Je dis non

Chapitre 3HORS LA CHAMBRE

Émily trouva Mirabel dans la salled’attente.

Il était tout naturel qu’il se montrât surprisd’une apparition si soudaine ; mais ce que sa figure exprima,ce fut plus que de l’étonnement, ce fut, dans l’espace d’uneseconde, une véritable épouvante.

« N’avez-vous pas reçu mon message ?J’avais dit au domestique que je vous priais instamment d’attendremon retour, et, dans la crainte d’un oubli, d’un malentenduquelconque, je lui avais donné un billet pour ma sœur.

– Le domestique n’a rien oublié, repartitÉmily, mais mon extrême impatience ne m’a pas permis de voirmistress Delvin. Avez-vous cru réellement que je pourrais endurerle supplice de l’attente jusqu’à votre retour ? Croyez-vousque moi, qui connais mistress Rook, je serais de trop dans votreentrevue avec elle ?

– On ne vous permettra pas de lavoir.

– Pourquoi non ? Vous, vousn’attendez que pour cela.

– J’attends la venue du recteur deBelford. Il est à Berwick et on l’a envoyé chercher sur lapressante requête de mistress Rook.

– Est-elle donc mourante ?

– Elle a peur, du moins, de mourir. Maisjusqu’à quel point cette frayeur est fondée, c’est ce que j’ignore.La chute a causé des lésions internes. J’espère obtenir l’accès desa chambre lorsque le recteur sera ici. Comme clergyman, je puisfort bien le prier d’exercer son influence pour m’obtenir accèsprès d’elle.

– Je suis heureuse de vous voir siempressé.

– Je suis toujours empressé à vousservir.

– Ne me croyez pas ingrate, répliquadoucement Émily. Mais, comme je ne suis pas absolument uneétrangère pour mistress Rook, ne pensez-vous pas qu’en lui faisantpasser ma carte, elle me recevrait sans qu’il fût besoin del’intervention du recteur ? »

Elle s’interrompit. Mirabel venait de faire unbrusque mouvement qui le plaçait entre elle et la porte desortie.

« Je dois réellement vous conjurer derenoncer à un tel projet, dit-il ; qui sait quel horriblespectacle pourra s’offrir à vos yeux et à quelles souffrances cettemalheureuse peut être en proie ? »

Quelque chose d’indéfinissable dans sa voix etses manières suggérait à Émily l’idée qu’il n’avouait pas son vraimotif.

« Si vous avez une raison sérieuse devous opposer à ce que je voie mistress Rook, je vous en prie,dites-la franchement. Nous avons l’un dans l’autre, je pense, uneconfiance entière. Moi du moins, j’ai fait de mon mieux pour endonner l’exemple. »

Mirabel, hésitant, parut fort en peine detrouver une réponse.

En ce moment, le chef de gare entra dans lasalle. Émily, se tournant vers lui, le pria de lui indiquer lamaison où on avait transporté mistress Rook. Il la conduisitjusqu’à l’extrémité du quai, et, du doigt, lui désigna laporte.

Aussitôt Émily et mistress Ellmother sortirentde la gare, suivies de Mirabel obstiné à protester, à soulever envain objections sur objections.

La porte de la maison leur fut ouverte par unvieil homme, qui jeta sur Mirabel un coup d’œil de reproche.

« On vous a déjà dit et répété,s’écria-t-il, qu’aucun étranger ne serait admis près de mafemme. »

Apprenant par ces paroles qu’elle avaitaffaire à M. Rook, Émily se nomma à lui.

« Peut-être, dit-elle, avez-vous entendumistress Rook parler de moi ?

– Très souvent.

– Que dit le docteur ?

– Il pense qu’elle en reviendra, maiselle ne veut pas le croire.

– Voudriez-vous la prévenir que jedésirerais vivement la voir, si c’est possible ? »

M. Rook regarda mistress Ellmother.

« Est-ce que vous avez envie de montertoutes les deux ? fit-il.

– Cette personne est ma vieille amie etsuivante, répliqua Émily ; elle m’attendra ici.

– Elle peut attendre dans leparloir ; les maîtres de la maison sont de bonnes gens que jeconnais bien. »

Il indiqua du geste la porte du parloir, puisse dirigea vers le premier étage.

Émily le suivit. Mirabel marchait derrièreeux.

M. Rook ouvrait une porte placée au fonddu palier, lorsque, se retournant vers Émily, il aperçut Mirabeldebout derrière la jeune fille. Sans se donner la peine deprononcer un mot, le vieillard montra du doigt le bas del’escalier.

Il ne fallait pas songer à le fléchir. Mirabelen appela à Émily.

« Elle recevra ma visite si vous le luidemandez. Je vais rester ici. »

Le son de sa voix eut un étrange écho :un long cri de terreur venait de s’échapper de la chambreentr’ouverte.

M. Rook s’y précipita, non sans fermer laporte derrière lui.

Moins d’une minute après, il la rouvrait, ledoute et l’horreur peints sur son visage.

Il alla droit à Mirabel et sembla le dévisageravec une attention profonde. Il se recula avec un soupir desoulagement.

« Elle se trompe, murmura-t-il, ce n’estpas vous qui êtes l’homme.

– De quel homme voulez-vousparler ? » dit vivement Émily, frappée de ces manièresétranges.

M. Rook ne parut pas l’avoirentendue.

D’un doigt impérieux, il désignait de nouveauà Mirabel le bas de l’escalier.

Les yeux sans regard, marchant comme unsomnambule en proie à son rêve, Mirabel lui obéit.

M. Rook revint alors à Émily.

« Est-ce que vous vous effrayezfacilement ? demanda-t-il.

– Je ne vous comprends pas, dit Émily.Qu’est-ce qui peut m’effrayer et pourquoi parlez-vous d’une façonsi bizarre à M. Mirabel ? »

M. Rook regardait la porte de la chambreà coucher.

« Peut-être qu’on vous expliquera ça. Sij’étais le maître, vous ne la verriez pas. Mais il n’y a pas moyende lui faire entendre raison. Seulement, miss, prenez-y garde. Ilne faudra pas prendre pour argent comptant toutes les divagationsde ma femme. »

Il ouvrit la porte et, baissant lavoix :

« À mon avis, sa cervelle adéménagé. »

Déjà Émily avait franchi le seuil, etM. Rook tirait doucement le battant sur lui.

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