Un homme dans la nuit

XVII – OÙ L’ON S’APERÇOIT QUE RIEN N’ESTJAMAIS FINI

 

Six ans ont passé. Adrienne mène une vie quisemble paisible ; après bien des hésitations, elle a laissé saLily aller vers Agra, leur sauveur. Ne les a-t-il pas tous sauvésdix fois de la mort ? N’a-t-il point dix fois racheté lescrimes de son monstrueux père ? Leur sauveur n’avaitd’ailleurs pas sauvé qu’eux. Il avait fait évacuer une grandepartie de cette élite du Tout-Paris dont beaucoup ne purents’échapper. Ils étaient venus pour les enfants du peuple ;Paris tout entier s’en émut.

Non loin de la demeure d’Adrienne, Lily et sonmari prennent des rafraîchissements sur la terrasse qui surplombeun verdoyant coteau de la côte normande. Agra se penche vers Lilypour regarder le petit garçon qui sommeille à demi couché sur sesgenoux.

Soudain sort d’un taillis, galopant sur lesvastes espaces verts, un poulain blanc, la crinière au vent et l’onreconnaît déjà la fière allure de Kali.

– Qu’il est vif ! s’écrie Lily,Regarde-le, William, bientôt notre petit bonhomme pourra lemonter.

Le prince Agra, qui a rejeté titre et nom, apris celui de sa mère : Baldwin. Il est devenu propriétaired’un haras important et paraît passer des jours heureux.

Pourquoi, cependant, lit-on une certaineangoisse au fond de ses yeux ?

L’Homme de la nuit est mort lors de cetincendie monstre où ils faillirent être tous carbonisés. Alors, quecraint-il ?

Lily ne se rend compte de rien, elle vit dansun rêve…

Pourtant, le comportement singulier d’Adriennea attiré son attention.

Pold est venu passer quelques jours chez samère, à la suite d’une lettre de sa sœur : « Maman a uneattitude nouvelle qui me surprend. Elle cajolait petit Billy. Cetenfant lui redonnait goût à la vie. Depuis quelque temps, elle s’endétourne presque. Je ne comprends pas… »

Toujours affectueux et prévenant pourAdrienne, son fils est accouru. Les années n’ont rien enlevé àl’entrain du jeune homme. Il a amené les Martinet avec lui.

Ils doivent tous se retrouver chez Williampour déjeuner.

Billy s’est éveillé, a descendu les marches duperron. Il court très vite, trop vite, après quoi ?

Son père ne le quitte pas des yeux.

Lily le lui reproche en riant :

– Mais que veux-tu qu’il luiarrive ? Laisse-le un peu à lui-même.

Adrienne et ses invités les rejoignent. Cesont des exclamations joyeuses entre tous ces êtres enfintranquilles depuis six ans.

– Billy, viens dire bonjour, appelleLily, n’épargnant pas cette vieille coutume à l’enfant, qui vienten manifestant un réel ennui.

Martinet, « qui n’en rate pas une »,fait remarquer que le moutard serait mieux à jouer qu’à leur fairedes « salamalecs ».

– Allons, Martinet, s’exclame Marguerite,on voit bien que tu n’as pas d’enfant à élever ! et, enaparté, si tu avais eu moins de bon vin à cuver… enfin…

On voit que Marguerite, oubliant ses fautespassées, porte à nouveau la culotte.

La table est joliment parée, on s’installe.Billy veut être à tout prix à côté de Martinet.

– Celui-là, il n’est pas embêtant,affirme-t-il avec force.

Billy mange proprement. Quand on sert lespigeons lardés aux petits pois, on lui en donne la moitié d’un.

– Je veux le côté de la tête,insiste-t-il, je veux l’assiette de Martinet !

Ce dernier fait l’échange :

– Voilà, mon petit gars !

William, sévèrement, dit à son fils de setaire. Effectivement, on ne l’entend plus.

On parle de la pouliche qui va mettre bas. Laconversation roule sur les futurs chevaux de course. Pold y estvivement intéressé.

Martinet n’est pas à la conversation, il estfasciné par son jeune voisin…

Celui-ci ne mange pas, il déchiquette lepigeon, il lui a arraché sauvagement la tête. Abandonnantfourchette et couteau, maintenant il introduit ses petits doigtscrochus dans la cavité de chacun des yeux…

Martinet, avec son tact habituel,s’esclaffe :

– Mais il a des instincts de tortionnairece petit gamin-là ! Vous n’en avez pas fini avec lui…

Surpris de n’entendre aucun écho à saplaisanterie, il regarde autour de lui et, dans un éclair, comprendtrop tard tous les regards angoissés des parents, car Lilyelle-même découvre ce qui lui avait échappé jusqu’ici. Le petit estsi occupé qu’il ne s’aperçoit pas que tous sont tournés vers lui,que son père et Adrienne spécialement le considèrent,suffoqués.

Mais Billy lève la tête, le regard devenu duret fiévreux. Un sourire de satisfaction intense, où la cruauté selit plus que l’amusement, se dessine sur son visage vieilliprématurément par ce sourire horrible qui n’est pas celui d’unenfant…

Ce ne sont plus Adrienne et William quil’observent avec acuité, ce sont les yeux de Mary et d’Agra quiapprennent avec terreur ce qu’ils redoutaient obscurément.

L’Homme de la nuit ne serait-il donc pasmort ?

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