La Dame de Monsoreau – Tome II

Chapitre 7Comment Chicot, après avoir fait un trou avec une vrille, en fit unavec son épée.

Maître Nicolas David, en reconnaissant celuiqu’il savait être son ennemi mortel, ne put retenir un mouvement deterreur.

Gorenflot profita de ce mouvement pour sejeter de côté, et rompre ainsi la rectitude de la ligne qui setrouvait entre son cou et l’épée de l’avocat.

– À moi, tendre ami, cria-t-il, à moi, àl’aide, au secours, à la rescousse, on m’égorge.

– Ah ! ah ! cher monsieurDavid, dit Chicot, c’est donc vous ?

– Oui, balbutia David, oui, sans doute,c’est moi.

– Enchanté de vous rencontrer, reprit leGascon.

Puis, se retournant vers le moine :

– Mon bon Gorenflot, lui dit-il, taprésence comme moine était fort nécessaire ici tout à l’heure,quand on croyait monsieur mourant ; mais à présent quemonsieur se porte à merveille, ce n’est plus un confesseur qu’illui faut ; aussi il va avoir affaire à un gentilhomme.

David essaya de ricaner avec mépris.

– Oui, à un gentilhomme, dit Chicot, etqui va vous faire voir qu’il est de bonne race. Mon cher Gorenflot,continua-t-il en s’adressant au moine, faites moi le plaisird’aller vous mettre en sentinelle sur le palier, et d’empêcher quique ce soit au monde de venir me déranger dans la petiteconversation que je vais avoir avec monsieur.

Gorenflot ne demandait pas mieux que de setrouver à distance de Nicolas David ; aussi accomplit-il lecercle qu’il lui fallait parcourir en serrant les murs le plus prèspossible ; puis, arrivé à la porte, il s’élança dehors, plusléger de cent livres qu’il ne l’était en entrant.

Chicot ferma la porte derrière lui, et,toujours avec le même flegme, poussa le verrou.

David avait d’abord considéré ce préambuleavec un saisissement qui résultait de l’imprévu de lasituation ; mais, bientôt, se reposant sur sa force bienconnue dans les armes, et sur ce qu’au bout du compte il était seulà seul avec Chicot, il s’était remis, et, quand le Gascon seretourna, après avoir fermé la porte, il le trouva appuyé au pieddu lit, son épée à la main et le sourire sur les lèvres.

– Habillez-vous, monsieur, dit Chicot, jevous en donnerai le temps et la facilité, car je ne veux avoiraucun avantage sur vous. Je sais que vous êtes un vaillantescrimeur, et que vous maniez l’épée comme Leclerc enpersonne ; mais cela m’est parfaitement égal.

David se mit à rire.

– La plaisanterie est bonne, dit-il.

– Oui, répondit Chicot ; elle meparaît telle, du moins, puisque c’est moi qui la fais, et elle vousparaîtra bien meilleure tout à l’heure à vous qui êtes homme degoût. Savez-vous ce que je viens chercher en cette chambre, maîtreNicolas ?

– Le reste des coups de lanière que jevous redevais au nom du duc de Mayenne, le jour où vous avez silestement sauté par une fenêtre.

– Non, monsieur ; j’en sais lecompte, et je les rendrai à celui qui me les a fait donner, soyeztranquille. Ce que je viens chercher, c’est certaine généalogie queM. Pierre de Gondy, sans savoir ce qu’il portait, a portée àAvignon, et, sans savoir ce qu’il rapportait, vous a remise tout àl’heure.

David pâlit.

– Quelle généalogie ? dit-il.

– Celle de MM. de Guise, quidescendent, comme vous savez, de Charlemagne en droite ligne.

– Ah ! ah ! dit David, vousêtes donc espion, monsieur ; je vous croyais seulementbouffon, moi ?

– Cher monsieur David, je serai, si vousle voulez bien, l’un et l’autre dans cette occasion : espionpour vous faire pendre, et bouffon pour en rire.

– Me faire pendre !

– Haut et court, monsieur. Vous n’avezpas la prétention d’être décapité, j’espère ; c’est bon pourles gentilshommes.

– Et comment vous y prendrez-vous pourcela ?

– Oh ! ce sera bien simple ; jeraconterai la vérité, voilà tout. Il faut vous dire, cher monsieurDavid, que j’ai assisté le mois passé à ce petit conciliabule tenudans le couvent de Sainte-Geneviève, entre LL. AA. SS.MM. de Guise et madame de Montpensier.

– Vous ?

– Oui, j’étais logé dans le confessionnalen face du vôtre ; on y est fort mal, n’est-ce pas ?d’autant plus mal, pour mon compte du moins, que j’ai été obligé,pour en sortir, d’attendre que tout fût fini, et que la chose a étéfort longue à se terminer. J’ai donc assisté aux discours deM. de Monsoreau, de la Hurière et d’un certain moine dontj’ai oublié le nom, mais qui m’a paru fort éloquent. Je connaisl’affaire du couronnement de M. d’Anjou, qui a été moinsamusante ; mais en échange la petite pièce a été drôle ;on jouait la généalogie de MM. de Lorraine, revue,augmentée et corrigée par maître Nicolas David. C’était une fortdrôle de pièce, à laquelle il ne manquait plus que le visa de SaSainteté.

– Ah ! vous connaissez lagénéalogie ? dit David se contenant à peine et mordant seslèvres avec colère.

– Oui, dit Chicot, et je l’ai trouvéeinfiniment ingénieuse, surtout à l’endroit de la loi salique.Seulement, c’est un grand malheur d’avoir tant d’esprit quecela : on se fait pendre ; aussi, me sentant ému d’untendre intérêt pour un homme si ingénieux, Comment ? mesuis-je dit, je laisserais pendre ce brave monsieur David, unmaître d’armes très agréable, un avocat de première force, un demes bons amis, enfin, et cela quand je puis au contraire nonseulement lui sauver la corde, mais encore faire sa fortune, à cebrave avocat, ce bon maître, cet excellent ami, le premier quim’ait donné la mesure de mon cœur en prenant la mesure de mondos ; non, cela ne sera pas. Alors, vous ayant entendu parlerde voyage, j’ai pris la résolution, rien ne me retenant, de voyageravec vous, c’est-à-dire derrière vous. Vous êtes sorti par la porteBordelle, n’est-ce pas ? je vous guettais, vous ne m’avez pasvu, cela ne m’étonne point, j’étais bien caché ; de cemoment-là, je vous ai suivi, vous perdant, vous rattrapant, prenantbeaucoup de peine, je vous assure ; enfin, nous sommes arrivésà Lyon ; je dis nous sommes, parce que, une heure après vous,j’étais installé dans le même hôtel que vous, non seulement dans lemême hôtel, mais encore dans la chambre à côté ; danscelle-ci, tenez, qui n’est séparée de la vôtre que par une simplecloison ; vous pensez bien que je n’étais pas venu de Paris àLyon, ne vous quittant pas des yeux, pour vous perdre de vue ici.Non, j’ai percé un petit trou à l’aide duquel j’avais l’avantage devous examiner tant que je voulais, et, je l’avoue, je me donnais ceplaisir plusieurs fois le jour. Enfin vous êtes tombé malade ;l’hôte voulait vous mettre à la porte ; vous aviez donnérendez-vous à M. de Gondy au Cygne-de-la-Croix ;vous aviez peur qu’il ne vous trouvât point autre part, ou du moinsqu’il ne vous retrouvât point assez vite. C’était un moyen, je n’enai été dupe qu’à moitié ; cependant, comme à tout prendre vouspouviez être malade réellement, comme nous sommes tous mortels,vérité dont je tâcherai de vous convaincre tout à l’heure, je vousai envoyé un brave moine, mon ami, mon compagnon, pour vous exciterau repentir, vous ramener à la résipiscence ; mais point,pécheur endurci que vous êtes, vous avez voulu lui perforer lagorge avec votre rapière, oubliant cette maxime del’Évangile : «Qui frappe de l’épée périra par l’épée.» C’estalors, cher monsieur David, que je suis venu et que je vous aidit : Voyons, nous sommes de vieilles connaissances, de vieuxamis ; arrangeons la chose ensemble ; voyons, dites, àcette heure que vous êtes au courant, voulez-vous l’arranger, lachose ?

– Et de quelle façon ?

– De la façon dont elle se fût arrangéesi vous eussiez été véritablement malade, que mon ami Gorenflotvous eût confessé et que vous lui eussiez remis les papiers qu’ilvous demandait. Alors je vous eusse pardonné et j’eusse même dit degrand cœur un in manus pour vous. Eh bien, je ne serai pasplus exigeant pour le vivant que pour le mort ; et ce qui mereste à vous dire, le voici : Monsieur David, vous êtes unhomme accompli : l’escrime, le cheval, la chicane, l’art demettre de grosses bourses dans de larges poches, vous possédeztout. Il serait fâcheux qu’un homme comme vous disparût tout à coupdu monde, où il est destiné à faire une si belle fortune. Eh bien,cher monsieur David, ne faites plus de conspirations, fiez-vous àmoi, rompez avec les Guises, donnez-moi vos papiers, et, foi degentilhomme ! je ferai votre paix avec le roi.

– Tandis qu’au contraire, si je ne vousles donne pas ? demanda Nicolas David.

– Ah ! si vous ne me les donnez pas,c’est autre chose. Foi de gentilhomme, je vous tuerai ! Est-cetoujours drôle, cher monsieur David ?

– De plus en plus, répondit l’avocat encaressant son épée.

– Mais si vous me les donnez, continuaChicot, tout sera oublié ; vous ne me croyez pas peut-être,cher monsieur David, car vous êtes d’une nature mauvaise, et vousvous figurez que mon ressentiment est incrusté dans mon cœur commela rouille dans le fer. Non, je vous hais, c’est vrai, mais je haisM. de Mayenne plus que vous ; donnez-moi de quoiperdre M. de Mayenne, et je vous sauve ; et puis,voulez-vous que j’ajoute encore quelques paroles, que vous necroirez pas, vous qui n’aimez rien que vous-même ? Eh bien,c’est que j’aime le roi, moi, tout niais, tout corrompu, toutabâtardi qu’il est ; le roi qui m’a donné un refuge, uneprotection contre votre boucher de Mayenne, qui assassine de nuit,à la tête de quinze bandits, un seul gentilhomme, sur la place duLouvre ; vous savez de qui je veux parler, c’est de ce pauvreSaint-Mégrin ; n’en étiez-vous pas de ses bourreaux,vous ? Non, tant mieux, je le croyais tout à l’heure, et je lecrois bien plus encore maintenant. Eh bien, je veux qu’il règnetranquillement, mon pauvre roi Henri, ce qui est impossible avecles Mayenne et les généalogies de Nicolas David. Livrez-moi donc lagénéalogie, et, foi de gentilhomme, je tais votre nom et fais votrefortune.

Pendant cette longue exposition de ses idées,qu’il n’avait même faite si longue que dans ce but, Chicot avaitobservé David en homme intelligent et ferme. Pendant cet examen, ilne vit pas se détendre une seule fois la fibre d’acier qui dilataitl’œil fauve de l’avocat ; pas une bonne pensée n’éclaira sestraits assombris ; pas un retour de cœur n’amollit sa maincrispée sur l’épée.

– Allons, dit Chicot, je vois que tout ceque je vous dis est de l’éloquence perdue, et que vous ne me croyezpas ; il me reste donc un moyen de vous punir d’abord de vostorts anciens envers moi, puis de débarrasser la terre d’un hommequi ne croit plus à la probité ni à l’humanité. Je vais vous fairependre. Adieu, monsieur David.

Et Chicot fit à reculons un pas vers la portesans perdre de vue l’avocat.

Celui-ci fit un bond en avant.

– Et vous croyez que je vous laisseraisortir ? s’écria l’avocat ; non pas, mon belespion ; non pas, Chicot, mon ami : quand on sait dessecrets comme ceux de la généalogie, on meurt ! Quand onmenace Nicolas David, on meurt ! Quand on entre ici comme tu yes entré, on meurt !

– Vous me mettez parfaitement à mon aise,répondit Chicot avec le même calme ; je n’hésitais que parceque je suis sûr de vous tuer. Crillon, en faisant des armes avecmoi, m’a appris, il y a deux mois, une botte particulière, uneseule ; mais elle suffira, parole d’honneur. Allons,remettez-moi les papiers, ajouta-t-il d’une voix terrible, ou jevous tue ! et je vais vous dire comment : je vouspercerai la gorge où vous vouliez saigner mon ami Gorenflot.

Chicot n’avait point achevé ces paroles, queDavid, avec un sauvage éclat de rire, s’élança sur lui ;Chicot le reçut l’épée au poing.

Les deux adversaires étaient à peu près de lamême taille ; mais les vêtements de Chicot dissimulaient samaigreur, tandis que rien ne dissimulait la nature longue, mince etflexible de l’avocat. Il semblait un long serpent, tant son brasprolongeait sa tête, tant son épée agile s’agitait comme un tripledard ; mais, comme le lui avait annoncé Chicot, il avaitaffaire à un rude adversaire ; Chicot, faisant des armespresque tous les jours avec le roi, était devenu un des plus fortstireurs du royaume ; c’est ce dont Nicolas David puts’apercevoir, en trouvant toujours le fer de son adversaire, dequelque façon qu’il cherchât à l’attaquer.

Il fit un pas de retraite.

– Ah ! ah ! dit Chicot, vouscommencez à comprendre, n’est-ce pas ? Eh bien, encore unefois, les papiers.

David, pour toute réponse, se jeta de nouveausur le Gascon, et un second combat s’engagea plus long et plusacharné que le premier, quoique Chicot se contentât de parer etn’eût pas encore porté un coup. Cette seconde lutte se termina,comme la première, par un pas de retraite de l’avocat.

– Ah ! ah ! dit Chicot, à montour maintenant.

Et il fit un pas en avant.

Pendant qu’il marchait, Nicolas David dégageapour l’arrêter. Chicot para prime, lia l’épée de son adversairetierce sur tierce, et l’atteignit à l’endroit qu’il avait indiquéd’avance ; il lui enfonça la moitié de sa rapière dans lagorge.

– Voilà le coup, dit Chicot.

David ne répondit pas ; il tomba du coupaux pieds de Chicot en crachant une gorgée de sang.

Chicot à son tour fit un pas de retraite. Toutblessé à mort qu’il est, le serpent peut encore se redresser etmordre.

Mais David, par un mouvement naturel, essayade se traîner vers son lit comme pour défendre encore sonsecret.

– Ah ! dit Chicot, je te croyaisretors, et tu es sot, au contraire, comme un reître. Je ne savaispas l’endroit où tu avais caché tes papiers, et voilà que tu mel’apprends.

Et, tandis que David se tordait dans lesconvulsions de l’agonie, Chicot courut au lit, souleva le matelaset trouva, sous le chevet, un petit rouleau de parchemin, queDavid, dans l’ignorance de la catastrophe qui le menaçait, n’avaitpas songé à cacher mieux.

Au moment même où il le déroulait pours’assurer que c’était bien le papier qu’il cherchait, David sesoulevait avec rage ; puis, retombant aussitôt, rendait ledernier soupir.

Chicot parcourut d’abord d’un œil étincelantde joie et d’orgueil le parchemin rapporté d’Avignon par Pierre deGondy.

Le légat du pape, fidèle à la politique dusouverain pontife depuis son avènement au trône, avait écrit aubas :

Fiat ut voluit Deus : Deus jurahominum fecit.

– Voilà, dit Chicot, un pape qui traiteassez mal le roi très chrétien.

Et il plia soigneusement le parchemin, qu’ilintroduisit dans la poche la plus sûre de son justaucorps,c’est-à-dire dans celle qui s’appuyait sur sa poitrine.

Puis il prit le corps de l’avocat, qui étaitmort sans presque répandre de sang, la nature de la plaie ayantconcentré l’hémorragie au dedans, le replaça dans le lit, la facetournée contre la ruelle, et, rouvrant la porte, appelaGorenflot.

Gorenflot entra.

– Comme vous êtes pâle ! dit lemoine.

– Oui, dit Chicot ; les derniersmoments de ce pauvre homme m’ont causé quelque émotion.

– Il est donc mort ? demandaGorenflot.

– Il y a tout lieu de le croire, réponditChicot.

– Il se portait si bien tout àl’heure !

– Trop bien. Il a voulu manger des chosesdifficiles à digérer, et, comme Anacréon, il est mort pour avoiravalé de travers.

– Oh ! oh ! dit Gorenflot, lecoquin qui voulait m’étrangler, moi, un homme d’Église ; voilàce qui lui aura porté malheur.

– Pardonnez-lui, compère, vous êteschrétien.

– Je lui pardonne, dit Gorenflot,quoiqu’il m’ait fait grand’peur.

– Ce n’est pas le tout, dit Chicot ;il conviendrait que vous allumiez les cires, et que vous marmottiezquelques prières près de son corps.

– Pourquoi faire ?

C’était le mot de Gorenflot, on se lerappelle.

– Comment ! pourquoi faire ?Pour n’être point pris et conduit dans les prisons de la villecomme meurtrier.

– Moi ! meurtrier de cethomme ! Allons donc ; c’est lui qui voulaitm’étrangler.

– Mon Dieu, oui ! Et, comme il n’apu y réussir, la colère lui a mis le sang en mouvement ; unvaisseau se sera brisé dans sa poitrine, et bonsoir. Vous voyezbien qu’en somme, Gorenflot, c’est vous qui êtes la cause de samort. Cause innocente, c’est vrai ; mais n’importe ! Enattendant, que votre innocence soit reconnue, on pourrait vousfaire un mauvais parti.

– Je crois que vous avez raison, monsieurChicot, dit le moine.

– D’autant plus raison, qu’il y a danscette bonne ville, à Lyon, un official un peu coriace.

– Jésus ! murmura le moine.

– Faites donc ce que je vous dis,compère.

– Que faut-il que je fasse ?

– Installez-vous ici, récitez aveconction toutes les prières que vous savez, et même celles que vousne savez pas, et quand le soir sera venu et que vous serez seul,sortez de l’hôtellerie, sans lenteur et sans précipitation ;vous connaissez le travail du maréchal ferrant qui fait le coin dela rue ?

– Certainement, c’est à lui que je mesuis donné ce coup hier soir, dit Gorenflot montrant son œil cercléde noir.

– Touchant souvenir. Eh bien, j’auraisoin que vous retrouviez là votre cheval, entendez-vous ? Vousmonterez dessus sans donner d’explication à personne ;ensuite, pour peu que le cœur vous en dise, vous connaissez laroute de Paris ; à Villeneuve-le-Roi vous vendrez votrecheval ; et vous reprendrez Panurge.

– Ah ! ce bon Panurge ; vousavez raison, je serai heureux de le revoir, je l’aime. Mais d’icilà, ajouta le moine d’un ton piteux, comment vivrai-je ?

– Quand je donne, je donne, dit Chicot,et ne laisse pas mendier mes amis, comme on fait au couvent deSainte-Geneviève ; tenez.

Et Chicot tira de sa poche une poignée d’écusqu’il mit dans la large main du moine.

– Homme généreux ! dit Gorenflotattendri jusqu’aux larmes, laissez-moi rester avec vous à Lyon.J’aime assez Lyon ; c’est la seconde capitale du royaume, puisla ville est hospitalière.

– Mais comprends donc une chose, triplebrute ! c’est que je ne reste pas, c’est que je pars, et celasi rapidement, que je ne t’engage point à me suivre.

– Que votre volonté soit faite, monsieurChicot, dit Gorenflot résigné.

– À la bonne heure ! dit Chicot, tevoilà comme je t’aime, compère.

Et il installa le moine près du lit, descenditchez l’hôte, et, le prenant à part :

– Maître Bernouillet, dit-il, sans quevous vous en doutiez, un grand événement s’est passé dans votremaison.

– Bah ! répondit l’hôte avec desyeux effarés, qu’y a-t il donc ?

– Cet enragé royaliste, ce contempteur dela religion, cet abominable hanteur de huguenots…

– Eh bien ?

– Eh bien, il a reçu la visite ce matind’un messager de Rome.

– Je le sais bien, puisque c’est moi quivous l’ai dit.

– Eh bien ! notre saint-père lepape, à qui toute justice temporelle est dévolue en ce monde, notresaint-père le pape l’envoyait directement au conspirateur :seulement, selon toute probabilité, le conspirateur ne se doutaitpas dans quel but.

– Et dans quel butl’envoyait-il ?

– Montez dans la chambre de votre hôte,maître Bernouillet, levez un peu sa couverture, regardez-lui auxenvirons du cou, et vous le saurez.

– Holà ! vous m’effrayez.

– Je ne vous en dis pas davantage. Cettejustice s’est accomplie chez vous, maître Bernouillet. C’est unbien grand honneur que vous fait le pape.

Puis Chicot glissa dix écus d’or dans la mainde son hôte et gagna l’écurie, d’où il fit sortir les deuxchevaux.

Cependant l’hôte avait grimpé ses escaliersplus leste que l’oiseau, et était entré dans la chambre de NicolasDavid.

Il y trouva Gorenflot en prières.

Alors il s’approcha du lit, et, selon lesinstructions qu’il avait reçues, releva les couvertures.

La blessure était bien à la place indiquée,encore vermeille ; mais le corps était déjà froid.

– Ainsi meurent tous les ennemis de lasainte religion ! dit-il en faisant un signe d’intelligence àGorenflot.

– Amen ! répondit le moine.

Ces événements se passaient à peu près vers lemême temps où Bussy remettait Diane de Méridor entre les bras duvieux baron, qui la croyait morte.

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