ne dit qu’il ne vous aimerapas encore !

Diane, maintenant, riait, riait.

– Ah ! bah ! Et quand ? Etquand ?

Elle continuait à rire.

Il résolut d’être de la dernièreinsolence :

– Quand je pourrai payer vos nuits,madame !

Diane se roulait :

– Il veut me payer mes nuits ! Ilveut me payer mes nuits !

Elle s’avança, les yeux pleins des larmes deson rire :

– Mais tu ne sais pas, petit malheureux,ce qu’elles coûtent, mes nuits ?

– Dites-le.

– Eh bien ! pour toi, cette nuit-làtu entends ? cette nuit, ça ne coûtera que vingt francs… Lesas-tu ?

Et elle repartit, avec son fou rire :

– Il ne les a pas ! Il ne les apas !

De fait, il ne les avait pas. Il étaitécarlate de honte. Il s’enfuit, dégringola l’escalier, arriva surla scène, courut à Martinet, l’emmena.

– Viens ! lui disait-il.Viens ! Je t’expliquerai tout. Mais fuyons ! Oh !fuyons !

Martinet ne voulut pas abandonner Pold. Ilsquittèrent précipitamment l’hôtel ensemble et sautèrent dans unfiacre.

– Où allons-nous ? demandaMartinet.

– Où tu voudras ! Où tuvoudras !

Alors, Martinet se pencha à la portière et ditau cocher : « Rue de Moscou ! Etvite ! »

Le fiacre s’enfonça rapidement dans lanuit.

Diane, quand elle fut seule avec le prince,lui demanda pardon de la scène ridicule à laquelle il avaitassisté.

– Je suis honteuse, dit-elle.

Le prince lui sourit, déposa un baiser sur sonfront et la quitta.

– Habillez-vous, lui recommanda-t-il. Jevous ai retardée.

Il descendit. Il alla sur les pelouses. Ondansait. Une grande gaieté régnait partout. Il considéra lescouples qui valsaient sur le gazon. Les lampes électriquesfaisaient des carrés de clarté et de vastes coins d’ombre. Il étaittout triste. Il s’appuya contre un arbre. Une immense mélancolielui fit courber la tête.

– Ceux-là sont joyeux, dit-il, et il semit à marcher en rêvant…

L’heure du spectacle était venue. Les musiquess’étaient tues. Les groupes s’étaient dirigés vers l’hôtel. Tousles invités emplirent bientôt le grand hall. On se casa comme onput, sur les chaises, sur les banquettes. On monta sur les bancsqui faisaient le tour de la grande salle. Il y en avait encore surles marches de l’escalier qui conduisait à la porte du fond, unevaste porte que masquait une draperie.

Le rideau du théâtre était baissé.

Tout le monde parlait, riait, caquetait. Onfaisait la cour aux femmes, et les femmes se laissaient faire lacour.

Soudain, trois coups sourds furent frappés surla scène. Toute la salle fut plongée dans l’obscurité et le rideause leva.

Vénus, c’était Diane. Une Vénus trop peufemme, trop androgyne, aux flancs étroits.

Elle eut cependant tous les suffrages car elleétait belle, attirante et avait la grâce. Sa nudité en maillotémouvait.

Autour d’elle, quelques demi-déesses, en desposes pleines de nonchaloir, reposaient.

Elles souriaient d’une façon stupide. Ellesavaient l’air bête des oies. Elles aussi regardaient le prince,mais le prince ne les vit pas.

Il y eut des rires dans la salle, car ondétaillait le spectacle. On y découvrait des beautés et on ytrouvait des tares.

On laissa retomber le rideau. Lesapplaudissements le firent remonter. Il retomba.

Soudain, des exclamations venant du hallattirèrent l’attention. Tous les yeux contemplaient la bizarreapparition qui surgissait à la porte du fond, dont la tenture étaitsoulevée au sommet de l’escalier qui conduisait au grand hall…

Alors, deux voix clamèrent, celles du comteGrékoff et du prince Hartmann :

– L’Homme de la Nuit !

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