Je dis non

Chapitre 1MIRABEL DISCERNE CLAIREMENT SA VOIE

Quand il fut dans son hôtel et rentré dans sachambre, Mirabel s’y enferma à clef ; puis il baissa lesjalousies de ses fenêtres, afin de ne pas être aperçu de sesvoisins.

Là, dans la solitude et dans les ténèbres, lemalheureux s’assit dans un coin et, les mains sur ses yeux, ils’efforça de réfléchir à ce qui venait de se passer.

Rien, dans le cours de cette fatale entrevueavec Émily, n’avait pu lui donner le plus léger avertissement de cequi allait arriver. Le nom de sa victime, absolument ignoré de luiquand il s’était enfui de l’auberge, n’avait été révélé au publicque par les journaux relatant les détails de l’enquête judiciaire.Au moment où les rapports furent publiés, Mirabel, soigneusementcaché, ne lisait plus aucun journal. Plus tard, lorsque le meurtrefaisait encore le sujet des conversations, il était en France, dansun village ignoré, ne voulant rien voir et rien savoir ; etson séjour sur le continent s’était prolongé jusque dans l’été de1881.

Malgré toutes les ressources de son esprit, iln’entrevoyait pas d’issue à l’affreuse impasse où il s’étaitengagé. Situation horrible ! il avait juré de découvrirl’homme soupçonné du meurtre du père d’Émily, et cet homme n’étaitautre que lui-même !

Que faire ? S’il recourait à la fuite, sadisparition soudaine éveillerait les soupçons et conduiraitpeut-être à une enquête qui, cette fois, aurait pour lui desrésultats funestes.

D’ailleurs, fuir, c’était perdre Émily. Il nela verrait plus jamais ! Chose étrange ! quelle que fûtl’horreur qui bouleversait son être, son amour était encore plusfort que son épouvante.

Était-ce déjà son châtiment ? la mortmême lui paraissait à présent moins terrible que l’idée d’être pourtoujours séparé d’elle.

Au bout d’une heure d’angoisse, il commença àreprendre ses esprits et à réfléchir avec moins de trouble et deconfusion.

Il lutterait, il résisterait. Sa volontérevenait, sa volonté et son audace.

Et déjà il entrevoyait le moyen hardi, nonseulement d’assurer sa sécurité par la fuite, mais d’entraîner aveclui celle qu’il aimait plus que sa vie.

En même temps, il l’isolerait de ses amis, quitous étaient pour lui dangereux et hostiles.

Pour arriver à ce but, il lui fallait unauxiliaire en qui il eût toute confiance. Cet auxiliaire, ill’avait dans le nord de l’Angleterre.

Dans le temps où la jalousie de Francinecommençait à l’importuner, il s’était préparé et arrangé le moyenet l’occasion de voir librement Émily sous un toit qui ne fût paspour lui celui d’un étranger. C’est pourquoi il lui avait dépeintsous les couleurs les plus touchantes le douloureux isolement d’unepauvre malade, de sa sœur, mistress Delvin.

Eh bien, qu’est-ce qui l’empêchait maintenantde profiter d’une première impression si heureusement produite etde hâter la réunion de sa sœur et d’Émily ?

Il se leva rayonnant. L’heure du courriern’était point passée ; il écrivit, séance tenante, à sa sœur,à la confidente intime et fidèle de toutes ses actions, de toutesses pensées.

Après avoir mis sa sœur au fait de ce quivenait de se passer, Mirabel ajoutait :

« … Il se peut, ma chère Agathe, que,dans votre bon sens, vous jugiez mes alarmes exagérées. Deuxpersonnes seulement savent quel est l’homme échappé de l’auberge deZeeland : – vous et miss Jethro. Sur vous je puis comptermieux que sur moi-même, et ce que je sais de miss Jethro n’autorisepas la méfiance envers elle. Je reconnais, j’admets toutcela ; mais je ne puis vaincre l’appréhension que j’ai desamis de miss Brown. Je crains le rusé, le perspicace vieuxdocteur ; je ne suis pas rassuré sur M. Wyvil, et je haisAlban Morris.

» Rendez-moi, chère amie, un immenseservice. Invitez Émily à vous aller voir ; et cela le plus tôtpossible. Séparons-la de toute la bande. Naturellement, la vieillebonne qui la sert sera comprise dans l’invitation. Je soupçonnemistress Ellmother d’être toute dévouée à M. AlbanMorris ; quand nous l’aurons au fond de notre désert, ellesera hors d’état de nous nuire.

» Il n’est pas vraisemblable qu’Émilyrefuse votre invitation. Elle a déjà pour vous un vif intérêt. Jerespecterai minutieusement les convenances, je me garderai de fairele voyage avec elle, je prendrai un autre train. Enfin, je suismaintenant pour elle l’ami, le conseiller, le défenseur.

» Ici je m’arrête. De tous les supplicesqui composent maintenant ma misérable existence, savez-vous,Agathe, quel est le pire ? C’est d’être obligé de la tromper,de lui mentir ! Mais il le faut ! il le faut à moins delui révéler que je suis le misérable qu’elle voudrait arracher auxentrailles de la terre, si d’aventure il s’y était réfugié. Devenirpour elle un objet d’exécration ! ah ! cette seule idéeme rend fou !

» Agathe, oh ! si vous saviez commeje l’aime ! Je n’ai jamais aimé ainsi ! je n’auraisjamais cru pouvoir aimer ainsi ! Il fut un temps où je pensaisque la honte, la mort sur l’échafaud était pour un homme la pluseffroyable perspective qui se pût imaginer. Maintenant je crois queje préférerais l’échafaud et l’opprobre à une vie passée loind’Émily.

» Ah ! ma sœur, quand nous seronsréunis dans notre vieille tour battue des vagues, faites de votremieux, je vous en supplie, afin d’incliner vers moi le cœur decette ravissante fille.

» Oui, oui, il faut qu’elle vienne cheznous ! Si elle restait à Londres, qui me dit que ce Morris nesaurait pas reconquérir la place qu’il a perdue ? Rien que d’ypenser, j’ai comme un vertige.

» Il y a encore une chose dont il fautque je vous parle.

» Dans votre dernière lettre, vous medisiez que sir Jervis Redwood n’en avait plus pour longtemps etqu’après sa mort les gens de sa maison seraient congédiés. Si celaarrivait, tâchez de savoir ce que deviendra le couple Rook. Jecrois bien que, grâce à la transformation complète de ma personne,il n’est pas à redouter que ces gens puissent me reconnaître. Maisil est de la plus grande importance d’empêcher Émily de voir lafemme Rook.

« Elles ont été en correspondance etmistress Rook a exprimé l’intention, si elle en avait un jour lapossibilité, de se présenter au cottage. Encore une raison de plus,et une raison majeure, d’attirer Émily loin de Londres. Nouspourrons aisément consigner les Rook à la porte de notre maison.Mais j’avoue que je me sentirai allègre quand on m’aura dit qu’ilsont quitté le Northumberland. »

Cette confession du frère de mistress Delvinfut mise à la poste à temps pour partir le soir même.

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