Georges

Chapitre 11Le prix des nègres

Au même instant, deux hommes accoururent quiavaient vu, du point supérieur de la rivière, une partie de lascène qui venait de se passer : c’étaientM. de Malmédie et Henri.

La jeune fille s’aperçut alors qu’elle était àmoitié nue, et, rougissant à l’idée qu’elle avait été vue ainsi,elle appela la vieille mulâtresse, passa un peignoir, et,s’appuyant sur le bras de ma mie Henriette, encore toute palpitantede terreur, elle s’avança vers son oncle et son cousin.

Ils étaient arrivés, en suivant la piste del’animal, jusqu’au bord de la rivière, juste au moment oùretentissait la double détonation du fusil de Georges ; leurpremier mouvement avait été de croire que c’était un de leurscompagnons qui faisait feu sur le cerf ; ils avaient doncporté les yeux vers l’endroit d’où le bruit était venu, et, commenous l’avons dit, ils avaient vu de loin et vaguement une partie dece que nous venons de raconter.

Derrière MM. de Malmédie venait lereste des chasseurs.

Sara et ma mie Henriette se trouvèrent bientôtle centre du rassemblement. On les interrogea alors sur ce quis’était passé, mais ma mie Henriette était encore trop troublée ettrop émue répondre ; ce fut Sara qui raconta toute lachose.

Il y a loin d’avoir été témoin d’une scèneaussi terrible que celle que nous avons essayé de retracer tout àl’heure, d’en avoir suivi tous les détails d’un œil épouvanté, oud’en entendre le récit, fût-ce de la bouche de celle qui a faillien être la victime, fût-ce sur le théâtre même où elle s’étaitpassée ; cependant, comme la fumée des coups de fusil était àpeine dissipée, comme le cadavre du monstre était encore là,flottant et frémissant des convulsions de l’agonie, la narration deSara produisit un grand effet. Chacun regretta galamment de ne pass’être trouvé à la place de l’inconnu ou du nègre. Chacun assuraqu’il eût, certes, visé aussi juste que l’un, ou nagé aussivigoureusement que l’autre. Mais à toutes ces protestationsd’adresse et de dévouement, une voix secrète répondaitintérieurement dans le cœur de Sara : « Il n’y avaitqu’eux qui pussent faire ce qu’ils ont fait. »

En ce moment, on entendit, à la voix deschiens, que le cerf était aux abois. On sait quelle fête c’est pourde vrais chasseurs que d’assister à l’hallali d’un animal qu’ilsont courre toute une matinée. Sara était sauvée, Sara n’avait plusrien à craindre. Il était donc inutile de perdre en doléances, surun accident qui, au bout du compte, n’avait eu aucune suitefâcheuse, un temps qu’on pouvait si bien occuper ailleurs ;deux ou trois chasseurs des plus éloignés de la jeune filles’éclipsèrent, filant du côté d’où venait le bruit ; quatre oucinq autres les suivirent. Henri fit observer qu’il serait impoliqu’il n’accompagnât point ceux qu’il avait invités et auxquels ildevait faire jusqu’à la fin les honneurs de son domaine ; aubout de dix minutes, il ne restait plus près de Sara et de ma mieHenriette que M. de Malmédie.

Tous trois rentrèrent à l’habitation, où unsucculent dîner attendait les chasseurs, qui ne tardèrent pas àarriver, Henri en tête ; il apportait galamment à sa cousinele pied du cerf qu’il avait coupé lui-même, afin de le lui offrircomme un trophée. Sara le remercia de cette gracieuse attention,et, de son côté, Henri la félicita de ce que ses belles couleursétaient si complètement revenues, qu’on eût dit, à la voir, qu’ilne s’était absolument rien passé d’extraordinaire ; les autreschasseurs se réunirent à Henri et firent chorus.

Le repas fut des plus gais. Ma mie Henriettedemanda la permission de ne pas y assister ; la pauvre femmeavait eu si grand-peur, qu’elle se sentait prise de la fièvre.Quant à Sara, elle était véritablement, à l’extérieur du moins,comme l’avait dit Henri, d’une tranquillité parfaite, et elle fitles honneurs du dîner avec la grâce qui lui était habituelle.

Au dessert, on porta plusieurs toasts parmilesquels, il est juste de le dire, quelques-uns firent allusion àl’événement de la matinée ; mais, dans ces toasts, il ne futquestion ni du nègre inconnu ni du chasseur étranger ; toutl’honneur du miracle fut rapporté à la Providence, qui voulaitconserver à M. de Malmédie et à Henri une nièce et unefiancée si tendrement chérie.

Mais si, dans l’intervalle des toasts,personne ne souffla le mot sur Laïza et sur Georges, dont nul, aureste, ne connaissait les noms ; chacun en revanche parlalonguement de ses prouesses personnelles, et Sara, avec une ironiecharmante, distribua à chacun la part d’éloges qui lui était duepour son adresse et pour son courage.

Comme on se levait de table, le commandeurentra ; il venait annoncer à M. de Malmédie qu’unnègre qui avait essayé de fuir avait été rattrapé et venait d’êtreramené au camp. Comme c’était une de ces choses qui arrivent tousles jours, M. de Malmédie se contenta de répondre.

– C’est bon, qu’on lui donne la correctionordinaire.

– Qu’est-ce donc, mon oncle ? demandaSara.

– Rien, mon enfant, ditM. de Malmédie.

Et l’on reprit la conversationinterrompue.

Dix minutes après, on annonça que les chevauxétaient prêts. Comme le dîner et le bal de lord Murrey étaient pourle lendemain, chacun était désireux d’avoir toute la journée pourse préparer à cette solennité ; il avait donc été convenu quel’on reviendrait à Port-Louis aussitôt après le dîner.

Sara passa dans la chambre à coucher de ma mieHenriette : la pauvre gouvernante, sans être sérieusementmalade, était encore tellement agitée, que Sara exigea qu’ellerestât à la rivière Noire ; Sara, d’ailleurs, gagnait quelquechose à ce séjour prolongé. Au lieu de revenir en palanquin, ellerevenait à cheval.

Comme la cavalcade sortait, Sara vit trois ouquatre nègres occupés à dépecer le requin ; la mulâtresse leuravait indiqué où ils trouveraient le corps de l’animal, et ilsétaient allés le pécher pour en faire de l’huile.

En approchant des Trois-Mamelles, leschasseurs virent de loin tous les nègres rassemblés. Arrivés aulieu du rassemblement, ils reconnurent qu’il était causé parl’attente d’une exécution, l’habitude étant, dans les occasionspareilles, de réunir tous les noirs de l’habitation, et de lesforcer d’assister au châtiment de celui de leurs compagnons qui acommis une faute.

Le coupable était un jeune homme de dix-septans, qui attendait, lié et garrotté, près de l’échelle sur laquelleil devait être étendu, l’heure fixée pour sa punition : cetteheure, sur la prière instante d’un autre nègre, avait été retardéejusqu’au moment du passage de la cavalcade, le noir qui avaitsollicité cette grâce ayant dit qu’il avait à faire une révélationimportante à M. de Malmédie.

En effet, au moment oùM. de Malmédie arrivait en face du patient, un nègre quiétait assis près de ce dernier, occupé à panser une blessure qu’ilavait reçue à la tête, se leva et s’approcha du chemin ; maisle commandeur lui barra le passage.

– Qu’y a-t-il ? demandaM. de Malmédie.

– Monsieur, dit le commandeur, c’est le nègreNazim qui va recevoir les cent cinquante coups de fouet auxquels ila été condamné.

– Et pourquoi a-t-il été condamné à recevoircent cinquante coups de fouet ? demanda Sara.

– Parce qu’il s’est sauvé, répondit lecommandeur.

– Ah ! ah ! dit Henri, c’est celuidont on est venu nous dénoncer l’évasion ?

– Lui-même.

– Et comment l’avez-vous rattrapé ?

– Oh ! mon Dieu ! c’est biensimple : j’ai attendu le moment où il était déjà trop loin durivage pour le regagner, soit à la rame, soit à la nage ;alors je me suis mis dans une bonne chaloupe avec huit rameurs pouraller à sa poursuite. En doublant le cap du sud-ouest, nous l’avonsaperçu à deux lieues en mer, à peu près. Comme il n’avait que deuxbras et que nous en avions seize ; comme il n’avait qu’unméchant canot, et que nous avions une excellente pirogue, nousl’avons eu bientôt rejoint. Alors il s’est jeté à la nage, essayantde regagner l’île, et plongeant comme un marsouin ; mais,enfin, il s’est lassé le premier, et, comme cela devenait fatigant,j’ai pris l’aviron des mains d’un rameur et, au moment où ilrevenait à la surface de l’eau, je lui en ai allongé sur la tête uncoup si bien appliqué, que j’ai cru que, cette fois-là, il avaitplongé pour toujours. Cependant, au bout d’un instant, nous l’avonsvu remonter, il était évanoui. Ce n’est qu’au morne Brabant qu’il arepris ses sens, et voilà.

– Mais, dit vivement Sara, ce malheureux étaitpeut-être grièvement blessé.

– Oh ! mon Dieu, non, Mademoiselle,reprit le commandeur, une égratignure seulement. Ces diables denègres, c’est douillet comme tout.

– Et alors, pourquoi avoir tant tardé à luiadministrer la correction qu’il a si bien méritée ? ditM. de Malmédie. D’après l’ordre que j’ai donné, celadevrait être déjà fait.

– Et cela serait fait aussi, Monsieur,répondit le commandeur, si son frère, qui est un de nos bonstravailleurs n’avait assuré qu’il avait quelque chose d’important àvous dire avant que cet ordre fût exécuté. Comme vous deviez passerprès du camp, et que c’était un retard d’un quart d’heureseulement, j’ai pris sur moi de surseoir.

– Et vous avez bien fait, commandeur, ditSara. Et où est-il ?

– Qui ?

– Le frère de ce malheureux ?

– Oui, où est-il ? demandaM. de Malmédie.

– Me voici, dit Laïza en s’avançant.

Sara jeta un cri de surprise : ellevenait de reconnaître, dans le frère du condamné, celui qui s’étaitsi généreusement dévoué le matin pour lui sauver la vie. Cependant,chose étonnante, le nègre n’avait pas jeté un coup d’œil de soncôté, le nègre semblait ne pas la connaître ; le nègre, aulieu d’implorer son entremise comme il avait certes bien le droitde le faire, continuait de s’avancer vers M. de Malmédie.Il n’y avait pourtant pas à s’y tromper ; les plaiesqu’avaient laissées à son bras et à sa cuisse les dents du requinétaient encore vives et saignantes.

– Que veux-tu ? ditM. de Malmédie.

– Vous demander une grâce, répondit Laïza àvoix basse, afin que son frère, qui était à vingt pas de là, gardépar les autres nègres, ne l’entendît pas.

– Laquelle ?

– Nazim est faible, Nazim est un enfant, Nazimest blessé à la tête et a perdu beaucoup de sang ; Nazim n’estpeut-être pas assez fort pour supporter la punition qu’il améritée ; il peut mourir sous le fouet, et vous aurez perdu unnègre qui, à tout prendre, vaut bien deux cents piastres…

– Eh bien, où veux-tu en venir ?

– Je veux vous proposer un échange.

– Lequel ?

– Faites-moi donner, à moi, les cent cinquantecoups de fouet qu’il a mérités. Je suis fort, je lessupporterai ; et cela ne m’empêchera pas d’être demain à montravail comme d’habitude, tandis que lui, je vous le répète, c’estun enfant, en mourrait.

– Cela ne se peut pas, réponditM. de Malmédie, tandis que Sara, les yeux toujours fixéssur cet homme, le regardait avec le plus profond étonnement.

– Et pourquoi cela ne se peut-ilpas ?

– Parce que ce serait une injustice.

– Vous vous trompez, car c’est moi qui suis levéritable coupable !

– Toi !

– Oui, moi, dit Laïza ; c’est moi qui aiexcité Nazim à fuir, c’est moi qui ai creusé le canot dont il s’estservi, c’est moi qui lui ai rasé la tête avec un verre debouteille, c’est moi qui lui ai donné de l’huile de coco pour sefrotter le corps. Vous voyez donc bien que c’est moi qui dois êtrepuni et non pas Nazim.

– Tu te trompes, répondit Henri se mêlant àson tour à la discussion. Vous devez être punis tous les deux, luipour avoir fui, toi pour l’avoir aidé à fuir.

– Alors, faites-moi donner, à moi, les troiscents coups de fouet, et que tout soit dit.

– Commandeur, dit M. de Malmédie,faites donner à chacun de ces drôles cent cinquante coups de fouet,et que cela finisse.

– Un instant, mon oncle, dit Sara ; jeréclame la grâce de ces deux hommes.

– Et pourquoi cela ? demandaM. de Malmédie étonné.

– Parce que cet homme est celui qui, ce matin,s’est si bravement jeté à l’eau pour me sauver.

– Elle m’a reconnu ! s’écria Laïza.

– Parce que, au lieu d’une punition qu’ilmérite, c’est une récompense qu’il faut lui accorder, s’écriaSara.

– Alors, dit Laïza, si vous croyez que j’aimérité une récompense, accordez-moi la grâce de Nazim ?

– Diable ! diable ! ditM. de Malmédie, comme tu y vas ! Est-ce toi qui assauvé ma nièce ?

– Ce n’est pas moi, répondit le nègre ;sans le jeune chasseur, elle était perdue.

– Mais il a fait ce qu’il a pu pour me sauver,mon oncle, mais il a lutté contre le requin, s’écria la jeunefille. Eh ! tenez, voyez, voyez ses blessures qui saignentencore.

– J’ai lutté contre le requin, mais à moncorps défendant, reprit Laïza. Le requin est venu sur moi, et j’aidû le tuer pour me sauver moi-même.

– Eh bien, mon oncle, me refuserez-vous leurgrâce ? demanda Sara.

– Oui, sans doute, réponditM. de Malmédie ; car, s’il y avait une fois exemplede grâce faite en pareille occasion, ils s’enfuiraient tous cesmoricauds-là, espérant toujours qu’il y aura quelque jolie bouchecomme la vôtre qui intercédera pour eux.

– Mais, mon oncle…

– Demande à tous ces messieurs si la chose estpossible, dit M. de Malmédie en se retournant avecl’accent de la confiance vers les jeunes gens qui accompagnaientson fils.

– Le fait est, répondirent ceux-ci, qu’unepareille grâce serait d’un désastreux exemple.

– Tu le vois, Sara.

– Mais un homme qui a risqué sa vie pour moi,dit Sara, ne peut cependant pas être puni le jour même où il l’arisquée ; car, si vous lui devez une punition, je lui dois,moi, une récompense.

– Eh bien, à chacun notre dette, quand jel’aurai fait punir, toi, tu le récompenseras.

– Mais, mon oncle que vous importe, au bout ducompte, la faute que ces malheureux ont commise ? quel tortvous fait-elle ? puisqu’ils n’ont pas pu exécuter leurprojet ?

– Quel tort elle me fait ? Mais elle leurôte une partie de leur valeur. Un nègre qui a essayé de se sauverperd cent pour cent de son prix. Voilà deux gaillards qui valaienthier, celui-ci cinq cents, et celui-là trois cents piastres,c’est-à-dire huit cents piastres. Eh bien, que j’aille en demandersix cents aujourd’hui, on ne me les donnera pas.

– Le fait est que, moi, je n’en donnerais passix cents piastres maintenant, dit un des chasseurs quiaccompagnaient Henri.

– Eh bien, Monsieur, je serai plus généreuxque vous, dit une voix dont l’accent fit tressaillir Sara, moi,j’en donne mille.

La jeune fille se retourna et reconnutl’étranger de Port-Louis, l’ange libérateur du rocher.

Il était debout, vêtu d’un élégant costume dechasse et appuyé sur son fusil à deux coups. Il avait toutentendu.

– Ah ! c’est vous, Monsieur, ditM. de Malmédie, tandis qu’un sentiment, dont Henri nepouvait se rendre compte, lui faisait monter la rougeur auvisage ; recevez, d’abord, tous mes remerciements, car manièce m’a dit qu’elle vous devait la vie, et, si j’avais su où voustrouver, je me serais empressé de vous voir, non pour m’acquitterenvers vous, Monsieur, c’est impossible, mais pour vous exprimertoute ma reconnaissance.

L’étranger s’inclina sans répondre, avec unair de dédaigneuse modestie qui n’échappa point à Sara. Aussis’empressa-t-elle d’ajouter :

– Mon oncle a raison, Monsieur ; depareils services ne se payent point ; mais soyez certain que,tant que je vivrai, je me rappellerai que c’est à vous que je doisla vie.

– Deux charges de poudre et deux balles deplomb ne valent pas de pareils remerciements, Mademoiselle ;je me regarderai donc comme bien heureux si la reconnaissance deM. de Malmédie va jusqu’à me céder, pour le prix que jelui en ai offert, ces deux nègres dont j’ai besoin.

– Henri, dit à demi-voixM. de Malmédie, ne nous a-t-on pas dit, avant hier, qu’ily avait en vue de l’île un bâtiment négrier ?

– Oui, mon père, répondit Henri.

– Bien, continua M. de Malmédie separlant cette fois à lui-même, bien ! nous trouverons moyen deles remplacer.

– J’attends votre réponse, Monsieur, ditl’étranger.

– Comment donc, Monsieur, mais avec le plusgrand plaisir. Ces nègres sont à vous, vous pouvez lesprendre ; mais, à votre place, voyez-vous, quitte à ce qu’ilsne travaillent pas de trois ou quatre jours, je leur feraisadministrer, aujourd’hui même, la correction qu’ils ontméritée.

– Ceci, c’est mon affaire, dit l’inconnu ensouriant ; les mille piastres seront chez vous ce soir.

– Pardon, Monsieur, dit Henri, vous vous êtestrompé : l’intention de mon père est, non pas de vous vendreces deux hommes, mais de vous les donner. L’existence de deuxmisérables nègres ne peut pas être mise en comparaison avec une vieaussi précieuse que l’est celle de ma belle cousine. Maislaissez-moi vous offrir, au moins, ce que nous avons et ce que vousparaissez désirer.

– Mais, Monsieur, dit l’étranger en relevantla tête avec hauteur, tandis que M. de Malmédie faisait àson fils une grimace des plus significatives, ce n’étaient point lànos conventions.

– Eh bien, alors, dit Sara, permettez-moi d’ychanger quelque chose, et, pour l’amour de celle à qui vous avezsauvé la vie, prenez ces deux nègres que nous vous offrons.

– Je vous remercie, Mademoiselle, ditl’étranger ; il serait ridicule à moi d’insister davantage.J’accepte donc, et c’est moi, maintenant, qui me regarde commevotre obligé.

Et l’étranger, en signe qu’il ne voulait pasretenir plus longtemps l’honorable compagnie sur une grande route,fit, en s’inclinant, un pas en arrière.

Les hommes échangèrent un salut ; maisSara et Georges échangèrent un regard.

La cavalcade se remit en route et Georges lasuivit un instant des yeux avec ce froncement de sourcils qui luiétait habituel quand une pensée amère le préoccupait ; puis,s’approchant de Nazim :

– Faites délier cet homme, dit-il aucommandeur ; car lui et son frère m’appartiennent.

Le commandeur, qui avait entendu laconversation de l’étranger et de M. de Malmédie, ne fitaucune difficulté d’obéir. Nazim fut donc délié et remis avec Laïzaà son nouveau maître.

– Maintenant, mes amis, dit l’étranger en setournant vers les nègres et en tirant de sa poche une bourse pleined’or, comme j’ai reçu un cadeau de votre maître, il est juste que,de mon côté, je vous fasse un petit présent. Prenez cette bourse etpartagez entre vous ce qu’elle contient.

Et il remit la bourse au nègre qui se trouvaitle plus proche de lui ; puis, se tournant vers ses deuxesclaves, qui, debout derrière lui, attendaient sesordres :

– Quant à vous deux, leur dit-il, faitesmaintenant ce que vous voudrez, allez où vous voudrez, vous êteslibres.

Laïza et Nazim poussèrent chacun un cri dejoie mêlé de doute, car ils ne pouvaient croire à cette générositéde la part d’un homme auquel ils n’avaient rendu aucunservice ; mais Georges répéta les mêmes paroles, et alorsLaïza et Nazim tombèrent à genoux, baisant, avec un élan dereconnaissance impossible à décrire, la main qui venait de lesdélivrer.

Quant à Georges, comme il commençait à sefaire tard, il remit sur sa tête son grand chapeau de paille qu’ilavait jusque-là tenu à la main, et, jetant son fusil sur sonépaule, il reprit le chemin de Moka.

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