Je dis non

Chapitre 9LA FUITE

Mirabel rentrait au château ; il étaitassez perplexe. Il se demandait s’il ne ferait pas bien de quitterMonksmoor et de laisser la place à la jalouse Francine, avecl’espoir qu’Émily accepterait l’invitation de sa sœur et qu’il laverrait plus librement sous un autre toit.

Comme il entrait dans le hall, un cridouloureux, jeté par une femme, frappa son oreille. Au mêmeinstant, M. Wyvil, traversant le corridor, se trouvait enprésence de sa fille qui sortait, tout affolée, de la chambred’Émily. Elle pouvait à peine prononcer une parole.

« Partie ! partie ! »c’est tout ce qu’elle put dire.

M. Wyvil prit sa fille dans ses bras.

« Qui est parti ? demanda-t-il.

– Émily ! Émily nous aquittés ! Elle vient de recevoir d’affreuses nouvelles, etelle est partie.

– Quelles nouvelles ? Comment luisont-elles parvenues ?

– Je ne sais pas. J’étais allée au petitsalon pour lui montrer mes roses…

– Était-elle seule ?

– Oui, et elle semblait hors d’elle. Ellem’a dit : « Laissez-moi ! j’ai reçu d’affreusesnouvelles, il faut que je retourne chez moi. » Elle m’aembrassée, et elle a couru s’enfermer dans sa chambre. Ah !j’aurais dû la suivre et ne pas la quitter.

– Est-elle restée seulelongtemps ?

– Je ne sais pas. Je voulais aller voustrouver ; et puis l’inquiétude m’a prise. J’ai frappé à saporte, je suis entrée… Partie ! elle étaitpartie ! »

M. Wyvil sonna et confia Cécilia auxsoins de sa femme de chambre. Sur ces entrefaites, Mirabel l’avaitrejoint dans le corridor, et tous deux descendirent ensemble pourse consulter avec Alban.

Morris voulut partir sur-le-champ pour allers’enquérir de la fugitive à la station du chemin de fer.

M. Wyvil alla aux informations.

Le portier de la grille avait vu passer Émily.Elle courait plutôt qu’elle ne marchait. Alarmé par cette allureinsolite, il s’était permis de l’interpeller. « Y a-t-ilquelque malheur, miss ? » Il n’en avait reçu aucuneréponse. La jeune fille se dirigeait du côté de la station.

M. Wyvil interrogea les domestiques, maissans résultat.

Émily avait reçu de mauvaises nouvelles ;par quelle voie ces nouvelles lui étaient-elles doncparvenues ? C’est ce que chacun se demandait. Le courrier nevenait à Monksmoor qu’une seule fois par jour, et cela dans lamatinée. Avait-on vu quelque messager spécial, porteur d’une lettrepour Émily ? Les domestiques étaient certains qu’aucunétranger n’avait pénétré dans la maison. Il fallait donc enconclure que les nouvelles avaient été transmises de vivevoix ; mais par qui ? Ici encore on ne trouvait nulletrace de l’oiseau de mauvais augure. On n’avait pas reçu de visiteset on n’attendait pas de nouveaux invités.

Alban revint à la gare. Il était arrivé à lastation quelques instants après le départ du train de Londres.L’employé de service reconnut Émily à la description que lui fitAlban : elle avait pris un billet pour Londres. Le chef degare, qui avait ouvert à la jeune fille la portière de son wagon,se souvenait qu’elle paraissait très émue.

Alban, sous le nom de miss Wyvil, avaittélégraphié à Émily la dépêche suivante : « Veuillez nousenvoyer quelques mots ; nous sommes bien inquiets.Pouvons-nous vous servir en quelque chose ? »

Alban, s’excusant auprès de M. Wyvild’abréger sa visite, annonça son intention d’aller à Londres par lepremier train.

On lui parla de l’enquête commencée.

« Il faudrait savoir, dit-il, quelle estla personne qui a entretenu miss Brown en dernier lieu. Nousl’avons, miss Cécilia et moi, laissée seule avec miss deSor. »

Francine venait de rentrer d’une promenadesolitaire dans le parc, et était en train de changer de robe. Elleavait témoigné une vive surprise en apprenant le brusque départd’Émily.

Quand elle descendit, son calme faisait unsingulier contraste avec les figures inquiètes de ceux quil’entouraient. Sa promenade paraissait lui avoir fait grandbien ; elle rayonnait.

« Combien de temps êtes-vous restée avecmiss Brown ? lui demanda M. Wyvil.

– Un quart d’heure tout au plus.

– Il n’y a eu rien de particulier dansvotre conversation ?

– Non, rien. »

Alban jugea bon d’intervenir.

« Avez-vous dit ou fait quelque chosedont miss Brown ait pu s’offenser ? demanda-t-il.

– La question est un peu étrange, ditFrancine.

– N’avez-vous pas d’autre réponse à mefaire ?

– Non ! non ! non ! »cria-t-elle avec une sorte de fureur.

Tant qu’il n’y avait eu que M. Wyvil pourla questionner, Francine s’était prêtée de bonne grâce et sansembarras à l’interrogatoire ; mais lorsque Alban s’en étaitmêlé, elle n’avait plus été maîtresse d’elle-même. Elle sesouvenait qu’il l’avait déjà soupçonnée d’avoir écrit la lettreanonyme. Alban, qui se défiait de son antipathie contre elle, nevoulait pas la juger sans preuves ; mais sa conviction intimefut aussitôt que, d’une façon incompréhensible, mais certaine, elleétait pour quelque chose, sinon pour tout, dans la fuited’Émily.

La réponse à son télégramme n’était pas encorearrivée quand Morris prit congé de ses hôtes. Pour Cécilia,l’attente devenait intolérable. Mirabel, oublieux du rôle deconsolateur qui l’avait rendu si populaire parmi ses fidèles, netrouvait pas un mot qui pût adoucir l’angoisse de la charmantefille de M. Wyvil. Il était trop inquiet lui-même pourdistribuer avec son abondance ordinaire les belles phrases toutesfaites qui lui avaient valu sa réputation d’éloquence. Le sentimentéveillé en son cœur par Émily était le seul sincère que Mirabel eûtjamais connu.

Vers le soir, le télégramme si longtempsdésiré arriva enfin. Il ne contenait que ces mots :

« En sûreté chez moi. Ne vous tourmentezpas à mon sujet. J’écrirai bientôt. »

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