Un homme dans la nuit

III – COMME QUOI DIANE N’ATTENDAIT PLUSLE PRINCE AGRA, EN QUOI ELLE AVAIT TORT

 

Tous se bousculaient, se poussaient versl’escalier. La fanfare avait repris sa cacophonie. Dans le désordrede cette sortie de table, Lawrence se trouva, sans qu’il sûtcomment et sans qu’il eût rien fait pour cela, à côté de Diane, quilui prit le bras. Il regarda cette jolie femme et ne lui parla pas,ne lui sourit pas. Ses yeux grands ouverts semblaient ne pointvoir. On le sentait entièrement pris par une pensée profonde quil’absorbait, qui le jetait hors des choses et des gens quil’entouraient.

Diane l’entraîna et il se laissa faire. Ildescendit avec elle dans la salle. Elle le conduisit dansl’obscurité d’un couloir, poussa une porte. Ils entrèrent dans uneloge. Diane referma la porte derrière eux.

Ils n’étaient pas assis que déjà Dianepleurait. Ces pleurs de femme tirèrent Lawrence de son rêve. Il nes’étonna point de se trouver là avec cette femme en larmes.

– Il ne viendra plus ! C’est bienfini maintenant. Au fond, tout au fond, je me moque du prince, etce qui m’ennuie, c’est qu’on se moque de moi, Vous les avezentendues, les bonnes petites amies ?

– Bah ! madame, tout ceci n’a pasd’importance. Mais pourquoi me racontez-vous tout cela, à moi quine vous connais point ?

– Parce que vous ne me le demandez pas.J’aime qu’on ne me fasse point la cour, et avouez que je vous suisparfaitement indifférente.

– Mon Dieu ! oui, madame.

– Vous êtes adorable et si triste !si triste. Je me suis dit : « Tiens, voilà un homme qui ades ennuis : je vais aller lui conter les miens. »Maintenant que c’est fait, j’écoute les vôtres.

– C’est charmant, dit Lawrence. Vousmettez tout de suite les gens à… votre aise. Je n’ai pas desennuis, madame : j’ai de l’ennui.

– Et de quoi, monsieur ?

– De me trouver ici. C’est pourquoi jem’en vais.

– Mais vous êtes insolent… Comme c’estdrôle !

– Non, madame. Ce n’est point votrecompagnie qui me fait fuir, mais celle de tous ces masques, quifont trop de bruit et me donnent mal à la tête.

Diane ne répondit point.

Lawrence l’examinait curieusement, semblant laregarder pour la première fois, lui découvrait de la beauté. Lavoyant silencieuse :

– Vous pensez encore au prince ?

– Plus que jamais ! Vous n’avez pasréussi à me le faire oublier, vous savez ! Tenez, voulez-vousm’arranger la dentelle de mon jabot, que j’ai un peu froissée.

Pour cette opération, Diane avait déboutonnéle haut de son gilet. Les doigts de Lawrence frôlèrent une peau decourtisane. Il rougit.

– Non… Vous rougissez ! Ah ! onvoit bien que vous n’avez pas l’habitude des femmes, vous !Connaissez pas la noce, hein ? la haute noce ! Vous voilàtroublé comme un collégien. Qui aurait dit cela à vous voir sidédaigneux tout à l’heure, avec vos paroles d’orgueil ? Jeconnais cela, mon petit. On est timide avec les femmes. Ehbien ! en avez-vous fini avec ce jabot ? Vos doigtstremblent.

– N’abusez point, madame, de moninnocence, fit Lawrence en souriant. C’est vrai, je suis unchaste.

– Dites donc, ce sera terrible, vous,quand vous aurez fini d’être chaste.

Diane le regarda longuement :

– Savez-vous que vous êtes très bien, moncher, et que le costume d’Hamlet vous sied à merveille ? Ilest bien le cadre qu’il faut à votre pâleur et à votre ennui. Maisvenez donc vous distraire dans quinze jours chez moi, venez voirmes « tableaux vivants ».

Lawrence se récria :

– Oh ! madame, ne me débauchezpas ! Je suis couché tous les soirs à dix heures.

Diane mit ses bras au cou deLawrence :

– Acceptez… C’est dit, n’est-cepas ?

Lawrence rougit encore.

– J’irai, madame, puisque tel est votrebon plaisir.

Il eut un geste résolu, s’arrêta à lacontemplation de Diane, se rejeta dans la foule qui obstruaitl’entrée du foyer. Il se traça un rapide chemin dans cette foule,arriva à un escalier, le descendit, prit son pardessus au vestiaireet gagna la porte de sortie sur le boulevard.

Il était si occupé par la pensée qu’il avaitde fuir, et de fuir immédiatement, qu’il ne prêta nulle attentionau bruit qui se faisait autour de lui, au mouvement très prononcédes groupes poussés par la curiosité vers un nouvel arrivant.

Et Lawrence était déjà sur le trottoir aumoment où, sur le seuil du foyer, la voix du directeur desVariétés-Parisiennes se faisait entendre :

– Mesdames et messieurs, permettez-moi devous présenter mon hôte, le prince Agra !

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