Je dis non

Chapitre 10ON CHERCHE LA VÉRITÉ

« Qu’allons-nous faire maintenant ?Oh ! monsieur Morris, vous qui avez vu des gens de toutesorte, qui avez toute l’expérience qui me manque, donnez-moi unconseil. »

Émily oubliait qu’elle s’adressait à un hommeamoureux d’elle ; elle oubliait tout, excepté le choc violentcausé à mistress Rook par la vue du médaillon et la conclusionvaguement alarmante qui en résultait.

Dans son anxiété, elle prit le bras d’Albanaussi familièrement que s’il eût été son frère. Lui, de son côté,s’efforça de la calmer doucement.

« Nous ne pourrons prendre aucunerésolution sérieuse si nous manquons de sang-froid, fit-il ;pardon de vous dire cela, mais votre agitation ne nous mènerait àrien. »

Cette agitation avait une cause ignoréed’Alban.

Son entrevue nocturne avec miss Jethrorevenait à l’esprit d’Émily et doublait la force des soupçonsexcités par la conduite de mistress Rook. En moins de vingt-quatreheures, la jeune fille s’était trouvée en contact avec deux femmesque le souvenir de son père faisait reculer d’effroi. Quel mal cesfemmes lui avaient-elles fait ? De quelle infamie ce nombien-aimé, cette mémoire sans tache les faisait-elles rougir ?Qui sonderait ce mystère !

« Qu’est-ce que cela signifie ?s’écria-t-elle avec angoisse. Vous avez fait des suppositions,j’imagine. Qu’est-ce que cela signifie ?

– Venez vous asseoir, miss Émily, nouschercherons une solution ensemble. »

Ils revinrent à leur fraîche solitude sous lesarbres. Au loin, du côté de la façade de la maison, le grincementdes roues sur le sable annonçait que les convives de miss Laddcommençaient à arriver et que par conséquent les cérémoniesrécréatives qui solennisaient ce grand jour ne tarderaient pas àavoir lieu.

« Il faut nous éclairer mutuellement,reprit Morris. Au premier abord, quand je vous ai parlé de mistressRook, vous m’avez dit que miss Cécilia Wyvil savait quelque chosed’elle. Auriez-vous de la répugnance à me transmettre lesrenseignements qu’elle vous a donnés ? »

Émily répéta au professeur ce que Céciliaavait, le matin même, raconté à Francine. Alban sut comment Émilyavait obtenu un emploi chez sir Jervis, comment les Rook étaientconnus du père de Cécilia pour avoir tenu une auberge dans sonvoisinage, et finalement comment ils avaient été ruinés par cemeurtre commis sous leur toit.

Alban, qui avait écouté en silence, ne sortitpoint de son mutisme lorsque le récit d’Émily fut achevé.

« N’avez-vous rien à me dire ? fitla jeune fille.

– Je réfléchis à ce que je viensd’entendre, » répliqua-t-il.

Il y avait dans son accent et ses manières unecertaine raideur dont la jeune fille fut froissée. Il semblait nelui avoir répondu que par politesse, tandis que sa pensées’occupait de tout autre chose.

« Vous semblez désappointé, luidit-elle.

– Au contraire, vous m’avez intéressé. Jecherche à me résumer nettement tout ce que vous venez de me dire.Par exemple, votre amitié pour miss Cécilia ?… Elle a prisnaissance ici même ?

– Oui.

– Ce meurtre commis dans une auberge devillage, à quelle époque remonte-t-il ? ».

C’était toujours l’accent distrait d’un hommequi parle presque machinalement, tandis que sa pensée flotte ouqu’il rumine une idée absorbante.

« Je ne crois pas avoir mentionné la datede ce crime, dont nous n’avons que faire, répondit-elle vivement.Il me semble que Cécilia m’a dit qu’il y a à peu près quatre ansque tout cela s’est passé. Je ne sais pas au juste. D’ailleurs, quevous importe ? Pardon, monsieur Morris, mais vous me paraissezpréoccupé de choses plus intéressantes que mes affaires. Pourquoine pas me l’avoir dit franchement ? Je ne vous aurais pas priéde m’aider. Depuis la mort de mon père, j’ai appris à me débattretoute seule contre la vie. »

Elle s’était levée et le regardaitfièrement ; mais au bout d’une seconde, ses yeux se remplirentde larmes.

Alban lui prit la main, malgré sarésistance.

« Chère miss Émily, vous êtes injuste etvos paroles me blessent douloureusement. Je n’ai pas ici d’autrepréoccupation que vous. »

Il taisait une partie de la vérité ;contrairement à ses habitudes de sincérité absolue, il ne la disaitpas tout entière.

En apprenant que la femme qu’ils quittaient àl’instant avait été aubergiste et qu’un assassinat s’était commischez elle, il en était venu à se demander s’il n’y aurait pas danscette circonstance l’explication du trouble incompréhensible quis’était emparé de mistress Rook à l’aspect du médaillon. Poussé parun soupçon impérieux, il voulait s’assurer si les deux dates, celledu bijou et celle du meurtre accompli à l’auberge étaient lesmêmes. Après quoi, il aurait à s’informer du genre de mort deM. Brown.

Mais il désirait ne pas laisser deviner àÉmily le cours que suivait son raisonnement. Il y avaitparfaitement réussi. Dès qu’elle l’eut entendu dire qu’il nepensait qu’à ce qui l’intéressait elle-même, elle lui demandapardon de son accès de vivacité.

« Si vous avez encore des questions à mefaire, monsieur Morris, j’y répondrai de mon mieux, et je vouspromets de ne plus vous soupçonner injustement. »

Il poursuivit, la conscience légèrement mal àl’aise, car il lui semblait cruel de la tromper, même dans sonintérêt.

« Admettons l’hypothèse que cette femme ajadis lésé votre père d’une façon quelconque. Ai-je raison desupposer qu’il était dans le caractère de M. Brown depardonner les injures ?

– Parfaitement raison.

– En ce cas, sa mort peut avoir laissémistress Rook dans une position embarrassante vis-à-vis de tousceux par qui est vénérée la mémoire de M. Brown, j’entends lesmembres de sa famille.

– Ils ne sont pas nombreux, ceux-là,monsieur Morris. Il ne reste que ma tante et moi.

– Et ses exécuteurstestamentaires ?

– Ma tante était la seule exécutrice.

– La sœur de votre père, jeprésume ?

– Oui.

– Il est possible qu’il lui ait confiédes instructions qui nous seraient fort utiles.

– Je vais écrire pour m’en assurer ;j’ai toujours eu la pensée de consulter ma tante, répondit Émily,qui songeait à miss Jethro.

– Au cas où votre tante n’aurait reçuaucune instruction précise relative à mistress Rook, reprit Alban,elle pourra cependant nous dire si votre père, dans sa dernièremaladie… »

Émily l’interrompit.

« Vous ne savez pas comment mon père estmort ; il a succombé subitement, malgré toutes les apparencesd’une bonne santé, aux suites d’une maladie de cœur.

– Il est mort chez lui ?

– Oui, dans sa propre maison. »

Ces mots fermaient la bouche à Alban.L’investigation si adroitement conduite n’avait point amené derésultat. Maintenant qu’il connaissait comment était mortM. Brown, l’énigme offerte par mistress était plus que jamaisincompréhensible.

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