Je dis non

Chapitre 5LE DOCTEUR ALLDAY

Tout entier à sa pensée de vaincre la réservede sa visiteuse, le docteur Allday avait entièrement oublié lalettre d’Émily. Il se hâta de l’ouvrir.

« Elle a déjà commencé la revue de sespaperasses, dit-il tout en lisant.

– Alors je ne saurais vous êtreutile, » repartit miss Jethro.

Elle fit de nouveau mine de sortir. Le docteurtournait la seconde page de sa lettre.

« Attendez ! s’écria-t-il, elle atrouvé quelque chose. Et voici ce que c’est. »

Il tenait du bout des doigts un petit impriméqui avait dû être plié entre deux feuillets d’un livre.

« Veuillez, dit-il, jeter un coup d’œilsur ce papier.

– Que cela m’intéresse ou non ?

– Il se peut que vous vous intéressiez aucommentaire qu’y ajoute Émily.

– Vous comptez me montrer salettre ?

– Je compte vous la lire. »

Miss Jethro prit l’imprimé sans autreobservation. Il contenait ce qui suit :

MEURTRE

Cent livres de récompense.

« Le 30 septembre 1877, un meurtre a étécommis à l’auberge aux Mains unies, dans le village deZeeland, Hampshire. La récompense ci-dessus mentionnée sera remiseà la personne ou aux personnes dont les révélations amèneront ladécouverte de l’assassin. Voici son signalement : Nom inconnu.Âge supposé : entre vingt et trente ans. Bien fait et depetite stature. Teint blanc rosé, traits délicats, yeux bleu clair.Cheveux blonds coupés très courts. Point de barbe, d’étroitsfavoris. Mains blanches, petites et de forme gracieuse ; auxdoigts, des bagues de prix. Vêtu d’un élégant costume de touristegris sombre, avec un sac en bandoulière, comme s’il revenait d’uneexcursion à pied. La voix est douce, pleine et sonore. Manièresengageantes. – Pour toutes communications, s’adresser au chefinspecteur, Office de la police métropolitaine. Londres. »

Miss Jethro mit le feuillet de côté sansmanifester d’agitation visible.

Le docteur prit alors la lettre d’Émily et enlut à haute voix le passage suivant :

« … Quand vous aurez parcouru l’impriméci-joint, mon ami, je crois que vous éprouverez un soulagementpresque égal au mien. Je l’ai trouvé entre les pages d’un livre, encompagnie d’annonces bizarres découpées dans les journaux. Mapauvre tante collectionnait tous ces faits divers ; elle enavait l’esprit obsédé ; c’était chez elle une sorte de manie.De là, sans doute, ces exclamations incohérentes qui ont effaré lastupide mistress Mosey. Maintenant je ne crains plus de passer enrevue le reste des papiers… »

Il ne put achever sa phrase. Miss Jethrol’interrompit avec une véhémence qui tranchait singulièrement surla réserve qu’elle avait gardée jusque-là.

« Faites ce que vous disiez,docteur ! s’écria-t-elle. Empêchez-la de pousser sesrecherches plus loin. Si elle hésite à vous écouter, insistez,insistez de toute votre énergie ! »

Enfin le docteur avait triomphé.

« Ç’a été long à venir, dit-il sans sedépartir de son flegme, mais ce n’en est pas moins bien venu.Allons ! miss Jethro, vous redoutez autant que moi lesdécouvertes possibles d’Émily ; seulement, vous savez, vous,ce que vous redoutez ; moi je suis dans les ténèbres.

– Ce que je sais ou ce que je ne sais pasimporte peu, répondit-elle avec aigreur.

– Pardon, c’est très important, aucontraire. Je n’ai aucune autorité sur cette jeune fille. Je nesuis même pas un ami de vieille date. Vous me dites d’insisterénergiquement auprès d’elle pour qu’elle n’examine pas les papiersde sa tante. En ce cas, fournissez-moi le droit de pouvoir déclareren toute sincérité que certaines circonstances connues de moijustifient mon intervention. »

Pour la première fois, depuis le commencementde sa visite, miss Jethro leva son voile et attacha sur le docteurun regard pénétrant.

« Il me semble que je puis avoirconfiance en vous, dit-elle. Écoutez-moi bien. La seuleconsidération qui me décide à ouvrir la bouche, c’est le souci quej’ai de la tranquillité d’Émily. Donnez-moi votre parole d’honneurque vous me garderez le secret.

– Je vous la donne.

– Il faut d’abord que je sache unechose : vous a-t-elle dit, comme à moi il y a quelquessemaines, que son père était mort d’une maladie de cœur ?

– Elle me l’a dit, en effet.

– Lui avez-vous adressé quelquesquestions à ce sujet ?

– Je lui ai demandé à quelle époqueremontait le décès.

– Et elle vous l’a dit ?

– Elle me l’a dit.

– Vous désirez savoir, docteur Allday,quelles découvertes Émily pourrait bien faire dans les papiers desa tante. Il y aurait d’abord celle-ci : c’est qu’on l’atrompée en lui racontant la mort de son père.

– Entendez-vous par là qu’il n’a pascessé de vivre ?

– J’entends qu’elle a été trompée, avecintention, sur le genre de sa mort.

– Quel est le misérable qui lui a fait cemensonge ?

– N’offensez pas les morts,monsieur ! Ce mensonge a pu être uniquement inspiré par latendresse et la compassion. La personne qui l’a pris sur elle n’estautre que la tante d’Émily ; et sa vieille bonne devait êtredans la confidence. »

Elle se tut. Le docteur resta pensif. Elle seleva.

« Vous voilà renseigné maintenant,dit-elle. Rappelez-vous que vous vous êtes engagé sur l’honneur àne répéter notre conversation à âme qui vive ! »

Miss Jethro se dirigeait vers la porte. Ledocteur la suivit.

« Vous oubliez, dit-il, que je ne saispas encore comment le père d’Émily a succombé.

– C’est vrai ; mais moi, je n’airien de plus à vous dire. »

Elle salua gravement et disparut, laissant ledocteur à son inquiétude et à sa curiosité.

Il sonna son domestique. Attendre son heurehabituelle de sortie, tandis que le repos d’Émily était à la mercid’un hasard lui semblait intolérable.

« Je vais au cottage, dit-il audomestique ; si quelqu’un me demande, dites que je serai deretour dans vingt minutes. »

Au moment de sortir il se rappela qu’Émilyréclamerait peut-être son imprimé. Tout en le prenant, il lutmachinalement les premières lignes et alla ainsi jusqu’aubout ; puis il revint à la date du meurtre.

Sa figure rubiconde était devenue toutepâle.

« Bonté divine ! s’écria-t-il, lepère a été assassiné et cette femme a été mêlée àl’affaire ! »

Obéissant à un instinctif besoin d’action, ilmit l’imprimé dans son portefeuille, ramassa la carte que savisiteuse lui avait présentée comme une sorte de référence, ets’éloigna précipitamment.

Une fois dans la rue, il héla un cab et se fitconduire non au cottage, mais à l’adresse de miss Jethro.

« Partie ! » répondit laservante quand il demanda à voir miss Jethro.

Il insista pour parler du moins à lapropriétaire de la maison, cette dame qu’il connaissait et qui luiavait adressé sa locataire.

« Il n’y a guère plus de dix minutes quemiss Jethro était chez moi, lui dit-il, et il paraît qu’elle estpartie.

– Il n’y a guère plus de dix minutes,répondit la dame, que ce billet m’a été apporté par ungamin. »

Le billet avait évidemment été écrit avec uneextrême précipitation.

« Je suis forcée de quitter Londres àl’improviste. La banknote ci-incluse payera ce que je vous dois.J’enverrai prendre mon bagage. »

Le docteur se retira.

« Forcée de quitter Londres àl’improviste ! marmottait-il en remontant dans sa voiture.Cette fuite la condamne sans rémission. – Aussi vite quepossible ! » cria au cocher le docteur, à qui il tardaitde voir Émily.

Comme il arrivait devant la porte, le docteuraperçut un gentleman qui sortait de chez miss Émily et quis’éloignait d’un pas rapide.

Il sonna et dit à la servante qui vint luiouvrir :

« Miss Émily vient, je pense, de recevoirune visite ?

– Non, monsieur le docteur. Le monsieurqui sort d’ici n’a fait que remettre une lettre.

– Il n’a pas demandé à voir missÉmily ?

– Non, il s’est informé de la santé demiss Létitia. Quand je lui ai dit qu’elle était morte, il a parutout saisi et s’en est allé très vite, sans rien dire.

– A-t-il donné son nom ?

– Non, monsieur le docteur.

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