Un homme dans la nuit

V – HEURE TRAGIQUE

 

Quand on eut terminé le repas, M. etMme Martinet, accompagnés de Pold, s’en furenterrer dans les bois.

Adrienne resta aux Volubilis. Elle monta à lachambre qu’habitait Lily. Elle resta en face d’un portrait de safille un temps infini.

Elle descendit enfin au salon et fit demanderPold.

Pold venait justement de rentrer de sapromenade avec le ménage Martinet. Il vint au salon rejoindre samère.

Il fut frappé, en entrant, de la façon dontelle lui dit de s’asseoir et du ton qu’elle prit pour lui annoncerqu’elle avait des choses fort importantes à lui dire.

Il s’assit. La période terrible qu’il venaitde traverser l’avait rendu quelque peu fataliste. Il s’attendait àun nouveau coup du sort et ne cherchait point à s’y dérober. À voirsa mère, il était évident qu’il ignorait encore toute l’étendue dela catastrophe qui les avait frappés et qu’elle allait la luiapprendre.

– Sais-tu bien, mon enfant, dit Adrienne,quelle fut la cause de nos malheurs ?

– Oui, ma mère, je le sais.

– Parle.

– C’est moi, ma mère, qui fus la cause detous nos malheurs.

– Non, mon enfant. Que ton cœur serassure, et ne te crée point d’injustes remords. Tu ne fus qu’unevictime, comme les autres… Mais une victime de qui, lesais-tu ?…

– Une victime de cette femme que j’eus lafolie d’aimer… de cette Diane que mon père a châtiée avant demourir…

– Tu te trompes encore, mon fils… Cettefemme ne fut qu’une victime elle-même de celui dont je te parle… etque tu n’as point deviné… Écoute-moi bien, Pold, et souviens-toi…La cause de tous nos malheurs est cet homme que tu as vuquelquefois ici, de cet être à l’aspect féroce, qui s’est dit l’amide ton père, de cet Arnoldson, qui habitait la villa des Pavots etque l’on appelle quelquefois l’Homme de la nuit !…

– Ah ! s’écria Pold, Diane mel’avait dit… Mais je ne l’avais point cru… car il fut toujoursd’une grande amabilité pour moi, ma mère, et je ne pouvais prévoirses desseins… Faut-il vous dire qu’aujourd’hui encore je ne lescomprends pas ?… Cet homme nous hait, m’a dit Diane ; ilnous poursuit de sa haine, prétendez-vous, ma mère. Mais quel estdonc cet homme ? D’où vient-il ? Que nous veut-il ?Il y a trois mois, nous ne le connaissions pas… Vous ne l’aviezjamais vu… Il nous ignorait… et… nous ne lui avons rien fait…n’est-ce pas, ma mère ?…

– Non, nous ne lui avons rien fait… et,il y a trois mois, en effet, nous ne le connaissions pas…

– Alors ?

– Alors, depuis trois mois, Arnoldson aosé lever les yeux sur ta mère !

Pold se leva et regarda Adrienne,épouvanté.

– Comprends bien, mon Pold, qu’il fautque je te dise tout et que l’heure est venue où il faut que tusaches tout !… Je n’ai plus personne pour me protéger quetoi.

Pold dit :

– Malheur à ce misérable… si vous ne meretenez pas, je le tuerai.

– C’est bien, mon fils, c’estbien !

– J’ai soif de nous vengertous !

– Je te dis ceci, fit Adrienne, je te disque ta mère, demain soir, ira racheter sa fille…

Elle exhala, la voix à peineaudible :

– Pold, je vais revoir cette homme, jevais le revoir demain.

– Où allez-vous le revoir, mamère ?

– À l’auberge Rouge… où il m’a donnérendez-vous…

– Et vous allez au rendez-vous de cethomme, ma mère ? s’écria Pold.

– J’y vais, Pold.

– Et pourquoi ?

– Parce qu’il le veut !

– Et pourquoi faites-vous ce qu’ilveut ?

– Parce que, mon fils, déclara Adrienned’une voix lente, il y va de la vie et de l’honneur de tasœur !…

Pold se passa les mains sur le front.

– … Que voulez-vous dire ?… Nem’avez-vous pas annoncé, pendant ma maladie, que Lily était en cemoment au sein d’une famille amie… et qu’elle reviendrait bientôt…et qu’on s’efforçait là-bas de la consoler… de la distraire un peude la douleur qu’elle a ressentie de la mort de monpère ?…

– Lily ignore sans doute que son pèren’est plus de ce monde, Pold !

– Que me dites-vous là ?

– Je te dis que Lily, dans cette nuitterrible où le même drame nous faisait, à tous, fuir le bois deMisère, je te dis que Lily nous a été ravie ici, volée !…

– Volée !… s’exclama Pold.

– Oui, mon fils. Et sais-tu dans quellesmains elle se trouve ?… Sais-tu dans quels bras elle va tomberpeut-être ?…

– Parlez !

– Dans les bras du prince Agra !… Etsais-tu qui est le prince Agra ?… Le fils d’Arnoldson !…Il n’attend qu’un mot de son père pour abuser de mon enfant…

– Horreur !… s’écria Pold.

– Et sais-tu, continua Adrienne, sais-tuquand ce mot doit être prononcé ?… Il doit l’être demain soirsi ta mère ne va point l’étouffer sur les lèvres de l’Homme de lanuit ! Tu vois bien qu’il faut que j’y aille, à l’aubergeRouge !

– Ah ! ce mot ! fit le jeunehomme avec un éclat sauvage, ce mot, toi ou moi, nous le lui feronsrentrer dans la bouche à coups de poignard !

– Hélas ! comprends donc, que nousne pouvons rien contre cet homme qui peut tout contre Lily… Si nousfrappons Arnoldson, nous donnons nous-mêmes le signal de la pertede Lily… Il m’en a prévenue… Il a tout prévu… tout…

– Alors, que faisons-nous ? Et quevoulez-vous de moi ?…

– Je te dis ceci, fit Adrienne. Je te disque ta mère, demain soir, ira racheter sa fille… quel que soit leprix qu’on lui en demande… mais, quand elle l’aura, quand sa fillen’aura plus rien à redouter de ce monstre… alors, toi, tu letueras !… Je n’ai plus rien à te dire, Pold.

– Ma mère, fit Pold, combien simple etfacile m’apparaît l’accomplissement de ce terrible devoir… à côtéde la tâche que vous allez entreprendre !…

– Allons, fit-elle, du courage et prionsjusqu’à l’heure où j’irai à l’auberge Rouge…

Mais la porte du salon s’ouvrit alors, et unevoix éclata :

– Vous n’irez pas, madame ! Vousn’irez pas à l’auberge Rouge !

Pold et Adrienne se retournèrent vers laporte, épouvantés par la puissance de ces paroles.

– Le prince Agra ! s’écria Pold enbondissant sur lui.

Le prince fit un pas à sa rencontre etdit :

– Oui ! le prince Agra !… quivous ramène Lily !…

Et il n’avait pas plus tôt terminé ces parolesque Lily faisait irruption dans le salon, avec des cris joyeux, etse précipitait dans les bras de sa mère et de Pold.

Auteurs::

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer