La Dame de Monsoreau – Tome II

Chapitre 11Comment se tint le conseil du roi.

Le jour même, M. de Monsoreau avait,selon son désir manifesté au duc d’Anjou, présenté sa femme aucercle de la reine mère et à celui de la reine.

Henri, soucieux comme à son ordinaire, avaitété se coucher, prévenu par M. de Morvilliers que lelendemain il faudrait tenir un grand conseil.

Henri ne fit pas même de questions auchancelier ; il était tard, Sa Majesté avait envie de dormir.On prit l’heure la plus commode pour ne déranger ni le repos ni lesommeil du roi.

Ce digne magistrat connaissait parfaitementson maître, et savait qu’au contraire de Philippe de Macédoine leroi endormi ou à jeun n’écouterait pas avec une lucidité suffisanteles communications qu’il avait à lui faire.

Il savait aussi que Henri, dont les insomniesétaient fréquentes, – c’est l’apanage de l’homme qui doit veillersur le sommeil d’autrui de ne pas dormir lui-même, – songerait aumilieu de la nuit à l’audience demandée, et la donnerait avec unecuriosité aiguillonnée selon la gravité de la circonstance.

Tout se passa commeM. de Morvilliers l’avait prévu.

Après un premier sommeil de trois ou quatreheures, Henri se réveilla ; la demande du chancelier luirevint en tête, il s’assit sur son lit, se mit à penser, et, las depenser tout seul, il se laissa glisser le long de ses matelas,passa ses caleçons de soie, chaussa ses pantoufles, et, sans rienchanger à sa toilette de nuit, qui le rendait pareil à un fantôme,il s’achemina, à la lueur de sa lampe, qui, depuis que le soufflede l’Éternel était passé dans l’Anjou avec Saint-Luc, nes’éteignait plus ; il s’achemina, disons-nous, vers la chambrede Chicot, la même où s’étaient si heureusement célébrées les nocesde mademoiselle de Brissac.

Le Gascon dormait à plein sommeil et ronflaitcomme une forge.

Henri le tira trois fois par le bras sansparvenir à le réveiller.

À la troisième fois cependant, le roi ayantaccompagné le geste de la voix et appelé Chicot à tue-tête, leGascon ouvrit un œil.

– Chicot ! répéta le roi.

– Qu’y a-t-il encore ? demandaChicot.

– Eh ! mon ami, dit Henri, commentpeux-tu dormir ainsi quand ton roi veille ?

– Ah ! mon Dieu ! s’écriaChicot, feignant de ne pas reconnaître le roi, est-ce que SaMajesté a pris une indigestion ?

– Chicot, mon ami, dit Henri, c’estmoi !

– Qui, toi ?

– Moi, Henri.

– Décidément, mon fils, ce sont lesbécassines qui t’étouffent. Je t’avais cependant prévenu ; tuen as trop mangé hier soir, comme aussi de ces bisques auxécrevisses.

– Non, dit Henri, car à peine y ai-jegoûté.

– Alors, dit Chicot, c’est qu’on t’aempoisonné. Ventre de biche ! que tu es pâle ! Henri.

– C’est mon masque de toile, mon ami, ditle roi.

– Tu n’es donc pas malade ?

– Non.

– Alors pourquoi meréveilles-tu ?

– Parce que le chagrin me persécute.

– Tu as du chagrin ?

– Beaucoup.

– Tant mieux.

– Comment, tant mieux ?

– Oui, le chagrin fait réfléchir ;et tu réfléchiras qu’on ne réveille un honnête homme à deux heuresdu matin que pour lui faire un cadeau. Que m’apportes-tu,voyons ?

– Rien, Chicot ; je viens causeravec toi.

– Ce n’est point assez.

– Chicot, M. de Morvilliers estvenu hier soir à la cour.

– Tu reçois bien mauvaise compagnie,Henri ; et que venait-il faire ?

– Il venait me demander audience.

– Ah ! voilà un homme qui saitvivre ; ce n’est pas comme toi, qui entres dans la chambre desgens à deux heures du matin sans dire gare.

– Que pouvait-il avoir à me dire,Chicot ?

– Comment ! malheureux, s’écria leGascon, c’est pour me demander cela que tu me réveilles ?

– Chicot, mon ami, tu sais queM. de Morvilliers s’occupe de ma police.

– Non, ma foi, dit Chicot, je ne lesavais pas.

– Chicot, dit le roi, je trouve, aucontraire, moi, que M. de Morvilliers est toujours trèsbien renseigné.

– Et quand je pense, dit le Gascon, queje pourrais dormir au lieu d’entendre de pareillessornettes !

– Tu doutes de la surveillance duchancelier ? demanda Henri.

– Oui, corbœuf, j’en doute, dit Chicot,et j’ai mes raisons.

– Lesquelles ?

– Si je t’en donne une seule, cela tesuffira-t-il ?

– Oui, si elle est bonne.

– Et tu me laisseras tranquilleaprès ?

– Certainement.

– Eh bien, un jour, non, c’était unsoir.

– Peu importe !

– Au contraire, cela importe beaucoup. Ehbien, un soir je t’ai battu dans la rue Froidmantel ; tu avaisavec toi Quélus et Schomberg….

– Tu m’as battu ?

– Oui, bâtonné, bâtonné, tous trois.

– À quel propos ?

– Vous aviez insulté mon page, vous avezreçu les coups, et M. de Morvilliers ne vous en a riendit.

– Comment ! s’écria Henri, c’étaittoi, scélérat ? c’était toi, sacrilège ?

– Moi-même, dit Chicot en se frottant lesmains ; n’est-ce pas, mon fils, que je frappe bien quand jefrappe ?

– Misérable !

– Tu avoues donc que c’est lavérité ?

– Je te ferai fouetter, Chicot.

– Il ne s’agit pas de cela : est-cevrai, oui ou non ? voilà tout ce que je te demande.

– Tu sais bien que c’est vrai,malheureux !

– As-tu fait venir le lendemainM. de Morvilliers ?

– Oui, puisque tu étais là quand il estvenu.

– Lui as-tu raconté le fâcheux accidentqui était arrivé la veille à un gentilhomme de tes amis ?

– Oui.

– Lui as-tu ordonné de retrouver lecoupable ?

– Oui.

– Te l’a-t-il retrouvé ?

– Non.

– Eh bien, va donc te coucher,Henri : tu, vois que ta police est mal faite.

Et, se retournant vers le mur, sans vouloirrépondre davantage, Chicot se remit à ronfler avec un bruit degrosse artillerie qui ôta au roi toute espérance de le tirer de cesecond sommeil.

Henri rentra en soupirant dans sa chambre, et,à défaut d’autre interlocuteur, se mit à déplorer, avec son lévrierNarcisse, le malheur qu’ont les rois de ne jamais connaître lavérité qu’à leurs dépens.

Le lendemain le conseil s’assembla. Il variaitselon les changeantes amitiés du roi. Cette fois il se composait deQuélus, de Maugiron, de d’Épernon et de Schomberg, en faveur tousquatre depuis plus de six mois.

Chicot, assis au haut bout de la table,taillait des bateaux en papier, et les alignait méthodiquement,pour faire, disait-il, une flotte à Sa Majesté très chrétienne, àl’instar de la flotte du roi très catholique.

On annonça M. de Morvilliers.

L’homme d’État avait pris son plus sombrecostume et son air le plus lugubre. Après un salut profond, qui luifut rendu par Chicot, il s’approcha du roi :

– Je suis, dit-il, devant le conseil deVotre Majesté ?

– Oui, devant mes meilleurs amis.Parlez.

– Eh bien, sire, je prends assurance etj’en ai besoin. Il s’agit de dénoncer un complot bien terrible àVotre Majesté.

– Un complot ! s’écrièrent tous lesassistants.

Chicot dressa l’oreille et suspendit lafabrication d’une superbe galiote à deux têtes, dont il voulaitfaire la barque amirale de la flotte.

– Un complot, oui, Majesté, ditM. de Morvilliers, baissant la voix avec ce mystère quiprésage les terribles confidences.

– Oh ! oh ! fit le roi. Voyons,est-ce un complot espagnol ?

À ce moment M. le duc d’Anjou, mandé auconseil, entra dans la salle, dont les portes se refermèrentaussitôt.

– Vous entendez, mon frère, dit Henriaprès le cérémonial. M. de Morvilliers nous dénonce uncomplot contre la sûreté de l’État.

Le duc jeta lentement sur les gentilshommesprésents ce regard si clair et si défiant que nous luiconnaissons.

– Est-il bien possible ?…murmura-t-il.

– Hélas ! oui, monseigneur, ditM. de Morvilliers, un complot menaçant.

– Contez-nous cela, répliqua Chicot enmettant sa galiote terminée dans le bassin de cristal placé sur latable.

– Oui, balbutia le duc d’Anjou,contez-nous cela, monsieur le chancelier.

– J’écoute, dit Henri.

Le chancelier prit sa voix la plus voilée, sapose la plus courbée, son regard le plus affairé.

– Sire, dit-il, depuis très longtemps jeveillais sur les menées de quelques mécontents….

– Oh ! fit Chicot… quelques ?…Vous êtes bien modeste, monsieur de Morvilliers !…

– C’étaient, continua le chancelier, deshommes sans aveu, des boutiquiers, des gens de métiers ou de petitsclercs de robe… il y avait de ci, de là, des moines et desécoliers.

– Ce ne sont pas là de bien grandsprinces, dit Chicot avec une parfaite tranquillité, et enrecommençant un nouveau vaisseau à deux pointes.

Le duc d’Anjou sourit forcément.

– Vous allez voir, sire, dit lechancelier ; je savais que les mécontents profitent toujoursde deux occasions principales, la guerre ou la religion….

– C’est fort sensé, dit Henri.Après ?

Le chancelier, heureux de cet éloge,poursuivit :

– Dans l’armée, j’avais des officiersdévoués à Votre Majesté qui m’informaient de tout ; dans lareligion, c’est plus difficile. Alors j’ai mis des hommes encampagne.

– Toujours fort sensé, dit Chicot.

– Et enfin, continua Morvilliers, jeréussis à faire décider par mes agents un homme de la prévôté deParis.

– À quoi faire ? dit le roi.

– À espionner les prédicateurs qui vontexcitant le peuple contre Votre Majesté.

– Oh ! oh ! pensa Chicot, monami serait-il connu ?

– Ces gens reçoivent les inspirations,non pas de Dieu, sire, mais d’un parti fort hostile à la couronne.Ce parti, je l’ai étudié.

– Fort bien, dit le roi.

– Très sensé, dit Chicot.

– Et j’en connais les espérances, ajoutatriomphalement Morvilliers.

– C’est superbe ! s’écriaChicot.

Le roi fit signe au Gascon de se taire.

Le duc d’Anjou ne perdit pas de vuel’orateur.

– Pendant plus de deux mois, dit lechancelier, j’entretins aux gages de Votre Majesté des hommes debeaucoup d’adresse, d’un courage à toute épreuve, d’une aviditéinsatiable, c’est vrai, mais que j’avais soin de faire tourner auprofit du roi ; car, tout en les payant magnifiquement, j’ygagnais encore. J’appris d’eux que, moyennant le sacrifice d’uneforte somme d’argent, je connaîtrais le premier rendez-vous desconspirateurs.

– Voilà qui est bon, dit Chicot, paye,mon roi, paye !

– Eh ! qu’à cela ne tienne, s’écriaHenri, voyons… chancelier, le but de ce complot, l’espérance desconspirateurs ?…

– Sire ! il ne s’agit de rien moinsque d’une seconde Saint-Barthélemy.

– Contre qui ?

– Contre les huguenots.

Les assistants se regardèrent surpris.

– Combien cela vous a-t-il coûté, à peuprès ? demanda Chicot.

– Soixante-quinze mille livres d’unepart, cent mille de l’autre.

Chicot se retourna vers le roi.

– Si tu veux, pour mille écus, je te disle secret de M. de Morvilliers, s’écria le Gascon.

Celui-ci fit un geste de surprise ; leduc d’Anjou fit meilleur visage qu’on n’eût pu s’y attendre.

– Dis, répliqua le roi.

– C’est la Ligue pure et simple, fitChicot, la Ligue commencée depuis dix ans.M. de Morvilliers a découvert ce que tout bourgeoisparisien sait comme son pater.

– Monsieur… interrompit lechancelier.

– Je dis la vérité… et je le prouverai,s’écria Chicot d’un ton d’avocat.

– Dites-moi le lieu de la réunion desligueurs, alors.

– Très volontiers, 1° la placepublique ; 2° la place publique ; 3° les placespubliques.

– Monsieur Chicot veut rire, dit engrimaçant le chancelier, et leur signe de ralliement ?

– Ils sont habillés en parisiens etremuent les jambes lorsqu’ils marchent, répondit gravementChicot.

Un éclat de rire général accueillit cetteexplication. M. de Morvilliers crut qu’il serait de bongoût de céder à l’entraînement, et il rit avec les autres. Mais,redevenant sombre :

– Enfin, dit-il, mon espion a assisté àl’une de leurs séances, et cela dans un lieu que M. Chicot neconnaît pas.

Le duc d’Anjou pâlit.

– Où cela ? dit le roi.

– À l’abbaye Sainte-Geneviève !

Chicot laissa tomber une poule en papier qu’ilembarquait dans la barque amirale.

– L’abbaye Sainte-Geneviève ! dit leroi.

– C’est impossible, murmura le duc.

– Cela est, dit Morvilliers, satisfait del’effet produit et regardant avec triomphe toute l’assemblée.

– Et qu’ont-ils fait, monsieur lechancelier ? qu’ont-ils décidé ? demanda le roi.

– Que les ligueurs se nommeraient deschefs, que chaque enrôlé s’armerait, que chaque province recevraitun envoyé de la métropole insurrectionnelle, que tous les huguenotschéris de Sa Majesté, ce sont leurs expressions….

Le roi sourit.

– Seraient massacrés à un jourdésigné.

– Voilà tout ? demanda Henri.

– Peste ! dit Chicot, on voit que tues catholique.

– Est-ce bien tout ? dit le duc.

– Non, monseigneur….

– Peste ! je crois bien que ce n’estpas tout. Si nous n’avions que cela pour cent soixante-quinze millelivres, le roi serait volé.

– Parlez, chancelier, dit le roi.

– Il y a des chefs….

Chicot vit s’agiter sur le cœur du duc sonpourpoint, que soulevaient les battements.

– Tiens, tiens, tiens, dit-il, un complotqui a des chefs ; c’est étonnant. Cependant il nous fautencore quelque chose pour nos cent soixante-quinze millelivres.

– Ces chefs… leurs noms ? demanda leroi ; comment s’appellent ces chefs ?

– D’abord, un prédicateur, un fanatique,un énergumène, dont j’ai acheté le nom dix mille livres.

– Et vous avez bien fait.

– Le frère génovéfainGorenflot !

– Pauvre diable ! fit Chicot avecune commisération véritable. Il était dit que cette aventure ne luiréussirait pas !

– Gorenflot ! dit le roi en écrivantce nom ; bien… après….

– Après… dit le chancelier avechésitation, mais, sire, c’est tout….

Et Morvilliers promena encore sur l’assembléeson regard inquisiteur et mystérieux, qui semblait dire : SiVotre Majesté était seule, elle en saurait bien davantage.

– Dites, chancelier, je n’ai que des amisici… dites.

– Oh ! sire, celui que j’hésite ànommer a aussi des amis bien puissants….

– Près de moi ?

– Partout.

– Sont-ils plus puissants que moi ?s’écria Henri pâle de colère et d’inquiétude.

– Sire, un secret ne se dit pas à hautevoix. Excusez-moi, je suis homme d’État.

– C’est juste.

– C’est fort sensé ! dit Chicot,mais nous sommes tous hommes d’État.

– Monsieur, dit le duc d’Anjou, nousallons présenter au roi nos très humbles respects, si lacommunication ne peut être faite en notre présence.

M. de Morvilliers hésitait. Chicotguettait jusqu’au moindre geste, craignant que le chancelier, toutnaïf qu’il semblait être, n’eût réussi à découvrir quelque chose demoins simple que ses premières révélations.

Le roi fit signe au chancelier de s’approcher,au duc d’Anjou de demeurer en place, à Chicot de faire silence, auxtrois favoris de détourner leur attention.

Aussitôt M. de Morvilliers se penchavers l’oreille de Sa Majesté ; mais il n’avait pas fait lamoitié du mouvement compassé selon toutes les règles del’étiquette, qu’une immense clameur retentit dans la cour duLouvre. Le roi se redressa subitement ;MM. de Quélus et d’Épernon se précipitèrent vers lafenêtre ; M. d’Anjou porta la main à son épée, comme sitout ce bruit menaçant eût été dirigé contre lui.

Chicot, se haussant sur les pieds, voyait dansla cour et dans la chambre.

– Tiens ! M. de Guise,s’écria-t-il le premier, M. de Guise qui entre auLouvre !

Le roi fit un mouvement.

– C’est vrai, dirent lesgentilshommes.

– Le duc de Guise ? balbutiaM. d’Anjou.

– Voilà qui est bizarre… n’est-cepas ? que M. le duc de Guise soit à Paris, dit lentementle roi, qui venait de lire dans le regard presque hébété deM. de Morvilliers le nom que ce dernier voulait lui direà l’oreille.

– Est-ce que la communication que vousvouliez me faire avait trait à mon cousin de Guise ?demanda-t-il à voix basse au magistrat.

– Oui, sire, c’est lui qui présidait laséance, répondit le chancelier sur le même ton.

– Et les autres ?….

– Je n’en connais pas d’autres….

Henri consulta Chicot d’un coup d’œil.

– Ventre de biche ! s’écria leGascon en se posant royalement ; faites entrer mon cousin deGuise !

Et, se penchant vers Henri :

– En voilà un, lui dit-il à l’oreille,dont tu connais assez le nom, à ce que je crois, pour n’avoir pasbesoin de l’inscrire sur tes tablettes.

Les huissiers ouvrirent la porte avecfracas.

– Un seul battant, messieurs, dit Henri,un seul ! les deux sont pour le roi !

Le duc de Guise était assez avant dans lagalerie pour entendre ces paroles ; mais cela ne changea rienau sourire avec lequel il avait résolu d’aborder le roi.

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