Je dis non

Chapitre 9ALBAN MORRIS

Après un coup d’œil jeté sur la carte. Émilyse tourna vers la servante.

« Avez-vous dit à M. Morris quelsordres je vous avais donnés ?

– Oui, miss : si vous étiez chezvous, je devais le faire entrer. Peut-être que j’ai eu tort, maisje lui ai expliqué que vous étiez allée lire au Muséum.

– Qu’est-ce qui vous fait croire que vousavez eu tort ?

– Eh mais, je ne sais pas trop ;c’est que ce monsieur n’a pas dit un mot et qu’il avait un drôled’air.

– L’air fâché ? »

La servante secoua la tête.

« Non, ce n’est pas ça. Étonné plutôt etintrigué.

– Il ne vous a chargé de rien pourmoi ?

– Il a dit qu’il reviendrait si vousvouliez être assez bonne pour le recevoir. »

Une demi-heure après, Alban entrait chezÉmily.

Il la regarda, attendri. La lumière tombait enplein sur le visage de la jeune fille, qui s’était levée pour lerecevoir.

« Oh ! que vous avezsouffert ! » s’écria Morris.

Ce cri lui était échappé ; il n’avait pasété maître de le retenir et ses yeux s’attachaient sur elle avecune douceur compatissante. La sympathie est précieuse à toutes lesfemmes, et, depuis la mort de sa tante, Émily n’en avait guèrerencontré. Même les efforts du bon docteur pour la consoler seressentaient trop de la banalité de langage que contractentinvolontairement ceux à qui la routine journalière de la vie offresans cesse la vue de la douleur et de la mort.

Craignant qu’Alban ne se méprît sur la naturede l’émotion que lui causait sa visite, Émily fit un violent effortpour lui parler avec calme.

« J’ai été très seule, dit-elle, et jecrois que ma figure le doit montrer. Vous êtes de mes rares amis,monsieur Morris. »

Des larmes la gagnaient malgré elle, tandisque, debout, le chapeau à la main, il semblait craindre que saprésence lui fût importune.

Aux heures de souffrance, le cœur est aisémenttouché. Elle lui tendit de nouveau la main, qu’il retint doucemententre les siennes.

Depuis leur séparation, elle n’avait pas cesséde hanter son souvenir, elle lui était devenue plus chère quejamais. Profondément ému et troublé, il n’osait plus prononcer uneparole, de crainte de se trahir. Ce silence plaidait mieux sa causeque le plus éloquent discours. Dans le secret de son âme, Émilys’étonnait d’avoir pu accueillir jadis sa confession avec tantd’insouciance. N’avait-elle pas été bien sévère de lui interdirejusqu’à l’espérance ?

Sentant sa propre faiblesse, elle jugeaprudent de détourner l’attention d’Alban. Elle lui indiqua unechaise, et commença par le remercier de lui avoir apporté seslettres. De ce sujet, la transition fut facile pour passer auxraisons qui avaient pu le déterminer à voyager dans le Nord.

« Il m’a semblé, dit-elle ; que vousaviez des soupçons sur mistress Rook : me suis-jetrompée ?

– Non, vous aviez raison.

– C’étaient des soupçons sérieux, jesuppose ?

– Assurément ; sans quoi je n’auraispas consacré mes vacances à m’assurer s’ils étaient fondés.

– Sur quoi portaient-ils, cessoupçons ?

– J’aurais regret de vous causer undésappointement… »

Elle l’interrompit.

« Et vous préférez ne pas répondre à maquestion ?

– Je préférerais surtout savoir si, devotre côté, vous avez fait quelque supposition.

– Oui, monsieur Morris, j’ai supposé quevous aviez fait la connaissance de sir Jervis Redwood.

– Et vous avez deviné juste. Pourobserver la femme de charge de sir Jervis, il me fallaitnécessairement obtenir accès dans sa maison.

– Comment avez-vous fait ? Qui vousa procuré une lettre d’introduction ?

– Je ne connaissais personne qui pût merendre ce service. D’ailleurs, la suite des événements a prouvé quecette lettre était inutile. Sir Jervis s’est présenté lui-même, etce qu’il y a de plus merveilleux, c’est que, dès notre premièreentrevue, il m’a invité à devenir son hôte.

– Sir Jervis s’est présentélui-même ? répéta Émily avec surprise. Tel que me l’a décritCécilia, c’est bien le dernier homme dont j’eusse attendu unedémarche de ce genre. »

Alban sourit.

« Désirez-vous savoir comment la choses’est faite ?

– J’allais vous le demander. »

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer